Amiens. 15 Mai 1979. Renaud Séchan. Première rencontre. Première interview. © DR
© Jean-Louis Crimon
Amiens. 15 Mai 1979. Renaud Séchan. Première rencontre. Première interview. © DR
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Si je crois en Dieu, je m'incline face à la Providence. Même sous la forme d'une simple coïncidence. Ma mère adorait tellement cet homme-là, la parole de cet homme-là, et je lui ai tellement offert, à ma maman, souvent dès leur parution, un à un, tous les livres de Guy Gilbert. Alors, que je croise, à deux pas de la Maison de la Radio – hasard providentiel –, le chemin de ce curé des loubards et des paumés, avec sa tronche à la Léo Ferré, sûr, c'est un signe, un message, ou une bonne blague, un sms espiègle, un texto céleste, un clin d'oeil surnaturel très maternel, un sourire malice cieux de Juliette Zanda, ma mère, qui dort sous la terre depuis cinq nuits déjà, et qui aimait tellement ce prêtre-là, le berger des loubards, des motards et des stars.
Lui ai confié ça à Guy Gilbert, en le rencontrant, la mort de ma mère, qui a rejoint mon père à Saint-Souplet-sur-Py, dans ce petit cimetière crayeux de la Champagne pouilleuse. Mon père né dans la Marne, ma mère née dans la Meuse. Pour me donner vie en Picardie. Me laisser vieil orphelin aujourd'hui.
Le Père Gilbert a sorti de son portefeuille une jolie petite carte, une carte avec sa photo, et il a écrit : "A Juliette, je prie pour elle !" M'a donné la carte en me prenant dans ses bras. Pour mieux me dire : "Courage camarade ! Que tu crois ou pas, je partage ta peine, je suis avec toi. Avec ou sans Dieu, ta souffrance, je la fais mienne !" Me suis mordu la langue pour ne pas lui dire : "Arrête tes conneries, l'Abbé, sinon je retourne à l'Eglise et d'abord à confesse ! "
En le quittant, je le crédite de la plus belle profession de foi possible pour un mécréant : " Je ne crois pas en Dieu, moi, mais s'il existe, Dieu, sûr, lui, il croit en moi ". Guy Gilbert éclate de son bon rire de curé sans soutane et dans son cuir de motard, solennel, me déclare : toi et moi, on va se revoir. Tôt ou tard.
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Chine. Chengdu. Université du Sichuan. Confucius applaudit Laoshi Crimon. 23 Oct. 2013. © Baptiste Resse.
Ponctutation finale. Ultime. Dans tous les sens du terme. Lire au pied de la statue géante du géant, les extraits de ce roman que tu lui dois. Lui, c'est Kong, Conf' pour toi, Confucius. Celui que tous les étudiants Chinois appellent "Le premier des professeurs". Laoshi, professeur, tu l'as été pendant un semestre, dans cette université du Sichuan. Professeur de "Conversation française". Joli titre. Belle mission. Tu avais promis, toi, l'ancien journaliste de France Inter et de France Culture, promis au Doyen du Département des Langues étrangères, de ne pas te servir de ta présence en Chine pour effectuer des reportages clandestins. Tu as tenu parole.
Le roman, tu en as eu l'idée dès la première semaine de ce semestre incroyable. A moins que ce ne soit l'idée de Confucius. Qui t'aurait discrètement influencé dans vos conversations silencieuses. Puisque le reportage t'était interdit, le roman s'imposait. Le roman, forme supérieure du reportage. Malraux l'avait expérimenté bien avant toi. Mais "Du côté de chez Shuang" n'aura pas la reconnaissance ni le succès de "La Condition humaine". N'est pas Malraux qui veut. Si ton petit roman chinois méritait d'être salué pour la qualité de son écriture ou de ses idées, le seul Prix qui pourrait lui être attribué, ce serait, sans conteste, le "Prix du roman passé inaperçu". Ni moins, ni plus. Sans honte ni prétention extrême, je me l'attribue.
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Cette année-là, je découvre le latin. J'aime bien les mots latins. Pas le latin de la messe en latin, pas le latin des curés, le latin des poètes et des écrivains. Les mots latins contiennent en creux les mots français. L'Abbé Guisembert, notre professeur principal, nous le répète souvent : étudiez bien votre latin, si vous êtes bon en latin, vous serez bon en français. A l'étude du soir, mon voisin, Marcel Monsigny, qui est en cinquième, me parle de sa fascination pour le grec ancien. Que, selon lui, j'étudierai aussi dans un an. Si je fais une bonne année de sixième.
Sa prédiction ne se réalisa jamais. Je fus doublement trahi. Par une psychologue et un prêtre. Après la batterie de tests obligatoires, la psychologue, chargée d'évaluer mon intelligence, avait, sans trembler, et surtout sans me le dire, posé un verdict assassin en face de mon nom : débile léger. C'était sans appel. Collé au mur des fusillés pour l'exemple. Premier accroc dans ma carrière d'apprenti intellectuel. Suivi, très peu de temps après, la semaine de la retraite préparatoire à la communion solennelle, par ma réponse à la question : Pensez-vous avoir la vocation ? Comme mon instituteur et mes parents m'avaient expliqué, avant de partir pour la ville, que le mensonge était la pire des choses, je n'ai pas voulu tricher avec la question du sacerdoce, j'ai répondu NON sans hésiter. Pourtant, sans honte, ni scrupules, presque tous les élèves de ma classe de sixième, au courant de la supercherie mortelle, avaient sciemment menti en répondant OUI. Eux savaient, moi pas, que le redoublement ou le passage en classe supérieure, était aussi lié à cet engagement à vouloir devenir prêtre.
J'avais dû être le seul de ma classe à répondre, sans même envisager l'idée du "peut-être", NON. En lettres capitales. Trois lettres capitales qui me condamnaient à la peine capitale. C'en était trop pour le Père supérieur : le débile léger se doublait d'un mécréant. Renvoi illico dans son village. C'est le fils du Georges, le jardinier. Les chats ne font pas des chiens. Sera manuel comme son père. Manant fils de manant. Le certificat d'études, s'il peut l'avoir, lui suffira bien. L'agriculture manque de bras. C'est son destin tout traçé.
Bien sûr, je n'ai appris les vraies raisons de mon retour forcé à l'Ecole primaire de mon village que beaucoup plus tard. A 11 ans, j'ai dû vivre la chose presque naturellement, sans trop souffrir des commentaires peu amènes - je n'ose écrire "peu Amen" - des adultes de mon entourage : Peux pas faire de grandes études, le fils du Georges, sera travailleur manuel comme son père !
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Amiens. La lettre à Giuliana Zanda. 23 Août 2017. © Florence Crimon.
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Fécamp. Chez Maupassant. Mot passant. Nouvelle aventure. Séance de signature. En devanture. Librairie Le Chat Pitre. Sous le regard malicieux de l'homme derrière la vitre : Marc Legras. Marc, Marco. L'ami de toujours. L'exemple. Le frère aîné. Fidèle parmi les fidèles. M'avait invité un soir à l'Université libre et populaire de Fécamp, pour parler "écriture du journaliste, écriture du romancier". Le lendemain, pour signer "Du Côté de chez Shuang", mon petit roman chinois, publié au Castor Astral. C'était en septembre. Il y aura bientôt dix ans.
Depuis, Marc s'est envolé pour le pays de l'envers des nuages. Sans crier gare. Sans faire d'histoire. Un beau soir. Façon de parler. Un soir plutôt moche. Plutôt très moche. Rien dans les mains, rien dans les poches. Ultime escapade. Echappé pour toujours, mon camarade. Me sens bien seul depuis.
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Amiens. Cité scolaire. Professeur de Philosophie. Année scolaire 1978-1979. © DR
" L'enseignement de ce jeune professeur, qui n'en est qu'à ses débuts, m'est apparu extrêmement solide et sérieux, et c'est pourquoi je lui adresse mes encouragements."
Georges Laforêt, Inspecteur Pédagogique Régional de Philosophie. (15 Mars 1978).
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Chine. Chengdu. Université du Sichuan. 20 Octobre 2011. © DR
Cher Laoshi,
En ce temps-là, tu enseignes le français dans une université chinoise. A Chengdu. Sichuan. Le poivre du Sichuan, connu dans le monde entier. Tes cours sont très épicés. Un peu trop parfois.
Tu te souviens de ton premier poème écrit en Chine ? De la façon dont tu l'as imposé, en douceur, à ta classe de quatrième année de français. Une soixantaine d'étudiants dans l'amphithéâtre, ce jour-là. Des étudiantes surtout.
Le balayeur, premier poème. Poème rêvé vraiment pendant la nuit. Couché sur le papier vers 5 heures du matin. Quand les premiers balayeurs entrent en action sous ta fenêtre. Musique étrange du balai de genêt qui pousse, amasse et ramasse les feuilles mortes tombées pendant la nuit. Poème écrit pour tes étudiants. Des étudiants charmants qui ne comprennent pas ton intérêt pour les balayeurs et les balayeuses du campus. Ne comprennent pas que tu puisses leur dire Bonjour, à chacun, chaque matin, les immortaliser en photographies. Les balayeurs, ce n'est pas un sujet intéressant, a tranché, une fois pour toutes, la Chef de classe.
Le balayeur
Dès le début d'octobre
D'un geste précis et sobre,
Il entre en scène,
Sans mise en scène,
Ici ou ailleurs,
Lui, le balayeur...
Il décrit d'étranges arabesques
Dessine d'invisibles fresques,
Avale des morceaux entiers de trottoir
Ne se raconte pas d'histoire,
Ne tire aucune gloire,
D'un destin pourtant méritoire...
Il balaie du matin au soir
Ne prend guère le temps de s'asseoir,
Vous le regardez sans le voir,
Sa vie est monotone,
A peine si ça vous étonne,
Le balayeur efface l'automne.
Un beau matin donc, dès ton entrée dans l'amphi, tu écris au tableau les trois strophes de ton poème. Sans dire un mot. Juste "Ni hao". Tes étudiantes et tes étudiants lisent, en silence, le mot à mot du poème. C'est un beau moment. Un moment plein. Le plus beau moment de tes six mois chinois.
Tu commences ton cours sans faire référence au poème que tu viens d'écrire à la craie blanche sur le tableau noir. Une heure de cours magistral. Ecriture romanesque, Ecriture journalistique. Tu maîtrises ton sujet. Les étudiants sont bouche bée. A la pause, une étudiante vient te parler. Elle est très étonnée qu'on puisse écrire un aussi beau poème - ce sont ses mots - sur un métier aussi minable. Tu lui dis que ton père, dans sa vie de jardinier, maîtrisait mieux que personne le geste du balayeur. Qu'il était mort il y a dix ans. Que photographier les balayeuses et les balayeurs du campus et de la ville, les saluer chaque jour, c'est une forme d'hommage à ton père disparu. Que tu espères que le père est fier du fils. Fier des photos et de l'attitude de son fils. Elle sourit. Puis s'en va rejoindre ses amies.
Au cours de la deuxième heure, tu lis, avec tes étudiantes et tes étudiants, à haute voix, plusieurs fois, le poème. Un garçon propose qu'on le traduise en chinois. Une fille déclare qu'il faut l'envoyer au journal régional pour qu'il soit publié.
C'est surtout le dernier vers qui intrigue et qui fascine : Le balayeur efface l'automne. Impensable pour tes étudiants. Lumineuse évidence pour toi. A mettre autant d'ardeur et d'application à faire disparaître, à peine tombée, la moindre feuille morte, c'est bien la preuve que le balayeur est porteur d'un pouvoir magique : il est cet être rare qui posséde la "gomme à saisons". Le cours prend fin sur de multiples interrogations. Tu trouves ça bien : aux réponses, depuis toujours, tu préfères les questions.
La semaine suivante, l'étudiante indignée qu'on puisse écrire un aussi beau poème sur un métier aussi minable, vient te revoir à la pause. Tu ne sais si l'expression existe en chinois, mais manifestement, elle a dû balayer devant sa porte. Faire table rase de ses préjugés. Un beau sourire illumine son visage de Joconde inachevée. Elle te dit, tout de go :
- Vous savez, Laoshi, maintenant, je dis "Bonjour" aux balayeuses et aux balayeurs, quand je croise leur chemin. Ils me sourient. Je ne suis pas sûre que leur vie en soit plus heureuse, mais moi, je le suis, Laoshi ! Merci à votre poème. Il a changé mon regard. Il a changé ma vie.
Ce jour-là, tu t'es dit que tu la tenais ta... Révolution culturelle !
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L'Oppidum de La Chaussée -Tirancourt est un site fortifié de la fin de l'âge du fer et de la Guerre des Gaules, situé sur le territoire de la commune de La Chaussée -Tirancourt, dans le département de la Somme, à une douzaine de kilomères à l'ouest d'Amiens. On a coutume de l'appeler "Camp César", sans être bien certain que Jules César en personne ait pu vraiment y séjourner. Lieu priviligié d'escapades dominicales avec ses grands talus herbeux où l'on peut faire de mémorables glissades.
L'intérêt pour les collines fortifiées de la vallée de la Somme s'est manifesté dès le début du XVIIIe siècle. Des érudits de l'époque se sont évertués, sans entreprendre de fouilles, à mettre en évidence les points communs des différents sites : position de hauteur, vitale pour se préparer aux attaques d'éventuels envahisseurs, surface d'une trentaine d'hectares avec défenses naturelles formées par des pentes abruptes, aménagement par l'homme de terrassements renforçant les points faibles, enfin l'arc de cercle comme forme la plus répandue de la fortification.
Au XIXe siècle, à deux reprises, en 1822 et en 1891, des fouilles sont entreprises. Au XXe siècle, le site est à nouveau étudié. En 1962, Roger Agache, précurseur de l'archéologie aérienne en France, découvre lors de prospections un second rempart arasé à l'intérieur de l'Oppidum, rempart qui présente un schéma jusque là inconnu. Agache découvre également à l'extérieur du camp une série d'enclos délimités par des fossés. De 1983 à 1991, différents sondages permettent de réaliser une coupe du rempart principal et d'étudier la porte principale ainsi que le rempart intérieur.
En 2014, de nouveaux sondages vont révéler des anomalies antérieures à l'occupation romaine. En 2015, des fouilles menées sur le fossé intérieur remettent en cause les premières interprétations de 1989. Le rempart intérieur révèle la présence d'un murus gallicus, antérieur à l'arrivée des Romains. Cerise sur le gâteau, on découvre alors que ce mur d'enceinte gaulois s'appuie, lui, sur une enceinte datant du Néolithique, environ 5000 à 2000 avant notre ère.
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