Bien sûr, ce n'est pas moi qui ai reçu le Prix Raymond-Devos de la langue française. Cette année-là, c'est Stéphane De Groodt qui a été distingué et honoré. Prendre la pose au pupitre, une façon de faire le pitre. En hommage à cet homme que j'admire depuis mes 15 ans.
...
(Paris. Radio France. France Culture. Déc. 2003.)
Devos : Je trouve qu'on se ressemble !
Moi : Pas seulement physiquement.
Lui : Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Moi : On se ressemble aussi...
Lui : aussi quoi ?
Moi : aussi... vocalement.
Lui : Faites-le ! Pour voir !
Moi : Alors, j'lui dis (avec sa voix), JE VOUS IMITE !
Lui : Mais vous le faites bien !
Entre lui et moi, tout a commencé comme ça. On sortait du studio 134 où je l'avais interviewé pour l'émission du samedi midi, "Le livre de la rédaction". Pour la sortie de son dernier opus : "Les 40 èmes délirants". Au Cherche-Midi. Je m'étais dit : pour un homme qui passe pour être à l'Ouest, publier au Midi, logique, non ? Mais je n'avais pas osé la lui faire pendant l'enregistrement. Pas osé non plus le faire parler de ces années passées en Allemagne, comme STO, déporté du travail, là où le soir, dans le stalag, pour distraire ses camarades de chambrée, il avait commencé à improviser des petits sketches drôles et absurdes. Raymond Devos n'aimait pas qu'on lui parle de ce temps-là. Il ne voulait rien devoir aux Allemands.
Le raccompagnant jusqu'à l'ascenseur qui descend Porte B, Devos me prend le bras et me dit : je suis au Salon du Livre, samedi et dimanche, venez me voir, ça me fera plaisir.
Le samedi, chose promise, chose due, comme au Salon, j'y suis, pour signer, au stand du Castor Astral, mon petit roman "Verlaine avant-centre", vers midi, je pousse logiquement jusqu'au Cherche-Midi.
- Ah, vous êtes là !
Puis, s'adressant à la bonne centaine d'admirateurs de la queue qui serpente autour de la table où il dédicace à fond la caisse, Devos hurle : Le p'tit, là, il m'imite !
Raymond marque un temps d'arrêt. L'art du silence que maîtrise, à merveille, l'homme de scène. Puis, s'adressant à moi, sur un ton qui ne supporte aucune hésitation : Faites-le !
J'ai dû faire Devos, devant Devos, face à plus de cent admirateurs qui ont applaudi à tout rompre, en scandant "Devos/Devos" ! Un incroyable succès public. Un triomphe. Le seul de ma vie.
A ce moment précis, une petite vieille dame tout en noir, s'est faufilée dans la file, doublant des dizaines de personnes, pour venir jusqu'à ma hauteur et, d'une voix aiguë, me lancer :
- Vous êtes son fils ? Sans attendre ma réponse, la petite dame tout de noir vêtue, tellement fière de sa trouvaille, a enchaîné : Qu'est-ce que vous lui ressemblez !
Un immense éclat de rire a secoué toute la file de la centaine de fidèles qui attendaient, chacune, chacun, leur dédicace. Devos m'a regardé, comme subjugué par l'instant, avant de lâcher, sublime :
- La preuve !
© Jean-Louis Crimon