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25 juillet 2022 1 25 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

 

Je n'oublie pas qu'à la Mairie de Fluminimaggiore, sur le registre des naissances de l'année 1896, est indiqué en face du nom Francesco Zanda : né dans la maison qui est dans la même rue que l'église. Problème : habiter aujourd'hui la rue près de l'église n'a rien à voir avec ce que ça devait être à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Plusieurs rues aboutissent à l'église. Difficile de dire quelle était ta rue. Il faudrait reprendre un plan de la commune au moment de ta naissance, en mars 1896, pour essayer de localiser précisément l'emplacement de la maison des Zanda. Je me dois de faire ça. Quand je viendrai mettre vraiment mes pas dans tes pas, grand-père Zanda. Quand j'essaierai de prendre les chemins creux comme les caillouteux, quand j'essaierai de refaire le trajet à travers la montagne ou par la route jusqu'à la mine de Buggerru. Je me dois de faire ça. En mémoire de ce que tu as dû vivre, toi. Pour essayer de sentir, de ressentir, de comprendre ce qu'a dû être ta vie. Pour la restituer à défaut de pouvoir la justifier. "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie", répétait sans cesse, sans citer Malraux, ta fille, Juliette, ma mère, qui ne s'appela jamais Zanda. Un jour, je te dirai pourquoi. Même si tu le sais déjà.

Mais avant, me faut m'imprégner de cette terre et de cette vie qui furent ta terre et ta vie. A quoi servirait d'écrire si ce n'était pour ressusciter des morts et les rendre à tout jamais plus vivants que de leur vivant ? Pour qu'ils n'aient pas vécu pour rien, justement.

 

Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, inconnu jusque dans la mort, puisque tu n'as, en Sardaigne ou en France, même pas de tombe à ton nom, je me dois de faire ça pour toi. Je le ferai. Foi de Sarde, même si mâtiné de naissance Picarde.

 

Mâtiné, pour ceux qui ne sauraient pas, se dit d’un animal qui a perdu une partie de sa race. Les chiens mâtinés sont parfois bons à la chasse. Je veux être un bon chasseur. Pour toi, mon grand-père... chassé. Chassé, pourchassé, par la police et les milices Mussoliniennes. Cette histoire-là aussi, je me dois de l'écrire.

 

© Jean-Louis Crimon

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24 juillet 2022 7 24 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Via Roma. Sardaigne. © DR

Fluminimaggiore. Via Roma. Sardaigne. © DR

 

Ce lundi 24 Avril 2017, à Fluminimaggiore, Franco Melas, mon complice dans ce retour aux origines, est allé frapper à la fenêtre de Giuliana Zanda, la fille de ton frère Vincenzo. Elle habite toujours Fluminimaggiore. Elle n'a pas voulu lui ouvrir. Même pas voulu nous recevoir. Rien à dire. Rien à dire de ce temps-là. Tout oublié. Rien à raconter. Pas de photos à montrer. Pas d'anecdotes à partager. Pas de souvenirs précis de ce que son père, Vincenzo, ton frère, ton petit frère, pensait de toi. En dépit de vos neuf ans d'écart, vous aviez pourtant en commun la fuite en France, pour échapper à la police Mussolinienne et le temps passé à Bouligny et à Joudreville. Même pas voulu dire quelques mots sur le pourquoi on t'avait surnommé "agitatore" ? 

"Je ne suis pas intéressée", s'est bornée à répéter sur tous les tons, porte à peine entrouverte, Giuliana Zanda, quand Franco lui a dit qu'un petit-fils de son oncle Francesco était venu de France à Fluminimaggiore pour essayer de comprendre le chemin de cet homme hors du commun qu'a dû être son grand-père. "Pas intéressée", elle est drôle la Giuliana. Elle, peut-être pas, mais moi, oui. Moi, je suis très intéressé.

A la Mairie, sur le registre des naissances de l'année 1896, est indiqué en face du nom Francesco Zanda : Né dans la maison qui est dans la même rue que l'église. Problème : à Fluminimaggiore, en ce temps-là, et aujourd'hui encore, il y a plusieurs églises. Est aussi précisé que la famille où tu es né est une famille de paysans, père éleveur de chèvres. Aussi cordonnier et sabotier, a même ajouté le secrétaire de Mairie.

 

© Jean-Louis Crimon

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23 juillet 2022 6 23 /07 /juillet /2022 08:57
Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR
Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR

Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR

Un beau jour, le miracle se produit. Une photo de toi arrive jusqu'à moi. Découverte fortuite et fabuleuse à la fois. Archives de la mairie de Bouligny. Ta Fiche d'entrée sur le territoire français délivrée par le Préfet de la Meuse, en date du 31 mai 1929. Ta Fiche d'entrée avec ta photographie agrafée dans le coin supérieur gauche. Un grand front, les cheveux brossés en arrière, une petite moustache étonnante et un regard que je trouve beau. Oui, un beau regard. Profond. Un regard qui semble s'évader bien au-delà de l'objectif du photographe. Au crayon, deux mentions : date de la demande carte, 9 août 1926, et au-dessus, une nouvelle date : 11 mars 1929. Seconde mention : parti à Piennes le 30 octobre 1929. Juliette, ta fille, ma mère, née à Bouligny, de Berthe Leloup, a tout juste un an, depuis le 2 août. Pourquoi partir pour Piennes ? Pour y rejoindre Jeanne Bourgeois qui, le 13 décembre, va donner naissance à ton fils, prénommé François. Jeanne Marie Louise Bourgeois, sans profession, née Lantéfontaine, le 20 juillet 1902, domiciliée à Piennes, 9 rue d'Alsace. Où tu habites désormais. Entre Berthe et Jeanne, tu as choisi Jeanne. Entre Bouligny et Piennes, tu as choisi Piennes.

 

Bien sûr, mes lettres sont restées sans réponse. Là où tu es, si tu es quelque part, on n’écrit pas à ceux d’en bas. A supposer que toi, tu sois en haut. Le fait que tu n’aies pas eu de vraie tombe, dans un vrai cimetière, me fascine chaque jour davantage. Fosse commune, pour un destin peu commun, n’est pas une fin commune.

Je pense souvent à ce jour-là où on t’as mis en terre. Etait-ce dans l’enceinte de l’Hôpital ? Là où tu es mort. Etait-ce dans le carré des indigents ? Est-ce qu’au moins il y a eu deux ou trois humains pour accompagner ton cercueil ? Un camarade de la mine, un prêtre, un enfant de choeur ? Est-ce que tu es mort seul dans ta chambre d’hôpital, te plaignant de souffrir, comme Rimbaud, de ta jambe amputée. Est-ce que tu as dit comme tous les amputés : « j’ai mal à la jambe que je n’ai plus » ? Est-ce que quelqu’un t’a tenu la main pour le passage ? Est-ce que tu t’es senti mourir ?  Est-ce que tu as revu des images de ton village de Sardaigne ? Est-ce que tu as eu la force de redessiner mentalement les rues de Fluminimaggiore, et d’abord cette petite rue près de l’église où tu es né et où tu habitais, enfant et adolescent ? Est-ce que tu as revu, un à un, comme on égraine un chapelet vivant, les visages de tous ceux que tu as connus et aimés dans ta vie de jeune sarde ? Antioco, ton père sabotier et chevrier ? Maria, ta mère. Vincenzo, ton frère le plus proche de toi ? Maria, ta petite soeur, la seule fille de la fratrie ?

A quoi as-tu pensé au moment ultime, au moment du dernier souffle, à l’instant du dernier soupir ? Je ne pourrai jamais le savoir. Je ne le saurai jamais. Sur qui ou sur quoi as-tu porté ton dernier regard ? Questions inutiles puisque forcément sans réponse. 

Une seule certitude pour moi, ton petit-fils, je me dois d'écrire l'histoire. Ton histoire. Je me dois de redonner vie à ta vie. Je dois écrire le roman de ta vie. Le roman de Zanda le Sarde. Sûr, ça me tarde. Il est temps. Il est grand temps. 

 

© Jean-Louis Crimon

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22 juillet 2022 5 22 /07 /juillet /2022 08:57
La mort de Francesco Zanda Junior. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

La mort de Francesco Zanda Junior. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

 

A peine le fils de Francesco Zanda découvert, déjà il faut se faire à l'idée que, lui aussi, s'est éclipsé. Impossible désormais d'avoir, de sa bouche et dans sa voix, des nouvelles de son père, ce grand-père inconnu, plus inconnu que jamais. Sur le faire-part de décès, la photo du fils offre peut-être des indices du visage qui a pu être celui du père. Sans certitude.

Seule certitude, l'épouse du fils Zanda, Graziella Pulina, est toujours en vie. Désormais, elle est la seule à détenir quelques souvenirs du versant sarde de ces vies qui sont aussi, un peu, beaucoup, passionément, ma vie. Une lettre, quelques photographies, un objet, une montre, une pipe, une lampe de mineur, autant de signes palpables qui auraient pu traverser le temps. Que les époux Zanda auraient pu conserver.

Questions : Graziella Pulina connaissait-elle la version de l'accident du petit Francesco Zanda, à l'âge de 3 ans ? Avait-elle eu vent de la façon dont le fait-diversier de L'Est Républicain avait relaté la chose, dans la 7ème édition du Quotidien Lorrain, le 2 novembre 1932 ? Que sait-elle aujourd'hui encore de l'enfance française de celui qui devint son mari, à Sassari, Sardaigne, le 31 août 1958 ? Francesco Zanda Junior a-t-il parfois évoqué le passé de son père ? Passé de mineur sarde à Buggerru et de mineur meusien ou mosellan, à Joudreville ou à Piennes ? Passé d'agitatore ou passé de seduttore ?

Francesco Zanda fils, savait-il que son père avait eu un autre enfant, un an plus tôt, une fille, Juliette, ma mère, née le 2 août 1928, à Bouligny ? Bouligny, Meuse, 4 kilomètres 800 de Piennes, Meurthe et Moselle. Savait-il qu'une première fille était née, d'un premier mariage, en 1921, à Fluminimaggiore, en Sardaigne ? Maria, sa demi-sœur sarde. Morte comme lui, en 2011. Etait-il allé la rencontrer ? Lui parler ?

 

Giuliana Zanda, fille de Vincenzo, frère cadet de Francesco Zanda père, est-elle détentrice d'une partie des réponses entourant ces petits secrets ?

 

Tant et tant de questions. Pour essayer de cerner d'un peu plus près la personnalité de ce grand-père inconnu. Pas la moindre réponse en vue.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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21 juillet 2022 4 21 /07 /juillet /2022 08:57
Nancy. Hôpital Maringer. 11 Sept. 1936. Acte de décès de Francesco Zanda. © DR

Nancy. Hôpital Maringer. 11 Sept. 1936. Acte de décès de Francesco Zanda. © DR

 

Les archives de l'hôpital Maringer de Nancy ont gardé trace de ta mort. Ma mère Juliette, ta fille, ne l'aura jamais su. Morte elle-même avant que cette information nous parvienne. Un ami d'un ami, intéressé par ma quête et mon enquête, a découvert en juillet 2017, dans les archives de l'hôpital Maringer, gardées aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle, ton acte de décès. Acte de décès en bonne et due forme, avec cette dimension à la fois précise et laconique de ce genre de document.

Tu es mort des suites d'un accident au fond de la mine. Le nom de la mine n'est pas mentionné. Je découvre ta date d'entrée à l'hôpital : 4 avril 1935. Suit la date de ta mort : 11 septembre 1936, avec cette précision sinistre, l'heure de ta mort : Dix heures dix.

Sous la rubrique "Genre de maladie", quelqu'un a indiqué : Ostéite Bacillaire, amputation.

 

Un an et cinq mois d'hospitalisation. L'ostéite est une inflammation du tissu osseux, causée par une infection bactérienne. Gangrène sans doute. Amputation. 

Je me demande qui venait te voir durant cette année presque et demie d'hôpital, qui te rendait visite, qui prenait des nouvelles de ta santé. La Direction de la Mine où tu as eu cet accident ? Des copains mineurs ou manoeuvres de fond comme toi ? Des Italiens ? Dix-sept moi d'hôpital, c'est terriblement long. A quel moment les médecins ont-ils pris la décision de te couper la jambe ? On ne sait même pas de quelle jambe il s'agit ? Jambe gauche ou jambe droite ? Précision dérisoire. 

 

La dernière ligne de ton acte de décès est cruelle. En face de la mention " Avis donné à..." est indiqué : "Sans famille en France".

"Sans famille en France", quatre mots qui passent sous silence l'existence de tes deux enfants nés en France, ton fils, François Zanda, né le 13 décembre 1929, et ta fille Juliette, ma mère, né le 2 août 1928. " Sans famille en France", quatre mots qui oublient les deux mères de ces deux enfants. Berthe Leloup et Janne Bourgeois. Berthe Leloup, mère de Juliette, ma mère, qui ne s'appellera jamais Zanda. Jeanne Bourgeois, mère de François Zanda, ton fils, lui, reconnu par toi. 

 

© Jean-Louis Crimon

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20 juillet 2022 3 20 /07 /juillet /2022 08:57
L'Est Républicain. L'annonce de la mort de Francesco Zanda. 13 septembre 1936. © Jean-Louis Crimon

L'Est Républicain. L'annonce de la mort de Francesco Zanda. 13 septembre 1936. © Jean-Louis Crimon

 

Trois semaines de recherche en ce mois de juin 2017, des enthousiasmes fous, des déceptions identiques, des doutes, de rares certitudes, des idées de renoncement, l'envie de tirer un trait définitif sur ce passé trop longtemps enfoui, la tentation de l'abandon, mais à chaque fois la certitude de devoir aller jusqu'au bout, et puis, cette fois, l'idée lumineuse de passer par la presse locale et régionale.

L'Est Républicain, Dimanche 13 septembre 1936. 7ème édition. Rubrique Etat-Civil... ton nom, ton âge, et ton métier. Une ligne, une seule ligne, pour tirer ta révérence définitive.

 

Décès. François Zanda, 40 ans, mineur, à Bonvillers-Mont. (M.et M.)

 

40 ans en 1936, comme tu es né en 1896, ça colle parfaitement. Mineur, c'est bon, c'est ton métier. Donc c'est toi.

Même si ton prénom a été francisé, c'est bien de toi dont il s'agit. Francesco Zanda, mineur, il n'y en pas légion dans la région. Sûr, c'est ton nom. Donc tu es mort en septembre 1936. Pas en août 1928. Découverte fondamentale. Mieux : fondatrice. Cette fois, je vais vraiment pouvoir écrire l'histoire. Ton histoire.

 

Il me fallait savoir, si oui ou non, le 2 août 1928, il y avait eu un accident mortel à la mine, et si, toi, Francesco Zanda, tu avais été parmi les morts. Or, il n'y a pas eu de morts à la mine de Joudreville, le 2 août 1928, cela je le savais depuis les années 70, quand j'avais fait cette lettre au Directeur de la mine et que sa réponse avait été immédiate et sans ambiguïté, laissant Juliette, ma mère, perplexe. Soudain profondément triste. Nous n'en avons, elle et moi, jamais plus parlé. Près de quatre-vingt dix ans plus tard, la réponse est donnée. Définitivement. Pas gênant. Ma mère est morte depuis trois ans. Sans doute mieux pour elle de ne pas savoir, de n'avoir jamais su.

 
Je relis ma lettre du 1er Juin dernier et je souris devant ce romantisme naïf qui m'anime alors :
 

Au sud du Sud, une île italienne, la Sardaigne. Qu'à cela ne daigne. La Corse est bien une île française. Un village de montagne. Une année : 1896. Un jour et un mois de naissance : 8 mars.

J'ai voulu refaire le chemin qui a dû être le tien. Je suis venu remettre mes pas dans tes pas. Point de départ : le village. Ton village. Ce village qui s'appelle toujours Fluminimaggiore. Littéralement, textuellement, "Flumini majeur". Fluminimaggiore. Tout près de Buggerru, là où il y a la mine. Une mine riche en minerai de plomb et de zinc. Destin tout tracé des enfants des pauvres gens. Paradoxe sublime : du Flumini majeur partaient, à pied, des bataillons de mineurs. Dans le double sens du terme. Aucune autre alternative pour une existence humaine de ce temps-là. Pas de mode majeur. Même en étant né à Fluminimaggiore. Condamné, dès l'enfance, à 7 ou 8 ans, à vivre sa vie en mode mineur.

De ta famille, tu ne nous as pas dit grand chose. Ta vie, très brève, trop brève, ne t'en a pas laissé le temps. Ton passage terrestre t'as juste laissé le temps de laisser deux enfants. Deux filles. Une Sarde. Maria. Une Française. Juliette, ma mère. Que tu abandonnas le jour de sa naissance. Mort le jour-même de sa naissance. Mort le jour où ta fille française est née. Selon la mère de ma mère, ma grand-mère. Berthe Leloup. C'est ma mère qui me l'a dit. C'est ma mère qui m'a dit que c'est ce que sa mère lui avait dit. Une fois pour toutes. Pour ne plus avoir à en parler. Elle devait se faire à l'idée. Elle ne connaîtrait jamais son père. Ne porterait jamais son nom. On ne porte pas le nom d'un mort. Ne s'appellerait jamais Zanda de son vivant. Seulement à sa mort. Ayant, elle-même, pris soin de faire graver, de son vivant, le beau nom de Zanda sur sa tombe. Morte Juliette Crimon sur la petite plaque de cuivre clouée sur son cercueil, mais gravée Juliette Zanda sur sa tombe.

 

Toi, mon grand-père trop longtemps inconnu, agitatore des grèves sardes ou mosellanes, tu n'es pas mort le 2 août 1928, comme la légende familiale le prétendait. Pieux mensonge inventé par Berthe Leloup, ma grand-mère maternelle, pieux mensonge repris et transmis comme vérité première par sa fille, Juliette, ma mère. Légende familiale prise pour argent comptant. Pendant presque 90 ans. Secret de famille bien gardé jusqu'à ce que l'idée stupide me reprenne de vouloir savoir si j'ai vraiment du sang sarde qui me coule dans les veines.

 

Je ne sais plus qui a dit : La lumière ne se fait que sur les tombes.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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19 juillet 2022 2 19 /07 /juillet /2022 08:57
L'Est Républicain. 2 Novembre 1932. Page 4. © Jean-Louis Crimon

L'Est Républicain. 2 Novembre 1932. Page 4. © Jean-Louis Crimon

 

En fait, grand-père Zanda, tu n'es pas mort le 2 août 1928 puisque tu as eu un fils en 1929. Ton fils. Je viens d'en découvrir l'existence, d'une façon tout à fait fortuite. Un bel article en page 4 de L'Est Républicain, en date du mercredi 2 novembre 1932. La relation d'un fait-divers. Un fait-divers qui, pour une fois, ne fait pas diversion. Bien au contraire. La vérité sort de la bouche des enfants. D'un petit enfant de trois ans qui traverse la rue imprudemment. Un jour de l'année 1932. Un mercredi de début novembre.

 Quatre-vingt cinq ans plus tard, un jour de l'an 2017, par pur hasard, la vérité éclate. Francesco Zanda a eu un fils. Après sa fille Juliette, conçue avec Berthe Leloup. Un fils prénommé François, comme son père, François Zanda. Conçu avec une autre mère, Jeanne Bourgeois. Né en 1929, juste après ta fille, Juliette, née en 1928. Un fils qui devait être un petit gamin très turbulent, sinon très imprudent. Mais lisons d'abord l'article dont François Zanda, garçonnet de 3 ans, est le héros.

 

" Un enfant est renversé par une auto. — La semaine dernière, un automobiliste se dirigeant vers Murvilie, arrivait à proximité des premières cités de Bonviilers, quand il aperçut plusieurs enfants qui jouaient sur le côté droit de la route, sens de la marche, et un troupeau d'oies qui tenait la gauche; quelques mètres plus loin, un deuxième troupeau venait à droite. L'automobiliste, afin de prévenir les enfants de son approche, actionna son appareil avertisseur et prit légèrement sa gauche pour les doubler. Au moment où il passait à la hauteur du groupe formé par les bambins, l'un d'eux, un garçonnet de 3 ans, le petit Zanda François, traversa la chaussée en courant et un deuxième suivit. Ne pouvant passer derrière le premier, par crainte de heurter le second, le conducteur donna un brusque coup de volant à gauche et les deux roues avant de sa voiture allèrent tout doucement dans le fossé; à ce moment, il ressentit un léger choc provenant de la droite du véhicule et s'arrêta aussitôt. Descendant immédiatement, il se porta au secours de l'enfant Zanda, qui avait dû être touché par le marchepied, et le releva; l'enfant fut ensuite emmené au domicile de la personne qui le garde. L'automobiliste fit appeler un docteur et, en attendant son arrivée, l'enfant fut soigné par l'infirmier de la mine de Murvilie. Le petit blessé porte des contusions multiples sur les deux jambes et une large plaie à la tête; le docteur a jugé son état sans gravité, sauf complications. Grâce à la prudence et à l'allure modérée à laquelle roulait l'automobiliste, cet accident n'aura aucune suite fâcheuse; mais il serait utile que les mamans surveillent de plus près leurs enfants, surtout les tout petits."

 

En fait, grand-père Zanda, toi qui as reconnu ton fils, François, et laissé à ta fille, ma mère, le statut d'enfant naturelle, pour ne pas dire -horrible expression - d'enfant "illégitime", de bâtarde, jusqu'à ce qu'un aure Italien, Francesco Filippin, la légitime en épousant Berthe Leloup, toi qui as abandonné ta fille Sarde, Maria, et ne l'a jamais revue, ni sa mère, peut-être que tu n'aimais pas les filles, même si tu adorais les femmes, leurs mères... Surtout leurs mères. Auxquelles tu faisais, une fois par an, le cadeau d'un enfant. Trois femmes, trois mères, une Sarde et deux Françaises. Trois enfants, deux filles et un garçon.

 

Francesco Zanda n'est pas mort le 2 août 1928, comme ma mère l'a cru sa vie entière. Mensonge, pieux mensonge de sa propre mère, Berthe Leloup.

Francesco Zanda avait un fils, appelé François Zanda. Juliette, ma mère, n'a jamais su qu'elle avait un demi-frère. Reconnu, lui, tout à fait officiellement, par son père. Juliette, ma mère, n'eut pas cet honneur-là.

 

La vérité sort parfois de la bouche des enfants. Quand ils traversent la rue imprudemment et qu'ils se retrouvent dans la page des faits-divers. Mémoire de papier journal. Pas banal. Comme aurait dit Juliette, ma mère, qui adorait ponctuer tout évènement ou tout récit de cette façon-là.

 

 

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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 08:57
Bouligny. Le Mémoire de Maîtrise de Marie-Danielle Harbulot. Juin 1977. © Jean-Louis Crimon

Bouligny. Le Mémoire de Maîtrise de Marie-Danielle Harbulot. Juin 1977. © Jean-Louis Crimon

 

« Bouligny, ses mines, ses cités », le titre du Mémoire soutenu, en Juin 1977, par Marie-Danielle Harbulot, me touche plein cœur. Ma mère, Juliette Leloup, fille de Berthe Leloup et de Francesco Zanda, est née le 2 août 1928, à Bouligny. Nouveau clin d'œil du destin.

 

Ce Mémoire, dirigé par François ROTH, Professeur à l'Université de Nancy II, comporte cinq chapitres en 130 pages de texte et de tableaux statistiques. Un beau travail universitaire motivé, - précision de son auteur dès l'Introduction - par des "attaches avec ce département de la Meuse". Joliment dit. Discrètement dit. C'est toujours agréable de savoir que les objets d'études sont rarement des exercices de style désincarnés.

Ces attaches d'une étudiante de l'année 1977 avec ce département de la Meuse et avec son pays minier, je les partage bien volontiers. Je me sens pays avec Marie-Danielle Harbulot que je ne connais pas et que je n'ai jamais rencontrée. Son Mémoire - pardon, c'est facile, mais tellement tentant- est une "vraie mine" pour moi. J'y apprends tout ce que je ne savais pas :

 

Que Bouligny, village de 318 habitants en 1901, devient dans les années 30 la quatrième agglomération du département de la Meuse, après Bar-le-Duc, Verdun et Commercy.

 

Qu'avant la première guerre, et de 1919 à 1926, la population de Bouligny et les effectifs des mines augmentent fortement et qu'un grand nombre d'immigrants sont alors célibataires.

 

Qu'en 1924, sur un total de 11.768 mineurs, 25 % sont Français, 63 % sont Italiens et 6% sont Polonais. 6% sont de différentes autres nationalités. (Rapports annuels du Service des Mines).

 

Que 28.000 hommes se font inscrire sur les registres matricules des deux mines de Joudreville, entre 1906 et 1945.

 

Qu'on appelle "Les Grandes Grilles" les maisons - assez austères- des cadres et la spacieuse demeure du Directeur de la mine.

 

Que les "Grandes Grilles" ont été volontairement construites à l'opposé des cités ouvrières. Que ça se voit très clairement sur le plan en page 74.

 

---------

 

La Conclusion de Marie-Danielle Harbulot, page 109 de son Mémoire, est à la fois touchante et désespérante. "Trop d'archives ont disparu... Trop d'études manquent". Je la reproduis in extenso :

 

" Depuis un demi-siècle, Bouligny a incomparablement enrichi son histoire; cette histoire reste à écrire : trop d'archives ont disparu ou ne nous ont pas été communiquées pour que cette monographie puisse rendre compte de toute la réalité. Trop d'études manquent pour que l'originalité de Bouligny puisse être affirmée à coup sûr : menée à l'échelon de tout le bassin de Briey, la comparaison des entreprises, du peuplement, des cités, des comportements politiques et syndicaux permettra peut-être, un jour, de fructueuses moissons. "

Juin 1977 - Juin 2017, 40 ans plus tard, on est en droit de se demander ce qui a bien pu être écrit, étudié et publié sur ce plan là. Une rencontre avec l'étudiante de 77 et son directeur de Mémoire serait précieuse pour mesurer le chemin parcouru ou à tout jamais abandonné.

 

Dernier arrêt sur image, si on peut dire, page 125 : après la partie Annexes et la partie Notes, je tombe sur une information de taille, bien au-delà de l'anecdote, discrètement mentionnée dans les Sources bibliographiques :
 
A la mine de Joudreville, (Bouligny), à propos des registres matricules du personnel  : la première embauche de chaque ouvrier. est consignée chronologiquement avec des annotations diverses.
 
Comme j'aimerais avoir accès à ces annotations diverses et pouvoir découvrir ce qui a été écrit en face du nom ZANDA, prénom Francesco, le jour de sa première embauche.
 
 
© Jean-Louis Crimon
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17 juillet 2022 7 17 /07 /juillet /2022 08:57
"Saluti da Fluminimaggiore". Vincenzo, frère cadet de Francesco Zanda. Document Giuliana Zanda. © DR
"Saluti da Fluminimaggiore". Vincenzo, frère cadet de Francesco Zanda. Document Giuliana Zanda. © DR

"Saluti da Fluminimaggiore". Vincenzo, frère cadet de Francesco Zanda. Document Giuliana Zanda. © DR

Un jour, j'ai réalisé que nous n'avions aucune photo de toi. Tu es l'homme sans visage, sans apparence humaine, sans tombe, sans passé et sans futur. Tu n'as laissé aucune trace. Tu es le crime parfait d'un Dieu cruel.

Ce matin, je veux pour la énième fois rassembler le peu d'éléments que l'on possède de toi. Tu es né en 1896, le 8 mars, ça, c'est sûr, je l'ai vu de mes yeux vu, en avril 2017, sur le registre des naissances de l'état-civil de ton village de Fluminimaggiore. Ma fille Florence - ton arrière-petite-fille - m'a accompagné dans ce retour aux souces, en Sardaigne. Aux dires de ta fille, Juliette, ma mère, qui le tenait de sa propre mère, Berthe Leloup, tu es mort, dans ta trente-troisième année, le 2 août 1928, jour de la naissance de Juliette, ta fille. 2 août 1928, jour de ta mort dans un accident qui s'est produit au fond de la mine. 

 

Pas de photo de toi, enfant ou adolescent. Pas de photo de toi à la mine de Buggerru. Enfant au travail de tri des minerais. Adulte, devant la mine, avec ta lampe de mineur, ou au fond de la mine. Pas de photo de toi, en France, à Joudreville, à Bouligny ou à Piennes. En ce temps-là, je sais bien, pas de numérique et pas de selfie à tout va. Selfie, tu ne comprends pas ? Normal, mot venu de l'anglais. Il s’agit d’une photo de soi-même prise avec un appareil numérique, un téléphone portable ou une tablette, ou bien d’une photo de soi réalisée par webcam, mais photo prise par soi-même en retournant l’objectif vers soi. Impensable à ton époque où l'on devait vivre toujours tourné vers les autres.

La seule photo d'un Zanda, un Zanda de Sardaigne, un Zanda de Fluminimaggiore, qui est venue jusqu'à moi, c'est une photo de ton petit frère Vincenzo, prise en contre plongée. Ton frère semble très grand. Etiez-vous grands dans la famille ou bien est-ce que c'est la prise de vue qui le grandit démesurément ?

La personne qui a pris la photo a dû poser un genou au sol pour faire entrer dans le cadre le personnage du monument qui se trouve derrière ton frère. Un monument que l'on doit bien pouvoir identifier et situer. Cagliari peut-être. Tu vois, plus que jamais, le roman de la vie de Francesco Zanda ressemble à une enquête policière. Le fugitif que tu as été nous échappe même dans les plus simples évidences. Photo de ton frère Vincenzo, sans date, sans indications de lieu, sans légende. Ce qui renforce ta propre légende, mon cher grand-père inconnu.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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16 juillet 2022 6 16 /07 /juillet /2022 08:57
Mineurs de Buggerru. Musée de la mine. Avril 2017. © DR

Mineurs de Buggerru. Musée de la mine. Avril 2017. © DR

Un jour, c'est le grand jour. Le jour où je vais à Roubaix. Le jour où les microfilms des archives Nationales du Monde du Travail vont enfin - je l'espère vraiment- me révéler une part de la vérité. Cette part de vérité qui a dû s'écrire à Joudreville, Meurthe-et-Moselle, à la fin des années 20. 1920. Joudreville, près de Bouligny, de Piennes et de Briey. Mine de fer. Là où trois frères, Mario, Vincenzo et Francesco Zanda, se sont un jour fait embaucher. D'abord Francesco Zanda, l'aîné, avant ses deux frères cadets, Vincenzo et Mario. Francesco Zanda, toi, mon grand-père inconnu. Toi dont je ne sais presque rien. Juste une date et un lieu de naissance. 8 Mars 1896, Fluminimaggiore. Sardaigne.

Rien d'autre, sinon que tu serais mort en France, le jour de la naissance de ta fille. Ma mère. Ma mère qui ne s'appela jamais Zanda.

A Roubaix, le Bâtiment des Archives Nationales du Monde du Travail se trouve au 78, Boulevard du Général Leclerc. Ouvert au public de 9 heures à 17 heures, du mardi au vendredi.

Pour aller à Roubaix, d'Amiens, - je te vois sourire - ça prend plus de temps que pour faire Beauvais-Cagliari, en avion. Train Amiens : 8 heures 38, arrivée à Lille 9 heures 58. Trois quarts d'heure d'attente à Lille pour un autocar qui part à 10 heures 41 de Lille et qui arrive à Roubaix à 11 heures. Durée de l'expédition : deux heures vingt. Beauvais - Cagliari, avec Ryanair : décollage 12 heures 45, atterrissage : 14 heures 55. Durée du vol : deux heures dix.

Je vais noter dans la paume de ma main gauche les cotes du fonds Société Civile de Joudreville : 102 A Q. Dans les archives microfilmées, pas sûr de trouver les listes du personnel. Surtout des procès-verbaux de réunions du Conseil d'Administration. Procès verbaux qui pourraient avoir gardé trace des accidents à la mine. Par exemple, de l'accident du 2 août 1928. Le jour où tu es mort, Francesco Zanda. Le jour où ma mère est née. Mais de cet accident, pour l'instant, aucune trace.

Malgré tout, les archives de la Mine de fer de Joudreville, j'y crois. Je veux y croire. J'y crois... dur comme fer.

 

© Jean-Louis Crimon

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