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11 juin 2023 7 11 /06 /juin /2023 08:57
René de Obaldia, chez lui. 13 mars 2013. Habemus papam. © Jean-Louis Crimon

René de Obaldia, chez lui. 13 mars 2013. Habemus papam. © Jean-Louis Crimon

C'était un soir où René de Obaldia m'invita chez lui pour parler poésie et roman. Un vrai grand moment. Soudain, les cloches se sont mises à sonner à grande volée. D'une manière si joyeuse. René me dit que ce devait être l'annonce de la messe du soir. Poli, mais sceptique, je lui expliquai que mes nombreuses années d'enfant de choeur m'avait parfaitement éduqué l'oreille au décryptage instantané du langage des cloches. Cette fois, c'était un évènement autrement important que l'angelus du soir. René ouvrit la fenêtre. Il fut dans l'instant convaincu et s'exclama : Habemus papam

...

A même le trottoir, parmi d'autres ouvrages à la couverture arrachée, dans ce vide-grenier de village qu'on appelle dans cette partie de la Picardie "Marché à réderies", le livre ne donnait qu'une envie, d'ailleurs très bien exprimée par son titre "PARTIR..." Je me baissai pourtant, sans savoir ce qui m'attendait. Machinalement, je feuilletai le livre en mauvais état et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sur les deux premières pages un des plus beaux envois que je connaisse, une véritable lettre-confession de l'auteur à une destinataire amie, dont seul le prénom figure au début de cette étrange missive. L'auteur du célèbre Croix de bois, Roland Dorgelès, ne s'était manifestement pas contenté du service minimum de la signature genre "cordial hommage de l'auteur" ou encore "amicales pensées de l'auteur à sa fidèle collaboratrice". Lisons plutôt ce texte manuscrit, signé RDorgelès et daté Novembre 1932. Texte qui témoigne d'une réelle souffrance. D'un mal profond. Qui mériterait une véritable enquête pour comprendre ce qu'a pu vivre Dorgelès dans ce lieu, au début des années trente.

 

 

" A Georgette

A la très aimable et sympathique collaboratrice

A celle qui -malgrè tout- m'obligera à quelques regrets le jour où je quitterai enfin le milieu médisant, envieux et antipathique qui a nom "Vallauris"

en m'excusant de ne pas lui offrir le livre que j'avais primitivement prévu. (je n'ai pas résisté à l'attrait d'un titre bien court certes, mais ... composant du seul mot qui a occupé constamment mon esprit comme une véritable obsession pendant les mois de 1932 que j'ai passé à R......).

en la priant d'oublier quelques paroles vives et un peu trop dures qu'une sincérité primesautière ne suffit pas à excuser

en lui exprimant toute ma gratitude pour avoir été la seule dans le concert haineux de Vallauris à ne pas "hurler avec les loups" et avec l'espoir que le temps faisant son oeuvre on voudra bien s'apercevoir que j'étais beaucoup moins méchant qu'on l'a dit et - surtout - qu'on l'a pensé

et en lui demandant enfin de ne pas prêter une oreille trop sympathique à ceux qui après mon départ s'acharneront encore sur moi au lieu de m'oublier comme je veux oublier moi-même le mal qu'on m'a fait et surtout celui qu'on a voulu me faire.

Oublier !!! n'est-ce pas le secret de la vie quand on sait conserver quelques souvenirs heureux.

 

L'envoi est signé RDorgelès et il est daté Novembre 1932.

 

 

Le vendeur ne savait pas ce qu'il vendait. Tous ses livres étaient à cinquante centimes d'euros. Je n'ai pas marchandé le prix. Suis reparti de ce marché à réderies d'un village à l'Est d'Amiens,- Amiens où est né Roland Dorgelès- en me disant que vraiment, en Picardie, "marché à réderies", à une lettre près, c'est tout simplement "marché à rêveries". Le rêve n'a pas de prix. Parfois il est gratuit. Carrément cadeau. 

 

 

© Jean-Louis Crimon

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10 juin 2023 6 10 /06 /juin /2023 08:57
Peillle. Provence-Alpes-Côte d'Azur. 13 Juillet 2016. © Jean-Louis Crimon

Peillle. Provence-Alpes-Côte d'Azur. 13 Juillet 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Depuis toujours tu adores les persiennes du Sud. Il y a Sienne dans Persienne. Même si persienne vient de Perse et du persan. Le soleil est perçant dans le Sud. Le sens est souvent caché dans le son. Tu aimes cette manière d'être des volets du Sud. Ce clin d'oeil de la fenêtre, qui te dit peut-être: "Tu ne me vois pas, mais, moi, je te vois", qui ajoute, sans doute: "Monte si tu veux, à l'ombre, nous serons mieux." Sans malice. Juste pour le Pastis. Qu'ici on préfère Casanis.

Les fenêtres du Sud ne sont pas des yeux sans paupières comme à Copenhague, au Danemark, où pour mieux embrasser la lumière, on vit sans volets. A quoi bon se préserver ou se cacher de ce qui nous fait si souvent défaut. Du soleil, de la lumière, il nous en faut.

 

Les persiennes du Sud, en revanche, ont la discrète élégance de ce qui se cache tout en se montrant, pour ne pas dire de ce qui se montre en se cachant. C'est ce qu'il y a de très attachant. Comme de l'Italie déjà dans cette manière d'ouvrir l'oeil. A demi. Clin d'oeil à un ami.

 

© Jean-Louis Crimon

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9 juin 2023 5 09 /06 /juin /2023 08:57
Floreffe. Belgique. Juin 1976. © Jean-Louis Crimon

Floreffe. Belgique. Juin 1976. © Jean-Louis Crimon

Grandir, oui, sans doute, mais vieillir... Me souviens d'un vieux slogan de Mai 68 : Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! Je ne sais si j'ai bien couru mais j'ai tant couru que je suis bientôt à l'âge où l'on ne court plus. Seule la tête cavale encore et s'étonne à peine qu'il n'en soit plus de même, côté corps.

 

© Jean-Louis Crimon

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8 juin 2023 4 08 /06 /juin /2023 08:57
Cimetière de Charleville. Juillet 2008. La tombe de Jean-Arthur. © DR

Cimetière de Charleville. Juillet 2008. La tombe de Jean-Arthur. © DR

Si tu savais, Jean-Arthur, comme les temps sont durs. Je sais bien, très vite, et pour toujours, tu as tourné la page du monde des mots. Tu as choisi le négoce, le commerce. L'homme aux semelles de vent s'est fait commerçant. On a tant écrit sur toi et sur cette oeuvre fulgurante que tu laissas, presque avec dédain, derrière toi. Sans jamais vouloir te retourner sur cette partie de ta vie. La seule qui nous console encore aujourd'hui. Que tu te sois fait trafiquant d'armes pour Ménélik, pourvoyeur de fusils, n'est pas, pour nous, le plus important dans ton passage terrestre. Harar ou Errare. Errare humanum est, perseverare diabolicum

Comme si le poème était soudain devenu non essentiel.

 

6 février 1887. Rimbaud parvient à Ankober, capitale du Choa, après un voyage de quatre mois à travers le désert d'Abyssinie, épuisant et dangereux (la région est infestée de pillards). Mais le roi Ménélik se trouvant dans le Harar, où il est en train de guerroyer, Rimbaud doit encore gagner Entotto, à 120 km de distance, pour monnayer (à des conditions qui se révèleront désavantageuses) son chargement de fusils.

Juillet 1887. Début d'une brève période de voyages (Aden, Le Caire) et de repos. Rimbaud publie le récit de son voyage au Choa dans Le Bosphore égyptien (25 et 27 août 1887).

Avril 1888. Après une tentative infructueuse pour monter une nouvelle affaire de vente d'armes dans les premiers mois de 1888, Rimbaud décide de revenir au négoce traditionnel. Il ouvre en avril, à son propre compte, une agence commerciale à Harar. Il établit pour cette nouvelle entreprise un partenariat avec un riche négociant d'Aden : César Tian. C'est cette activité qui l'occupera pendant les quelques années qui lui restent à vivre.

25 février 1890. Lettre à sa mère et à sa sœur du  : "Ne vous étonnez pas que je n'écrive guère : le principal motif serait que je ne trouve jamais rien d'intéressant à dire. Car, lorsqu'on est dans des pays comme ceux-ci, on a plus à demander qu'à dire ! Des déserts peuplés de nègres stupides, sans routes, sans courriers, sans voyageurs : que voulez-vous qu'on vous écrive de là ? Qu'on s'ennuie, qu'on s'embête, qu'on s'abrutit ; qu'on en a assez, mais qu'on ne peut pas en finir, etc., etc. !"

7 avril 1891. Rimbaud, qui souffre depuis des mois d'une tumeur au genou, se fait transporter en civière de Harar à Zeilah, sur la côte, où il s'embarque pour Aden. Il est très affaibli par les souffrances et le manque de sommeil (il a tenu le plus longtemps possible pour mettre en ordre ses affaires avant son départ). À quoi s'ajoutent les fatigues du voyage (onze jours pour traverser le désert, plus trois jours de bateau).

24 avril. Il est soigné une quinzaine de jours à Aden. Devant la gravité de son état, les médecins lui suggèrent de regagner la France pour s'y faire hospitaliser.

20 mai. Il est admis à l'Hôpital de la Conception, à Marseille. Sa mère est à son chevet le 23 mai. Il est amputé de la jambe droite le 25 mai.

23 juillet. Il quitte l'hôpital et prend, seul, le train pour Roche, où il n'était pas revenu depuis dix ans (Madame Rimbaud avait déjà regagné Roche le 9 juin).

23 août. Son état de santé s'aggravant à nouveau, Rimbaud repart pour Marseille, accompagné de sa sœur Isabelle. Son idée fixe est de reprendre le bateau pour rejoindre l'Afrique mais le cancer, qui se généralise rapidement, l'en empêchera.

9 novembre, cinq heures du soir. À Paris où le milieu littéraire symboliste et décadent ignore à peu près totalement où se trouve son héros disparu et ce qu'il fait, un petit scandale va agiter le cénacle. À la suite d'un conflit entre l'éditeur (Genonceaux) et l'auteur-préfacier (Darzens), la police saisit avant leur diffusion les exemplaires de la première édition des poésies de Rimbaud, recueil constitué par Rodolphe Darzens sous le titre de Reliquaire

10 novembre, dix heures du matin. Rimbaud s'éteint à l'Hôpital de la Conception, après plusieurs semaines de semi-coma. C'est sa sœur Isabelle qui l'a accompagné pendant cette longue agonie. Ce dénouement ne sera connu à Paris que le 1er décembre 1891.

   

 

 

© Jean-Louis Crimon

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7 juin 2023 3 07 /06 /juin /2023 08:57
Copenhague. Tombe de Søren Kierkegaard. 16 Mars 2016. © Jean-Louis Crimon

Copenhague. Tombe de Søren Kierkegaard. 16 Mars 2016. © Jean-Louis Crimon

Au pied de ta tombe, Søren, d'émotion je tombe, à ton amour toujours Régine succombe et Copenhague la fière s'en indiffère. Toute la ville se moque, de ta dégaine, de ta défroque, de ton allure, de ton galure. Personne pour faire la claque au passage de l'homme au chapeau claque. Le monsieur en gibus qui attend l'autobus frise la catastrophe, même s'il est un grand philosophe.

Ainsi vont nos destinées, sans croire aux âmes bien nées, et la valeur qui n'attend pas le nombre des années, Søren, mon frère, la belle affaire que notre passage sur Terre. Je relis In vino veritas et ton Journal d'un séducteur. Quel coup génial d'avoir emprunté à Platon cette idée du Banquet et de l'avoir transposée, un soir d'été, dans une forêt près de Copenhague. Je suis l'un des cinq hommes qui boivent du vin et prennent plaisir à discourir sur l'amour, l'érotisme, la séduction, les femmes et la jouissance de la vie. Nous respectons, bien sûr, ta condition préalable : "Chaque convive se trouve dans cet état où l'on parle beaucoup et malgré soi, sans pour cela que la cohésion du discours de la pensée soit constamment interrompue par des hoquets", avec son principe corollaire : "Nulle vérité ne devrait être proclamée sinon celle qui est in vino".

Profonde réflexion sur l'existence et la conscience, "In vino veritas" est le texte essentiel du stade esthétique de Kierkegaard. Comme dans son "Journal du séducteur", le philosophe Danois présente la jouissance comme le but suprême de l'existence.

 

© Jean-Louis Crimon

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6 juin 2023 2 06 /06 /juin /2023 08:57
Amiens. Saint-Leu. Bras de la Somme. 9 Juillet 1981. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Saint-Leu. Bras de la Somme. 9 Juillet 1981. © Jean-Louis Crimon

 

C'est l'histoire d'un être humain qui a pris dans sa vie des milliers de photographies. Des dizaines de milliers de photos. Sa quête, il l'a commencée très tôt. Dès sa première année de philo. Tout début des années 70. Mais dans sa tête, c'est dans l'enfance que tout commence. Personne jamais ne voudra le croire : il est cet être rare qui a fait de la photo sans appareil photo. Simplement avec les yeux. Les yeux du coeur. Enfant, il écrit avec des mots les photos qu'il ne peut pas prendre. Il s'invente des poèmes qu'il appelle "photo-poème". Il n'a jamais oublié son premier "photo-poème" : 

 

Le vieil homme marchait

Balançant le bras,

Horloge humaine

Rythmant le temps des choses."

 

Depuis ses 7 ou 8 ans, il le sait, il le sent, le temps sera le seul problème important. C'est déroutant et superbe pourtant. Il en faudra du temps. Du temps pour comprendre ce que veut dire "Ceux qui tuent le temps, le temps les tue." Un jour, il a 20 ans. Bac philo en poche. L'Université est le plus beau des cadeaux. Université. Univers cité. Cadeau pour la vie entière. Ouverture sur le monde des idées et sur le Monde entier. Le temps d'apprendre. De comprendre. Tout ce temps donné, au début de la vie, pour trouver un sens à la vie. A sa vie. Philosophie et photographie sont, pour lui, intimement liées. Philosophie de l'instant, photographie de l'instant, c'est tout un. Il veut en faire son objet de recherche. Son sujet d'étude. Une superbe "Maîtrise" où il montrerait sa parfaite "maîtrise" des idées et des images. Le "Mémoire" passerait par Kierkegaard, Jankélévitch, certaines pages de Proust, de Camus, sans oublier Rimbaud, Prévert, Ponge, Francis Ponge... Des philosophes et des poètes. Mais aussi, bien sûr, des photographes... Doisneau, Cartier-Bresson, Lartigue, Le Querrec...

Il n'a jamais écrit plus de trois pages. Superbes d'ailleurs. Très joli prologue. Projet original. Ses Maîtres d'alors l'encouragent. Mais il n'a jamais rendu sa "Maîtrise", côté philo. L'a simplement cultivé et développé, côté photo. Il a, aux dires de tous, réussi très vite, comme d'instinct, à acquérir une parfaite maîtrise de l'image. L'image arrêtée. L'instant devenu "instantané". Instantané et surtout pas cliché. Cliché, ça fait cliché. Le cliché, en littérature, c'est une idée toute faite, surfaite. Métaphore éculée. Dépassée. Belle comme le jour. Succès foudroyant. Beau comme un coeur. En photo, le cliché, c'est la signature de l'agence Roger-Viollet, dans les années trente et quarante. Vieilli. Dépassé. Aujourdhui, le symbole du copyright suffit : ©.

 

La photo, c'est l'instant. La capture de l'instant. L'instant décisif. Morceau de temps arraché au flux destructeur du temps qui passe, et qui fait que nous, les mortels, nous passons et nous trépassons. Instant arraché au temps. Sauvé. Non pas sauvegardé. Sauvé. Transfiguré. Instant durablement inscrit dans la durée. Instant définitivement placé hors du temps. Vraie petite parcelle d'éternité. Un goût d'éternel dans un destin forcément temporel. Irrésistible attrait de l'instant. Irrésistible séduction de l'instant. L'instant décisif. Décisif et dérisoire à la fois. D'emblée -ses images en témoignent-, il avoue un faible pour "l'instant dérisoire". Contrepied parfait à "l'instant décisif". Cartier-Bresson, pardon. Prétention modeste. L'homme est modeste. De naissance comme d'essence. Modeste et ambitieux à la fois. Ambitieux, pas prétentieux.   

Ses photos, c'est beaucoup d'humain, un peu d'humus, et beaucoup de tendresse. Un sourire parfois. Des larmes souvent. Des cris aussi. De joie, de détresse ou de rage. Ses photos, c'est de l'humanité qui transperce. De l'humanité qui traverse. La vie comme la rue. Une vie traversée comme on traverse une rue.  

Cri + Image = Crimage. L'homme a trouvé son équation. Sous la forme d'une simple addition.  Cri + Image, ça donne "Crimage". Crimages sera le titre de sa seule et unique Exposition.

 

© Jean-Louis Crimon

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5 juin 2023 1 05 /06 /juin /2023 08:57
Buggerru. Sardaigne. Avril 2017. Les trois morts de 1904. © Jean-Louis Crimon

Buggerru. Sardaigne. Avril 2017. Les trois morts de 1904. © Jean-Louis Crimon

Grand-père Zanda, grand-père à tout jamais inconnu, j'aurais aimé que tu me racontes comment Buggerru et son sous-sol riche en minerai, ont pu jouer un tel rôle dans l'Histoire de la Sardaigne. Comment ce petit port de pêche en contrebas de la "chaîne de malfidano", donne son nom à la mine la plus importante de la région. Paysage aride, depuis longtemps déforesté. Sans avenir. J'aurais aimé apprendre de ta bouche comment tes parents et tes frères ont décidé de troquer leur vie de chevrier et de sabotier pour l'aventure minière. Comprendre autrement qu'en lisant les versions officielles des guides touristiques. L'histoire vécue forcément supérieure à la version officielle donnée un siècle plus tard.

Me faut donc me résoudre à lire les brochures des Offices de Tourisme. Y apprendre que le développement de la commune, créée en 1864 en tant que commune minière, est entièrement lié à la découverte par Giovanni Eyquem dans les montagnes des environs, de minerai de plomb et de zinc, la "calamine". En français, calamine et calamité commencent de la même façon. D'emblée, je n'en tire aucune conclusion. Cette même année 1864 voit la naissance d'une société anonyme pour exploiter cette ressource nouvelle, la Società Anonima delle Miniere di Malfidano. Dès cette époque, le village semble avoir été dénommé "le petit Paris". Le zinc de Sardaigne sur les toits de Paris.

Tout commence en 1877, par la construction d'un lavoir à minerai, sur la falaise face à la mer. La Société des Minerais en Sardaigne est née. L'exploitation industrielle peut commencer. Le développement de l'industrie minière dans le sud de la Sardaigne se trouve dès le départ facilité par la présence de minerais de métaux et de charbon, dans le bassin minier du Cagliaritano. La population va alors connaître une très forte croissance. 

L'année 1904 est à tout jamais marquée par la « tuerie de Buggerru », le 4 septembre 1904. Ce jour-là, c'est dans le sang que la grève des travailleurs de la mine Malfidano est réprimée. Les mineurs protestaient contre la réduction de leurs temps de pause imposée par le directeur de la mine, Achilles Giorgiades, nommé par la "Société anonyme des mines de Malfidano." 

 

Cette grève des mineurs avait été annoncée par Alcibiade Battelli, secrétaire de la Ligue de résistance de Buggerru dès l'annonce par le directeur du changement d'horaire. De son côté, le directeur avait fait venir deux compagnies de carabiniers armés de fusils et baïonnettes, qu'il avait obtenu de la préfecture pour contrôler et maintenir l'ordre public, à la suite d'un vol de dynamite, selon les explications du ministre de l'intérieur, explications postérieures aux événements. La manifestation qui devait être pacifique a rapidement dégénéré à la suite d'un jet de pierre dirigé vers les fenêtres de l'atelier du charpentier de la mine, pour se terminer par un ordre de feu et des coups de feu tirés par les militaires. Le 4 septembre, trois des mineurs grévistes, Felice Littera, Salvatore Montisci et Giustino Pittau sont tués, et un quatrième, Giovanni Pilloni, va mourir un mois plus tard, de ses blessures non soignées.

Cette répression n'était pas la première dans le sud de la Sardaigne, mais les tensions politiques du moment entraînèrent la CGdL à la présenter comme énième exemple d'injustice patronale déclenchant ainsi la première grève générale de toute l'Italie, le 16 septembre 1904.
La version officielle, du gouvernement de l'époque, par la voix de Giovanni
 Giolitti, ministre de l'intérieur et président du Conseil italien, sera que « ce sont les grévistes qui ont attaqué les soldats envoyés pour maintenir l'ordre public gravement menacé par un vol de dynamite. Attaqués, les soldats, sans ordres de leurs supérieurs, ont fait spontanément usage de leurs armes pour se défendre ». Giolitti qui résume et justifie en une dernière petite phrase la tuerie : « il s'est agi d'un conflit avec la force publique, qui se trouvait normalement sur les lieux ». Le Préfet a été missionné pour conduire une enquête, alors que le commandant des carabiniers mettait en état d'arrestation les militaires coupables, mais cela n'empêcha pas la grève.

En 1928, c'est la société Pertusola qui dirige les mines de Buggerru. En 1955, la société Piombo Zincifera Sarda prendra en charge les mines de Buggerru. En 1977, les filons de minerais sont épuisés, la station de lavage ferme. C'est le début de la fin de l'histoire minière.


Il faut savoir prendre le temps de se recueillir devant ce monument couché à la mémoire de ces trois premiers morts du 4 septembre 1904, oeuvre du sculpteur italien Giuseppe Dessi. Trois corps humains allongés dans l'herbe pour une sieste éternelle. Aujourd'hui, la commune vit désormais du tourisme qui valorise les paysages et quelques plages locales, le Canyon et les mines de Malfidano, la galerie, la Galerie Henry, galerie de roulage de 50 mètres de long en bordure de mer, le port et sa marina ainsi que quelques autres reliques et installations minières que l'on peut visiter, de même que les ruines d'anciens villages de mineurs : Caitas, Malfidano, Planedda et Monte Regio.

 

Ne t'en fais pas, Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, mineur des mines de plomb et de zinc de Buggerru, mineur des mines de fer de Piennes et de Bouligny, mort amputé à l'Hôpital de Nancy, le 11 septembre 1936, ce n'est pas le tourisme qui m'incite à venir en Sardaigne mettre mes pas dans tes pas. C'est pour te saluer, toi, par qui je suis, par qui je suis ce que je suis, c'est pour te dire merci d'être passé par ici, d'avoir fui les milices fascistes de Mussolini, et d'être venu en Lorraine semer quelques graines de vie. A commencer par ma mère qui jamais ne porta le beau nom de Zanda.

 

© Jean-Louis Crimon

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4 juin 2023 7 04 /06 /juin /2023 08:57
Amiens. Rue Millevoye. Sept.2020. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Rue Millevoye. Sept.2020. © Jean-Louis Crimon

Une lettre d'amour, pour moi, dans le camion jaune de la Poste, tu parles ! La belle histoire ! Remarque, la remarque serait un beau début de roman. Roman romantique ou polar. Un roman policier qui débuterait par le vol du camion. Par un type un peu fou qui prend la pub de la Poste à la lettre. Il sort de la ville et se gare en plein champ pour, une à une, parcourir de son regard fébrile toutes les enveloppes, à la recherche de celle qui lui est destinée. Il veut mener l'enquête. Il veut la preuve de cette lettre d'amour à son nom. Faute de la trouver, il s'enfuit pour un road movie impensable. Périple en forme de cavale folle en quête de l'amour fou promis.

 

© Jean-Louis Crimon

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3 juin 2023 6 03 /06 /juin /2023 08:57
Øresund. Vers la Suède. Juillet 2009. © Jean-Louis Crimon

Øresund. Vers la Suède. Juillet 2009. © Jean-Louis Crimon

- Plus de cinq ans que tu n'as rien écrit !

La remarque dépasse l'ordre du constat. Le ton souligne une certaine déception. Avec, à l'intérieur, comme un soupçon de reproche. J'ai dû répondre : Plus de cinq ans que je n'ai rien... publié ! En décomposant bien les trois syllabes du dernier mot : pu...bli....

Mon éditeur a souri. De ce sourire qu'il a quand il ne me croit pas. J'ai aligné les titres et les genres Femme fatale, nouvelles, Du côté de chez Shuang, roman, Voix en impasse, poèmes, paroles, chansons sans musique, et Crimages, livre de photographies. Cri + Image = Crimage. Mes photos sont des cris. Cris d'amour. Cris d'humour. Cris de joie. Cris de peur. Cris de détresse. Cris de tendresse... Crimages, c'est pas dommage.

- Tu me montres ça quand ?

- Demain, si tu veux !

 

Mon éditeur s'est fait silencieux. A fait tourner longuement sa cuillère dans la tasse. Rituel matinal du café en terrasse. 

Ensuite on a parlé "photo". Le fait que, ces dernières années, je me sois remis à la photographie, l'intrigue. Mon éditeur pense que les photos ne sont pas compatibles avec les mots.

Il a peut-être raison, mais je ne suis pas d'accord avec lui. Du reste, nous sommes rarement d'accord. En fait, nous sommes d'accord sur l'essentiel, mais nous nous accrochons souvent sur des questions de détails. Enfin, détails, pour lui, pour moi, ce sont des choses fondamentales. Des questions de sons, de musique. Moi, j'écris avec la voix. Flaubert avait bien son "gueuloir". Dans la phrase, dans "ma" phrase, c'est la voix qui crée le rythme, la petite musique de l'auteur. Ecrire, pour moi, dès le départ, c'est d'abord une mise en voix.

 

Dans mon roman, Oublie pas 36, publié en 2006, mon éditeur avait pris la liberté de modifier une de mes phrases. Sans même m'en informer. Je ne m'en suis rendu compte qu'une fois le livre imprimé. Je ne lui en ai jamais parlé, mais ça m'a fortement déplu. La phrase était devenue :

Au loin , la Suède dans une brume bleutée.

Ma phrase à moi, c'était :

Au loin, la Suède, dans une belle brume bleue.

 

J'ai horreur de la sonorité en "tée" du mot "bleutée", ça ponctue bizzarement, ça ponctue et ça tue. Surtout, ça tue la mélodie de la chanson de ma douce et belle allitération "belle brume bleue". Casse aussi la rime avec la phrase qui suit : Je suis à la fois triste et heureux. Au fond, j'aimerais que mes romans soient des chansons.

 

- Pour la photo, je sais, tu es sceptique sur la valeur de mes images. Dommage. J'ai reçu la semaine dernière de la part d'un grand photographe, le plus beau des compliments. Après avoir longuement regardé mon travail, il m'a dit : toi, tu écris avec les yeux.

 

© Jean-Louis Crimon

 

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2 juin 2023 5 02 /06 /juin /2023 08:57
Paris. Gare du Nord. © Jean-Louis Crimon

Paris. Gare du Nord. © Jean-Louis Crimon

Tout au bout du quai de gare, un titre accroche le regard. Vous êtes en train d'écrire, en train d'écrire en train. Littérature de gare. Gare à la littérature de gare...

 

© Jean-Louis Crimon

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