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31 août 2023 4 31 /08 /août /2023 08:57
Charles Baudelaire. (9 avril 1821 - 31 août 1867). © Étienne Carjat.

Charles Baudelaire. (9 avril 1821 - 31 août 1867). © Étienne Carjat.

 

Saint-Sulpice, Salon du livre rare ou ancien. Début d'après-midi. "Les Fleurs du mal". Charles Baudelaire1857. Edition originale. Mais expurgée. Censurée. Sans les textes censurés. Fleurs condamnées par la 6e chambre correctionnelle. Fleurs coupées. Taillées. Retirées chez l'imprimeur par les forces de police, sur ordre des hommes de loi. Livre débroché, puis rebroché d'autorité. J'ai vu, j'ai touché, j'ai feuilleté ce livre-là. Bonheur étrange et intense. Charles, si tu m'entends, du néant où tu es, sache qu'ici, en ce moment, tu es toujours vivant. Je n'ai pas demandé le prix d'aujourd'hui de ton recueil sulfureux. Je sais que je ne peux pas jouer dans cette catégorie-là. L'amour du texte, l'amour de la chose imprimée, la passion de l'édition originale, ont des limites. Ces limites. Mes limites.

 

Devant moi, à deux pas, dialogue entre un vrai bibliophile et le marchand :

- Pardon, monsieur, c'est la deuxième édition, ou c'est l'originale ?

- Non, c'est la première. L'originale. Celle de 1857. La seconde est de 1861.

- Avec les pièces condamnées ?

- Non, bien sûr, expurgée ! Malheureusement.

 

"C'est mieux pour toi ", reprend l'ami du bibliophile. Sous-entendu : "mieux pour ton chéquier !"

 

Plus tard, quai de la Tournelle, devant les quatre boîtes de ma petite Librairie de Plein Air, j'achète à Eric, courtier adorable, qui déambule sur les quais depuis plus de trente ans, pour 5 euros, "La Marche à L'Etoile" de Vercors,  Achevé d'Imprimer le 7 Juillet 1945 par Aulard à Paris. Copyright by Editions de Minuit 1943. Tous droits réservés. Avec ce bel exergue : A la mémoire de celui dont ces pages racontent la vie. Eric m'explique: "C'est un bel hommage à l'immigration et aux immigrés francophiles." Il ajoute: "s'il fallait un argument, si on avait besoin d'un argument pour bien accueillir les immigrés, c'est le plus bel argument que je connaisse !"

Ecrit et imprimé pendant l'occupation, "La Marche à L'Etoile" est un des premiers textes des Editions de Minuit. Baudelaire et Vercors, ce soir, deux de mes amis. Deux de mes copains. Deux de mes frangins.

 

 

© Jean-Louis Crimon

Saint-Sulpice. Salon du livre rare ou ancien... (2 Juin 2011).

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30 août 2023 3 30 /08 /août /2023 08:57
Paris. 41, Quai de la Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. 41, Quai de la Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

 

- On gagne sa vie avec ça !

- Non, mais on la rêve, et ça n'a pas de prix !

Dialogue impromptu juste à l'ouverture de ma petite librairie de plein air. Car il faut le savoir, le bouquiniste s'appelle désormais, dans certains milieux, "Libraire de plein air". Par opposition à "Libraire de librairie en dur". Mais c'est le libraire de plein air qui a la vie dure. L'averse froide du début de l'après-midi a de quoi décourager. A peine ouvertes, il faudrait refermer les boîtes vertes ? Non, ce n'est pas dans le tempérament de celui qui, sans être forcément intempérant, se moque des intempéries. Plus ou moins bien à l'abri de la pluie, sous les auvents, qui ne protègent pas du vent, les bouquinistes essaient de déchiffrer le ciel. Le grand Bernard, lui, est expert dans l'analyse des rapports complexes entre le vent et la pluie. Jeudi, il m'avait dit : le vent est au nord. Moi, faux ingénu, j'ai répondu : et alors ça dit quoi ? Le grand Bernard, sans se démonter, m'a expliqué : ça veut dire qu'il fait froid et ça peut repousser les nuages qui, eux, ne viennent pas du nord. De fait, les nuages ont été un temps repoussés, et quand le vent est tombé, la pluie est arrivée. Moralité, sur le quai ou ailleurs, quand le vent tombe, la pluie, elle aussi, tombe. C'est le moment de mettre les livres à l'abri, le bouquiniste aussi.

On gagne sa vie avec ça ! Au fond, je ne sais pas si la phrase était exclamative ou franchement interrogative. Mais ma réponse n'a laissé aucun doute. Deux fois payante même. Mon interlocutrice a souri. D'un beau sourire. Avant de s'emparer des deux tomes de la "Vie de Benvenuto Cellini, écrite par lui-même", (Julliard Littérature, 1965), et de me gratifier d'un billet de 20 euros - j'avais écrit 18 - en me disant "Gardez la monnaie, je les cherchais depuis longtemps". La pluie s'est arrêtée. Le ciel du côté du boulevard Saint-Germain tourne à l'éclaircie. La recette de ma journée aussi. 

 

© Jean-Louis Crimon

On gagne sa vie avec ça... (29 avril 2011).

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29 août 2023 2 29 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2011. Devant mes boîtes de Bouquiniste. © Une passante anonyme.

Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2011. Devant mes boîtes de Bouquiniste. © Une passante anonyme.

Tu le sais bien, c'est l'un des plus beaux moments de ta vie. Mai 2010 - Mai 2013. Trois années sur le quai pour vivre vraiment la vie du plus beau des métiers de rue : Bouquiniste. Libraire de plein air. Dans "Libraire", va savoir pourquoi ? il y a exactement les lettres pour écrire "air libre". Bouquiniste = Libraire à l'air libre. Libraire de plein air.

Au tout début des années 70, dans ce siècle aux années 1900, tu découvres, au hasard d'une escapade parisienne, ce monde particulier des marchands de vieux livres et de vieux papiers. Un univers à la fois étrange et familier. Amarrés au bord du grand fleuve, impassibles, de curieux petits bateaux verts prennent l'air, du matin au soir. Ça t'étonne et te fascine, autant que les cargaisons incroyables de ces pénichettes en partance.

 

Tes premiers livres vraiment à toi seront des livres déjà lus par d'autres, annotés parfois, jaunis souvent, mais au texte intact et toujours vivant. Le livre d'occasion est d'emblée pour toi porteur d'un charme, d'un passé, d'une histoire, que ne possédera jamais un livre neuf. Au fil des années, à chacun de tes passages sur les quais, rive droite ou rive gauche, tu t'inventes une bibliothèque impensable, faite uniquement d'achats coup de coeur ou coup de blues. Sans que la Seine en soit jamais jalouse. Tu glanes indifféremment des éditions de peu de valeur ou des originales. Tu entres dans l'amitié de Léautaud, de Poulaille, de Rictus, de Vallès, de Verlaine ou de Rimbaud. Chacune de tes trouvailles t'apporte la part de rêve qui te manquait jusque là.

Très vite, les bouquinistes chez qui tu achètes, deviennent, plus que des marchands, des amis. De précieux amis qui te conseillent et te guident, en douceur, vers des titres ou des auteurs que tu n'aurais jamais connus sans eux. Vingt ans, trente ans, quarante ans, cinquante ans, soixante ans, toute une vie, toute ta vie, se passe ainsi. Dans l'amitié des livres et de ceux qui en font commerce. A chacun de tes passages dans cette ville où coule la Seine, tu ne manqueras pour rien au monde ta balade sur les quais. D'année en année, tu progresses dans la connaissance du métier, de ses rites, de ses rituels, de ses manies, de ses travers.

Un beau jour, tu traverses la rue. Tu entres dans ton rêve. Ton rêve devient vrai. Vieux rêve romantique. Rêve d'ado. Rêve d'enfance. A la société encadrée, tu tires ta révérence. Libéré du travail obligatoire, tes années de cotisations en ordre, tu deviens, à 60 ans, et un peu plus, celui que tu voulais être à 15 ans. Homme libre, toujours tu chériras... ton rêve.

L'étudiant en philo du début des années 70 que tu étais, le professeur de philosophie que tu as été, le Maître de Conférences que tu as incarné, le journaliste que tu es devenu, tous s'effacent avec respect devant ton nouveau métier : Bouquiniste. Sur le quai, avec tes bons huit mètres cinquante d'envergure, - la longueur réglementaire de l'espace qui t'est accordé sur le parapet - tu prends ton envol, tu donnes vie à ce vieux rêve d'ado. Bouquiniste sur le quai des Bouquinistes, c'est désormais ta nouvelle raison d'être. Ton dernier rôle social.

Comme aimait à dire ta vieille maman : c'est pas banal ! Pour toi, c'est seulement... normal et mieux : moral ! Belle manière de tirer ta révérence et jolie façon de rendre à la Seine tous les bonheurs de lecture que la Seine t'a donné.

 

© Jean-Louis Crimon

Tu le sais bien... (avril 2011).

Published by crimonjournaldubouquiniste
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L
Aussi doux qu'un rayon de soleil une après-midi d'automne .
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la beauté d'un esprit libre
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28 août 2023 1 28 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de Montebello. Février 2012. © Jean-Louis Crimon 

Paris. Quai de Montebello. Février 2012. © Jean-Louis Crimon 

 

La semaine dernière, en discutant avec Sophie et Frédéric, deux bouquinistes d'expérience, qui plus est deux êtres humains adorables, - denrée rare sur le quai - on évoquait la distance réglementaire, donc réglementée, entre chaque série de quatre boîtes. Je ne sais plus qui a raconté la chose. Naïvement, je pensais que cette habitude tenait davantage de la règle tacite. De la règle non écrite. Sorte de droit implicite. En fait, cette réglementation remonterait au temps de l'occupation. C'est ce qu'a affirmé, catégorique, l'un de mes deux interlocuteurs. L'anecdote m'a intéressé. Mieux : intrigué. J'ai fait quelques recherches. J'ai chez moi depuis une dizaine d'années quelques bons ouvrages sur les bouquinistes. Quelques bons articles aussi.  Paru en 1978, le livre de Louis Lanoizelée "Souvenirs d'un bouquiniste" est une vraie mine. Il fourmille d'informations précieuses en forme d'anecdotes faussement insignifiantes. Par exemple, on y apprend qu'il y a un siècle, le bouquiniste se voulait aussi fleuriste. C'est Lanoizelée qui raconte :

"Un moment, il y eut sur les permissions renouvelées chaque année, cette restriction : "Interdiction de vendre des fleurs coupées". Lanoizelée précise : Des bouquinistes de cette époque avaient essayé de mettre dans leurs boîtes des bouquets de fleurs." On imagine la réaction du syndicat des fleuristes.   

Pour l'espace réglementaire entre les boîtes, c'est aussi dans le bouquin du bouquiniste Lanoizelée que j'ai trouvé la réponse. N'y voir aucun signe particulier, mais ces infos liées à l'occupation allemande se trouvent pages - ça ne s'invente pas - 41 et 42. Le mieux est de reproduire l'intégralité du passage. Citation donc. A l'ordre du mérite. Du mérite du bouquiniste en question. C'est Louis Lanoizelée qui écrit :

" Voici la copie d'une des nombreuses circulaires envoyées pendant l'occupation :

 

Direction des Affaires Municipales -                                         Paris le 20 mars 1941. 

 

Monsieur,

 

Mon attention a été attirée, à diverses reprises, sur le mauvais état, les dimensions disparates et les couleurs différentes des boîtes installées sur les parapets des quais de la Seine. Je vous rappelle les conditions générales de votre permission d'exercer, sur timbre, qui vous est délivrée chaque année et je vous prie de vouloir bien vous y conformer.

Entre autres conditions, les dimensions maxima des boîtes sont fixées à deux mètres de longueur, trente centimètres de hauteur côté quai. Les boîtes doivent être tenues dans un parfait état d'entretien et peintes obligatoirement dans un des deux tons dits " vert wagon " ou " gris foncé ". Je vous avise également que la nécessité de ne pas masquer la vue de la Seine aux promeneurs, entraine pour vous l'obligation de laisser libre, entre les concessions un quart de la longueur accordée, en supprimant une boîte sur quatre. Afin de répartir convenablement la disposition des espaces libres, des instructions vous seront communiquées ultérieurement par les soins du service extérieur des concessions sur la voie publique.

Veuillez agréer, M... , l'assurance de ma considération distinguée.

Pour le Directeur des Affaires municipales,

Le Chef de service des Domaines,

                                                                 A. Georgin.

 

-----

 

Quand la semaine dernière, (cette chronique a été écrite en février 2012), mes amis m'ont raconté l'histoire, ils ne m'ont pas dit que l'espace laissé libre devait l'être dans le but de ne pas gêner le regard des promeneurs. Pour eux, c'était plutôt pour les opérations de surveillance et de maintien de l'ordre côté occupants. Autrement dit : il fallait pouvoir poster un soldat allemand toutes les trois ou quatre boîtes. J'imagine la scène : des soldats allemands surveillants la Seine. Un côté Seine, un côté rue. En alternance. Jamais trouvé de photos ou de cartes postales de cette époque.

"Bouquiniste durant l'occupation", sujet de recherche intéressant. Superbe sujet de recherche. Incontestablement. Pour river enfin leur clou à ceux qui pensent que "Bouquiniste", ce n'est qu'une... occupation !

 

 

© Jean-Louis Crimon 

La semaine dernière... (27 Février 2012).

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27 août 2023 7 27 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Juin 2010. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Juin 2010. © Jean-Louis Crimon

 

Moi, depuis que je suis toute petite, les quais, c'est ma balade préférée !" Incroyable, mais vrai, Liliane Gauthier, 75 printemps cet été, est venue à pied de son vingtième natal. "Vous avez vu, Paris au mois d'août, c'est fou ! Y'a personne dans les rues. Y sont tous partis ou quoi ? Notez, moi j' pars pas, mais ça m' gêne pas !  si y m' laissent mon Paris pour moi toute seule, ça m' va !"

Quelle pêche, Liliane, et quelle gouaille ! J'aime le quai pour ça, les rencontres qu'on y fait, les personnages. Les portraits. Les gueules. Les personnalités. Les tempéraments.

Ce qu'elle aime lire, Liliane ? Simple : tout sur la déportation et tout sur la religion. Ses deux domaines de prédilection. "Notez, je ne vous achèterai rien aujourd'hui, j'ai pas envie. Mais j' reviendrai vous voir. Y m' plait bien vot' magasin !"

Et Liliane de poursuivre son récit au pays du temps passé. De me raconter comment, enfant de 9 ans, avec la soeur de sa mère, sa tante, elle venait tous les dimanches, tantôt rive gauche, tantôt rive droite, se balader et rêver déjà "nostalgie". Pour Liliane, le Paris des quais, c'est le vrai Paris. Avec ou sans nostalgie. Jamais sans les bouquinistes des quais de Seine.

 

D'un pas alerte, Liliane s'en va, sautillant dans son Paris-sépia. Cherchant sans doute du regard une petite fille de 9 ans et cette tante tant aimée qui ne reviendra pas.

" - A dimanche prochain, monsieur ! Si Dieu le veut ! " 

 

© Jean-Louis Crimon

Moi, depuis que je suis toute petite... (8 août 2011).

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26 août 2023 6 26 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

La chose ne se produit pas tous les jours. Il lui faut une lumière particulière. Une certaine ambiance. Ce sont souvent de très jeunes gens. D'une discrétion inhabituelle. D'une rare élégance. Belle éternelle adolescence. Ils glissent dans l'air déjà froid. Tout le monde ne les voit pas. On n'entend jamais le son de leur voix. Je pense qu'ils viennent d'ailleurs. Du passé ou du futur. 

Ils sont merveilleux de beauté. Ce sont des passants d'un autre âge. D'un autre temps. Ils traversent le quai comme en s'excusant. Avec une vraie tendresse pour les gens. Pour les livres. Tout ce qui nous aide à vivre. Maladroits parfois. Comme pour une première fois. Donnant l'impression de s'être trompés de siècle. Ou d'endroit. Soudain, ce regard qui s'arrête sur le seul livre qui parle des ANGES. Etrange. A moins que ce ne soit... être... ange.

 

© Jean-Louis Crimon

La chose ne se produit pas tous les jours... (18 Nov. 2012).

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25 août 2023 5 25 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Mes quatre boîtes. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon 

Paris. Quai de la Tournelle. Mes quatre boîtes. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon 

Quand le passant passe indifférent, tu te fredonnes pour toi tout seul tes brouillons de chansons que personne ne chantera et tu t'inventes un destin, l'espace du matin... 
 
"Je te dirai Verlaine en verlan,
On se baladera, déambulant,
Bras dessus, bras dessous,
Ou bras ballants,
Le long des quais des bouquinistes,
A se rêver la vie d'artiste...

On traînera tant que le jour traîne,
Nos foutus rêves à la traîne,
D'une vie neuve qu'on étrenne,
Mon éternelle rengaine,
Pour la Marie dondaine
Et ton incroyable dégaine..."
 
 
Le reste manque, comme dirait Spinoza à la fin du TRE, son Traité de la réforme de l'entendement.
 
 

© Jean-Louis Crimon

Quand le passant passe indifférent... (Avril 2011).

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24 août 2023 4 24 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

Le titre est à la fois inattendu et attractif. Attirant. Vraiment. Il s'agit d'un petit ouvrage de la collection "Les Essentiels Milan". Date de parution : Janvier 2000. Une soixantaine de pages. Des questions en tête, et en titre, de chaque chapitre. La quatrième de couverture nous apprend que l'auteur, Bertrand Vergely, est agrégé de philosophie. Qu'il enseigne - à l'époque - la philosophie à Paris et à Orléans. C'était il y a douze ans.

Pourquoi me suis-je mis à parcourir les pages de cet étrange petit livre ? Sur le quai, lire est un passe-temps possible. Agréable parfois. Le bouquiniste a de quoi lire. Il ne manque pas d'ouvrages. Mais ce n'est pas mon passe-temps préféré. Le nez plongé dans un livre, le bouquiniste se coupe de la relation aux passants. Il ne croise plus aucun regard. Souvent des promeneurs me font la remarque : vous, au moins, vous n'êtes pas enfermé dans votre lecture. Certains de vos collègues ne relèvent même pas la tête. On n'ose pas les déranger. On passe notre chemin et on va plus loin.  Sûr que cette attitude du bouquiniste assis sur son pliant, absorbé par sa lecture, a de quoi décourager les acheteurs potentiels. Donc, je ne lis pas souvent sur le quai. Mais cette fois, comme on dit, ça s'y prêtait. C'est le titre de l'ouvrage qui m'a d'abord interpelé. Le petit livre se trouvait dans la première boîte. Il était à portée de main. Il me tendait les bras. Je le sentais solitaitre. Délaissé. Il n'y avait pas un chat à deux cents mètres. Début d'après-midi paisible, début de semaine tranquille. Peu de monde sur le quai. Assis sur le parapet, donc, je feuillette. Tout en jetant un regard de temps en temps à mes boîtes. Au cas où un indélicat n'en profiterait pas pour m'emprunter définitivement un bouquin qui l'intéresse, mais qu'il ne veut pas payer. Le vol est pratique courante sur le quai. C'est agaçant. Je peux donner un livre à quelqu'un qui me dit : "Je n'ai pas de quoi payer", mais j'ai horreur qu'on me pique quoi que ce soit. De valeur ou pas. La technique la plus courante, c'est le grand sac en toile entre les jambes, plusieurs ouvrages en mains, coup d'oeil furtif à droite et à gauche, et on laisse tomber l'ouvrage choisi dans le sac entrouvert. Elémentaire. Je l'ai vu faire à plusieurs reprises. Parfois par des gens très bien qui n'avaient manifestement aucun souci d'argent. C'est déroutant. C'est dégoûtant. Problème : il faut les prendre sur le fait. Sinon la main, du moins le livre, dans le sac. J'ai quelques succès à mon actif dans le domaine. Parfois je laisse faire. Je laisse filer. Le dérisoire petit bonheur du voleur ne mérite pas que je lui cours après.

 

Revenons à ma lecture et à mes titres de chapitres. Sommes-nous les otages du destin ? Faut-il fuir tout conflit ? La souffrance grandit-elle l'homme ? Est-il vain de penser à la mort ? La solitude est-elle le malheur de notre condition ? Plus léger, si vous préférez, mais tout aussi sérieux : Peut-il y avoir de l'amitié entre un homme et une femme ? Et enfin, pour finir sur un sourire : L'humour est-il forcément déplacé ?

L'auteur, Bertrand Vergely, nous dit, dans un beau mouvement dialectique dont les philosophes ont le secret : La vie est grave mais elle est aussi légère. A trop voir le côté grave de la vie, on finit par oublier sa beauté. A ne voir que sa beauté, on finit par oublier sa gravité. La philosophie nous enseigne à ne rien négliger de ce qui est grave comme de ce qui est léger.

"Petit Précis de Philosophie Grave et Légère", c'est le titre du petit ouvrage en question. Je vous le conseille. Tiens, il est comme neuf, mais je vous le laisse à cinq euros. C'est une bonne occasion. Une occasion de vous mettre en douceur à la Philo. La Philosophie, croyez-moi, ça n'a pas de prix.

 

© Jean-Louis Crimon 

Du Grave au Léger. (20 Février 2012).                                                       

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23 août 2023 3 23 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Printemps 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Printemps 2011. © Jean-Louis Crimon

 

Séance photo improvisée devant mes boîtes de bouquiniste. Au printemps, c'est assez courant. Au début, j'ai cru que c'était de vrais mariés. Très vite, j'ai compris qu'il s'agissait d'une mise en scène à des fins publicitaires. Cette portion du quai de la Tournelle et mes boîtes de bouquinistes sonnent tellement juste qu'on peut croire que c'est "pour de vrai". Mon côté romantique et mon goût pour le romanesque faisant le reste.

En Chine et au Japon, c'est très chic des photos de mariage à Paris. Très tendance. Vous ne me croyez pas ? On prend les... paris.

Mariés pour de vrai ? Mariés pour de faux ? Au fond, on s'en fout. L'amour vrai n'est pas sans défaut. L'amour faux semble si vrai. Pas vrai ? Me dites pas que j'ai tout faux.

 

© Jean-Louis Crimon

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22 août 2023 2 22 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de Montebello. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de Montebello. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

 

L'histoire est incroyable. C'est l'hiver et il ne fait pas vraiment froid. Ce doit être un hiver sans neige. Sans gel. Un hiver presque doux. J'arrive avec le bus 72 et je descends à l'Hôtel de Ville. Je traverse vers la Seine. Machinalement je déambule rive droite et je m'étonne de la nudité absolue des parapets de pierre blanche. Comme un nouveau paysage urbain redessiné entre métal et minéral. Je ne réalise pas d'emblée ce qui s'est passé, ni combien de temps cela a pu prendre. Une nuit. Un week-end. Un mois. Une année. Je ne sais même pas en quelle année nous sommes. L'an 2000, l'an 3000 ou l'an 10000 ? Je marche comme un automate. Mon regard lui aussi semble s'être perdu. Mes yeux comme mes pas ne comprennent pas. Aucun espace familier où accrocher mon regard. Je vais vers le quai de la Mégisserie où un de mes amis, Charles Gédor, vendait autrefois des livres d'occasion et des livres anciens. J'avais déniché chez lui une belle édition d'un des premiers romans de Balzac dont j'ai oublié le titre. Une édition curieusement imprimée en Belgique du vivant d'Honoré. Mon ami n'est plus là et sa petite librairie de plein air non plus. A chaque coin de rue ont pris place des distributeurs d'une forme étrange et au contenu déroutant. Je fais demi-tour et je marche de longues minutes dans cet hiver bizarre et cette ville familière que je ne reconnais plus. Je n'ai jamais ressenti jusque là ce curieux sentiment de m'être trompé d'époque, de ville ou de vie. J'arrive à hauteur du Pont de l'Evêché. Je pourrais traverser là, mais je décide de pousser plus loin, jusqu'au Pont Marie et jusqu'au Pont de la Tournelle, pour remonter ensuite le quai du même nom. La Tournelle et Montebello, mes deux quais préférés au temps de... Au temps de quoi ? Au temps où j'arpentais rive gauche à la recherche de...

 

Je n'arrive pas à trouver les mots. J'ai perdu le pouvoir de nommer les choses. Le quai de la Tournelle me donne le tournis. Là aussi, le parapet a retrouvé sa couleur de pierre blanche, d'une blancheur immaculée, et se perd en ligne de fuite à hauteur de Notre-Dame. Signature insolite d'un urbaniste à la recherche d'une perfection abstraite. Comme sur la rive droite, des distributeurs automatiques ont été installés à même le trottoir. Je n'arrive pas à y croire. Ils ont osé. Ils l'ont fait. Dans les distributeurs, à la façade plus ou moins imposante, il y a des livres, des livres d'occasion et des livres anciens, et même des livres neufs. Et toujours cette incroyable bimbeloterie Toureiffelesque. On peut payer en pièces ou en billets, de 10, de 20, de 50 ou de 500 euros. L'appareil rend la monnaie et vous sert l'ouvrage comme autrefois un jambon-beurre ou une canette de Coca. Je comprends. Je réalise. Je visualise enfin.

Les bouquinistes n'existent plus. Les boîtes vertes ont disparu des quais. Les rares boites qui restent en place sont à tout jamais fermées. Le patron d'une grande surface s'est payé, dans tous les sens de l'expression, la "plus grande librairie à ciel ouvert du monde". Il a fait détruire toutes les petites embarcations qui étaient amarrées sur les parapets depuis des siècles. Il a maintenu le commerce des livres. De certains livres. De certains auteurs. Les moins subversifs. Pour un temps. Un temps indéterminé, à ce qu'on dit.

Les bouquinistes remplacés par des automates ! Quelle époque ! Quelle sinistre époque ! A moi Verlaine, Léautaud, Rictus, Dietrich, Dabit, Meckert, Poulaille, Ragon ! Dodeman ! Lanoizelée ! A l'aide. Revenez-moi du pays des revenants !

 

Meeeeeeeerrrrrrrrrrrrde ! Je n'ai pas vu la différence de niveau du trottoir sur la fin du quai de Montebello, quand on remonte de la Tournelle en direction de Saint-Michel. Quelle chute ! Quel gadin ! Ma tête, ma pauvre tête qui résonne sur le macadam. Des gens s'attroupent autour de moi. J'entends des voix en écho. Hôtel-Dieu. Urgences. Coma. J'ouvre les yeux. J'éclate de rire. Un bon et grand rire matinal, à vous donner la forme pour un siècle !

 

Ma tête a heurté le coin de la table de nuit. Je suis dans mon lit. Curieux rêve ! Furieux rêve ! Oui, vraiment, rêve sacrément furieux. Mais, mon pauvre vieux, où vas-tu chercher tout ça ?

 

© Jean-Louis Crimon

L'histoire est incroyable... (3 Mai 2011).

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