Jean-Louis Crimon Amiens, 1er mars 2017
64, rue Delpech,
80000 Amiens
06.83.30.15.68.
jl.crimon@orange.fr
http://www.crimonjournaldubouquiniste.com
Objet: candidature résidence d'écriture en 2018
Madame, Monsieur,
J'ai le projet de mener à bien un "roman/récit" que je repousse et reprends régulièrement, pour l'abandonner à nouveau, happé par la vie et des sollicitations multiples auxquelles je n'ai jamais su et je ne sais toujours pas dire NON. Pouvoir être accueilli, un mois, ou deux, à la Villa Marguerite Yourcenar, serait, pour moi, comme un impératif catégorique : cette fois, tu dois écrire, tu ne peux plus te dérober. Vitale mise à l'écart, nécessaire temps de pause, arrêt contraint et choisi.
Ecrire un roman d'enfance dans le lieu même où Marguerite Yourcenar a vécu une partie de son enfance, serait le plus fort des encouragements et le plus beau des cadeaux jamais reçus dans ma vie d'apprenti écrivain qui, par pudeur, préfère qu'on le dise "romancier". Romancier, oui, me suffit amplement. Un romancier écrit des romans. Je ne prétends à rien d'autre. Ecrivain, je ne me sens pas "légitime". Ecrivain, pour moi, c'est Maupassant, Camus, Zola, Hugo et Modiano, ou bien, il n'y a pas de hasard, Yourcenar.
Bien évidemment, j'accepte de partager mon temps à la Villa entre le nécessaire travail solitaire d'écriture et les rencontres de personnes ou de publics intéressée par ce curieux métier de mettre en mots des idées ou des sentiments, avant que ça ne devienne ce que, par facilité, on désigne sous le mot de... littérature.
Mon projet d'écriture est déjà assez bien en place, construit, dans ma tête, au moins, mais, comme vous le savez, entre le livre "rêvé" et le livre "livré", il y a, souvent, beaucoup, beaucoup, de temps, et un peu, un tout petit peu, de talent. Assurément beaucoup de travail. De cela aussi, je pourrais témoigner avec les personnes que ma résidence me permettra de rencontrer. Je m'y engage et ce sera un vrai plaisir, un réel bonheur, de respecter mon engagement.
Espérant que ma candidature retiendra toute votre attention, je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.
Jean-Louis Crimon
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Ma lettre n'a guère ému le petit comité qui choisit les heureux élus. J'en ai été vraiment déçu. Juste reçu une réponse très administrative. Aucun sentiment, aucune tendresse, aucun encouragement à continuer d'écrire. Ce jour-là, me suis dit que décidément, personne n'aide personne. Celui qui m'avait encouragé à candidater s'est fait soudain très discret. Ne compter que sur soi, fut ma résolution définitive. Précepte immuable depuis.
© Jean-Louis Crimon
Paris. Gallimard. Erri De Luca. 13 Mai 2024. © Jean-Louis Crimon
— C'est comment d'être vieux ?
— C'est quand on te parle et qu'on glisse le mot « encore». Vous travaillez encore ? Vous campez encore, vous faites encore ça et ça ?
Alors mon mot préféré est devenu « encore».
Si on me demande comment je vais, je réponds :
« Encore, je suis encore là.»
Et puis être vieux c'est comme bivouaquer tout en haut du bois, là où les arbres sont moins denses et où il y a plus de lumière.
Que veux-tu faire dans les prochains jours ?
— Je ne sais pas. Attendre, de toute façon.
— Je viens d'avoir une idée. Je veux te montrer la mer. Tu as dit que la mer arrête les gitans, qui ne sont pas des marins. C'est un endroit où tu ne risques pas de rencontrer les tiens.
En bas dans la vallée passe une piste cyclable qui va jusqu'à la mer Adriatique. Tu sais faire du vélo ?
— Nous en avons eu un et nous avons tous appris.
— Ça te plairait de voir comment c'est ?
— Un endroit sans gitans, ça me va. Je n'ai pas d'argent pour un vélo.
— C'est moi qui les prendrai.
Les règles du Mikado. Erri De Luca. Gallimard. (Pages 58 et 59).
© Jean-Louis Crimon
Amiens. La Hotoie. © Jean-Louis Crimon
© Jean-Louis Crimon