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Je me souviens des maisons aux fenêtres murées de rangs de briques rouges soigneusement jointoyées, traces d'un temps où l'impôt se calcule au nombre de fenêtres en façade. Lumineuse mascarade. Aveuglement absurde désormais.
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Je me souviens de la rue des Corps-nuds-sans-teste, petite rue entre la rue des Trois Cailloux et la rue des Jacobins. Appellation qui viendrait de la maison des Cornus, mentionnée au moins à deux reprises, en 1392 et en 1444, maison dite fort accueillante. Pinsard, l'historien, pense, lui, qu'un homme, le corps nu, sans tête, a été trouvé en ce lieu. Assassiné, décapité et retrouvé dépourvu de vêtements.
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Je me souviens du discours de Jules Verne à la distribution des prix du Lycée de jeunes filles d'Amiens, en 1893 : "Prenez garde de ne pas vous égarer en courant le domaine scientifique. Puissiez-vous, en sortant du cours de chimie générale, savoir confectionner un pot-au-feu." Double adresse impensable aujourd'hui.
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Je me souviens de la Place Gambetta quand la douceur des soirs de Juin s'attarde en terrasse.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens des entrepôts de La Ruche Picarde où l'on embauche à 22 heures pour finir à 5 heures du matin. Manutentionnaire Travaux Lourds. J'y vais à pied, le cœur léger.
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Je me souviens de Raymond Devos, croisé dans la rue, près de la Maison de la Culture, où il donne plusieurs soirs de suite son spectacle d'incomparable jongleur de mots.
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Je me souviens de Jean Rouaud dans la nuit bleue de Saint-Leu. On boit des bières avec Julien Dollet et on se dit que vivre sans écrire, ce n'est pas vraiment vivre.
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Je me souviens de mon premier cours de philosophie et de mon impro finale : Entre Être et Avoir, ne vous trompez jamais d'auxiliaire, et vous pouvez me croire, moi qui suis Maître Auxiliaire.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens de la rue du Bout du Monde.
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Je me souviens de Léopold Sédar Senghor, prisonnier de guerre au camp d'Amiens. Front - Stalag 230. Les poèmes du recueil Hosties noires qui paraît au Seuil, en 1948, ont pris corps au cours des mois de détention au Camp d'Amiens.
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Je me souviens de "L'Essentiel de la vie amiénoise", mensuel créé par Hervé Penin, Jack-Orial Durvicq, Jean-Marie Pinson et Jean-Pierre Bergeon.
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Je me souviens de l'engouement des années 80 pour les cartes postales du début du siècle. Surtout pour la vue, les scènes de rue, les marchés et les petits métiers. Moins pour les mots, souvent griffonnés à la hâte. Rarement écrits avec application, même si parfois pleins de pleins et de déliés.
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Je me souviens d'Amiens au futur, là où les souvenirs ont la vie dure.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens de la rue Jules Barni et de la Cité administrative.
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Je me souviens de l'entrée de la caserne Friant, avenue du Général Foy.
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Je me souviens de la foire au pain d'épices, de son unique manège à l'ancienne, avec de vrais chevaux de bois et son carrosse à faire rêver plus d'une princesse. Première ou deuxième semaine d'Avril.
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Je me souviens de Jean-Pierre Facquier et de son atelier de sculpteur sur bois au numéro 45 de la rue Motte, au cœur du quartier Saint-Leu. Lafleur, Sandrine, T'chiot Blaise et Papa Tchu-Tchu pour bons compagnons.
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Je me souviens du 15 Août à La Hotoie et des joueurs de ballon au poing. Des étoiles que ça allume ce jour-là dans les yeux de mon vieux camarade de lycée, Gilles Caron.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens du nom du relieur de la rue du Faubourg de Hem, Yves Derémaux, et de son téléphone en six chiffres : 43.07.66.
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Je me souviens du jour où j'ai offert à mon père, pour son anniversaire, Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France.
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Je me souviens de The Bible of Amiens, de John Ruskin, La Bible d'Amiens. Ouvrage du critique d’art et sociologue anglais, paru en 1884 et traduit en français, en 1904, par Marcel Proust. Avec l'aide de sa mère.
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Je me souviens de Marcel Zanini au CSC Guynemer et de son incomparable manière de mettre à l'aise l'interviewer débutant : "Mon itinéraire ? ça risque d'être long. Je vais prendre un raccourci."
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Je me souviens de la péniche-théâtre de Jean-Paul Farré, amarrée quai Bélu, pour y donner un Beckett inattendu. Pas très à l'aise, on glisse sur la glaise pour entrer dans le bateau. Godasses, gadoue, Godot, les sons s'enlisent et se lisent dans une boue authentique. Eternelle attente de celui qui ne viendra pas. Godot a mis les bouts.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens du Cinéma tout en haut de la rue des Otages, Le Pax, aujourd'hui disparu, qui au tout début des années 80, avait osé programmer le film de Stanley Kubrick : Les sentiers de la gloire .
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Je me souviens de Maurice Laisant et d'André Lourdelle me parlant de l'Union Pacifiste. Des humains comme on n'en rencontre plus. Des libertaires humanistes.
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Je me souviens de Lucien Barbier, militant communiste, mort après vingt jours de coma. Sans doute des suites de coups de matraque au moment de la dispersion d'une manifestation. C'était en novembre 1987.
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Je me souviens du procès Goldman et de Noguès, Alain Noguès, photographe malicieux, plié en deux vers l'herbe devant le Palais de Justice en pestant "J'ai paumé un diaph' !" Les gendarmes, penchés eux aussi, pour l'aider à chercher le "diaphragme perdu" et pendant ce temps-là, nous, pliés de rires, on photographiait la sortie de Pierre Goldman, ce qui nous était interdit.
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Je me souviens des deux Simone, Signoret et de Beauvoir qui vont et viennent sur le grand escalier extérieur du Palais de Justice, de Maître Pollack et de Maître Kiejmann, de Marie-France Pisier et de toute l'intelligentsia parisienne présente à Amiens, pendant la durée du procès en révision.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens de la place Alphonse Fiquet des années 70, les bus bien rangés en épis pour un accès limpide.
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Je me souviens de la rue des Cannettes, numéro 25, adresse de ma première chambre d'étudiant, et de la cuvette d'eau chaude déposée chaque matin, sur le palier, à 6 heures, par ma logeuse.
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Je me souviens de la rue Claudius Serrassaint et de la rue Lapostolle où habitait l'ami Marcotte qui m'avait convaincu d'adhérer au PSU.
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Je me souviens d'une époque que je n'ai pas connue et je marche dans une rue qui n'existe plus.
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Je me souviens d'Amiens au futur. Jules Verne, c'est sûr, a mis dans le mille, le jour il a écrit : "Amiens, ville idéale en l'an 2000 ".
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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Je me souviens de la photo de la soutenance de thèse de Doctorat de Louis Althusser. Photo prise au juste moment, m'avait écrit, en remerciement, le philosophe marxiste en signant simplement Louis A. Photo publiée dans Le Nouvel Observateur du 7 Juillet 1975. Ma première parution.
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Je me souviens que la soutenance Althussérienne avait lieu l'après-midi, un samedi, je crois, et le matin à 10 heures, je n'avais toujours pas d'appareil photo. Me suis résolu à m'endetter de plusieurs centaines de francs pour acquérir un Mamiya, payé en trois traites fin de mois. Juillet, Août, Septembre. J'étais sans argent et je venais d'investir mes revenus à venir d'un boulot d'été que je n'avais pas encore trouvé.
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Je me souviens de la chanson triste du rémouleur "couteaux, ciseaux, lames à repasser", jolie rengaine de celui qui passe et qui repasse, de semaine en semaine.
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Je me souviens d'un chauffeur de la SEMTA qui s'appelait Lajouvence et qui, au terminus, sortait son harmonica pour faire de la musique aux gens qui montaient dans son bus.
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Je me souviens de Dralux, place Gambetta. Linge de table, tissus en tout genre, textiles à usage domestique, serviettes, nappes, rideaux et beau linge de lit. Dralux qui s'appelait d'abord Prévost-Boulogne. Draps de luxe devinrent Dralux.
© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017