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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2013. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2013. © Jean-Louis Crimon

Le quai de la Tournelle a ses familiers. Ses habitués. Ses fidèles. Souvent, deux ou trois fois par mois, un vieux professeur s'arrête à  hauteur de mes boîtes et prend plaisir à s'attarder dans le coin des livres de philosophie. Je le laisse fouiner à sa guise. Il adore prendre son temps. Je respecte sa quête silencieuse. Parfois, il rompt rapidement le silence. A propos d'un titre ou au sujet d'un auteur. Les petits "Que sais-je" des Presses Universitaires de France sont souvent prétexte à de belles discussions. Le vieux professeur a la nostalgie pédagogique. Il partage son savoir en même temps que ses souvenirs. Il adore Platon et vénère Socrate. L'autre jour, il m'a retracé les grandes lignes de la vie de Platon. La rencontre avec Socrate. La mort de Socrate. Bio express, mais passionnante. A vous donner envie de relire tout Platon. L'intégrale des dialogues. Toutes les oeuvres de Platon sont des dialogues. Sauf l'Apologie de Socrate et les Lettres. C'est Socrate qui mène le jeu dans la plupart de ces dialogues. Ces dialogues sont de véritables petites comédies et le caractère des interlocuteurs de Socrate est à chaque fois habilement brossé, voire même parodié. Tourné en dérision. Dérision toute philosophique.

Platon est né à Athènes, probablement en l'an 427 avant notre ère. Platon appartient à une famille noble. Platon reçoit l'éducation physique et intellectuelle des jeunes gens de son époque. En 407 se produit l'évènement capital de la vie de Platon, un évènement qui vous change une vie : la rencontre avec Socrate. Socrate a alors 63 ans. Platon est âgé de 20 ans. Platon va suivre les leçons de Socrate pendant huit ans. Peu après la chute des Trente, les Trente Tyrans, Socrate est accusé par trois délateurs de ne pas croire aux dieux de la cité et de corrompre la jeunesse. Socrate est condamné à mort. Il refuse de s'évader et boit la ciguë en 399. Par peur d'être inquiété et poursuivi comme "élève du philosophe", Platon quitte Athènes et se réfugie dans une ville voisine : Mégare.

- Arrêtez, Professeur, je sens que je m'égare !

- Amusant, jeune homme ! Vous ne saurez donc pas la suite aujourd'hui ! Tant pis pour vous !

Craignant d'avoir fâché mon adorable interlocuteur, je le persuade que vraiment cette histoire de la rencontre de Platon et de Socrate me passionne autant que lui. Que j'aimerais être capable d'écrire sur le sujet. Pas un ouvrage de philo, non. Je n'en suis pas capable. Pas non plus un essai. Plutôt un roman.

Le vieux professeur semble, non pas déçu, mais désemparé. Il ne me suit pas. Pas du tout. Je le sens comme perdu.

 

A la fin, je lui dis : ça y est, Professeur,  je l'ai mon idée. Une belle idée. Une vraie idée de roman. Avec un titre. Un bon titre. Le titre, c'est "Socrate s'est évadé". Vous rendez-vous compte, monsieur le professeur de grec ancien, ce qui se serait passé si Socrate avait accepté de s'échapper. Comme un de ses disciples le lui avait proposé. Si Socrate n'avait pas bu la ciguë. Le sort de la philosophie en eut été changé. Le sort du monde pareillement. L'avenir de la démocratie aussi. Vous n'êtes pas d'accord ? Non, ne qualifiez pas d'absurde, mon raisonnement par... l'absurde.
Le vieux professeur est resté de longues minutes sans dire un mot. Perplexe, vraiment. Puis il m'a dit : faites-le, monsieur. Ecrivez-le. Ce roman insolent, ça peut être drôle. Mieux: précieux. Il faut parfois revisiter les vieux mythes. Tordre le cou aux idées reçues. Même en matière de philosophie.

J'ai souri. Le vieux professeur m'a souri aussi. Il est parti avec son petit Que sais-je au titre, pour lui, appétissant : "Platon et l'Académie". Jean Brun. PUF. 1960.

On fait de belles rencontres sur le quai. On y tient de beaux dialogues. On y partage de beaux projets. De belles idées. Plein d'idées. Que sais-je encore ? 

 

© Jean-Louis Crimon

Le Quai de la Tournelle a ses familiers... (Février 2012)

 

 

J
Bonsoir Jean-Louis ! Ce professeur passionnant a soufflé en toi une sacrée bonne idée ! Un roman sur Socrate ! Mais oui ! et j'imagine fort bien "Socrate s'est évadé" mettre en scène ce philosophe mythique dans bien des situations ! Je t'encourage vivement à écrire ce roman !

PS: Que de belles rencontres tu as faites en étant journaliste (Léo Ferré, Renaud ...). Journaliste, bouquiniste et écrivain : Bravo Jean-Louis !

 

 

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12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2011. © Jack Tajtelbom

Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2011. © Jack Tajtelbom

L'Association Culturelle des Bouquinistes de Paris regroupe plus d'un bouquiniste sur trois. Ce qui est plutôt bien. Le bouquiniste, de comportement comme de tempérament, est un être très indépendant. Vraiment jaloux de sa liberté. S'associer n'est pas dans les us et coutumes de la profession. Certains racontent qu'autrefois, il y avait bien un syndicat, le syndicat des bouquinistes, mais qu'il y a belle lurette qu'il n'existe plus.

J'ai décidé d'adhérer à l'Association dès mon arrivée Quai de la Tournelle. Cela me semblait le meilleur moyen d'être accepté dans cette confrérie que tous me décrivaient comme très fermée, avec ses réseaux, ses combines et ses dynasties. Avec une organisation, assez récente, reposant en grande partie sur des délégués de quai, chefs de quai comme il n'y a plus de chefs de gare, chargés de signaler à la Mairie les absences, les retards, les boîtes fermées, les jours d'ouvertures, la régularité ou le sérieux du bouquiniste débutant. "T'as ton cahier de présence", m'a lancé, un jour d'hiver, mi-sérieux, mi-provocateur, mon délégué de quai. Avec cet air suffisant du contremaître qui prend son ouvrier en infraction. Moi qui pensais que bouquiniste était le dernier métier de liberté non encadrée, dans cette société d'encadrement permanent, le dernier métier d'homme libre, - "Homme libre, toujours tu chériras la Seine" - j'ai dû déchanter. Délégués de quais plus ou moins autoproclamés. En tout cas "pas élus par leurs pairs" comme le font remarquer, dans un sourire qui en dit long, certains rebelles à l'ordre policé, pour ne pas dire policier, du chef de quai. Bouquiniste, as-tu composté ton billet ? sans doute bientôt d'actualité. Sur ces quais d'embarquement où l'on n'embarque plus qu'en rêve. Pour des traversées de longues après-midi solitaires. Quand le passant se fait rare. Quand le bibliophile se défile. Quand le temps qui passe lui aussi, s'évertue à jouer l'immobile ou le suspendu. Quand la Seine fait sa grise alors qu'elle est si jolie dans la lumière dorée du soleil du soir.

 

 

La dernière réunion de l'Association m'a beaucoup plu. L'ordre du jour: réfléchir à la création d'une fête des bouquinistes. Manière de célébrer un métier, une tradition, et au fond un vrai rôle social. Bouquiniste sur les quais, ce n'est pas seulement vendre des livres, des gravures, des photographies anciennes ou des aquarelles, c'est d'abord et avant tout du lien social. C'est le commerce des mots avant le commerce des livres. Ce sont des regards, des sourires échangés, des conversations parfois. C'est de l'humanité qui passe dans cette époque où l'humain vraiment humain est une espèce en voie de disparition. Une présence humaine, à la fois discrète et immanquable. Essentielle au paysage urbain des quais de Seine. Une présence si forte et si banale que c'est son absence qui souligne le manque. Une présence vitale.

 

Très vite, accord d'une majorité des présents pour organiser, une ou plusieurs fois par an, un "Livre-Grenier". Sur un week-end ou sur un seul jour. Plutôt le dimanche, ou sur deux dimanches.  De septembre ou d'octobre. Ou sur quatre dimanches de tout un mois, le "mois des bouquinistes". Toutes les propositions se télescopent. Sur une période qui irait du 15 septembre au 15 octobre et donc sur quatre dimanches. Quatre dimanches où les résidents-riverains, dans un premier temps, auraient la possibilité de partager avec les bouquinistes professionnels le droit et le bonheur de vendre des livres d'occasion et tout ce qui se rapporte à l'écriture, imprimée ou manuscrite. Le bonheur de partager les espaces libres des parapets des bords de Seine, rive gauche et rive droite. Soyons simples: ce sera "un dimanche rive droite" et "un dimanche rive gauche". Fin septembre et début octobre.

Reste à trouver un titre, un beau titre, un titre accrocheur. Un titre qui pourrait nous valoir de bons "retours/presse" dans ce qui doit être aussi une bonne campagne de communication. Amusante et efficace. L'an dernier déjà, au cours de l'Assemblée Générale de l'Association Culturelle des Bouquinistes de Paris, j'avais proposé à ceux qui critiquaient "PARIS PLAGES" (ils "perdaient des clients potentiels" !) de créer tout simplement dans les pas de "PARIS PLAGES" ... "PARIS PAGES". Le titre a fait sourire et l'idée est restée en carafe. L'idée est tombée à l'eau ! Dommage, vraiment. Car je persiste à penser, aujourd'hui encore, que ce serait bien d'inscrire nos pas, les pas des propriètaires des boîtes vertes, dans la foulée de ceux qui, avant d'aller faire bronzette sur le sable, feraient d'amples emplettes chez les bouquinistes. "On bronze mieux un livre à la main" aurait pu être un bon slogan de campagne. Pas trop directif et suffisamment incitatif. Mais mon "PARIS PAGES" n'a recueilli, comme on dit, qu'un succès d'estime. Cette année encore, le Crimon s'escrime pour ne pas laisser les plagistes aux seules saveurs de l'ice-cream. Le Crimon, c'est l'indifférence qui le... glace.

 

© Jean-Louis Crimon

Paris Pages. (2 Mai 2011).

 

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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 08:57
Paris. 41, Quai de la Tournelle. Septembre 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. 41, Quai de la Tournelle. Septembre 2012. © Jean-Louis Crimon

Sur le quai, je m'embarquai. Si beau sourire. Beau à en mourir. J'dis ça juste pour rire. Me regarde. S'arrête comme par mégarde. Je n'y prends garde. Est-ce pour moi ? Ces beaux yeux-là. Tout en émoi. Je ne sais pas. Est-ce vraiment moi qu'elle regarde ? Ou plutôt mes photos. En noir et blanc. Jolis tableaux. M'en achète une bientôt.

Lumière d'automne. Tellement mignonne. Ne ressemble à personne. La pose est bonne. C'est elle, le tableau. Le plus beau tableau. L'été lui pardonne. La photo, je la lui donne.

 

© Jean-Louis Crimon

(La chanson du Bouquiniste)

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10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon
Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

De dos, sacrilège ou offense païenne, c'est Batman. Le vent s'engouffre dans sa cape et, en plein Paris, le baptise homme chauve-souris. Chaque matin, pas peu fier de vivre à Paname, le chargé d'âmes avale à grands pas le macadam vers Notre-Dame. Il vient de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet et de la rue des Bernardins. La photo est déjà dans mon oeil de mécréant. J'adore ce genre de détournement. La malice du vent  pour complice.

© Jean-Louis Crimon

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9 août 2023 3 09 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. 5 Mai 2013. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. 5 Mai 2013. © Jean-Louis Crimon

 

Mon voisin, mon voisin sur le quai, je l'aime bien. Je le trouve original. Sympa. Problème: il vient de me dire qu'il n'aimait pas Renaud. Oui, rien que ça. C'est vraiment con. Moi, Renaud j'adore. L'insolence. L'humour. La dérision. La provocation aussi. Tout me plaît chez Renaud. Mon voisin a le jugement lapidaire de ceux qui savent. Mélodies affligeantes. Textes au premier degré. Faux loubard. Joue des personnages. En plus, il chante faux. C'est vrai, mon voisin chante juste. Enfin, mon voisin chante pas. Enfin, s'il chantait, sûr, il chanterait juste. Mais qu'est-ce que ça veut dire "chanter juste" ? Renaud, il voulait juste chanter. Il a chanté. Il chante. Son métier, c'est "chanteur". Chanteur, la raison sociale du poète. Villon, y chantait juste ? Rutebeuf, y chantait juste ? Verlaine, y chantait juste ? Rimbaud, y chantait faux ?

C'est dommage, j'ai pas envie de me fâcher avec mon voisin, mais là, vraiment, ça me gonfle. En plus, mon voisin, il a un avis sur tout. Enfin, il a surtout un avis.

Pour preuve, cet après-midi, mon voisin a aussi dit : Gainsbourg, c'est pas un chanteur. Il avait pas la voix. Mais quand même, a-t-il ajouté, il a fait une oeuvre intéressante.

A la fin, mon voisin m'a dit  : moi, j'aime Juliette. Il a ajouté : "ça, c'est de la chanson !" J'ai dû concéder : "passons" et j'ai coupé le son. 

 

© Jean-Louis Crimon

Mon voisin aime pas Renaud. (Juin 2011).

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8 août 2023 2 08 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de La Tournelle. Saison 2011/2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de La Tournelle. Saison 2011/2012. © Jean-Louis Crimon

 

- Ton p'tit appareil, mets-le sur "temps gris et ciel de pluie !"

Boutade fraternelle du "grand Bernard" qui adore stigmatiser, à chacun de ses passages devant mes boîtes, une pratique photographique qu'il juge excessive, sinon intempestive. Au début du quai de la Tournelle, si on le prend par le Pont de la Tournelle, juste en face de La Tour d'Argent, pratiquement côte à côte, il y a deux bouquinistes qui se prénomment Bernard. On les définit par leur taille. Il y a donc le grand Bernard et le petit Bernard. L'homme au chapeau noir. Le grand Bernard est plutôt Sciences Humaines et Maspéro. Le petit Bernard, plutôt polar et San-Antonio. Mais grand Bernard ou petit Bernard, aucun des deux n'a vocation à être un Saint-Bernard. En chemin pour rejoindre ses boîtes, juste en face de La Tour d'Argent, le grand Bernard a l'humour invariable. Pas comme le temps.

 

- Ton p'tit appareil, mets-le sur "temps gris et ciel de pluie !"

- C'est pas un baromètre, c'est un numérique !

- Je sais, mais t'as vu l'temps !

- Tu sais, Bernard, pour la photo, c'est pas le temps qui est important, c'est l'instant. L'instant décisif, comme disait HCB, Henri Cartier-Bresson.

- Ouais, mais bon, c'est pas un temps à faire de la photo !

 

Le grand Bernard n'en démord pas. Ce n'est pas un temps à photos. Certitude bien en main, à grands pas, il poursuit son chemin et, logique, sa méditation météorologique. Moi, beau temps ou mauvais temps, je poursuis ma capture des instants. Chacun son passe-temps.

 

© Jean-Louis Crimon

La capture des instants. (Juillet 2011).

 

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7 août 2023 1 07 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Mai 2010. © Qing Yang.

Paris. Quai de la Tournelle. Mai 2010. © Qing Yang.

C'est en Mai de cette année 2010 que mes quatre boîtes, fabriquées sur mesure et peintes avec la couleur historique vert wagon, ont été installées à l'emplacement que la ville de Paris m'a attribué. 41, Quai de la Tournelle. Le rêve de mes 15 ans a soudain pris corps. D'un coup, d'un seul. M'avait fallu bien maturer la soixantaine pour renaître vieil adolescent aux ambitions intactes. Rastignac qui a plus que jamais la gnaque. Libraire de plein air comme disent très élégamment celles et ceux qui n'aiment pas le mot Bouquiniste, trop trivial ou populaire à leurs yeux. Mes amis, les vrais, n'en croyaient pas leurs oreilles. Paraît que... Tu l'as fait. Tu es vraiment un peu fou. On ne quitte pas une Radio prestigieuse et un micro confortable de présentateur des infos matinales pour se retrouver vendeur de rue ou colporteur. Colporteur des bonnes et mauvaises nouvelles, toi, tu avais le sentiment de l'avoir trop longtemps été dans ce que tu désignais déjà comme ton autre vie. Renaître pour ne pas mourir était, tu le sais bien, la seule clé qui vaille dans cette vie humaine où la plupart des bipèdes peureux se couchent pour toujours dans leur premier emploi. Collectionnant leurs points retraites bien sagement assis dans la même confrérie. Manoeuvre en Bâtiment, Arracheur de betteraves fourragères, Employé de Bureau, Aide métreur, Manutentionnaire, Laveur de pierres tombalesProfesseur de philosophie, Journaliste de presse écrite, Journaliste radio, grand reporter, romancier, biographe, tu avais le sentiment d'avoir collectionné les métiers comme des grands rôles qui illuminent le court métrage d'une petite vie. C'était ta vie. Vieillir dans un métier, se laisser gagner par la résignation dans la même profession, ce n'était pas dans ta nature, surtout pas dans ta vocation. Bouquiniste et Journaliste, rime riche, même si pour beaucoup ça ne rime à rien de quitter une réussite certaine pour une vie bien incertaine. A pieds joints, tu sautes dans l'espace immense de ton nouveau destin. La vie commence à 60 ans.

 

© Jean-Louis Crimon

C'est en Mai de cette année 2010...

 

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6 août 2023 7 06 /08 /août /2023 08:57
Paris. Vladimir Jankélévitch, le philosophe musicien. © DR.

Paris. Vladimir Jankélévitch, le philosophe musicien. © DR.

Elle est venue du Quai aux Fleurs de la rive droite promener ses 88 ans rive gauche. Elle a poussé jusqu'à la Tournelle. La première fois où on s'est vus, en mai de l'an dernier, je m'en souviens très bien, elle m'avait parlé de son métier de photographe et du temps de l'argentique, tout en me montrant un petit numérique extra-plat dont elle venait de faire l'acquisition. "La photo, vous savez, c'est une histoire de cadrage. Aujourd'hui, tout le monde fait de la photo, mais les vrais photographes sont rares. La plupart, ils ne savent pas cadrer. Vous, ça se voit, vous avez le sens du cadre !" Et puis Geneviève, - c'est son prénom - m'avait complimenté pour les nuances de gris, bien mises en évidence sur les tirages que j'expose dans le haut de mes boîtes de bouquiniste.

Cette fois-ci, on a évoqué l'un de ses illustres voisins du siècle dernier. Jankélévitch. Vladimir Jankélévitch. Le philosophe. Le musicologue. Le musicien. Le génial inventeur du "Je-ne-sais-quoi" et du "presque-rien". Notions philosophiques impensables autrement que par lui. L'auteur aussi de "L'Aventure, l'Ennui, le Sérieux". Le philosophe du " temps", fasciné par "l'instant", l'instant pris, ou plutôt surpris, entre le "pas encore" et le "jamais plus". Elle se souvient très bien, Geneviève, de l'être humain adorable qu'a été Vladimir Jankélévitch et ses yeux en pétillent encore d'émotion : "il m'invitait pour le thé, il jouait du piano, il recevait en simplicité.

Une autre des grandes passions de Geneviève, c'est Rimbaud. Arthur Rimbaud. Elle me montre une photo de lui dans la mémoire numérique de son extra-plat. Elle rit et elle dit : "il est là, en photo, on s'quitte pas, je l'emmène en vacances avec moi ".

Le quai, c'est comme ça. C'est plein de gens étonnants et souvent vraiment "extra-ordinaires". Faut juste avoir la chance de les croiser. Juste savoir aussi les reconnaître. Savoir leur parler. C'est à dire d'abord savoir les écouter.

 

La dernière phrase de Geneviève avant qu'on se quitte concerne le troisième homme important de sa vie: son père. "Comme disait mon père, le respect s'perd ! Il était marrant, mon père ! "

 

© Jean-Louis Crimon

 Elle est venue du Quai aux Fleurs. (31 Juillet 2011)

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5 août 2023 6 05 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

Sur le banc parfois, à l'ombre des platanes, quand la poussière et les pollens du soir laissent un peu de répit, sous forme de conversation impromptue, s'improvise une inattendue leçon de littérature. Souvent de la même façon. Au départ, une cliente hésitante. Un bouquiniste avenant. Ou compréhensif. Un bouquiniste qui a du temps. Ou qui veut bien prendre un peu de temps. Prendre du temps n'est jamais perdre du temps.

- N'achetez pas sur un coup de tête, ou sans vraiment savoir, madame, ...

- Je voudrais Les Fleurs du Mal, le texte, les poésies, les poèmes, bien sûr, mais aussi, un petit manuel en parallèle, un petit livre d'explication ou d'analyse...

- Pour le texte, c'est comme si c'était déjà fait, madame... Cette belle édition des années cinquante, mille neuf cent cinquante, est très agréablement illustrée. Je vous la laisse à trente euros...

La dame a, comme on dit, un certain âge. Un âge certain. Mais un beau regard d'enfant. Une enfant d'un autre siècle. Lire Baudelaire, lire vraiment Baudelaire, pour elle, est une décision récente. Les souvenirs du Lycée semblent si loin.

- Baudelaire, oui, toutes mes amies en parlent en ce moment, alors...

- Savez-vous, madame, que le titre définitif a vu le jour au café Lamblin, pas si loin d'ici. Au cours d'une conversation entre Charles Baudelaire et Hippolyte Babou, ami du poète et journaliste de son métier. Le titre a vraiment été "soufflé" ou "donné" à Charles par Hippolyte. C'est d'abord le titre de dix-huit poèmes publiés dans la Revue des deux-mondes du 1er juin 1855.

- Mais quel titre curieux, monsieur, n'est-ce pas ? Comme si des fleurs pouvaient naître du Mal...

- "Fleurs du Mal" . Beau paradoxe, sans aucun doute, madame. Pour Baudelaire, la mission du poète, c'est vraiment de faire naître la beauté de là où on ne l'atttend pas. De la souffrance. De la douleur. Du malheur. Ou du péché. Le Mal, pour lui, c'est à la fois le mal qui fait mal et le mal qui est mal. Qui est le contraire du bien. 

- Vous pensez vraiment que du "beau" peut naître... du "mal" ?

- Baudelaire en est la plus belle preuve, madame... et c'est un bien pour un mal...

- Comment ça ?

- Cette idée, Charles Baudelaire, élégant et pertinent critique d'art, l'avait déjà plus ou moins élaborée. Conscientisée. En 1855, à propos d'une exposition de peinture, dans le cadre l'Exposition universelle, il donnait cette première approche :  "Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu'il soit volontairement, froidement, bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu'il contient toujours un peu de bizzarerie, de bizzarerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau."  Plutôt bien dit, non ? Très moderne, ce Charles Baudelaire.

- Vous en savez des choses, monsieur...

- Si peu, madame... Ce que je sais, je l'ai lu... ou on me l'a expliqué... Tenez, en fait, j'ai peut-être le petit guide précieux que vous souhaitez pour ponctuer votre lecture des "Fleurs du Mal.".. Ce petit Profil. Ouvrage déjà ancien. Janvier 1992. Il a 20 ans, mais c'est très bien documenté. Bien écrit. Littérature Hatier. La première édition date de septembre 1987. 25 ans. Un quart de siècle. Comme on dit : ça n'a pas pris une ride. C'est une analyse critique signée Georges Bonneville, Agrégé des Lettres. Je vous en fait cadeau.

- Parfait, monsieur le bouquiniste ! Je vous trouve bien aimable...

- Je vous en prie, madame...

- Mais en fait, avec ses "Fleurs du Mal", il cherche quoi, au juste, ce Baudelaire ?

- Il veut, madame, en finir avec la culture classique et ses vieilles valeurs. La décence. La mesure. Le bon goût. Baudelaire se veut le poète qui dérange, qui bouscule, qui étonne ou qui choque. Il se veut rebelle et ses Fleurs du Mal n'en sont que plus belles. Notez, le Parquet de l'époque ne lui fera pas de cadeaux. Pour "délit d'offense à la morale publique et aux bonnes moeurs", on ordonnera la saisie des 1300 exemplaires de la première édition de juin 1857. En prime, si l'on peut dire : 300 francs d'amende pour Baudelaire et 100 francs d'amende pour son éditeur Poulet-Malassis. Ordre fut par ailleurs donné de supprimer six poèmes : Les bijoux, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées (le premier poème seulement) et Les métamorphoses du vampire

- Quelle science, monsieur ! vous devez bien l'aimer ce Baudelaire...

- Oui, madame, comme un frère, un grand frère, madame... madame ?

- Madame Aupick, monsieur le bouquiniste !

- Madame Aupick ! ! ?

- Oui, madame Aupick, mère de Charles Baudelaire... ça m'amuse de venir parfois sur le quai de la Tournelle, voir si ce fils que j'ai si peu compris et si mal jugé, est toujours connu et aimé par ce petit monde des lettres. Ce monde pour lequel il aurait damné son âme ...

- Au revoir, madame...

- Merci pour le Profil d'une oeuvre, monsieur. Je m'y penche dès ce soir... Je veux tout comprendre et tout savoir de l'oeuvre de mon fils...

 

La vieille Aupick s'en est allée comme ça, tout simplement. Une édition des années cinquante des "Fleurs du Mal" et le "Profil d'une oeuvre" dans son cabas. Moi, je n'en reviens toujours pas.

 

 

© Jean-Louis Crimon

A propos du "Beau de l'air" et des "Fleurs du Mal ". ( 27 Mai 2012 ).

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4 août 2023 5 04 /08 /août /2023 08:57
Paris. Quai de la Tounelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon 

Paris. Quai de la Tounelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon 

Elles sont arrivées sans crier gare. Se sont scotchées devant mes vieux journaux. Mes vieux journaux étendus avec des pinces à linge sur un fil, dans le haut de mes boîtes, sous les auvents. Un  fil à linge où sèche la presse du temps passé. "Pélerin" des années 30, "Journal du Dimanche" de l'année 1863, exemplaires du "Voleur" des années 80. 1880. Elles semblaient fascinées. Je les ai laissées de longues minutes savourer leur passion. Puis, n'y pouvant plus, j'ai risqué une question: pourquoi cet intérêt manifeste ? La première a dit : "Je suis étudiante  à la Sorbonne. En Lettres Médias Com' . J'aimerais un jour être journaliste. Voir, en vrai, ces vieux journaux, dont on nous parle en cours, c'est fascinant."

La seconde a ajouté: "Moi, non, je n'envisage pas ce métier. Je veux être kiné, mais j'adore l'odeur et la texture du vieux papier. Elle fait mine de respirer l'odeur avec le nez. Touche un livre imaginaire avec le bout des doigts. Puis ajoute: "Chez mes parents, quand j'ouvrais un livre ancien, c'était d'abord pour le sentir, le respirer, avant de le lire."

 

Filles merveilleuses, toutes deux originaires de Charleville. La ville de Jean-Arthur. Forcément, on a parlé de Rimbaud. De sa maison. Sa maison devenue Musée. De sa tombe, au cimetière. De ce célèbre "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans" et de ce poème où Arthur raille les notaires ou les banquiers. C'était drôle. Les deux amies riaient à gorge déployée. Puis vint l'aveu. En forme d'incroyable regret : "Nous, au Collège ou au Lycée, ce n'est pas Rimbaud que les profs nous faisaient étudier, c'est Baudelaire."

Les Fleurs du Mal, c'est vrai, ce n'est pas mal non plus, mais passer à côté de la maison de la famille Rimbe et d'une balade dans cette Charleville où ont dû déambuler, certains soirs de désespoir, Jean-Arthur et sa gloire future, c'est dommage. C'est à pied que parfois se redécouvre la littérature.

Mettre ses pas dans les pas de celui qui un jour a écrit La Lettre du Voyant, moi, je ne m'en priverai pas.

 

© Jean-Louis Crimon 

Nous, à Charleville, on étudiait Baudelaire. (3 Juillet 2011).

 

E

Merci à vous d'avoir partagé ce moment avec nous. Après avoir cherché dans mes affaires, j'ai retrouvé le poème dans lequel il parle des "gros bureaux bouffis", il s'agit du poème "A la musique..." , mon préféré je crois.. J'ai également après avoir fouillé dans mes pensées, retrouvé la citation sur Charleville, en réalité il s'agit d'un extrait d'une lettre qu'il avait adressé à Georges Izambard: "Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions."
Le poème, tout comme l'extrait de la lettre, malgré les années passées, sont plus que jamais encore d'actualité. Malheureusement.

Encore merci pour cette belle rencontre et pour cet article.
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