L'homme, je m'en souviens bien, stoppe ses deux chevaux, vient vers moi et me demande pourquoi, avant de commencer à photographier, je l'ai observé longuement, oeuvrant et manoeuvrant sa charrue et son attelage. Surpris par mes mots : je voulais comprendre avant de prendre et rassuré par ma démarche, me gratifiant d'une bonne tape fraternelle sur l'épaule, il me dit : " J'y retourne, c'est mon dernier labour, ma dernière année avec mes chevaux, prenez toutes les photos que vous voulez, elles auront leur place dans les livres d'Histoire."
Quarante quatre ans plus tard, à huit jours près, je pense à lui et je me demande, - comme on disait autrefois dans mon village -, s'il est toujours du monde. Me ferait tellement plaisir de le savoir toujours vivant. De savoir aussi s'il a bien reçu mes photographies envoyées par la Poste, dans son village de Brillon, (59178 Hasnon), en mars 1981. S'il le souhaite, et s'il a une adresse mail, je lui en envoie deux ou trois dès aujourd'hui, dès ce matin. Dès maintenant.
© Jean-Louis Crimon
Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Août.
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Le Laboureur et ses enfants