Au bazar des idées
Je lorgnais sur les soldes
Liberté, égalité, fraternité,
Produits soi-disant périmés
Forgeron du futur en quête
de l’enclume des destins
Vulcain, veille au feu de ta forge
J'ai un goût de cendre dans la gorge
Qui se souvient de qui a dit
Un jour pas si lointain
« Le bonheur est une idée neuve »
Ce n’était pas un saint
Mais il avait vu juste
Ce siècle est amnésique
Ou ingrat, ou idiot, ou imbécile
Les beaux parleurs
De ces temps prétendus modernes
Ont le parler menteur
Hâbleurs
Bonimenteurs
Leurs belles promesses tournent à la grand messe
Mais leur grand vicaire
Est un grand faussaire.
Traverses © Jean-Louis Crimon
J’ai dans la tronche un air ancien
Et la dégaine d’un vieux Martien
Ma pauvre tête n’est pas très nette
Pas assez belle pour être honnête
J’ai dans la tronche un air ancien
Moi qui ne suis pas musicien
J’ai dans la tronche un truc, un machin
Qui pleurniche comme un crachin
Depuis ce matin en sourdine
Un truc bizarre qui me serine
Une vieille déprime qui rime
A pas grand-chose, à presque rien
Tristesse d’un vieux Terrien
A qui on dit :
T’es rien.
Traverses © Jean-Louis Crimon
Quand je regarde les mains de mon père
Je me dis que ces mains-là
Sont les leçons de philosophie
Que je cherchais en vain dans les livres
Quand je regarde les mains de mon père
Je me dis qu’elles sont aussi
Le prix des peines acceptées
Et des révoltes contenues
Parfois je les vois deux poings forts
Frappant la tête des gouvernants
Mais quand je regarde les mains de mon père
Je vois que les poignets sont encore rouges
Des chaînes qu’il lui a fallu porter
Je me demande sans comprendre
Pourquoi il n’aspire qu’à se taire
Et comment il a pu tant accepter
Je sens qu’au fond de moi la révolte gronde
Je sais pourquoi je veux la fin du vieux monde
Alors que mon père me pardonne
De ne pas seulement rêver de liberté
Alors que mon père me pardonne
S’il apprend qu’un fils d’esclave s’est révolté.
Traverses © Jean-Louis Crimon
Enfance de chiendent, de liserons
de racines de mauvaises herbes
derrière la bêche de mon père
Je lis, tu lis, il lit, nous
liserons
belle façon de réviser mes conjugaisons
Douilles de balles, éclats d’obus
dans la tranchée de la bêche
qui tutoie la tranchée de la guerre
Liard de France, Double Tournois
cinq centimes de Napoléon III
vieilles pièces que la terre nous octroie
vieux sous troués d’avant-guerre
Pourquoi d’avant-guerre ?
on est toujours avant-guerre
de véritable paix entre les hommes
l’enfant n'y croit guère
Chaque armée a ses frères d’armes
chaque pays ses frères ennemis
chaque guerre ses milliards de larmes,
ses centaines de millions de morts aussi
Combien de siècles, combien de millénaires,
faudra-t-il pour être amis sur Terre ?
La terre que le père retourne,
Le seul livre d’Histoire transmis au fils.
© Jean-Louis Crimon / Traverses
Midi
Matinée sans histoire
Temps gris sans espoir
Pourtant
Soleil
S’éveille
Mais
Soleil
Blafard
A mon côté, une forme étrange
Qui me tend la main
Qui me dit :
— Quel jour de ta vie voudrais-tu être ?
— Aujourd’hui !
La forme sourit. Tristement.
Je me lève, un peu surpris. Salue mon banc.
La forme me suit.
Ensemble, on traîne un peu
Quelques pas dans la ville
D’une allure tranquille
Un court instant
Un nuage
Semble troubler notre ménage
A croire que c’est à nouveau la guigne
Mais de nous deux
Aucun ne s’indigne
Ni ne s’étonne
Très vite on se retrouve
Comme un soir d’automne
Deux amants en balade
D’être deux on se sent moins seul
Elle me sourit quand je fais la gueule
Je lui invente un poème
Quand elle semble trop sombre
Nous deux,
C’est pour la vie
Que ce soit dimanche ou semaine
Elle et moi
On se promène
Moi
et
Mon oMBRE !
© Jean-Louis Crimon / Traverses
Je te dirai Verlaine en verlan
On se baladera déambulant
Bras dessus, bras dessous, ou bras ballants
Le long des quais des bouquinistes
A se rêver la vie d’artiste
On traînera tant que le jour traîne
Nos foutus rêves à la traîne
D’une nouvelle vie qu’on étrenne
Ton incroyable dégaine
Et mon éternelle rengaine
On marchera jusqu’à la fraîche
Pour bien savoir où le soir crèche
Quand la nuit le laisse sur la dèche
Même si dans la poche on a que dalle
On ira grailler quand ce sera trop la dalle
Devant les restos, on fera du lèche-vitrine
Histoire de saliver des babines
Pour adoucir la rudesse de la bibine
Sur un banc, nocturne, on fera la sieste
La nuit, sans doute, nous fera un geste
Au petit matin, si on a dû faire tintin,
Des poubelles des repus, putain,
On se fera un vrai festin
S’il en reste, on finira les restes,
Et on s’taillera sans demander not’ reste.
© Jean-Louis Crimon / Traverses
Un matin, très tôt, nous nous en allâmes parmi les pins et les sources. Au sortir de la forêt, des flocons de neige dansèrent dans l’air glacé. Un vent froid nous brûlait le visage. Nous cheminions tels deux pèlerins égarés d’un curieux pèlerinage. Il y avait du Rimbaud dans ton allure et des chansons de Verlaine dans la froidure. Parfois, pour se donner courage, nous nous tenions la main comme deux enfants d’un autre âge. On jouait notre destin à tutoyer l’hiver. Pour savoir si l’on s’aimerait encore au printemps. Soudain, un éclat de rire comme un éclat de gel transperça le gris du ciel.
Traverses © Jean-Louis Crimon
Peut-être
Il restera quelques photographies
Quelques sourires avant qu’ils ne se fanent
Et les mots qu’on n’a pas dits
Se cacheront entre deux blanches pages
Ce sera comme une belle histoire
A dire aux enfants sages
Peut-être
Des mouettes viendront de la mer
Pleurer dans le ciel gris
Alors les grandes personnes
Qui ne comprennent jamais rien
Diront simplement
Que le temps est à la pluie
Peut-être
Le soir tombera vite
Pour qu’on ne voie plus le ciel en larmes
Où les mouettes auront trop dit leur chanson triste
Et l’on ne saura pas
Que les gros oiseaux gris
Avaient aussi de la peine.
© Jean-Louis Crimon / Traverses