Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 juillet 2022 4 28 /07 /juillet /2022 08:57
Archives Départementales Meurthe et Moselle. 1932-1940. Piennes. Cote 1520 W 214. © Jean-Louis Crimon

Archives Départementales Meurthe et Moselle. 1932-1940. Piennes. Cote 1520 W 214. © Jean-Louis Crimon

Dernier rebondissement dans cette quête que je rêvais conquête. Tu es mort, mais tu t'enfuis encore. Aucune des communes, toutes contactées une à une, n'a trace, dans son Etat-Civil, d'un acte de décès à ton nom. Comme si toi, grand-père inconnu, tu t'évertuais, là où tu n'es plus, à te rendre plus inconnu encore. Chaque mairie concernée, Mont-Bonvillers, Bouligny, Briey, Piennes, Landres, Murville... fait invariablement la même réponse, par mail, par lettre, parfois par téléphone : Aucune trace dans nos registres d'un acte de décès au nom de votre grand-père. Cherchez ailleurs. Cherchez encore. Vous finirez bien par trouver. 

Pas d'acte de décès. Pas de décès acté. Pas de décès officiel. Pas de décès officialisé. Pas de tombe à ton nom. Pas de cimetière où serait ta tombe. Pas de pierre tombale. Pas de nom gravé dans le marbre. Pas de marbre. Pas de pierre au pied d'un arbre.

Dans les Archives Départementales de Meurthe et Moselle, désormais accessibles sur la planète internet, la lecture des tables de successions et absences - incroyable intitulé - révèle entre les lignes une sinistre réalité : si pas d'actif, si pas d'argent, si pas de famille en France pour payer les frais d'enterrement, pas d'enterrement, pas de cimetière, pas de tombe. Seul avenir : la fosse commune. Fosse commune pour le grand-père hors du commun. Je n'arrive pas à me résoudre à cette réalité. Si tu n'es mort pour personne, s'il n'y a pas de tombe à ton nom, si tu n'as même pas eu droit à ce petit monticule de terre qu'une femme ou un fils fleurissent de temps en temps, à Pâques ou à la Toussaint, si tu n'es plus rien pour personne, quand tu meurs, la fosse commune devient ton unique et ultime destin. Ta seule fin funeste. Comme ton voisin de trois lignes au-dessus, dans les tables de successions et absences, qui a droit, lui, à ce commentaire aussi cruel que transparent : Sans actif apparent. Sans actif et sans parent. Sans actif et sans famille, sans proches, sans amis, sans camarades pour te construire une dernière demeure, très probable alors que le mort finisse à la fosse commune. Carré de terre pour les sans ressources pour qui personne ne consentira à délier bourse. Sans ressources appelés aussi indigents. Pauvres gens.

 

Pour la ligne qui te concerne, Monsieur Zanda, dans cette page 203 des tables alphabétiques de successions et d'absences, après ton nom, ton prénom, ton métier, ton âge, au-desssus de l'inscription Mont-Bonvillers, on peut lire cette mention manuscrite : " + à Nancy ".

"+ à Nancy", indication faussement sibylline. Classique petite croix, synonyme de "décès" en généalogie. Donc, cette fois, c'est sûr, je suis sûr, j'en suis sûr : Francesco Zanda, tu es mort à Nancy. Mais où es-tu enterré ?

Mourir à 40 ans, à Nancy, quand on est mineur à Joudreville ou à Mont-Bonvillers, ce ne peut être qu'à l'Hôpital où l'on a dû t'admettre, sans doute après un accident à la mine. Oui, tu as été transféré à l'Hôpital de Nancy, et sur le registre est indiqué le nom de la commune où tu es domicilié, Mont-Bonvilliers, qui se chargera d'annoncer ton décès au correspondant local de L'EST RéPUBLICAIN. Annonce de ta mort qui figurera dans le journal du 13 septembre 1936. 

Francesco Zanda, illustre inconnu grand-père, mineur de mine de fer, tu n'es pas en enfer. Crois-moi, croix de bois, croix de fer, je veux te construire un tombeau. Un tombeau de mots. Ce sera le plus beau.

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
27 juillet 2022 3 27 /07 /juillet /2022 08:57
Acte de naissance de Juliette, ma mère, fille de Berthe Leloup, sans mention du père. © Jean-Louis Crimon

Acte de naissance de Juliette, ma mère, fille de Berthe Leloup, sans mention du père. © Jean-Louis Crimon

Quand je commence, il y a plus de cinq ans, cette Longue Lettre à un grand-père inconnu, je ne sais pas où cela va me conduire. J'ai une vague idée du roman que je veux un jour écrire. J'avais cru, enfant, comme ma petite sœur et mon petit frère, à cette histoire tragiquement belle, toujours si bien racontée par ma mère, de la mort de ce père, venu de Sardaigne, mineur dans une mine de fer, ce père mort le jour-même de sa naissance. Parfois, notre mère parlait d'un coup de grisou. Parfois de la mine de fer de Joudreville. Problème : il n'y a pas de grisou dans les mines de fer. Pas de coup de grisou possible. Les mines de fer ont d'autres types d'accident. Accidents mortels moins souvent que dans les mines de charbon. Pour nous, la mort du grand-père venu de Sardaigne pour fuir Mussolini et gagner sa vie à la mine, était plus que crédible. Elle était vraie. Véridique. Authentique. On y croyait... dur comme fer.

Avoir découvert, - par hasard - que Francesco Zanda avait survécu à la naissance de ma mère et qu'il avait eu un fils avec une autre femme que Berthe Leloup, ma grand-mère, avoir compris qu'il avait abandonné, sans doute à la naissance, et la mère et la fille, a quelque peu dégradé l'image que je me faisais de ce grand-père, militant syndical et politique. L'agitatore devenait seduttore. Pas le même combat. Pas les mêmes conquêtes. Mais ça ne se commente pas. Ça ne se juge pas. Même si ça me rend triste.

Sur l'extrait d'acte de naissance de ma mère, tout en bas, à gauche, est portée la mention "Légitimée par le mariage de Francesco Filippin et de Berthe Antoinette Leloup célébré à Bouligny le vingt-neuf septembre mil neuf cent trente-deux." Juliette a été, de fait, pour l'Etat-Civil, "illégitime", " enfant illégitime", pendant quatre ans. Du 2 août 1928 au 29 septembre 1932.

En 1932, son père, son père "naturel" vit avec une autre femme que sa mère, celle qui lui a donné un fils, François Zanda, né, lui, le 13 décembre 1929, à Piennes. Distance entre Piennes et Bouligny, lieu de naissance de ma mère : à peine 5 kilomètres. Francesco Zanda a très bien pu rendre visite à sa fille Juliette pendant 4 ans. Peut-être l'a-t-il fait ? En cachette. A l'insu de Jeanne Bourgeois, la mère de son fils François. Nul ne sait. Nul ne saura.

Aujourd'hui, je ne suis plus très sûr d'avoir envie d'écrire ce roman familial à la gloire du grand-père inconnu, apparemment plus fort en conquêtes féminines qu'en conquêtes salariales. Trois femmes et trois enfants, c'est assez déroutant. Bien loin de l'image de l'agitatore meneur de luttes sociales et de grèves radicales. Agitatore des cœurs féminins. Seduttore.

Me revient à l'esprit la formule de mon ami Enzo Barnabà :

" Un Sarde ne trahit jamais sa parole, sauf si..." En pointillés, à mi-voix, Enzo Barnabà a laissé entendre : "sauf si c'est la guerre ou sauf si c'est... l'amour."

La guerre, l'amour... L'amour, parfois, c'est la guerre... Ça dépend des femmes.

Forcément, c'est dans le "sauf si..." qu'il me faut trouver un sens à la vie de ce grand-père inconnu. Un sens à sa vie. Un sens à ma vie aussi.

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
26 juillet 2022 2 26 /07 /juillet /2022 08:57
Francesco Zanda et moi, petit-fils putatif. Photos de 1926 et de 1956.

Francesco Zanda et moi, petit-fils putatif. Photos de 1926 et de 1956.

Un jour, voulant percer

le secret de l'origine filiale

idée saugrenue ou géniale

 

il me faut mettre

côte à côte

nos deux photos d'identité

 

Jeu fabuleux de coller ma photo gamin

à côté de ta photo à toi

Jeu des ressemblances

 

Comparaison du visage

Du passé le présage

Bon augure de la figure

 

Mêmes oreilles 

Grand front pareil

Comme on se ressemble

 

Plus tard, beaucoup plus tard,

je trouve la solution

Trois lettres de ton nom

 

Dans Zanda,

il y a,

ça se voit à peine,

 

A D N. 

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
25 juillet 2022 1 25 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

 

Je n'oublie pas qu'à la Mairie de Fluminimaggiore, sur le registre des naissances de l'année 1896, est indiqué en face du nom Francesco Zanda : né dans la maison qui est dans la même rue que l'église. Problème : habiter aujourd'hui la rue près de l'église n'a rien à voir avec ce que ça devait être à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Plusieurs rues aboutissent à l'église. Difficile de dire quelle était ta rue. Il faudrait reprendre un plan de la commune au moment de ta naissance, en mars 1896, pour essayer de localiser précisément l'emplacement de la maison des Zanda. Je me dois de faire ça. Quand je viendrai mettre vraiment mes pas dans tes pas, grand-père Zanda. Quand j'essaierai de prendre les chemins creux comme les caillouteux, quand j'essaierai de refaire le trajet à travers la montagne ou par la route jusqu'à la mine de Buggerru. Je me dois de faire ça. En mémoire de ce que tu as dû vivre, toi. Pour essayer de sentir, de ressentir, de comprendre ce qu'a dû être ta vie. Pour la restituer à défaut de pouvoir la justifier. "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie", répétait sans cesse, sans citer Malraux, ta fille, Juliette, ma mère, qui ne s'appela jamais Zanda. Un jour, je te dirai pourquoi. Même si tu le sais déjà.

Mais avant, me faut m'imprégner de cette terre et de cette vie qui furent ta terre et ta vie. A quoi servirait d'écrire si ce n'était pour ressusciter des morts et les rendre à tout jamais plus vivants que de leur vivant ? Pour qu'ils n'aient pas vécu pour rien, justement.

 

Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, inconnu jusque dans la mort, puisque tu n'as, en Sardaigne ou en France, même pas de tombe à ton nom, je me dois de faire ça pour toi. Je le ferai. Foi de Sarde, même si mâtiné de naissance Picarde.

 

Mâtiné, pour ceux qui ne sauraient pas, se dit d’un animal qui a perdu une partie de sa race. Les chiens mâtinés sont parfois bons à la chasse. Je veux être un bon chasseur. Pour toi, mon grand-père... chassé. Chassé, pourchassé, par la police et les milices Mussoliniennes. Cette histoire-là aussi, je me dois de l'écrire.

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
24 juillet 2022 7 24 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Via Roma. Sardaigne. © DR

Fluminimaggiore. Via Roma. Sardaigne. © DR

 

Ce lundi 24 Avril 2017, à Fluminimaggiore, Franco Melas, mon complice dans ce retour aux origines, est allé frapper à la fenêtre de Giuliana Zanda, la fille de ton frère Vincenzo. Elle habite toujours Fluminimaggiore. Elle n'a pas voulu lui ouvrir. Même pas voulu nous recevoir. Rien à dire. Rien à dire de ce temps-là. Tout oublié. Rien à raconter. Pas de photos à montrer. Pas d'anecdotes à partager. Pas de souvenirs précis de ce que son père, Vincenzo, ton frère, ton petit frère, pensait de toi. En dépit de vos neuf ans d'écart, vous aviez pourtant en commun la fuite en France, pour échapper à la police Mussolinienne et le temps passé à Bouligny et à Joudreville. Même pas voulu dire quelques mots sur le pourquoi on t'avait surnommé "agitatore" ? 

"Je ne suis pas intéressée", s'est bornée à répéter sur tous les tons, porte à peine entrouverte, Giuliana Zanda, quand Franco lui a dit qu'un petit-fils de son oncle Francesco était venu de France à Fluminimaggiore pour essayer de comprendre le chemin de cet homme hors du commun qu'a dû être son grand-père. "Pas intéressée", elle est drôle la Giuliana. Elle, peut-être pas, mais moi, oui. Moi, je suis très intéressé.

A la Mairie, sur le registre des naissances de l'année 1896, est indiqué en face du nom Francesco Zanda : Né dans la maison qui est dans la même rue que l'église. Problème : à Fluminimaggiore, en ce temps-là, et aujourd'hui encore, il y a plusieurs églises. Est aussi précisé que la famille où tu es né est une famille de paysans, père éleveur de chèvres. Aussi cordonnier et sabotier, a même ajouté le secrétaire de Mairie.

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
23 juillet 2022 6 23 /07 /juillet /2022 08:57
Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR
Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR

Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR

Un beau jour, le miracle se produit. Une photo de toi arrive jusqu'à moi. Découverte fortuite et fabuleuse à la fois. Archives de la mairie de Bouligny. Ta Fiche d'entrée sur le territoire français délivrée par le Préfet de la Meuse, en date du 31 mai 1929. Ta Fiche d'entrée avec ta photographie agrafée dans le coin supérieur gauche. Un grand front, les cheveux brossés en arrière, une petite moustache étonnante et un regard que je trouve beau. Oui, un beau regard. Profond. Un regard qui semble s'évader bien au-delà de l'objectif du photographe. Au crayon, deux mentions : date de la demande carte, 9 août 1926, et au-dessus, une nouvelle date : 11 mars 1929. Seconde mention : parti à Piennes le 30 octobre 1929. Juliette, ta fille, ma mère, née à Bouligny, de Berthe Leloup, a tout juste un an, depuis le 2 août. Pourquoi partir pour Piennes ? Pour y rejoindre Jeanne Bourgeois qui, le 13 décembre, va donner naissance à ton fils, prénommé François. Jeanne Marie Louise Bourgeois, sans profession, née Lantéfontaine, le 20 juillet 1902, domiciliée à Piennes, 9 rue d'Alsace. Où tu habites désormais. Entre Berthe et Jeanne, tu as choisi Jeanne. Entre Bouligny et Piennes, tu as choisi Piennes.

 

Bien sûr, mes lettres sont restées sans réponse. Là où tu es, si tu es quelque part, on n’écrit pas à ceux d’en bas. A supposer que toi, tu sois en haut. Le fait que tu n’aies pas eu de vraie tombe, dans un vrai cimetière, me fascine chaque jour davantage. Fosse commune, pour un destin peu commun, n’est pas une fin commune.

Je pense souvent à ce jour-là où on t’as mis en terre. Etait-ce dans l’enceinte de l’Hôpital ? Là où tu es mort. Etait-ce dans le carré des indigents ? Est-ce qu’au moins il y a eu deux ou trois humains pour accompagner ton cercueil ? Un camarade de la mine, un prêtre, un enfant de choeur ? Est-ce que tu es mort seul dans ta chambre d’hôpital, te plaignant de souffrir, comme Rimbaud, de ta jambe amputée. Est-ce que tu as dit comme tous les amputés : « j’ai mal à la jambe que je n’ai plus » ? Est-ce que quelqu’un t’a tenu la main pour le passage ? Est-ce que tu t’es senti mourir ?  Est-ce que tu as revu des images de ton village de Sardaigne ? Est-ce que tu as eu la force de redessiner mentalement les rues de Fluminimaggiore, et d’abord cette petite rue près de l’église où tu es né et où tu habitais, enfant et adolescent ? Est-ce que tu as revu, un à un, comme on égraine un chapelet vivant, les visages de tous ceux que tu as connus et aimés dans ta vie de jeune sarde ? Antioco, ton père sabotier et chevrier ? Maria, ta mère. Vincenzo, ton frère le plus proche de toi ? Maria, ta petite soeur, la seule fille de la fratrie ?

A quoi as-tu pensé au moment ultime, au moment du dernier souffle, à l’instant du dernier soupir ? Je ne pourrai jamais le savoir. Je ne le saurai jamais. Sur qui ou sur quoi as-tu porté ton dernier regard ? Questions inutiles puisque forcément sans réponse. 

Une seule certitude pour moi, ton petit-fils, je me dois d'écrire l'histoire. Ton histoire. Je me dois de redonner vie à ta vie. Je dois écrire le roman de ta vie. Le roman de Zanda le Sarde. Sûr, ça me tarde. Il est temps. Il est grand temps. 

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
22 juillet 2022 5 22 /07 /juillet /2022 08:57
La mort de Francesco Zanda Junior. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

La mort de Francesco Zanda Junior. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

 

A peine le fils de Francesco Zanda découvert, déjà il faut se faire à l'idée que, lui aussi, s'est éclipsé. Impossible désormais d'avoir, de sa bouche et dans sa voix, des nouvelles de son père, ce grand-père inconnu, plus inconnu que jamais. Sur le faire-part de décès, la photo du fils offre peut-être des indices du visage qui a pu être celui du père. Sans certitude.

Seule certitude, l'épouse du fils Zanda, Graziella Pulina, est toujours en vie. Désormais, elle est la seule à détenir quelques souvenirs du versant sarde de ces vies qui sont aussi, un peu, beaucoup, passionément, ma vie. Une lettre, quelques photographies, un objet, une montre, une pipe, une lampe de mineur, autant de signes palpables qui auraient pu traverser le temps. Que les époux Zanda auraient pu conserver.

Questions : Graziella Pulina connaissait-elle la version de l'accident du petit Francesco Zanda, à l'âge de 3 ans ? Avait-elle eu vent de la façon dont le fait-diversier de L'Est Républicain avait relaté la chose, dans la 7ème édition du Quotidien Lorrain, le 2 novembre 1932 ? Que sait-elle aujourd'hui encore de l'enfance française de celui qui devint son mari, à Sassari, Sardaigne, le 31 août 1958 ? Francesco Zanda Junior a-t-il parfois évoqué le passé de son père ? Passé de mineur sarde à Buggerru et de mineur meusien ou mosellan, à Joudreville ou à Piennes ? Passé d'agitatore ou passé de seduttore ?

Francesco Zanda fils, savait-il que son père avait eu un autre enfant, un an plus tôt, une fille, Juliette, ma mère, née le 2 août 1928, à Bouligny ? Bouligny, Meuse, 4 kilomètres 800 de Piennes, Meurthe et Moselle. Savait-il qu'une première fille était née, d'un premier mariage, en 1921, à Fluminimaggiore, en Sardaigne ? Maria, sa demi-sœur sarde. Morte comme lui, en 2011. Etait-il allé la rencontrer ? Lui parler ?

 

Giuliana Zanda, fille de Vincenzo, frère cadet de Francesco Zanda père, est-elle détentrice d'une partie des réponses entourant ces petits secrets ?

 

Tant et tant de questions. Pour essayer de cerner d'un peu plus près la personnalité de ce grand-père inconnu. Pas la moindre réponse en vue.

 

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
21 juillet 2022 4 21 /07 /juillet /2022 08:57
Nancy. Hôpital Maringer. 11 Sept. 1936. Acte de décès de Francesco Zanda. © DR

Nancy. Hôpital Maringer. 11 Sept. 1936. Acte de décès de Francesco Zanda. © DR

 

Les archives de l'hôpital Maringer de Nancy ont gardé trace de ta mort. Ma mère Juliette, ta fille, ne l'aura jamais su. Morte elle-même avant que cette information nous parvienne. Un ami d'un ami, intéressé par ma quête et mon enquête, a découvert en juillet 2017, dans les archives de l'hôpital Maringer, gardées aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle, ton acte de décès. Acte de décès en bonne et due forme, avec cette dimension à la fois précise et laconique de ce genre de document.

Tu es mort des suites d'un accident au fond de la mine. Le nom de la mine n'est pas mentionné. Je découvre ta date d'entrée à l'hôpital : 4 avril 1935. Suit la date de ta mort : 11 septembre 1936, avec cette précision sinistre, l'heure de ta mort : Dix heures dix.

Sous la rubrique "Genre de maladie", quelqu'un a indiqué : Ostéite Bacillaire, amputation.

 

Un an et cinq mois d'hospitalisation. L'ostéite est une inflammation du tissu osseux, causée par une infection bactérienne. Gangrène sans doute. Amputation. 

Je me demande qui venait te voir durant cette année presque et demie d'hôpital, qui te rendait visite, qui prenait des nouvelles de ta santé. La Direction de la Mine où tu as eu cet accident ? Des copains mineurs ou manoeuvres de fond comme toi ? Des Italiens ? Dix-sept moi d'hôpital, c'est terriblement long. A quel moment les médecins ont-ils pris la décision de te couper la jambe ? On ne sait même pas de quelle jambe il s'agit ? Jambe gauche ou jambe droite ? Précision dérisoire. 

 

La dernière ligne de ton acte de décès est cruelle. En face de la mention " Avis donné à..." est indiqué : "Sans famille en France".

"Sans famille en France", quatre mots qui passent sous silence l'existence de tes deux enfants nés en France, ton fils, François Zanda, né le 13 décembre 1929, et ta fille Juliette, ma mère, né le 2 août 1928. " Sans famille en France", quatre mots qui oublient les deux mères de ces deux enfants. Berthe Leloup et Janne Bourgeois. Berthe Leloup, mère de Juliette, ma mère, qui ne s'appellera jamais Zanda. Jeanne Bourgeois, mère de François Zanda, ton fils, lui, reconnu par toi. 

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
20 juillet 2022 3 20 /07 /juillet /2022 08:57
L'Est Républicain. L'annonce de la mort de Francesco Zanda. 13 septembre 1936. © Jean-Louis Crimon

L'Est Républicain. L'annonce de la mort de Francesco Zanda. 13 septembre 1936. © Jean-Louis Crimon

 

Trois semaines de recherche en ce mois de juin 2017, des enthousiasmes fous, des déceptions identiques, des doutes, de rares certitudes, des idées de renoncement, l'envie de tirer un trait définitif sur ce passé trop longtemps enfoui, la tentation de l'abandon, mais à chaque fois la certitude de devoir aller jusqu'au bout, et puis, cette fois, l'idée lumineuse de passer par la presse locale et régionale.

L'Est Républicain, Dimanche 13 septembre 1936. 7ème édition. Rubrique Etat-Civil... ton nom, ton âge, et ton métier. Une ligne, une seule ligne, pour tirer ta révérence définitive.

 

Décès. François Zanda, 40 ans, mineur, à Bonvillers-Mont. (M.et M.)

 

40 ans en 1936, comme tu es né en 1896, ça colle parfaitement. Mineur, c'est bon, c'est ton métier. Donc c'est toi.

Même si ton prénom a été francisé, c'est bien de toi dont il s'agit. Francesco Zanda, mineur, il n'y en pas légion dans la région. Sûr, c'est ton nom. Donc tu es mort en septembre 1936. Pas en août 1928. Découverte fondamentale. Mieux : fondatrice. Cette fois, je vais vraiment pouvoir écrire l'histoire. Ton histoire.

 

Il me fallait savoir, si oui ou non, le 2 août 1928, il y avait eu un accident mortel à la mine, et si, toi, Francesco Zanda, tu avais été parmi les morts. Or, il n'y a pas eu de morts à la mine de Joudreville, le 2 août 1928, cela je le savais depuis les années 70, quand j'avais fait cette lettre au Directeur de la mine et que sa réponse avait été immédiate et sans ambiguïté, laissant Juliette, ma mère, perplexe. Soudain profondément triste. Nous n'en avons, elle et moi, jamais plus parlé. Près de quatre-vingt dix ans plus tard, la réponse est donnée. Définitivement. Pas gênant. Ma mère est morte depuis trois ans. Sans doute mieux pour elle de ne pas savoir, de n'avoir jamais su.

 
Je relis ma lettre du 1er Juin dernier et je souris devant ce romantisme naïf qui m'anime alors :
 

Au sud du Sud, une île italienne, la Sardaigne. Qu'à cela ne daigne. La Corse est bien une île française. Un village de montagne. Une année : 1896. Un jour et un mois de naissance : 8 mars.

J'ai voulu refaire le chemin qui a dû être le tien. Je suis venu remettre mes pas dans tes pas. Point de départ : le village. Ton village. Ce village qui s'appelle toujours Fluminimaggiore. Littéralement, textuellement, "Flumini majeur". Fluminimaggiore. Tout près de Buggerru, là où il y a la mine. Une mine riche en minerai de plomb et de zinc. Destin tout tracé des enfants des pauvres gens. Paradoxe sublime : du Flumini majeur partaient, à pied, des bataillons de mineurs. Dans le double sens du terme. Aucune autre alternative pour une existence humaine de ce temps-là. Pas de mode majeur. Même en étant né à Fluminimaggiore. Condamné, dès l'enfance, à 7 ou 8 ans, à vivre sa vie en mode mineur.

De ta famille, tu ne nous as pas dit grand chose. Ta vie, très brève, trop brève, ne t'en a pas laissé le temps. Ton passage terrestre t'as juste laissé le temps de laisser deux enfants. Deux filles. Une Sarde. Maria. Une Française. Juliette, ma mère. Que tu abandonnas le jour de sa naissance. Mort le jour-même de sa naissance. Mort le jour où ta fille française est née. Selon la mère de ma mère, ma grand-mère. Berthe Leloup. C'est ma mère qui me l'a dit. C'est ma mère qui m'a dit que c'est ce que sa mère lui avait dit. Une fois pour toutes. Pour ne plus avoir à en parler. Elle devait se faire à l'idée. Elle ne connaîtrait jamais son père. Ne porterait jamais son nom. On ne porte pas le nom d'un mort. Ne s'appellerait jamais Zanda de son vivant. Seulement à sa mort. Ayant, elle-même, pris soin de faire graver, de son vivant, le beau nom de Zanda sur sa tombe. Morte Juliette Crimon sur la petite plaque de cuivre clouée sur son cercueil, mais gravée Juliette Zanda sur sa tombe.

 

Toi, mon grand-père trop longtemps inconnu, agitatore des grèves sardes ou mosellanes, tu n'es pas mort le 2 août 1928, comme la légende familiale le prétendait. Pieux mensonge inventé par Berthe Leloup, ma grand-mère maternelle, pieux mensonge repris et transmis comme vérité première par sa fille, Juliette, ma mère. Légende familiale prise pour argent comptant. Pendant presque 90 ans. Secret de famille bien gardé jusqu'à ce que l'idée stupide me reprenne de vouloir savoir si j'ai vraiment du sang sarde qui me coule dans les veines.

 

Je ne sais plus qui a dit : La lumière ne se fait que sur les tombes.

 

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0
19 juillet 2022 2 19 /07 /juillet /2022 08:57
L'Est Républicain. 2 Novembre 1932. Page 4. © Jean-Louis Crimon

L'Est Républicain. 2 Novembre 1932. Page 4. © Jean-Louis Crimon

 

En fait, grand-père Zanda, tu n'es pas mort le 2 août 1928 puisque tu as eu un fils en 1929. Ton fils. Je viens d'en découvrir l'existence, d'une façon tout à fait fortuite. Un bel article en page 4 de L'Est Républicain, en date du mercredi 2 novembre 1932. La relation d'un fait-divers. Un fait-divers qui, pour une fois, ne fait pas diversion. Bien au contraire. La vérité sort de la bouche des enfants. D'un petit enfant de trois ans qui traverse la rue imprudemment. Un jour de l'année 1932. Un mercredi de début novembre.

 Quatre-vingt cinq ans plus tard, un jour de l'an 2017, par pur hasard, la vérité éclate. Francesco Zanda a eu un fils. Après sa fille Juliette, conçue avec Berthe Leloup. Un fils prénommé François, comme son père, François Zanda. Conçu avec une autre mère, Jeanne Bourgeois. Né en 1929, juste après ta fille, Juliette, née en 1928. Un fils qui devait être un petit gamin très turbulent, sinon très imprudent. Mais lisons d'abord l'article dont François Zanda, garçonnet de 3 ans, est le héros.

 

" Un enfant est renversé par une auto. — La semaine dernière, un automobiliste se dirigeant vers Murvilie, arrivait à proximité des premières cités de Bonviilers, quand il aperçut plusieurs enfants qui jouaient sur le côté droit de la route, sens de la marche, et un troupeau d'oies qui tenait la gauche; quelques mètres plus loin, un deuxième troupeau venait à droite. L'automobiliste, afin de prévenir les enfants de son approche, actionna son appareil avertisseur et prit légèrement sa gauche pour les doubler. Au moment où il passait à la hauteur du groupe formé par les bambins, l'un d'eux, un garçonnet de 3 ans, le petit Zanda François, traversa la chaussée en courant et un deuxième suivit. Ne pouvant passer derrière le premier, par crainte de heurter le second, le conducteur donna un brusque coup de volant à gauche et les deux roues avant de sa voiture allèrent tout doucement dans le fossé; à ce moment, il ressentit un léger choc provenant de la droite du véhicule et s'arrêta aussitôt. Descendant immédiatement, il se porta au secours de l'enfant Zanda, qui avait dû être touché par le marchepied, et le releva; l'enfant fut ensuite emmené au domicile de la personne qui le garde. L'automobiliste fit appeler un docteur et, en attendant son arrivée, l'enfant fut soigné par l'infirmier de la mine de Murvilie. Le petit blessé porte des contusions multiples sur les deux jambes et une large plaie à la tête; le docteur a jugé son état sans gravité, sauf complications. Grâce à la prudence et à l'allure modérée à laquelle roulait l'automobiliste, cet accident n'aura aucune suite fâcheuse; mais il serait utile que les mamans surveillent de plus près leurs enfants, surtout les tout petits."

 

En fait, grand-père Zanda, toi qui as reconnu ton fils, François, et laissé à ta fille, ma mère, le statut d'enfant naturelle, pour ne pas dire -horrible expression - d'enfant "illégitime", de bâtarde, jusqu'à ce qu'un aure Italien, Francesco Filippin, la légitime en épousant Berthe Leloup, toi qui as abandonné ta fille Sarde, Maria, et ne l'a jamais revue, ni sa mère, peut-être que tu n'aimais pas les filles, même si tu adorais les femmes, leurs mères... Surtout leurs mères. Auxquelles tu faisais, une fois par an, le cadeau d'un enfant. Trois femmes, trois mères, une Sarde et deux Françaises. Trois enfants, deux filles et un garçon.

 

Francesco Zanda n'est pas mort le 2 août 1928, comme ma mère l'a cru sa vie entière. Mensonge, pieux mensonge de sa propre mère, Berthe Leloup.

Francesco Zanda avait un fils, appelé François Zanda. Juliette, ma mère, n'a jamais su qu'elle avait un demi-frère. Reconnu, lui, tout à fait officiellement, par son père. Juliette, ma mère, n'eut pas cet honneur-là.

 

La vérité sort parfois de la bouche des enfants. Quand ils traversent la rue imprudemment et qu'ils se retrouvent dans la page des faits-divers. Mémoire de papier journal. Pas banal. Comme aurait dit Juliette, ma mère, qui adorait ponctuer tout évènement ou tout récit de cette façon-là.

 

 

© Jean-Louis Crimon

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de crimonjournaldubouquiniste
  • : Journal d'un bouquiniste curieux de tout, spécialiste en rien, rêveur éternel et cracheur de mots, à la manière des cracheurs de feu !
  • Contact

Recherche

Liens