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9 octobre 2022 7 09 /10 /octobre /2022 08:57
Mon premier diplôme. Le plus beau. Certificat d'études primaires. 7 Juin 1963. © Jean-Louis Crimon

Mon premier diplôme. Le plus beau. Certificat d'études primaires. 7 Juin 1963. © Jean-Louis Crimon

Viré du Petit séminaire à la fin de ma sixième, en juin 1961, pour absence de vocation ecclésiastique et sans doute aussi pour absence de bons résultats, j'ai dû retrouver pour deux années scolaires, l'école primaire de mon village. "Qu'il prépare avec un bon instituteur le Certificat d'études primaires, qu'il l'obtienne s'il le peut, et qu'il apprenne un bon métier manuel", fut le verdict du Père Supérieur en forme de conseil à mes parents, plus désolés que moi de ce premier échec. 

L'Instituteur, Monsieur Claude Hurdequint, nous conduisit, de bon matin, Francisco Quiroga et moi, dans sa propre voiture au Chef-lieu de canton, Villers-Bocage. C'est là que sur une journée entière, nous devions subir les épreuves écrites et orales de cet examen qui signerait la fin de nos études et l'entrée dans le monde du travail. L'époque n'avait alors pas encore inventé l'expression "vie active". Le certif', comme on l'appelait entre nous, devait sanctionner notre parfaite acquisition des connaissances de base : écriture, lecture, calcul mathématique, histoire-géographie et sciences naturelles.

Le certificat en poche se posa dès le lendemain la question de "Qu'est-ce qu'il va faire plus tard ?" L'usine aérospatiale, à une quinzaine de kilomètres de chez nous, me tendait les bras. On y recrutait des tourneurs-fraiseurs. Deux années de CET pour obtenir le CAP, et tu pouvais être embauché, souvent pour la vie entière. Sérieux de la formation et sécurité de l'emploi eurent vite fait de convaincre mes parents, ma mère surtout, mon père, travailleur de plein air, n'étant pas trop enthousiaste à l'idée de voir son fils enfermé à longueur de journée dans l'un des grands hangars de l'usine. Comme ça semblait être mon unique destin, je n'avais aucun avis à donner. A 14 ans, un fils devait faire confiance à ses parents. 

Mon instituteur me sauva la vie une seconde fois, la première étant la bonne préparation pour le succès au certificat d'études primaires. De l'école à chez nous, il n'y avait que la rue à traverser. Pour parler football avec mon père, il la traversa un beau soir. En fait, il tenait surtout à finaliser mon inscription au Lycée Technique et l'orientation CAP de tourneur-fraiseur. Quelques mots aimables échangés sur les prouesses du Stade de Reims, équipe dont mon père était un supporter acharné, même si, lui, mon instituteur, était plutôt admirateur inconditionnel du Racing Club de Lens. Lens à une soixantaine de kilomètres de notre village, plus facile d'accès pour aller voir un match, en vrai, au Stade Bollaert. Très vite, la conversation football céda la place à la question de mon orientation pour la rentrée prochaine. Forcément, mon instituteur était en première ligne pour savoir qu'en plus de mon strabisme, je n'avais qu'un dixième à gauche, autrement dit que je ne voyais rien de l'oeil gauche. Tourneur-fraiseur risquait de faire du borgne un aveugle. Il y avait parfois des copeaux de métal qui sautaient en l'air dans l'atelier, et dans mon cas, un seul copeau dans l'oeil droit, celui qui voit, et leur fils ne verrait plus rien que des ombres, carrément non-voyant, aveugle quoi. Ma mère en trembla d'effroi. Tourneur-fraiseur n'était pas le bon choix pour moi.

Certain de l'efficacité de son argumentation avant même d'entrer chez nous, mon instituteur ne tarda pas à sortir de la poche de son veston la fiche d'inscription pour le Collège, et la classe de quatrième d'accueil, création spéciale et toute récente pour les "attardés" ou les "égarés" du certificat d'études. Deux ans après avoir été renvoyé du Petit séminaire, je réintégrais, grâce à mon instituteur, le Collège d'enseignement général, et j'échappais à l'usine. Le paradoxe m'amusa autant que le clin d'oeil du destin.

Sans avoir fait de cinquième, après un purgatoire de deux années à l'école primaire de mon village, je me retrouvais en classe de quatrième. Je ne me souviens pas avoir voulu en informer les curés et le Père supérieur du Petit séminaire catholique. La rédemption m'était octroyée par l'école laïque.

 

© Jean-Louis Crimon.

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8 octobre 2022 6 08 /10 /octobre /2022 08:57
Contay. Le verger footballisé. Saison 1960/61.  © Juliette Crimon

Contay. Le verger footballisé. Saison 1960/61. © Juliette Crimon

La conduite de balle, sous l'oeil expert de mon père, à gauche, dans le verger footballisé, pied gauche, pied droit, pour une tentative de dribble du mari de ma marraine, beau moment de l'entrainement d'un petit footballeur qui se rêve Fontaine, Just Fontaine, celui qui a marqué 13 buts en une seule Coupe du Monde, record absolu, jamais égalé, jamais battu. Coupe du Monde 1958, celle où tout est possible.

Les arbres du verger, cinq pommiers, deux cerisiers, un noyer, sont des joueurs de complément, souvent un peu trop statiques, mais si on joue bien en mouvement, on peut les voir jouer aussi. Quarante ans plus tard, dans Verlaine avant-centre, le petit footballeur dribblera les mots et les idées, rejouant inlassablement le match de l'enfance.

"Contre-attaque, je dribble le gros noyer, celui qu'on appelle Roger Marche, parce qu'il a de ces tirs à bout portant à vous marquer un but des quarante mètres si vous frappez trop fort en plein tronc, au lieu de faire glisser doucement le ballon sur l'écorce. Le bigarreau joue sur l'aile, près de la rivière. Il est facile à prendre en contre-pied, juste avant la remontée du talus : le terrain est en pente à cet endroit."

...

"Pour effacer les pommiers qui persistent à jouer la ligne, il suffit de les passer en revue et de bien slalomer, balle au pied. Ils ne résistent pas au dribble court, le ballon collé à la chaussure. A chaque fois, après une belle série pied gauche, pied droit, je m'exerce à centrer en douceur pour moi-même, à ras de terre, puis j'accélère, je cours plus vite que la balle qui m'arrive, merveille, juste sur l'intérieur du pied droit, à l'entrée de la surface de réparation. J'enveloppe bien le cuir et croise à mi-hauteur, vers le montant gauche : but ! La frappe est belle. Le cerisier n'a pas bougé. Cette fois encore, je l'emporte facile, cinq à trois. J'ai marqué les huit buts."

"Le bonheur de la victoire est de courte durée. En un instant, mes coéquipiers redeviennent de simples arbres fruitiers, et le grand stade de mes exploits, un verger paisible. Ma mère a toujours les mots qu'il faut pour interrompre mes rêveries d'après-match : Piantoni, t'as fini ? Ton père t'attend pour aller tondre chez Debrie. "

 

© Jean-Louis Crimon

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7 octobre 2022 5 07 /10 /octobre /2022 08:57
Amiens. Eglise Saint-Martin. La Confirmation. Avril 1961. © DR.

Amiens. Eglise Saint-Martin. La Confirmation. Avril 1961. © DR.

 

Souvent tu te dis que tu as eu une vie en noir et blanc. Sur la photo, tu as les mains jointes, tu viens de t'agenouiller, l'Évêque te fait le signe de croix sur le front. L'Abbé Dentin, le Supérieur du Petit séminaire, pose sur toi un regard noir, comme empreint d'un gros reproche. En fait, tu n'y es pour rien, mais l'homme qui pose sa main droite sur ton épaule, n'est pas ton vrai parrain de confirmation. C'est le parrain de l'enfant qui te suit dans le long cortège des aubes blanches. Le trio ecclésiastique lui a fait comprendre qu'il devait suppléer, pour Dieu et pour le photographe, ton parrain défaillant. Ton parrain, le parrain prévu, t'a fait faux bond. Disons qu'il s'est dégonflé. Au dernier moment. Tu te sens trahi, abandonné, lâché par celui en qui tu as placé toute ta confiance. Ton parrain, c'est ton grand-père. Grand-père Edouard, manoeuvre dans le bâtiment.

Pourtant, tout s'était bien déroulé jusque là. La communion solennelle avait été un grand moment de la fin de matinée. La messe chantée en latin une réussite aux dires des prêtres et du Père Supérieur. Le déjeuner qui réunissait tous les communiants et leurs familles avait été parfait. Le menu très commenté. Très apprécié surtout.

Tu ne comprends pas ce qui a pu se passer dans la tête de ton grand-père adoré. Tu te dis que c'est à cause du défilé, dans le choeur de l'Eglise Saint-Martin, de tous ces beaux habits et de ces beaux souliers vernis. Un truc, quand vous êtes pauvre, à vous donner le tournis. Edouard, jusque-là irréprochable, ne se sent soudain pas très à l'aise dans ses habits d'ouvrier. Pour la première fois de sa vie, la seule sans doute, Edouard a honte de ne pas être comme les autres hommes en impeccable costume croisé. Grand-mère Edith a beau lui labourer les côtes de plusieurs coups de coude bien appuyés, rien n'y fait : Edouard est têtu, il ne bouge pas de son banc. 

Tu es seul face à l'autel et à la troïka divine. Tu te dis que ce Dieu "qui voit tout, qui sait tout et qui est partout ", aurait dû prévoir le coup. Ne pas t'imposer cette humiliation de te retrouver seul, sans ton parrain de confirmation. "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné... ", te dis-tu, en pensant au célèbre crucifié.

 

Dans "Rue du Pré aux Chevaux", paru en 2003, tu mets en scène cet incident fondateur, avec tout juste ce qu'il faut d'invention pour que l'autobiographie se métamorphose en roman.

Ce qui devait arriver arriva. Je suis le seul petit séminariste à me présenter sans parrain de confirmation. Entorse scandaleuse au rituel sacré. Je suis le mouton noir au milieu du troupeau d'aubes blanches. Tremblant de toute mon âme, je m'avance quand même - que puis-je faire d'autre ? - vers Monseigneur l'Evêque, assis sur son trône, la main droite posée sur la crosse d'or et d'argent, le regard d'une sévérité terrifiante.

- Et le parrain ? Où est le parrain ?

Mort de honte, j'esquive : "Je ne sais pas. Peut-être qu'il n'a pas pu venir...". Mensonge. Mensonge et nouveau péché. Je suis à nouveau pécheur.

"Placez votre main sur son épaule", lance alors l'Evêque au parrain de l'enfant qui me suit dans la longue file indienne des aubes blanches. J'étais sauvé. Je bénissais le ciel et la lettre C de mon nom de ne pas m'avoir placé en dernière position du cortège des confirmants. Je trouvais géniale l'astuce de Monseigneur l'Evêque, volant à mon secours, dans un réflexe aussi pastoral qu'inespéré."

 

Les mots pour guérir les maux. Tu as compris ça très tôt.

 

© Jean-Louis Crimon

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6 octobre 2022 4 06 /10 /octobre /2022 08:57
Amiens. 3 Octobre 2022. © François Crimon

Amiens. 3 Octobre 2022. © François Crimon

Tu ne pensais pas qu'une vie, ça pouvait passer si vite. A peine le temps de comprendre comment ça aurait pu être un peu mieux, et toi-même un peu meilleur, que déjà, grand horloger Voltairien ou vraiment Dieu, le maître du temps de ta vie s'apprête à siffler la fin de partie.

"Le monde est une horloge et cette horloge a besoin d'un grand horloger", la formule est jolie, mais presque vaincu, tu n'es pas convaincu. Même dans sa version poétique, le point de vue de François-Marie Arouet te laisse sceptique.

"L'univers m'embarasse, et je ne puis songer

Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger".

 

Toi, tu te vois plus modeste et tellement prétentieux. A dix ans, déjà, tu oses affirmer contre tous : Ce n'est pas Dieu qui a créé l'homme, c'est l'homme qui a créé Dieu. La gifle reçue ne t'as pas déçu. L'Abbé, grand prêtre du catéchisme, ne pouvait tolérer pareille offense. Soeur de blasphème.

 

Plus tu grandis en âge, plus tu vieillis, plus ça passe, plus les jours défilent, et plus tu penses qu'il n'y a rien après cette vie-ci. Que c'était une vie, ta vie, au début pas très facile, souvent cruelle, mais belle parfois aussi. 

Ce matin, tu penses aux absents, ces absentés à tout jamais, que tu as connus dans ta vie et tant aimés, de leur vivant. Avant qu'ils ne s'effacent dans le grand néant. Tu as cru longtemps à la force de l'écriture, au pouvoir des mots, à la toute puissance de l'artiste, pour tutoyer une forme d'éternité. Mais tu sais très bien que tes petits romans ne feront pas une ligne dans l'Histoire de la Littérature. Tu t'amuses à penser qu'une ultime phrase serait la phrase ultime.

Incapable d'écrire, il attendit la fin de sa vie pour la relire.

 

© Jean-Louis Crimon

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5 octobre 2022 3 05 /10 /octobre /2022 08:57
Contay. Ma maison de 1950 à 1964. © Jean-Louis Crimon

Contay. Ma maison de 1950 à 1964. © Jean-Louis Crimon

Le mot "harcèlement" n'existe pas encore. Dès que je sors de la petite maison blanche aux murs en torchis pour traverser la rue de Franvillers et aller à l'école, les mots-coups de poing me pleuvent dessus. "Gougnou, Gougnou, Gougnou..." Je ne bronche pas et je m'aligne dans la file en baissant la tête. Que faire d'autre ? C'est d'une cruauté rare et d'une bétise crasse. Une torture quotidienne. A peine si les adultes prennent ma défense. Je ravale mes larmes, je cache ma peine, je planque ma haine, j'endure de semaine en semaine.

Plus tard, beaucoup plus tard, je découvrirai la définition du mot "harcèlement" : violence verbale, physique ou psychologique. Cette violence commence au sein de l'école. Elle est le fait d'un ou de plusieurs élèves qui se choisissent une victime qui ne peut se défendre.

Toutes ces moqueries, ces insultes, ces humiliations, il me faudra les subir jusqu'à mes 20 ans, mes parents, ma mère surtout, excluant toute opération. "Si ça rate, ce sera pire qu'avant !" Ajoutant comme pour bien établir la pertinence de sa décision : Avec des verres fumés, ça atténue bien. C'est suffisant. Un jour, je me lève et je dis : maintenant, ça suffit, trop souffert, trop pleuré, je vais me faire opérer.

Heureusement, la seule qui me comprend, tout au long de ces vingt ans de malheur, c'est ma maison. A 7 ans déjà, je l'aimais notre maison, tendrement. Il n'y avait pas l'eau courante. Pas l'eau chaude. Seulement une pompe dans la cour. Un vieux poêle à charbon. Des murs en torchis et un grenier en terre battue. Un couloir étroit passé la porte d'entrée. La quitter, la quitter pour toujours, et quitter la vallée de l'Hallue pour une autre vallée, la vallée de l'Ancre, fut un véritable arrachement. Une déchirure. Mais je n'ai rien laissé paraître. Rien montré. Rien montré à mon père, rien montré à ma mère, rien montré à ma soeur et rien montré à mon petit frère. Me suis seulement juré, l'année de mes 14 ans, l'année du déménagement, qu'un jour, elle serait à moi pour toujours. Qu'un jour, j'écrirai. Un roman. Un vrai livre. Pour elle. Avec elle. J'écrirai pour que ma maison soit éternellement mienne. Que mon amour pour elle accéde à l'éternité. Qu'elle soit éternelle. De cette belle éternité éphémère des romans. Qui vivent à peine plus longtemps que les hommes qui leur donnent vie.

 

© Jean-Louis Crimon

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4 octobre 2022 2 04 /10 /octobre /2022 08:57
Cannes. Place des Allées, près du Kiosque, après la pluie. 6 Octobre 2014. © Jean-Louis Crimon

Cannes. Place des Allées, près du Kiosque, après la pluie. 6 Octobre 2014. © Jean-Louis Crimon

 

Comme l'eau qui goutte à goutte tombe du toit...

 

Te revient en mémoire, en cette journée de grosse pluie froide sur la ville, ce début de poème raturé en classe de troisième. "Lis tes ratures" était pour toi "Littérature". Ta Prof de Français se prénomme Claire, tu t'en souviens très bien. Elle a pris en affection le cancre que tu es. Sans le savoir, c'est elle qui t'a sauvé la vie. Ta vie d'élève, d'abord, ta vie en cours, et ta vie tout court. Ta vie entière. Comme tu aimerais la retrouver pour le lui dire. Lui dire merci. Où êtes vous donc passée, vous, Claire, la si bien prénommée, qui avez su mettre un peu de lumière dans cette année scolaire si sombre.

En cours, elle prenait un malin plaisir à t'obliger à dire, chaque semaine, devant tes camarades pas vraiment admiratifs, tes dernières trouvailles. D'ailleurs, elle disait tes "compositions". Compositions poétiques. La faute à Dudule, Dufresnoy, ton voisin de salle d'études des internes, qui t'avait piqué un jour - le traître - ton cahier de poèmes pour le glisser dans le cartable de la Prof. Composition Française était ta matière préférée, la seule avec Dessin Artistique où tu manifestais quelques qualités. Ou plutôt, - formule très classe du conseil de classe -, quelques dispositions.

 

Ton "Gouttagouttetombedutoit" avait plu, plu de plaire, non pas de pluie, à la petite Claire - elle n'était pas très grande. De l'estrade - c'était avant mai 68 - elle s'était exclamée, faussement solennelle, mais vraiment convaincue : "allitération en T ". Elle qui désespérait, depuis un bon mois, de nous faire trembler d'effroi devant le fameux "Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes" venait de trouver, dans ta dernière trouvaille, de quoi convaincre la classe entière des bienfaits du style et de l'allitération. Du son dans la chanson. Elle avait pris tous les élèves à témoin :

- Vous voyez l'importance du son dans le sens de ce début de poème très réussi : "Comme l'eau qui goutte à goutte tombe du toit "... Ce "Touc/Touc/Touc" des gouttes d'eau qui tombent, une à une, ou une à deux, ou trois, et qui font ce bruit-là quand elles tombent du toit. On perçoit vraiment la musique de cette goutte d'eau qui tombe et le second vers : "Pleure mon triste coeur" est très annonciateur de cette mélancolie soudaine qui submerge le poète. On a envie d'entendre la suite, on a envie de savoir ce qui va arriver, ce qui va se passer... dans la vie de ce poète soudain si triste.

Tu ne savais plus où te mettre. Derrière qui te cacher. Tu avais honte. Vraiment honte. Honte de fierté. Honteux et fier à la fois. Fier, tu ne l'es plus. Pas de quoi l'être. Tu as perdu ton cahier de poèmes de ton année de troisième et tu n'arrives pas à retrouver la suite de ton début de poème.

 

Comme l'eau qui goutte à goutte tombe du toit,

Pleure mon triste coeur...

 

 

© Jean-Louis Crimon

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3 octobre 2022 1 03 /10 /octobre /2022 08:57
Laure Dufour. Paris. 11, Place St André des Arts. 1894. © Graffe. Artiste Peintre Photographe.

Laure Dufour. Paris. 11, Place St André des Arts. 1894. © Graffe. Artiste Peintre Photographe.

"Faites le portrait d'un personnage pittoresque de votre entourage". Tel était le sujet de la Rédaction que nous avait donné notre professeur de français. Un incroyable beau sujet. Sans hésitation, j'avais choisi notre voisine, celle que tout le village appelait affectueusement : "Ma Tante Laure". Celle qui priait à longueur de journée, égrenant chapelet sur chapelet, alignant les neuvaines comme d'autres les réussites, ces parties de cartes solitaires. La tante Laure était en fait la grand Tante de mon père et la marraine de son père à lui, mon grand-père. Au village, nous étions les seuls à avoir un vrai lien de parenté avec elle. La vie de Tante Laure était exclusivement consacrée à Dieu. La Tante était tout entière prière. Certains, pas très respectueux ni charitables, la disaient même bigote. Vieille bigote. C'est vrai qu'elle était vieille, mais moi, je savais qu'elle avait été jeune. Très jeune et très belle aussi. A moi seul, elle avait montré une très jolie photographie d'elle, prise pour ses 26 ans je crois. Mais c'était dans l'autre siècle, comme elle aimait à dire. Dans la fin des années mille-huit-cents. Maintenant, elle était devenue vieille et consacrait ses journées entières à la prière. Au Dieu auquel elle croyait. Dieu qui donnait un sens à sa vie. Sans doute à sa mort aussi.

Si par hasard une voisine charitable, - souvent ma mère -, lui apportait le soir une bonne soupe aux légumes toute chaude, elle s'exclamait le plus naturellement du monde : Dieu m'a entendue, il a exaucé ma prière ! Ce qui faisait rager ma mère qui ne croyait pas à une telle efficacité légumière des prières de la Tante. Ma mère qui maugréait entre ses dents pour ne pas que la Tante l'entende : "et qui les a épluchés les légumes ? et qui les a fait cuire à feu doux ? et qui l'a passée au moulin à légumes, la soupe aux légumes ? C'est la vierge Marie peut-être ! Avec l'aide de son enfant Jésus ?"

Mon professeur de français, suprême honneur, avait lu quelques paragraphes de mon petit chef-d'oeuvre - c'était ses mots -  à toute la classe éberluée et bouche bée. 

J'aimerais tant la relire aujourd'hui ma Rédaction perdue. Egarée sans doute du côté de Bavelincourt, chez les Valengin, les châtelains du village, que mes parents aimaient bien. Ma mère, pas peu fière d'être, d'une certaine manière, l'héroine première de la rédaction d'un élève de quatrième, son fils, avait dû la donner à lire à Madame Valengin qui aimait beaucoup les livres et la littérature. Mais, oubli de Dame Valengin ou bien nouveau lecteur, ou nouvelle lectrice, d'un autre village de la Vallée de l'Hallue, ma Rédaction n'est jamais revenue. Vallée de l'Hallue devenue Vallée de l'a lue.

C'est à cause de cette Rédaction perdue, du souvenir ému que j'en ai toujours gardé, que j'ai voulu devenir l'ouvrier des mots. Pour retrouver un peu du texte de ma copie double égarée. Pour donner un peu de vie éternelle à ma Tante Laure et à ma mère, à tous ces êtres humains connus et aimés dans l'enfance. Le reste n'a guère d'importance.

 

© Jean-Louis Crimon

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2 octobre 2022 7 02 /10 /octobre /2022 08:57
Amiens. Petit séminaire. 6ème m2. Classe de l'Abbé Guisembert. 1960/61. © Lucien Hacquart.

Amiens. Petit séminaire. 6ème m2. Classe de l'Abbé Guisembert. 1960/61. © Lucien Hacquart.

Cette année-là, je découvre le latin. J'aime bien les mots latins. Pas le latin de la messe en latin, pas le latin des curés, le latin des poètes et des écrivains. Les mots latins contiennent en creux les mots français. L'Abbé Guisembert, notre professeur principal, nous le répète souvent : étudiez bien votre latin, si vous êtes bon en latin, vous serez bon en français. A l'étude du soir, mon voisin, Marcel Monsigny, qui est en cinquième, me parle de sa fascination pour le grec ancien. Que, selon lui, j'étudierai aussi dans un an. Si je fais une bonne année de sixième.

Sa prédiction ne se réalisa jamais. Je fus doublement trahi. Par une psychologue et un prêtre. Après la batterie de tests obligatoires, la psychologue, chargée d'évaluer mon intelligence, avait, sans trembler, et surtout sans me le dire, posé un verdict assassin en face de mon nom : débile léger. C'était sans appel. Collé au mur des fusillés pour l'exemple. Premier accroc dans ma carrière d'apprenti intellectuel. Suivi, très peu de temps après, la semaine de la retraite préparatoire à la communion solennelle, par ma réponse à la question : Pensez-vous avoir la vocation ? Comme mon instituteur et mes parents m'avaient expliqué, avant de partir pour la ville, que le mensonge était la pire des choses, je n'ai pas voulu tricher avec la question du sacerdoce, j'ai répondu NON sans hésiter. Pourtant, sans honte, ni scrupules, une bonne moitié de ma classe de sixième, au courant de la supercherie mortelle, avait sciemment menti en répondant. Eux savaient, moi pas, que le redoublement ou le passage en classe supérieure, était lié à cet engagement à vouloir devenir prêtre.

J'avais dû être le seul de ma classe à répondre NON. En lettres capitales. Trois lettres capitales qui me condamnaient à la peine capitale. C'en était trop pour le Père supérieur : le débile léger se doublait d'un mécréant. Renvoi illico dans son village. C'est le fils du Georges, le jardinier. Les chats ne font pas des chiens. Sera manuel comme son père. Manant fils de manant. Le certificat d'études, s'il peut l'avoir, lui suffira bien. L'agriculture manque de bras. Ce sera son destin tout traçé. 

Bien sûr, je n'ai appris les vraies raisons de mon retour forcé à l'Ecole primaire de mon village que beaucoup plus tard. A 11 ans, j'ai dû vivre la chose presque naturellement, sans trop souffrir des commentaires peu amènes - je n'ose écrire "peu Amen" - des adultes de mon entourage : Peux pas faire de grandes études, le fils du Georges, sera travailleur manuel comme son père !

 

© Jean-Louis Crimon

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1 octobre 2022 6 01 /10 /octobre /2022 08:57
Paris. Mini Festin. Eté 2009. © Marie Ferdinand.

Paris. Mini Festin. Eté 2009. © Marie Ferdinand.

"Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage..." 

Le bel adage. Art poétique. Boileau. Cette fois, me faut m'y remettre à nouveau. Tout reprendre. Tout reprendre depuis le début. Sans jamais oublier "Souvent effacez..." et "Polissez-le sans cesse et le repolissez". Choix cruel, pour ne ne pas dire cornélien. "Polissez-le et le repolissez", le morceau de phrase ou le vers, les mots, à l'endroit, à l'envers, reprendre l'histoire, une simple histoire humaine dans la traversée du temps, d'un temps, tant qu'il est temps. D'un temps qui m'a été donné. Un temps qu'enfant j'ai longtemps cru infini. Un temps fini. Mais d'abord relire Boileau. Bien se le mettre en tête. Avant de plonger dans la dernière ligne droite. Droite, pas si sûr, la beauté des chemins de traverse toujours l'emportera sur l'esthétique rectiligne de l'autoroute. L'écriture sinueuse supérieure à tout jamais.

 

Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage

Polissez-le sans cesse et le repolissez;

Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. 

 

© Jean-Louis Crimon

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30 septembre 2022 5 30 /09 /septembre /2022 08:57
Amiens. La Somme, vue du Pont de la Dodane. 25 Sept. 2019. © Jean-Louis Crimon

Amiens. La Somme, vue du Pont de la Dodane. 25 Sept. 2019. © Jean-Louis Crimon

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