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8 août 2011 1 08 /08 /août /2011 22:35

 

"Moi, depuis que je suis toute petite, les quais, c'est ma balade favorite !" Incroyable, mais vrai, Liliane Gauthier, 75 printemps cet été, est venue à pied de son vingtième natal. "Vous avez vu, Paris au mois d'août, c'est fouy'a personne dans les rues. Y sont tous partis ou quoi ? Notez, moi j'pars pas, mais ça m'gène pas !  si y m'laissent mon Paris pour moi toute seule, ça m'va !"

Quelle pêche, Liliane, et quelle gouaille. J'aime le quai pour ça, les rencontres qu'on y fait, les personnages. Les portraits. Les gueules. Les personnalités. Les tempéraments.

Ce qu'elle aime lire, Liliane ? Simple: tout sur la déportation et tout sur la religion. Ses deux domaines de prédilection. "Notez, je ne vous achéterai rien aujourd'hui, j'ai pas envie. Mais j'reviendrai vous voir. Y m'plait bien vot'magasin !"

 

Et Liliane de poursuivre son récit au pays du temps passé. De me raconter comment, enfant de 9 ans, avec la soeur de sa mère, sa tante, elle venait tous les dimanches, tantôt rive gauche, tantôt rive droite, se balader et rêver déjà "nostalgie". Pour Liliane, le Paris des quais, c'est le vrai Paris. Avec ou sans nostalgie. Jamais sans les bouquinistes des quais de Seine.

 

D'un pas alerte, Liliane s'en va. Cultivant son Paris-sépia. Cherchant sans doute quai de la Tournelle, avec les yeux d'une petite fille de 9 ans, une tante tant aimée qui ne reviendra pas.

 

" A dimanche prochain, monsieur ! Si Dieu le veut ! " 

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 22:35

 

"Chaque fois que je lis une page, je la déchire ! Comme ça, je sais où j'en suis." L'homme qui a prononcé cette phrase devant mes boîtes est un homme extraordinaire. Son prénom: Hacène. Merci Hacène, pour la vérité que tu assènes ! Je n'ose pas lire encore de cette façon, mais au fond, je sais que tu as raison. La vie ne procède pas autrement.

 

C'est vrai, non ? quand t'arrives au lendemain, la page d'hier ne te revient pas sous la main.

Jamais la page vécue ne revient sous nos doigts. Musset, je crois, l'a dit mieux que moi ! Musset ou Lamartine, peut-être.

 

" Le livre de la vie est le livre suprême,

Qu'on ne peut ni fermer ni rouvrir à son choix.

Le passage adoré ne s'y lit pas deux fois;

Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même

On voudrait revenir à la page où l'on aime,

Et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts."

 

Pas mal, non ? Alors, question: Lamartine ou Musset ? Musset ou Lamartine ?

 

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6 août 2011 6 06 /08 /août /2011 22:20

 

Parfois les livres vous arrivent par hasard. Sans vraiment vous dire pourquoi, ils vous tombent dans les mains. Celui-là me plait bien. Je ne l'ai pas choisi. C'est lui, au contraire, qui m'a choisi. Je sens que je vais tout faire pour lui. Sa manière de s'annoncer me plait bien. Le style un peu désuet. La façon un peu dépassée. Vient de paraître, avec le bandeau " Prix de Poésie Populiste 1949", Ponts de Paris, un recueil de textes de Jean-Louis VALLAS. 1949, exactement, précisément,  ma date de naissance. Drôle, non ? Clin d'oeil du destin ? Je m'étonne. Je m'arrache. Je résiste. J'achète. J'accroche. J'adore. Surtout  "Sous le ciel gris". Ecoutez plutôt :

 

"Sous le ciel gris, la Seine est grise,

Mon Paris, l'été te trahit

Et, comme toi, mon âme est prise

Aux lacs d'un perfide souci ! "

 

Qui peut me dire aujourd'hui qui était Jean-Louis Vallas ? Est-il encore en vie aujourd'hui ? Son recueil est un bonheur pur.

La chanson, la rime, les sons, les doutes du mois d'août, appurent. Ritournelle. Quai de la Tournelle. Moi aussi, je poétise dans la lumière grise

 

J'aime aussi, j'aime surtout Petit Pont, page soixante-trois de ce recueil édité par La Butte Paris le 15 avril 1950. Ecoutez encore :

 

"Sur le petit bras

De Seine

Comme un bracelet

De naine

C'est le petit pont.

 

Souvent

J'ai, nonchalant,

Suivi ce quai tranquille

Du temps

Qu'étudiant,

Je rêvais par la ville."

 

Vous aimez, vous n'aimez pas ? Peu importe. Je veux qu'on sache qui était cet homme qui a écrit ça ! Pour moi, c'est important de sortir cet homme-là de l'oubli. Je compte sur vous.

 

 

 

 

 

 

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5 août 2011 5 05 /08 /août /2011 21:45

 

"C'est un peu fouillis chez vous, mais j'aime bien, ça donne envie !"  La remarque me va droit au coeur, en ce début d'après-midi pluvieuse, d'autant que la dame malicieuse qui vient de s'arrêter devant mes boîtes a bien quatre fois vingt ans. Je ne sais pourquoi, mais on pourrait penser qu'à cet âge, on est devenu, de gré ou de force, un peu, beaucoup, maniaque de l'ordre. Me voilà rassuré : il n'en est rien. Le goût pour la poésie du doux désordre n'a pas d'âge.

La dame reprend:" vous savez, moi, j'aime bien fouiller, déplacer, toucher les livres. Chez vous, on se sent bien, à l'aise comme dans un grenier d'une maison d'enfance, où on aurait envie de chercher sans chercher.  Vieux livres, vieux journaux, vieilles photos... Chez vous tout est beau, et puis les plus belles découvertes, les vraies trouvailles, se font souvent comme ça..."

 

Elle sourit et dit :

- Je peux déplacer cette pile ?

- Madame, nous sommes dehors, mais vous êtes chez vous !

- Alors je peux fouiller ? vraiment ? j'adore fouiller, vous savez ...

- Sans retenue aucune, madame ...

 

Heureuse comme une enfant dans le grenier de la maison des grands parents un jour de pluie, elle s'exclame, très joyeuse :

- Et ces vieux Pélerins des années vingt-huit, vingt-neuf, c'est adorable, et ces exemplaires du Voleur , là, dans votre vieille valise... et ce vieux Journal du Dimanche de 1860... je vais vous prendre tout ça ... 

- Allez-y, vous pouvez feuilleter à loisir, et même vous asseoir sur le banc, l'averse est passée, et parcourir les articles qui vous attirent...avant de les acquérir...

 

Avec du sopalin, j'essuie sur le banc les gouttes de pluie que l'averse a déposées en quantité. J'installe mon invitée et nous devisons sur les vertus de la presse écrite du temps passé. Soudain, j'ai l'envie saugrenue de provoquer gentiment ma lectrice de l'après-midi.

 

- Faudrait peut-être que je fasse tout de même un peu de classement...

- Vous n'y pensez pas, ça gâcherait tout...

- Regrouper les auteurs ou les romans ?

- Classer dans l'ordre alphabétique ...

- Ce serait bêta !

- Non, judicieux, pour ceux qui n'ont pas le temps de chercher, les lecteurs pressés ...

- N'en faîtes rien, votre quatrième boîte, celle des Poches est très bien rangée, c'est suffisant. Un peu de désordre, vous savez, croyez-moi, ça attire le chaland.

 

Devant tant de points communs, je souris, et la dame sourit aussi.

- Je prends trois Pélerin et un Voleur, vous me faîtes un prix ?

- Vingt euros les quatre, un prix d'ami !

- Marché conclu !

- Revenez souvent, madame, depuis que vous êtes là, il n'a "plus plu "!

- C'est plaisant... vous me plaisez ...

- Assurément ! et vous, madame, tout autant !

- En tout cas monsieur, votre étal n'est pas la caverne d'Ali Baba, mais je reviendrai volontiers vous voir et surtout ne changez rien, tout est bien. Laissez un minimum de doux désordre, sinon, y'a plus qu'à aller dans une vraie librairie. Où tous les ouvrages sont classés. A mon âge, les classements, c'est lassant.

 

Et la dame s'en est allée, ses vieux journaux dans son cabas. Le ciel est redevenu bas. C'est déjà la lumière du soir. Il ne va pas tarder à repleuvoir.

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4 août 2011 4 04 /08 /août /2011 14:58

 

Après-midi de pluie, larmes que le ciel essuie. Journée grise, vin rosé qui grise. Amertume de traîne-bitume. Notre-Dame du macadam. Quand on fait la manche, c'est pas tous les jours dimanche. Rengaine du tend-la-main. Vivement demain.

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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 18:51

 

"Avu d'el pleuve qu'alle n'in finit point d' tcherre

Pis en' vielle ramonchlée à ch'coin d'sin fu

Qui conte, qui conte, pis qui raconte s'n'histoère

Avu d'z'imaches, pis des mots qu'on n'comprind mie pu"

 

En ce matin de pluie douce sur le jardin, me reviennent ces paroles d'une chanson rêvée et écrite au début des années soixante-dix. Quand les Picards que nous étions, après les Occitans, les Basques ou les Bretons, se voyaient chanter aussi leur langue, même baptisée à tout jamais dialecte. Les mots de ma Tante Laure m'étaient alors revenus d'un coup, d'un seul, leur musique avec. Ces sonorités particulières que les trouvères du Nord ont fait si bien chanter dans la langue d'oïl, aussi belle, quoi qu'on en dise, que la jolie langue d'oc, chantée et enchantée, elle, par les troubadours du Sud. Troubadours et bardes des années soixante-dix portaient noms Claude Marti, Joan-Pau Verdier, Allan Stivell et Gilles Servat, mais les trouvères eurent du mal à se trouver. Le dialecte picard, trop proche du français, ne leur a sans doute pas facilité la tâche. Cela dit, les quelques chansons crées à cette époque semblaient plutôt attachantes. Prometteuses. Mais parfois, la vie ne tient pas ses promesses. Marc Monsigny, Patrick Séchet, Dominique Moisan, Philippe Boulfroy, que sont vos chansons devenues ? Un long jeu ou deux, 33 tours et puis s'en vont.

En français, pour ceux qui n'auraient complétement décrypté, la premère strophe de ma chanson picarde:

 

Avec de la pluie qui n'en finit pas de tomber

Puis une vieille recroquevillée au coin d'son feu

Qui conte, qui conte, et puis qui raconte son histoire

Avec des images et des mots qu'on n'comprend même plus

 

 

Pour celles et ceux qui aimeraient approfondir le sujet, un petit ouvrage vient de me passer dans les mains La Littérature de l'Oise en Langue Picarde, du 12ème siècle à nos jours. Ouvrage publié en 2005 par l'Office Culturel Régional de Picardie. L'auteur, François Beauvy, né à Sarcus, dans l'Oise, a toujours vécu dans le Beauvaisis et a découvert, enfant, Philéas Lebesgue, l'immense poète de La Neuville Vault, en Pays de Bray picard. En moins de 120 pages, François Beauvy retrace le parcours et le contexte des oeuvres d'une vingtaine d'écrivains picards de l'Oise. Il nous fait notamment découvrir Hélinand de Froidmont et Philippe de Remi, sire de Beaumanoir. La date de naissance Philippe de Remi n'est pas précisément connue, mais on sait qu'il est mort en 1265. Philippe de Remi est l'auteur de poèmes divers, de Fatrasies, de Jehan et Blonde et de la Manekine. Hélinand de Froidmont était, lui, l'ami de Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, et d'Henri de Dreux, évêque d'Orléans. On sait de lui que, trouvère devenu, il se produit dans les théâtres, sur les places publiques, dans les écoles et à la cour du roi. Poète connu et admiré,il décide pourtant de tout quitter pour se retirer à l'abbaye cistercienne de Froidmont, à quinze kilomètres à l'est de Beauvais, en lisière de la forêt royale de Hez. Devenu moine, il reste silencieux pendant plusieurs années avant d'écrire Les Vers de la Mort. Long poème, composé de 1194 à 1197, que François Beauvy définit comme "l'oeuvre vigoureuse et exceptionnelle, d'un homme d'environ trente-cinq ans qui a choisi de vivre dans une abbaye cistercienne marquée par la réforme de saint Bernard". Hélinand de Froidmont vivra vieux pour son époque, au-delà de soixante ans, peut-être même jusqu'à presque soixante dix-ans. Il serait mort en 1237.

 

 

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2 août 2011 2 02 /08 /août /2011 15:29

 

Aujourd'hui, ma mère a 83 ans. Je lui ai souhaité de bon matin un "bon anniversaire" par téléphone. Samedi, c'était la Ste Juliette. Ma mère se prénomme Juliette. Je lui avais posté de Paris, jeudi midi, une jolie carte pour la Ste Juliette. Une vue des quais de Seine, avec gros plan sur les boîtes des bouquinistes. Jeudi midi, pour samedi midi, ça me semblait raisonnable. Mais en été, la poste est tellement capricieuse, ou imprévisible, ou pas sérieuse, enfin laborieuse, que la carte de "bonne fête Juliette" est arrivée aujourd'hui, mardi 2 août, juste pour l'anniversaire. Avec trois jours de retard pour la fête.

Du coup, ce matin, ce fut ma fête à moi ! Ma mère m'a dit: " merci, mon fils, pour la jolie carte, mais pourquoi tu me souhaites une bonne fête et pas un bon anniversaire ? Tu as oublié mon anniversaire ! "  Forcément ! Fils indigne ! Logique maternelle implacable.

 

 Bien sûr, j'ai dit " non, maman ! "  et j'ai tenté d'expliquer :

- Une jolie carte pour ta fête, avec un livre de ton auteur préféré, et un coup de fil en direct pour ton anniversaire ! d'ailleurs je t'appelle justement pour te souhaiter un "bon et heureux anniversaire" !

- C'est bien ce que je pense, tu as oublié de me l'écrire sur la carte, donc tu me téléphones pour te rattraper !

 

Pas la peine de discuter plus avant. A 83 ans, ma mère maîtrise toujours parfaitement la dialectique. Si ses articulations la font parfois souffrir, l'articulation des mécanismes de la pensée fait toujours des merveilles et la vivacité d'esprit est intacte. Le sens de la répartie aussi. Simple, avec ma mère, le vieux fils que je suis est toujours un enfant. Un enfant qu'elle adore prendre en faute. Surtout quand il n'y a pas faute. En l'occurence, c'est le retard de la Poste à délivrer une carte de bonne fête à la Maison de Retraite où ma mère réside depuis plus d'un an, qui me vaut de passer pour un fils négligeant. Oublieux de la date d'anniversaire de sa maman.

L' an prochain, sûr, je grouperai les souhaits et les pensées affectueuses dans une seule enveloppe. A défaut de grouper les envois. Ma mère ne pourra piper mot, j'enverrai ça en Colissimo !

 

Ma matinée, que je pensais joyeuse, a viré maussade. Du coup, j'ai  repensé aux années d'enfance. Aux dimanches de la fête des mères. Dans notre famille " modeste", pour ne pas dire "pauvre", je m'en souviens très bien, nous les trois enfants, on se lève tôt ce dimanche de la fin mai. Sans faire de bruit, avec ma soeur et mon frère, on se faufile dans la cuisine. Là, chacun a une tâche bien particulière à exécuter, un rôle écrit sur mesures. Mon petit frère, lui, a la mission d'étaler en douceur le vrai beurre, acheté la veille à la ferme Ternisien, sur de grandes tartines de pain que ma sooeur a découpées avec le grand couteau scie. Ma soeur est aussi chargée de faire chauffer le lait, et de bien le surveiller pour ne pas qu'il se sauve. Moi, comme je suis l'aîné, j'ai la responsabilité de faire le café.

D'abord, il faut moudre les grains avec le vieux moulin à manivelle qui fait toujours trop de bruit. Bien sûr, ça réveille mon père qui ne tarde pas à pousser la porte de la cuisine. A nous voir tous les trois ainsi affairés, il sourit, mon père, et d'un geste très théâtral, se barre la bouche de l'index, en signe de totale complicité: "Chut  ! " Sûr, il ne dira rien.

L'odeur du beurre frais (au diable  la margarine ce jour-là ! ) sur de larges tartines de pain rassis, l'odeur du lait chaud et l'odeur du café tout "neuf" sont, pour toujours, nos trois odeurs préférées à nous les trois enfants.

Quand tout est prêt, l'un de nous donne le signal. En file indienne, du plus petit au plus grand, on prend la direction de la chambre des parents. Le pavé frais du grand couloir fait à nos pieds nus une bizarre sensation de froid. Quand on arrive devant la porte de la chambre, c'est mon petit frère qui frappe les trois coups. Mon père tarde un peu avant de lancer le sésame espéré: "Entrez !"

Bien sûr, maman fait semblant de dormir. On se place alors tous les trois le long de son côté de lit et, en choeur, on, crie d'un bon coeur : Bonne fête maman !

Aussi loin que je m'en souvienne, et pour toujours, la fête des mères à ma mère, c'est trois tartines de pain beurrées et ce grand bol de café au lait... au lit.

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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 21:43

 

- Monsieur, ce livre m'intéresse, mais le prix ne me convient pas.

- Oui, monsieur. Basse Bretagne, André Dupouy, Editions Arthaud, 1952, in-8 broché, 249 pages. Couverture en couleurs signée Mathurin Méheut. Ouvrage orné de 224 héliogravures. Carte dépliante à l'intérieur. Collection "Les Beaux Pays". En très bon état pour un livre bientôt sexagénaire...

 

Moue sceptique de l'homme qui doit bien avoir le même âge que le livre. Une respiration et il se lance dans l'opération de prédilection du lecteur acheteur qui ne veut pas payer le prix affiché:

 

- Il n'est plus dans sa toute première fraîcheur ...

- Monsieur, voyons, c'est un livre d'occasion. Compte-tenu de son âge, je pense qu'il est en très bon état. Certes, le dos légérement frotté, mais c'est la patine ou l'oeuvre du temps...

 

La moue fait sa mue: elle devient grimace. L'homme remet le livre en place. Fait mine de s'éloigner. Grand classique. Puis revient sur ses pas. Prend à nouveau le livre en mains. L'ouvre. Le referme. Inspection générale. Première de couv'. Quatrième de couv'. Pages intérieures ouvertes au hasard, feuilletées délicatement. L'homme approche le livre de son nez. Le respire. Le déplace vers son oreille gauche. Il écoute la musique des pages qu'il fait défiler entre les doigts de sa main droite. Une véritable auscultation. Bientôt le diagnostic...

 

- Il n'est plus dans sa toute première fraîcheur !

 

Il remet ça, le bougre. Il insiste. S'il persiste dans sa basse besogne, il ne va pas l'avoir sa Basse Bretagne. Ou alors, je vais lui faire payer le prix. Un prix... en plus du prix qu'il voudra bien payer..

 

- Monsieur, vous me parleriez de la fraîcheur d'une boisson, de la fraîcheur des soirs d'automne, ou bien de cette fraîcheur qui désigne ce qui est légèrement et même agréablement froid, je comprendrai. Mais, vraiment, reprocher à cet ouvrage qui vient de fêter ses 59 ans, son manque de fraîcheur, ne le prenez pas mal, mais ça me semble indécent. Le texte a gardé toute sa fraîcheur, soyez en sûr. Et regardez la qualité de ces héliogravures, ça n'a pas bougé.

- Oui, mais le prix, lui, peut-être, il peut bouger ...

- 25 euros, c'est trop ?

- Oui, ça ne me convient pas !

- 20 euros, ce serait mieux ?

- Pas vraiment...

- 18 alors ?

- 15 euros !

-  Vous n'y pensez pas ! à ce prix-là, je le garde...

- 15 euros, et vous faites un heureux !

- Je comprends, monsieur. En fait, ce que vous voulez, c'est écraser le prix. Je veux bien faire un geste. Si le livre vous intéresse, au fond, vous méritez de le lire. Allez, prenez-le. Emportez-le. Mais ne dîtes plus ce genre de choses... "Plus dans sa toute première fraîcheur" ! s'il vous a entendu, ça ne doit pas lui plaire au livre que vous voulez faire "votre livre".

- Que voulez-vous dire ?

- Que le livre est vivant, monsieur, comme vous et moi. Qu'il peut se vexer. Se fâcher. Vous jouer des mauvais tours. Pour se venger de l'humilation que vous lui avez infligée...

 

L'acheteur semble perplexe. Il me tend son billet de vingt euros...

 

- Vous voulez vraiment votre monnaie ou on en reste là ?

- On a dit 15 euros...

- Tenez,  5 euros, qui font 20 ... et n'en parlons plus, mais je vous aurai prévenu...

 

L'homme s'en va, sa Basse Bretagne sous le bras. Moi je marmonne "plus dans sa toute première fraîcheur", "plus dans sa toute première fraîcheur" et la phrase TGV me traverse la tête: comment peut-on dire ça d'un livre et ne pas imaginer que le livre pourrait le penser d'un lecteur ?

Plus dans sa toute première fraîcheur.

 

 

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31 juillet 2011 7 31 /07 /juillet /2011 19:57
Vladimir Jankélévitch. Le philosophe musicien. DR.

Vladimir Jankélévitch. Le philosophe musicien. DR.

 

Elle est venue du quai aux Fleurs de la rive droite promener ses 88 ans rive gauche. Elle a poussé jusqu'à la Tournelle. La première fois où on s'est vus,  en mai de l'an dernier, je m'en souviens très bien, elle m'avait parlé de son métier de photographe et du temps de l'argentique, tout en me montrant un petit numérique extra-plat dont elle venait de faire l'acquisition. "La photo, vous savez, c'est une histoire de cadrage. Aujourd'hui, tout le monde fait de la photo, mais les vrais photographes sont rares. La plupart, ils ne savent pas cadrer. Vous, ça se voit, vous avez le sens du cadre !" Et puis Geneviève, -c'est son prénom-  m'avait complimenté pour les nuances de gris, bien mises en évidence sur les tirages que j'expose.

Cette fois-ci, on a évoqué l'un de ses illustres voisins du siècle dernier. Jankélévitch. Vladimir Jankélévitch. Le philosophe. Le musicologue. Le musicien. Le génial inventeur du Je-ne-sais-quoi et  du presque-rien. Notions philosophiques impensables autrement que par lui. L'auteur aussi de L'Aventure, l'Ennui, le Sérieux. Le philosophe du " temps", fasciné par "l'instant", l'instant pris, ou plutôt surpris, sur le fait, entre le "pas encore" et le "jamais plus". Elle se souvient très bien, Geneviève, de l'être humain adorable qu'a été Vladimir Jankélévitch et ses yeux en pétillent encore d'émotion: il m'invitait pour le thé, il jouait du piano, il recevait, en simplicité.

Une autre des grandes passions de Geneviève, c'est Rimbaud. Arthur Rimbaud. Elle me montre une photo de lui dans la mémoire  numérique de son extra-plat. Elle rit et elle dit "il est là, en photo, on s'quitte pas, je l'emmène en vacances avec moi".

Le quai, c'est comme ça. C'est plein de gens étonnants et souvent vraiment "extra-ordinaires". Faut juste avoir la chance de les croiser. Juste savoir aussi les reconnaître. Savoir leur parler. C'est à dire d'abord savoir les écouter.

La dernière phrase de Geneviève avant qu'on se quitte concerne le troisième homme important de sa vie: son père. "Comme disait mon père, le respect s'perd ! Il était marrant, mon père ! "

 

© Jean-Louis Crimon

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30 juillet 2011 6 30 /07 /juillet /2011 21:38

 

Le temps des pluies froides et des averses a tourné la page. Rive droite, on joue à "Paris Plage". Rive gauche, on aimerait bien jouer à "Paris Pages". Mais faut pas rêver, les passants, certes, s'attardent, et dissertent un peu, parfois musardent, mais au fond, s'en vont, faussement lassés, ou pas vraiment lassant, se délasser, en s'effaçant. Le livre, on le touche, on s'en empare, on se dit que c'est un nouveau départ. Un truc à part. Puis, très vite, on le repose. On croit que c'est juste une chose. Un objet sans sujet. Une forme informe. Un texte sans prétexte. Juste des lignes insignes. Une histoire à ne pas croire.

Pourtant, j'ai vendu Les Hauts de Hurle-Vent, Emily Brontë, Payot, Paris 1947, Les livres de Samuel, La Sainte Bible, 1953, Les Editions du Cerf, Le siècle 1, La Chute des géants, Ken Follet, Robert Laffont, 2010, et Amélie Nothomb, Journal d'Hirondelle, et le numéro 634 du Journal du dimanche, 26 novemvre 1863, à une jeune espagnole qui voulait faire un cadeau à un de ses amis, passionné de vieux journaux.

C'est curieux, vraiment,  ce métier bizarre qui consiste à remettre entre des mains, pas forcément expertes, des livres qui couraient en pures pertes. Ce soir, sans doute ils revivent, et le plaisir de la lecture, ils ravivent ... Nous n'irons plus au bois, ... Les lauriers sont coupés... La belle que tu vois... Ira les ramasser... C'est drôle, cet air qui me trotte soudain dans la tête, l'air que jouait tout à l'heure l'homme à l'harmonica. Egoutier à la ville de Paris le jour, et joueur d'harmonica le soir.

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