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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 17:50

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Contay. Septembre 1958 - Amiens. Septembre 1998.                                    Castor Astral 2001.

 

 

Au départ, c'est un souvenir d'enfance. Un simple souvenir d'enfance. Un souvenir d'enfance qui peut tenir en trois lignes. Avec ma petite soeur, de trois ans ma cadette, fin des années cinquante, nous allions l'été, patauger dans l'eau de la rivière qui borde notre jardin pour essayer de capturer des épinoches.

Un souvenir d'enfance devenu - aux dires de nombreux lecteurs, surtout de lectrices d'ailleurs-, les trois plus belles pages de "Verlaine avant-centre".

Avec vous, je veux relire aujourd'hui ces lignes qui éclairent à tout jamais mon existence. Dans cet instant magique, incontestablement, s'est enraciné, sans que j'en ai vraiment conscience, mon dur durable désir d'écrire.

 

" Chaque midi, elle est au rendez-vous. Fidèle, ponctuelle, précise. Dans son fuseau en lamé, elle scintille dans l'eau claire, avec sa grosse épine dorsale dressée. Epinoche, petit poisson magique. Sur le tapis de cailloux blancs qui dansent dans le fond de la rivière, l'épinoche s'amuse à faire du surplace, à contre-courant. ça peut durer dix secondes ou de longues minutes, le temps que l'échappée, capitaine du peloton aquatique, soit rejointe par d'autres épinoches plus petites, plus jeunes. La troupe poursuit alors sa remontée de la rivière, procédant par étapes, comme si, d'instinct, les premières sentaient qu'il faut faire des pauses, en pagayant des nageoires, pour que les attardées recollent au peloton liquide.

"Des heures durant, je contemple au ras de l'eau ce spectacle étrange du ballet silencieux des danseuses en tutu d'écailles. D'or et d'argent sont les petits rats de l'opéra aquatique et je suis maître de ballet. D'une tige d'herbe sauvage ou d'une fine branche, je dessine des ronds dans l'eau. Mes épinoches jouent dans les cercles. Je suis le chef d'orchestre de la mise en ondes, mais mon pouvoir est illusoire. Jamais encore je n'ai réussi à piéger la moindre princesse de l'eau pour en faire, ne serait-ce qu'une heure entière, ma belle prisonnière. L'épinoche est vive, futée, habile. Elle seule sait changer instantanément de trajectoire si un obstacle ou un danger se présente. Impossible à saisir de la main, comme on peut parfois le faire avec une jeune truite qui se chauffe au soleil, près de la berge. Impossible à prendre avec une petite épuisette. Les épinoches s'éparpillent en tous sens, pour mieux échapper aux mailles étroites du filet. Plusieurs étés de suite, je restai systématiquement bredouille. Jusqu'au jour où ma soeur et moi découvrîmes par hasard la clé qui allait nous permettre de réaliser des prises extraordinaires.

"Ce jour-là, nu-pieds, nous étions dans l'eau jusqu'à mi-mollets, à soulever des pierres pour voir si ne s'y cachaient pas ces curieux poissons à têtes plates, gros têtards myopes qui se dissimulent dans la vase et que nous appelions camborgnes ou caborgnes. Chats borgnes sans doute en français. C'est vrai qu'ils avaient un peu des têtes de poisson-chat. D'une main leste, je sortis de l'eau une boîte à conserve métallique que quelqu'un avait dû jeter dans la rivière et qui avait dérivé jusque devant chez nous. Incroyable : la boîte contenait trois épinoches. La chose tenait du miracle. Avec ma petite soeur qui allait avoir six ans, on se dit qu'il devait bien y avoir une raison. Une explication. On se mit à jouer au jeu des pourquoi et des comment. On gambergea, on réfléchit. La boîte n'avait pas dû séjourner très longtemps au fond de l'eau. Elle semblait neuve. Ne comportait aucune trace de rouille. L'intérieur et le fond brillaient comme les parois d'un palais des glaces miniature. Nous tenions notre explication: rassurée par son image qui se reflétait contre la paroi, une première épinoche s'aventura sans crainte jusqu'au fond de la boîte, puis un autre, rassurée par la présence de la première, puis une autre encore. Trois épinoches trompées par le miroir parfait de l'intérieur de la boîte métallique. Le piège était fabuleux. Ma soeur ne voulait pas croire qu'on puisse le reproduire à volonté. Je décidai qu'il fallait tenter l'expérience.

"Le lendemain matin, on se mit en quête des restes métalliques des repas du voisinage. Haricots verts, petits pois, épinards et même cassoulet, firent notre bonheur en boîtes. Avant midi, on décida de disposer dans la rivière, à contre-courant et lestées d'un gros caillou, les boîtes à conserve vides ainsi récupérées. On laissa volontairement passer une nuit, un jour entier et une autre nuit, pour que les épinoches aient le temps de visiter leurs différents appartements et s'habituent à y séjourner. Puis ce fut le grand jour.  

"Dès la première boîte, relevée très vite, par surprise, pour éviter toute tentative de fuite, nous sûmes que le piège était parfait : deux grosses épinoches et cinq petites. Dans les autres boîtes aussi, les prises étaient extraordinaires. Nous décidâmes de relâcher les plus petites pour ne garder que les grosses épinoches dorées et argentées. En guise d'aquarium, notre mère nous octroya un grand bocal vertical, au préalable vidé de son contenu de fruits en conserve. La soirée fut inoubliable: la famille au grand complet en cercle autour du bocal où, inlassablement, glissent et glissent nos belles prisonnières qui brillent dans l'eau qui soudain s'éclaire. Ce soir-là, nous venons d'inventer l'eau-lumière.

"Bonheur de courte durée, hélas ! Après un jour ou deux passés dans le bocal, nos épinoches semblèrent perdre de leur brillance. Comme si, prisonnière, l'épinoche perdait sa lumière. Façon de nous dire : rendez-moi la liberté. Libre, l'épinoche brillerait à nouveau, et pour toujours. Je persuadai ma petite soeur que c'était la seule issue. Pour que l'éclat de nos pierres précieuses vivantes ne se ternisse jamais, nous devions les rendre à l'eau vive. On décida de toutes les relâcher dans la rivière. Le jeu pourrait continuer. Se renouveler. Inlassablement. Davantage que la prise ou la pêche miraculeuse, c'est le jeu qui était magique. C'est le jeu qui comptait. Il fallait pouvoir le répéter, le reproduire à l'infini."

 

Verlaine avant-centre. Jean-Louis Crimon. Le Castor Astral. 2001.                 

 

 

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 20:31

 

Début des années 80. Picardie. Festival International du Film d'Amiens contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples. Festival créé par des cinéphiles proches du MRAP. Soirée d'après projection. On se retrouve au bar. Assis côte à côte. Lui, il parle. Moi, j'écoute. Je bois ses paroles. La magie opère. Avec ce conteur né, le comptoir devient contoir. J'aime sa voix, rugueuse, rocailleuse, comme le pays de rocailles d'où il vient. D'où viennent ses ancêtres. Chabrol écrit avec la voix. Je ne me souviens pas de ce qu'on a bu ce soir là. Une bande magnétique garde quelque part le souvenir précis de notre conversation. Question : où est-elle ? Où est surtout le Nagra, qui pourrait lire les sons de la bande magnétique. A l'heure du son numérique, l'analogique n'a (presque) plus cours.

Envie de relire cet écrivain oublié. Passé de mode. Même pas. Avec Chabrol, c'est commode, on avait le droit de se moquer des modes comme de la mode.

A portée de main, Contes d'Outre-Temps, recueil de textes, d'abord écrits à la voix, chroniques pour la radio. Un rytme. Un ton. Un sens de l'ellipse. Un souffle particulier. Une vraie musique.


Ecoutez plutôt. La Bonne Pluie. Page 33.

 

 Les Parisiens pestent contre la pluie.

- Vous croyez que ça va tomber ce week-end ?

- Bah ! il pleut tout le temps.
Moi, je viens du pays des pluies heureuses. Quand le ciel crève sur lui, mon village lève le nez. Les paysans soupirent d'aise, ils disent, de la pluie: "Elle fait respirer le vallon."

Elle a sa chanson pour le toit, sa chanson pour les feuilles, son vernis pour les couleurs, elle exalte les senteurs, refait une beauté au paysage.

La Pluie, c'était l'Eau -on vivait si près de la terre !- on l'attendait.
Mon grand-père me disait gaiement : "Viens, on va marcher sous la pluie."

On allait, sans se presser, en offrant son visage au ciel.

 

Sans le savoir, deux "Jean-Pierre" m'ont tracé une part du chemin. M'ont ouvert la voie. La voix ? le goût desmots-paroles. Le goût des mots parlés. Jamais eu l'occasion de leur dire. De leur dire comme ça. Simplement. Je le fais ici. Où qu'ils soient, la chose leur sera rapportée.

 

Heureux, vraiment, de les avoir croisés ces deux-là dans ce siècle ancien déjà. Lui, Jean-Pierre Chabrol, et l'autre Jean-Pierre, son copain, Farkas. Chabrol, l'écrivain, le conteur. Farkas, le baroudeur, l'inventeur du "Journal inattendu". Chabrol et Farkas, deux vrais humains comme trop rarement il en passe.

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31 janvier 2012 2 31 /01 /janvier /2012 14:25

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Quai de la Tounelle. 2012.                                                                  © Jean-Louis Crimon    

 

 

Nous sommes tous nés du Manteau de Nicolas. Dit comme ça, je sens que ça ne passe pas. Dans le contexte actuel, même par grands froids, affirmer une chose pareille, c'est vrai, ça ne le fait pas. Pourtant, la phrase, cette phrase, je l'ai souvent entendue. A la radio, dans des émissions de télévision, dans des salons -littéraires- dans des salles de profs. Pas souvent chez le dentiste, ni chez le coiffeur. Pas davantage à l'arrêt de bus. Même si, sous l'abribus, on en entend de toutes les couleurs. Sur tous les tons. L'exaspération populaire ne s'embarasse pas des règles élémentaires d'éducation. Les gens -surtout quand le bus a du retard et qu'il fait très froid- se contrefoutent des bonnes manières. Ils confondent allégrement les idées et celui qui les incarne. On peut ne pas aimer telle ou telle idée, défendue par telle ou telle personne ou personnalité politique, mais de là à enfermer la personne en question dans l'idée qu'elle défend, il y a un pas. Plus d'un pas, même. Mais bon, c'est comme ça. Les noms d'oiseaux circulent vite. Plus vite que les bus aux heures de pointe. J'en entends chaque jour des vertes et des pas mûres. Surtout en période de campagne électorale. Ceux qui incarnent le pouvoir en prennent alors plein la tronche. Je veux dire "pour leur grade". Entendu ces derniers temps, à l'intention de l'actuel locataire de l'Elysée, un chapelet de quolibets et de sobriquets incroyables. Une dame d'un certain âge, pour ne pas dire d'un âge certain, a même lâché, d'une voix qui ne souffrait aucun commentaire, un jugement qui ne supportait aucune nuance. La dame a dit : le Président, c'est un gogol.

Cette fois, j'y suis. J'ai retrouvé la phrase. Nous sommes tous nés du Manteau de Nicolas. Du Manteau de Nicolas Gogol.

La phrase exacte, c'est "Nous sommes tous nés du Manteau de Gogol". Aujourd'hui, je reste au chaud. Je vais relire Le Manteau. Le Manteau et Autres Nouvelles. Nicolas Gogol (1809-1852). Celui qui n'a pas trop goûté La Princesse de Clèves ne m'en voudra pas.

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 15:38

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© Jean-Louis Crimon                                                  Paris. Près du Père Lachaise. Avril 2013.

 

 

Coup de fil étonnant ce matin. Une jolie voix de jeune femme. Déterminée. Une jeune femme qui apparemment connait déjà tout de moi : mon nom, mon âge et mon adresse.  Premiers mots plutôt surprenants :"Je vous appelle pour votre assurance obsèques !"

Moi, cachant mal ma surprise : " Ah bon, vous êtes au courant ?"

Elle : "Parfaitement, monsieur"

Moi : je suis mortel ! Vous aussi d'ailleurs !

Elle : nous sommes tous mortels !

Moi : et alors ?

Elle : et alors, il faut souscrire une assurance obsèques !

Moi : je n'ai même pas d'assurance-vie !

Elle : Pourquoi donc ?

Moi : l'assurance-vie, c'est au cas où l'on meurt et je n'ai pas envie de mourir ...

Elle : personne n'a envie de mourir, monsieur, mais tout le monde finit par mourir...

Moi : c'est une lapalissade !

Elle : vous ne savez pas quand ça va vous arriver...

Moi : encore heureux ! si on savait, on ne pourrait plus vivre !

Elle : si ça vous arrive l'année prochaine ou dans trois mois, vous n'en savez rien ...

Moi : heureusement !

Elle : si vous souscrivez à notre "assurance obsèques", vous aurez un plus ... un capital d'au moins 3000 euros !

Moi : Sans me montrer obséquieux, madame, je vous prierai de cesser de me parler de ma mort prochaine.

Elle : La mort n'arrive pas qu'aux personnes âgées...

Moi : Vous êtes charmante, madame, mais je n'ai pas envie de mourir aujourd'hui. Ni demain d'ailleurs, ni même après-demain...

Elle : La garantie obsèques, c'est pas pour les vivants ... c'est pour vos descendants ... pour vos enfants ! Vous avez des enfants ?

Moi : Oui, deux enfants, madame, mais si je meurs,  ils seront "inconsolables" ...

Elle : inconsolables, sans doute, mais 2000 ou 3000 euros, ça peut les aider ...

Moi : Comme si la  "garantie obsèques", ça pouvait les consoler de ma disparition ...

Elle : nous avons aussi un service d'assistance psychologique qui pourra les accompagner...

Moi : vous ne reculez devant rien !

Elle : nous avons aussi un service qui assure le rapatriement de votre corps si vous mourrez à l'étranger... vous voyagez beaucoup ?

Moi : oui, je suis un vrai globe-trotter...

Elle : Votre cotisation mensuelle sera de 18 euros 30 ...

Moi : Mais, madame, puisque je vous dis que je ne vous ai rien demandé ...

Elle : Vous percevrez, enfin,  vos héritiers percevront, des capitaux qui peuvent aller de 2000 à 10000 euros.

Moi : ce genre de conversation, ça ...  me tue !

Elle : non, pas tout de suite, monsieur, souscrivez d'abord !

Moi : vous êtes une bonne commerciale !

Elle : monsieur, la mort, c'est sérieux...

Moi : C'est "mortel" comme conversation !

Elle : alors, je vous envoie notre offre ! Si vous ne répondez pas d'ici un mois, je considère que vous êtes d'accord sur le montant des prélèvements !

Moi : Non,et non, et trois fois "non" ! C'est de la vente forcée ! Je vous interdis de m'envoyer quoi que ce soit !

Elle : Bon, alors, je vais raccrocher, ça ne vous intéresse vraiment pas ?

Moi : je pense avoir été assez clair !

Elle : c'est dommage ! j'espère que vous ne le regretterez pas ...

Moi : dans l'au-delà ?

Elle : monsieur, on ne plaisante pas avec la "garantie obsèques" !

Moi : souhaitez moi plutôt une belle et longue vie !

 

La jolie voix s'est tue. La jeune femme a raté une vente. J'aurais dû lui souhaiter "bon courage". Ce n'est pas très drôle comme métier d'appeler chez les gens, pour leur demander de l'argent, parce qu'ils vont mourir un jour.

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 20:03

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Paris. 2012.                                                                                               © Jean-Louis Crimon                                                              

 

Ciel bleu. Beau bleu d'hiver. Juste ce qu'il faut de nuages pour casser la monotonie du paysage. Depuis peu, je me surprends à prendre du plaisir à faire des photos de ciels. Moi, le terrien très terre à terre, je commence à lever les yeux vers le ciel que je n'appelle pas les cieux. Moi qui ne crois ni à Dieu ni à Diable, moi qui pense que nous sommes une erreur dans la mécanique céleste, je découvre un bonheur indicible à prendre le ciel pour cible. Plus tard, je laisse dériver mon regard pour boire l'immensité du soir. Avant que la nuit ne l'engloutisse. Et je me redis, - impératif décisif - avant que tout ça ne finisse, vivre chaque jour comme si c'était le dernier, chaque amour comme si c'était le premier.

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28 janvier 2012 6 28 /01 /janvier /2012 09:22

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Paris. Lycée La Fontaine. Mai 2012.                                                          © Jean-Louis Crimon    

 

 

Sur le quai, en général, on ne parle pas "politique". Le bouquiniste, par tempérament, ou à cause des intempéries, parfois -rarement- intempérant, est rebelle à tout, s'affirme contre tout, oui, franchement contre. Dans une même tirade, il vous critique le Maire de Paris, l'actuel, l'ancien aussi d'ailleurs, qui, "s'il revenait aux affaires, ne serait pas meilleur". Critique tout autant l'actuel Président, le gouvernement, l'opposition, l'Etat, la France, l'Europe, et le monde libéral. Dans ses "libéralités", le bouquiniste n'oublie pas les socialistes et les communistes qu'il ne ménage aucunement. Anarchiste, le bouquiniste ? Sans doute, mais de "droite". Anarchiste de droite.

Je caricature à peine. Depuis bientôt deux ans de vie à l'intérieur de cette corporation bizarre, j'en ai entendu de toutes les couleurs -politiques, s'entend. Des vertes et des pas mûres. Des blettes, et des "avariées" qui ne varient pas. Et puis, des franchement "pourries". Stoïque sur ma portion de quai, j'écoute, souvent en silence, l'incroyable litanie des aigreurs et des aigris. Je prends mon mal en patience. Je ne suis que de passage. On est tous de passage. La différence, c'est qu'eux, se croient éternels. Moi, j'ai la conscience aigüe que cela ne dure pas. Pas très longtemps. Je sais que tout passe et que nous passerons. Que valent les certitudes des mortels que nous sommes ? Nos convictions, nos vérités, n'ont rien d'inoxydable. Le temps qui rouille tout, les métaux, les sentiments, les idées, les enthousiasmes, aura raison de nous. Certains d'entre nous rêvent de changer le monde, de "changer la vie", mais le cri de Rimbaud, détourné un temps par les socialistes de François Mitterrand, n'a pas vraiment transformé nos façons d'être ou de gouverner. Désormais, tous les cinq ans, le peuple choisit son "représentant". Son "champion". C'est le temps de la campagne de l'élection Présidentielle. Nous y sommes.

La campagne à la ville, la campagne vue du quai, ça ne manque de piquant. Le bouquiniste peut, s'il le veut, devenir le chroniqueur du bout du quai. L'Editorialiste du coin de la rue. Le billetiste impromptu. Parfois, au vol, on chope des bribes de paroles de passants. On entend des gens qui parlent de "l'hyper Président". Sans savoir comment ça s'écrit vraiment.  Moi, j'ai ma petite idée. Je lis dans les sons. Je sais lire en creux le trop plein. Tout petit déjà, j'avais cette manie de chercher d'autres sens que le sens courant. Avec l'âge, ça s'accentue. J'adore le sens qui tue. Qui destitue. Les exactes paroles de la chanson amère de ceux que le pouvoir exaspère, j'en maîtrise parfaitement  la secrète orthographe. Je lis très bien entre les lignes. Entre les signes. Je décrypte, je décode, j'ai le son filigrane.

En un instant, dans la bouche des gens, parole, "L'hyper Président" est devenu... "L'y perd Président". M'a bien plu ! J'adore -pardonnez-moi- mon côté déco... dant !

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27 janvier 2012 5 27 /01 /janvier /2012 18:55

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© Jean-Louis Crimon                                                                  Quai de la Tournelle. 2011.

 


- Vous, au moins, vous faites partie des courageux !

- Pourquoi donc, monsieur ?

- En début d'après-midi, vous n'étiez pas nombreux...

- Nombreux ?

- A être ouverts...

- Avec la pluie, vous savez, faut comprendre les confrères...

- Oui, mais sans vous, les quais, c'est désert ...

- Nous ne sommes pas des fonctionnaires ...

- On peut toucher ?

- Oui, bien sûr, et même, si ça vous dit... feuilleter...

- C'est gentil ..

- Et même lire un peu, c'est gratuit ...

- C'est agréable, avec vous... Vos voisins, ils plastifient tout, et on ne peut toucher à rien...

- Faut les comprendre, sous cellophane, le livre est beaucoup moins vulnérable...

- Moins vulnérable...

- Au vent, à la poussière, aux "mains sales", à la pluie, que sais-je ? A force, le livre s'use et s'abîme...

- Celui-ci aussi, je peux le toucher ,

- Oui, bien sûr, pourquoi pas ?

- Vous avez vu son titre !

- Oui, c'est un San-Antonio, Fleuve noir, première époque !

- Son titre, j'vous dis ! j'peux le prendre en main ?

- Touchez-le, parcourez-le, humez-le, goûtez-le, caressez-le ...

- Impossible, monsieur le bouquiniste !

- Pourquoi donc, monsieur le perfectionniste !

- Parce que c'est écrit, en grosses lettres, sur la couverture "BAS LES PATTES" !

- Très drôle, monsieur, c'est dix euros, mais je vous le laisse à huit, si ça fait un heureux.

 

L'homme, plutôt fier de lui, a payé le prix. Fier d'être l'auteur d'un bon mot. De saluer ainsi le père de San-Antonio.

 

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26 janvier 2012 4 26 /01 /janvier /2012 15:39

 

Lu dans Le Figaro Littéraire de ce matin la très belle "Lettre à Eric Rohmer" de Carole Desbarats, auteur de "Conte d'été", un livre destiné aux Terminales " L" pour leur faire découvrir l'oeuvre d'exception de ce cinéaste d'exception.

En fait, texte et contexte, cette "Lettre à Eric Rohmer" est une mise au point consécutive à l' "Apostrophe" publiée il y a huit jours par Etienne de Montety à propos de la disparition des accents circonflexes dans l'ouvrage de Carole Desbarats.

La semaine dernière, Etienne de Montety avait écrit : " Le texte de Carole Desbarats frappe par sa qualité d'analyse de l'oeuvre de Rohmer et la disparition de nombreux accents circonflexes. On croit d'abord à des coquilles avant de comprendre: c'est la nouvelle orthographe décrétée par l'Education nationale et qui entre en vigueur." Dit comme ça, on pouvait naturellement penser que l'auteur en question, universitaire ou pas, était en partie co-responsable, sinon coupable de la disparition des accents en question. Même si un avertissement faussement sibyllin annonçait froidement l'assassinat des circonflexes. Par un laconique : "Cet ouvrage est conforme à la nouvelle orthographe". Mise à mort de l'accent circonflexe officilisée chez les Terminales Littéraires !

On comprend d'autant mieux la vigueur, toute pédagogique, de la mise au point de l'auteur concerné qui affirme très clairement: " En clair, cette conformité à l'orthographe nouvelle n'est pas de mon fait. On ne m'a d'ailleurs pas demandé mon avis pour l'appliquer." Incroyable. Méthodes inquiétantes. En quel siècle, en quel pays, vivons-nous ? Sans que le terrain soit totalement circonscrit, j'avoue être pour le moins circonspect devant la mort annoncée du circonflexe.

Ce n'est pas pour mettre un point final au débat, mais vraiment je me demande ce qu'en penserait Théophile Gautier qui écrivait, je ne sais plus où, " Des sourcils circonflexes et dont le poil se rebroussait en virgule". Je n'en appelle pas encore à Bernard Pivot, Académicien Goncourt devenu,  qui s'était ému, il y a près de 20 ans déjà, de la disparition du point-virgule.

En tout cas, Carole Desbarats, merci pour votre "Lettre à Rohmer", même si sa lecture laisse un peu amer. 

Une telle défense du "circonflexe" mérite le respect. On est tenté de dire et d'écrire, en toute hâte, Madame Desbarats, ... Chapeau !

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 19:15

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Mes quatre boîtes, 41 quai de la Tournelle.                                             © Jean-Louis Crimon   

 

 

Les ouvrages consacrés aux bouquinistes ne sont pas aussi nombreux qu'on pourrait le penser. Au Castor Astral, en juillet 2000 - déjà bientôt 12 ans - est paru, préfacé par Guy Béart, le livre de Guy Silva. Titre: "Avec les Bouquinistes des Quais de Paris". Sous-titre: La plus grande Librairie du Monde. Un beau cahier photo d'une trentaine de pages, des entretiens-portraits avec les plus parlants - si l'on peut dire- des bouquinistes de l'époque, constituent l'ossature du travail de Guy Silva.

A la fois carnets d'un flâneur et petite monographie historique bien documentée, le livre de ce journaliste des arts et du spectacle mérite toujours le détour, mieux : le parcours. On y apprend beaucoup et on y gagne, dès le début de la lecture, l'irrésistible envie d'aller faire un tour rive gauche ou rive droite. Ce qui n'est pas le moindre des mérites. De la plongée dans un livre, tu ne sais jamais ce dont tu hérites. Cette fois, le désir de sortir, l'envie d'aller voir, d'y aller vraiment. Le plus beau des encouragements. La plus belle des incitations. La plus irrésistible. Textuellement : celle à laquelle on ne résiste pas.

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 16:38

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© Jean-Louis Crimon                                     Quai de la Tournelle, l'averse est belle.     Mars 2011.

 

 

Pluie froide sur le quai. Les boîtes vertes restent muettes. Déjà, ces derniers jours, sur la portion qui va de Montebello à La Tournelle, mon parcours préféré, nous n'étions pas très nombreux à risquer l'ouverture. A peine cinq ou six. Le mauvais temps n'explique pas tout. Un de mes voisins m'a dit : "Avec les soldes, tu comprends, les gens n'ont plus d'argent pour la littérature !"

J'ai pensé à la citation en exergue du catalogue d'un ami féru de livres anciens: "Quand j'ai un peu d'argent,  j'achète des livres et s'il m'en reste, des vêtements et de la nourriture."

Un café ou un Poche, à qui trouve le nom de l'auteur de la citation ! Un choix de vie vraiment impensable aujourd'hui. Plus dans l'air du temps. Pas même les jours de mauvais temps.

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