7 août 2012
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© Jean-Louis Crimon
Victor Hugo a écrit Choses vues. Pas la partie la plus connue ou la plus appréciée de son oeuvre. Ce qui, au fond, me déçoit et m'attriste. A ma façon, j'essaie d'écrire Choses vues. Sous forme de photos. On a coutume de dire Pas un jour sans une ligne. Depuis que je me suis remis à la photographie, je me dis Pas un jour sans une photo. Une photo. Une vraie photo. Une image qui dit quelque chose. Qui raconte une histoire. Qui pourrait être une chanson. Une nouvelle. Un roman. Une photo qui écrit. Une photo qui s'écrit. Une photo... graphie.
Bien sûr, pas question pour moi de tutoyer le talent de celui qui, à quatorze ans, s'était écrié Je veux être Chateaubriand ou rien. A côté de ce monstre littéraire, je suis définitivement poids plume. Poids plume dont la plume n'a pas de poids. En commun avec le grand Victor, pourtant, le goût des mots d'esprit, des mots de la rue, des coups de coeur ou des coups de gueule. La passion de la chose publique. De la République. Mais, je le sais, tant mieux, tant pis, mes indignations ou mes colères de papier, siècle vain ou vain et un, n'auront que peu d'intérêt pour la postérité. Aussi peu d'intérêt que le peu d'intérêt que leur portent mes contemporains.
Que mes Choses vues à moi restent en marge, comme celles du grand écrivain classique, ne me décourage pas. Mes Choses vues à moi sont, au départ, délibérément, volontairement, en marge. Entre l'essentiel et le dérisoire. Entre le dérisoire et le déroutant. Entre l'essentiel et les sans-ciel. Entre l'importun et l'important. Entre l'utile et le futile. Entre le bruit et le silence. Entre le faible et le fort. Entre le solide et le fragile.
Parfois une idée, comme une vie, du moins on le dit, ça ne tient qu'à... un fil.
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6 août 2012
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© Jean-Louis Crimon
Parfois, il ne se passe rien. Rien d'extraordinaire. Rien d'exceptionnel. La scène est banale. Incroyablement banale. Un homme se roule une cigarette. Il est assis sur son scooter. Le scooter, garé près d'un mur. Entre une fenêtre et une spirale rose. Des barreaux en fer forgé obstruent la fenêtre. Normal: c'est la fenêtre d'une chambre d'Hôtel. C'est écrit au-dessus.
Une spirale rose peinte sur le mur. Spirale nietzschéenne ou escargot en partance. Ce n'est rien. Vraiment rien. Ce n'est pas grand chose. Pas un passant que la scène n'arrête ou n'étonne.
Ce genre de séquence me fascine. Juxtaposition de signes anodins. Là est le vrai quotidien. Là se trouve la beauté simple du quotidien. Agencement imprévisible de signes anodins. Image vraiment extra-ordinaire. Composition de hasard.
Ce qui ne tient pas du hasard, c'est le regard. Le choix du regard. Là est le photographe.
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5 août 2012
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© Jean-Louis Crimon
Le quai, un soir. Dégradé de gris sur Paris. Gris de mistigri. Soudain surgit cette gerbe de couleurs. Une 2 CV Paris Authentic remonte vers Saint-Michel. Une jeune femme, sac Shop Online, marche vers La Tournelle. Pas d'hésitation. Pas de tergiversation. Il me faut cette photo. Juste une question d'angle. De cadrage. D'instant. D'instant décisif. Pas le temps de fignoler. La vitesse de la bagnole ne permet pas qu'on fignole. La marche déterminée de la jeune femme non plus. Faut jouer gagnant. Faut jouer placé.
La photo, c'est le sens du placement. Simplement. Dans l'axe. Pas forcément chez... AXA.
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4 août 2012
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Un ouvrier parisien gagne 14000 euros par an. Un footballeur parisien gagne 14 millions d'euros par an. Combien d'années faudra-t-il à l'ouvrier parisien pour gagner le même salaire annuel que le footballeur parisien ? Combien d'années faudra-t-il à l'ouvrier pour gagner 14 millions d'euros ?
Vous ne savez pas ? Vous séchez ? Simple pourtant. Simple comme une division du niveau Ecole Primaire. Une division qui pourrait être donnée par mon Instituteur des années soixante.
14 000 000 : 14 000 = 1000.
Il faudra 1000 ans à l'ouvrier pour gagner 14 millions d'euros. Dix siècles. Quinze vies. Quinze vies pour gagner ce que Zlatan Ibrahimovitch, footballeur du PSG, lui, va gagner en... une année.
Nous vivons vraiment des temps formidables.
Panem et circenses.
Mille ans. Mille ans. Mille ans... ! Pour égaliser le salaire de l'avant-centre du PSG. Je veux dire pour égaler.
A moins que l'ouvrier ne signe à... Milan !
Mille ans ou... Milan ?
Milan ! Si l'ouvrier parisien est aussi... footballeur !
Egalisation. Balle au centre.
- Oui mais... Milan A C ou Inter ? ou... Kundera ?
- Kundera ?
- Oui, Milan... Kundera !
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3 août 2012
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© Jean-Louis Crimon
DOIT VIVRE. Deux mots d'une affiche pour la défense d'un Quotidien moribond. Affiche placardée sur la grand porte en bois bleu. Le ciel est bleu aussi. Juste à l'entrée du RER, comme s'il prenait l'air, l'homme renaît à la chaleur du soleil d'hiver. Lui et moi, on se connaît. De vue. On se croise. On se toise. On se parle. Un peu. Pas trop. Juste ce qu'il faut. On se sourit. Sans se connaître vraiment. On est devenu des familiers. On se salue dans la rue. Un bonjour, ça mange pas de pain. Pour le pain et, sans être devin, même pour le vin, une pièce, ce n'est pas rien. La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne. Vieille antienne que je tiens des anciens. Chacun doit y mettre du sien. Pour le reste, ne jamais oublier de faire un geste. Le geste. On a chacun, sur sa route, sur son chemin, un plus pauvre, un plus démuni. Lui donner ne nous rend pas plus pauvre. Lui donner nous enrichit.
Lui aussi... DOIT VIVRE. Même si, sublime provocation, le foulard de pirate qui couvre sa tête, exhibe des têtes... de mort.
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2 août 2012
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© Jean-Louis Crimon
Dimanche 1er janvier. Premier jour de l'année. Près de Kunming. Tout au sud. Fin de journée. Une journée printanière. Kunming, Yunnan, la ville du printemps permanent. Rituel annuel, les Chinois sont allés, en famille, admirer cette montagne étrange qui a la forme d'une femme géante, allongée mollement au bord de l'eau. Balade incontournable. La longue et belle déesse est nue. Ses seins tutoient le ciel. La montagne semble se coucher doucement dans l'eau du Lac. Nul ne sait quel géant de terre et de pierres, la créature a poussé au fond de l'eau.
Au bord du Lac Emeraude, je pars en maraude. Comme photographe, je ne suis pas un chasseur. Plutôt un guetteur. Guetteur d'instant. Tout le temps.
Vrais mariés ou simples mariés de pub, ils terminent près du lac leur séance photo. Shengbin et Shanshan, mes deux guides, sont un peu fatigués d'avoir trop marché. Ils cherchent un banc. La batterie de mon petit Nikon est à plat. J'ai trop photographié. Shengbin me propose gentiment son appareil. Je dis non. Je n'ose pas. Un appareil, c'est personnel. Mon ami Chinois voit mon désarroi. Il insiste. Cette fois, je dis oui.
Cette photo, je la lui dois. Sans lui, sans Shengbin, sans son boitier, elle n'existerait pas. Cette photo, elle me fait penser à une photo de Guy Le Querrec. Une mariée à la traîne, et sa traîne que le vent entraîne. Une photo des années 70. Superbe. Prise, je crois, devant un commissariat. Si mon souvenir n'est pas trop flou.
Ma mariée à moi fait face au Lac Emeraude. Le marié s'est éloigné. Les photographes aussi. Il ne se passe rien. Plus rien. Je regrette de ne pas avoir dit oui à Shengbin plus tôt. Beaucoup plus tôt. Dommage.
Soudain, comme en voix off, ce geste adorable de la mariée : du bras gauche, légèreté exquise, elle soulève le bas de sa robe.
J'ai ma photo.
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1 août 2012
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© Jean-Louis Crimon
Il est le premier des professeurs. Elle exerce le dernier des métiers. Quatre mois que mes collègues et mes étudiants me l'affirment en coeur. De bon coeur. Moi, ça me fait mal au coeur. Chengdu, 2000 km au sud-ouest de Pékin. Université Normale du Sichuan. J'y enseigne le français. On m'appelle Laoshi. Professeur. Mais en Chine, je me sens perpétuel étudiant. Je veux comprendre. Comprendre comment on est passé ici de la Révolution Culturelle au pays du capitalisme rouge.
Dans ce campus de 20000 étudiants, dès les premiers jours de l'automne, je me suis pris d'amitié pour les balayeurs. Pris d'amitié aussi pour Confucius.
Le soir, je vais souvent m'asseoir au pied de la grande statue du Grand Maître. Un Grand Maître de dix-huit mètres. Je le salue parfois par la fenêtre du bureau des professeurs. Du quatrième étage. Confucius est le premier des professeurs. La balayeuse exerce le dernier des métiers.
Le pédagogue balaie les idées fausses. Il a un travail énorme. C'est qu'il y en a des idées fausses dans la tête des gens. Des idées fausses aussi dans la tête des étudiants.
Qui balaiera les idées fausses dans la tête de mes étudiants ? J'ai eu beau leur dire que mon père était jardinier. Que lorsque j'ai eu l'âge de travailler, il m'a dit, en riant : du balai !
M'a dit aussi, très sérieusement, qu'avant de critiquer les idées fausses des voisins, fallait d'abord balayer devant sa porte.
La balayeuse dessine des mots et des idées que le grand Sage ne sait peut-être pas déchiffrer. Des idées légères. Des idées qui ne pèsent pas lourd. Des idées au gramme.
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31 juillet 2012
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© Jean-Louis Crimon
Le hasard encore. Le hasard toujours. Le bol. La chance. Le bol d'être là. Au bon moment. Bol d'être là pour la bulle. Plateau Beaubourg. Février de cette année. Un homme se fait des ronds en faisant des bulles. Se fait des euros en faisant des heureux. Deux enfants s'arrêtent et s'attardent. Sous le regard complice des parents. Clin d'oeil. Des bulles de l'enfance, ne jamais faire le deuil. Curieux culte. Exulte la joie de l'adulte. Miracle païen du quotidien. Tout se fige. La place, les gens, les passantes, les passants.
Retour en enfance. Destin de bulle. Bulle et muet conciliabule. Du destin de bulle de savon, rien ne savons. Souvent bulle ne vit guère sa vie de bulle. A peine née, elle explose et s'efface. Très vite, une autre la remplace. Une autre qui veut vivre à sa place. Une seule veut vivre davantage. Davantage que cette unique magique seconde. Fière de voir tout ce beau monde. Eternité de l'instant. Les deux enfants semblent fascinés. Tout s'arrête. Même le sourire se fige. A la bulle, le silence fait la pige.
Deux visages, ravis, pris, surpris, dans une bulle. Une bulle heureuse d'être en vie.
Une vie de rêve.
D'autant qu'on la sent si brève.
Sourire aussi du faiseur de rêve.
Toujours, c'est l'enfance que l'adulte envie.
A n'en pas douter, la vraie naissance de l'expression... coincer la bulle.
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30 juillet 2012
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© Jean-Louis Crimon
Insolite toujours. L'instant d'avant, il n'y a rien. Ce n'est rien. Juste une boutique fermée. Un panneau sens interdit. Des travaux devant la boutique. De curieuses planches jaunâtres. Posées sur la terre de la tranchée tout juste rebouchée. Pour éviter aux passants de mettre les pieds dans la boue les jours de pluie. Juxtaposition d'éléments disparates. Paysage urbain. Banal. Eléments de barrière en panneaux verts et ardoise. Porte cochère fermée. Rideau métallique fermé. Fenêtres fermées. Sens interdit. Avenir bouché. Comme le ciel. Les planches font un curieux clavier de bois. Clavier muet. Note tout en silence. Note qui dénote. Paroles absentes. Paroles sans musique.
Un homme aux cheveux longs traverse soudain le passage. Pantalon gris et blouson de cuir. Il est le personnage qui faisait défaut. L'élément humain qu'il me faut. Sans trop attendre. Faut tôt. Photo. Tout se met en place. C'est Mozart qui passe. Ou Vivaldi. Le jeune homme devient musicien italien. Cet endroit du quai de la Tournelle, un coin d'Italie. La petite boutique mérite sa musique. Avanti la musica. La photo chante. La photo m'enchante. Il y a de la chanson dans l'air.
Le tout s'est joué en moins de trente secondes. La photo, c'est souvent un cadeau. Le photographe, un musicien. Musicien de la lumière. Des sons et des couleurs. Sans en avoir l'air. Faut juste que ça sonne juste.
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29 juillet 2012
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© Jean-Louis Crimon
La mise en boîte est parfois mise en scène. Formes, couleurs, formats. Il faut jouer sur tout ça. Livres, journaux, photos. Affiches. Il en faut, mais point trop. Mise en scène et mise en page. Le bouquiniste se livre. Donne de sa personne. Faut que ce soit agréable à regarder. Joli pour l'oeil. D'abord pour l'oeil. Alors, si vraiment l'oeil s'attarde, le passant s'arrête. Le passant, ou la passante. S'arrête. Feuillette. Parfois achète.
Rarement en ce moment. Trop de touristes sur le quai. Le touriste préfère la bimbeloterie TourEiffelesque. Le touriste craint le poids des livres. Un bibelot, une mini Tour Eiffel, ça ne prend pas de place. Ce n'est pas très lourd. Un livre ou deux, ou trois, et RyanAir fait payer très cher le surpoids. Parole de Suédois. Le bagage à main ? On verra demain. Parole d'Italien.
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