Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 juin 2012 2 26 /06 /juin /2012 17:23

 

Parlez-moi d'amour n'est pas le premier livre de Carver que j'ai eu entre les mains. Mon premier Carver, ce fut Les Vitamines du bonheur. Embarquement immédiat. Un ton. Un style. Un style absence de style. Une manière de dire. Une façon d'écrire. Carver for ever. Ecriture au couteau. Sans fioriture. Véritable écriture. Nature. Ecriture à vif. Dans le vif. Impulsif. Offensif. Décisif. Au couteau et parfois au... canif. Histoires d'amour en impasse, vie à deux qui passe, et qui trépasse, because un des deux qui se casse. Le minuscule ennui qui lasse, couples en déglingue, vraies ou fausses bringues, familles à toute berzingue, familles en chamaille, pères et fils en quête d'improbables retrouvailles. Carver et son univers en morceaux. Morceaux d'histoires pour autant de morceaux de vies. De vies en morceaux. Histoires éclatées pour mieux dire ou maudire ces vies éclatées. Mais jamais médire. Eclats de vies. Eclats de voix, parfois.

 

Il y aura bientôt deux ans, en septembre 2010, la parution, aux éditions de l'Olivier, du texte original des premières nouvelles de Raymond Carver, fut une vraie découverte. Ce manuscrit original, originel, révèle le premier visage de l'écriture de l'auteur culte. Trop vite et trop longtemps enfermé dans le costard du nouvelliste minimaliste. En fait, l'inventeur du "style Carver" n'est pas Carver, mais Lish, son éditeur. Gordon Lish qui, de fait, aurait mérité le patronyme de Polish. Car il l'a bien, lissé, le texte original, lissé et "polissé", avant d'en faire cette phrase faussement banale. Minimale. Ce rien qui touche à l'essentiel. Cette apparence de rien qui nous dit si bien.

Dans l'histoire de Carver, s'il y a Gordon Lish aux Etats-Unis, il y a Olivier Cohen en France.  Il y a la passion d'un éditeur français pour le nouvelliste américain. Olivier Cohen, le patron, le créateur des éditions de l'Olivier, a bien connu Carver. Est même allé chez lui aux Etats-Unis. A pêché le saumon avec lui. A été le premier à le publier en France. Les Vitamines du bonheur, chez Mazarine, c'est déjà Olivier Cohen.

En 2010, Olivier Cohen a l'excelllente idée de publier, en même temps, les deux versions du premier livre de Carver. Version de l'éditeur, la première, la seule connue, et version, totalement inconnue en France, de... l'auteur. Carver. Raymond Carver. Car, aussi surprenant que celà puisse paraître, Carver n'est pas l'auteur du premier Carver. L'inventeur du "style Carver", c'est Lish, l'éditeur de Carver. N'en déplaise aux premiers fans de Carver, les fidèles du "pape du minimalisme", les admirateurs du Tchekhov américain.

Débutants, c'est la version intégrale de Parlez-moi d'amour (What We Talk About when We Talk About Love), recueil de nouvelles qui a rendu Carver mondialement célèbre. Paru en 1981, aux Etats-Unis, et cinq ans plus tard en France, ce premier Parlez-moi d'amour  est en fait davantage l'oeuvre de Gordon Lish, l'éditeur, que de Raymond Carver, l'auteur. Lish n'a d'ailleurs jamais nié avoir fortement remanié le manuscrit, mais il affirmait que "c'était pour mieux affuter la voix originale de Carver."

Fin 2007, la veuve de Carver, Tess Gallagher, décide de publier le texte original du premier livre de Raymond Carver sous le titre choisi par ce dernier, Beginners. La nouvelle qui donne son titre au livre fut d'abord publiée dans le magazine The New Yorker, avant que le recueil ne paraisse aux Etats-Unis. Un article du New Yorker montre d'ailleurs l'étendue des coupes effectuées par Lish.

Selon les nouvelles, Gordon Lish a coupé 50 à 75 % du texte original. Il a changé les noms des personnages. Modifié la fin des histoires. Selon la formule d'Olivier Cohen "a supprimé tout ce qui ressemblait à une émotion". Gordon Lish, éditeur très imbu de sa personne, à ce qui se dit, surtout très fier d'affirmer, à qui voulait l'entendre, qu'il exerçait un incroyable ascendant sur les écrivains et les critiques, Gordon Lish qui se faisait appeler Captain Fiction.


Cet après-midi, sur le quai, je relis Carver. Raymond Carver. Je pense à lui. A tout jamais parti. A tout jamais parti pour l'infini. L'infini de l'infiniment si grand. Nous les passants de l'infiniment petit. Je me demande où s'en vont ceux qui s'en vont. Où sont ceux qui sont déjà partis. Je me dis aussi qu'ils sont toujours ici quand on les lit. De bon coeur, je pense à Carver.

Carver, croisé, un jour, dans ma vie, à Saint-Quentin... Non, pas Saint-Quentin, aux Etats-Unis. A Saint-Quentin, en France. Non, pas Saint-Quentin-en-Yvelines. A Saint-Quentin, en Picardie. Carver croisé à la fin des années quatre-vingt. Printemps 87, je crois. Je m'en souviens très bien. Carver était très fatigué. Il le disait. Sans savoir pourquoi. Il ne savait pas encore que le crabe qui le mangeait de l'intérieur lui laisserait tout juste une petite année à vivre.    

Partager cet article
Repost0

commentaires