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9 mai 2011 1 09 /05 /mai /2011 19:02

 

 

"Moi, vous savez, monsieur, c'est pas que je regrette le franc, mais tout de même, avec cent francs, on pouvait en faire des choses. Aujourd'hui, avec vingt euros, on ne va pas très loin !" L'homme me regarde avec cet air incrédule, consterné et désespéré à la fois. Il insiste: " Avec un billet de cent francs, on pouvait sortir, aller au restaurant, s'amuser, et il nous restait même encore un peu de monnaie. Vous savez aujourd'hui, à Paris, les gens n'arrivent plus à joindre les deux bouts, tout est hors de prix. Le logement, la nourriture, les transports, et l'électricité qui va augmenter de 30 ou 40 %. Vous les voyez nos salaires, croyez-vous qu'ils vont augmenter de 30 ou 40%, nos salaires ?" L'homme repose le livre. Dix euros, c'est trop cher. Je vous le prendrai une autre fois. Moi: allez, prenez-le quand même. Lui: puisque je vous dis que c'est trop cher. Moi: puisque je vous dis que vous pouvez le prendre: je vous l'offre. L'homme: vous feriez ça ? Moi: oui, un homme qui veut lire ne doit pas être empêché. Le livre vous plaît, prenez-le, vous me le rapporterez quand vous l'aurez lu. L'homme: et s'il me plaît vraiment, je vous le paierai à ce moment là ! Parfait. Titre de l'ouvrage prêté: L'Ame Grecque, pages de la Littérature Antique de Chevalier Badit. (Jean Marguerat Editeur, Lausanne. 1941.

 

Monsieur, je recherche un ouvrage introuvable. Il n'y a rien d'introuvable, madame. Tout se trouve, parfois sans chercher. Par hasard ou par chance. Et puis ne dit-on pas: qui cherche, trouve ? Avez-vous au moins en tête le titre précis ?  Oui, c'est Le pétrole et l'Algérie  !  L'auteur ?  Maurice Mainguy. Pourquoi recherchez-vous cet ouvrage précisément ? C'est mon père qui l'a écrit. Quand nous étions tout petits. Publié sans doute dans les années d'après-guerre. Dernières années quarante ou début des années cinquante. Je note, madame. Je ne vous promets rien, mais je vais tout faire pour vous aider à retrouver un exemplaire du livre de votre père. La dame a souri. Visiblement heureuse. Face à sa demande, mon attitude lui a plu. Du coup elle m'a acheté, pour trois euros, Le Roi Lépreux, de Pierre Benoit. Etre à l'écoute, renseigner quelqu'un, ou s'engager à l'aider dans sa quête, c'est sans aucun doute gagner un client et parfois même un ami. Sur le quai, il faut être disponible, accueillant, ouvert et surtout sans a priori.

Le bouquiniste a ce rôle rare et précieux de conseil et d'aide, quand on se met en tête de trouver un livre introuvable.

 

Plus tard, dans l'après-midi, Nine stories, de JD Salinger ( A Bantam Book, Printed in the United States of America) a trouvé preneur à trois euros. Samarcande d'Amin Maalouf, en Poche, est parti dans les mêmes conditions. Une jeune et jolie femme a acheté, pour six euros et pour l'offrir à son frère, un petit ouvrage fort bien illustré Paris, des origines à nos jours, ouvrage de Jean Colson, publié aux Editions Hervas, en 2001. Bon achat et cliente charmante. Vol de nuit de Saint-Ex, en Folio, a trouvé aussi son lecteur. Pilote de guerre, également, dans la demi-heure qui a suivi. Enfin, juste au moment de la fermuture -c'est souvent comme ça- j'ai réalisé ma plus grosse vente de l'après-midi. Un siècle d'humour français, bel ouvrage, très bien documenté et illustré, au départ à trente euros, s'en est allé faire le bonheur d'une lectrice qui travaille dans la banque, pour ... vingt euros.

 

- Vous n'avez rien sur Grace Kelly ?

- Madame, si vous demandez comme ça... le bouquiniste risque de vous répondre par la négative...

- Que voulez-vous dire, monsieur ?

- Dîtes-moi plutôt: avez-vous quelque chose sur Grace Kelly ?

- Si vous y tenez, monsieur: avez-vous quelque chose sur Grace Kelly ?

- Non, madame, pas en ce moment !

Et la dame de rétorquer, visiblement très satisfaite de ma réponse: voyez que j'avais raison, et d'insister: vous n'avez rien sur Grace Kelly !

- Je vous rends "grâce", madame !

- Parce que je collectionne tout sur elle, vous savez, et depuis des années... 

- Grace... qu'elle lit ?

- Bien sûr, monsieur,  qu'elle lit, la dame. Et pas que des livres sur des Princesses.

 

 

Dans le RER C du retour, une famille allemande s'installe face à moi. La longue jeune fille blonde aux yeux d'un bleu incroyable, entre mauve et turquoise, a un Poche entre les mains. L'auteur: Henning Mankell. Le titre: Les chaussures italiennes. La jeune allemande lit Les chaussures italiennes en français. L'Europe est en marche. Même si l'euro pose des problèmes à de nombreux européens, citoyens ou Etats. L'Europe de la culture. La libre circulation des poètes et des philosophes, voilà ce qui est important. On aurait dû commencer par là. La libre circulation des idées, oui ! La libre circulation des capitaux, non. Mais c'est une autre histoire. Hegel n'a-t-il pas planté un arbre de la liberté, pour saluer la Révolution Française ?

Mais qui le sait encore aujourd'hui ?

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