C'était au lendemain du pow-wow. Le pow-wow, pour les Amérindiens, c'est le rassemblement des descendants des Premières Nations. Une vraie fête avec des danses et des chants. A vivre intensément. Jusqu'à très tard dans la nuit. Cette nuit-là, Winston Wuttunee avait chanté dans sa langue d'Indien Cree de Saskatchewan les plus belles chansons que la Terre ait jamais portées. Une beauté rare, une voix venue de si loin et soudain un être dont on se sent si proche. Lui, Indien Cree, et moi, sans l'avoir jamais su, Indien Cri à demi. Puisque Cri/mon. D'autant que Cree se prononce Cri. C'est Winston Wuttunee qui me l'a dit.
"Chaque noeud de mes cheveux que je tresse, c'est une prière pour mes ancêtres". Il joint le geste à la parole et déroule une pensée claire dans les sous-bois de l'existence. "J'ai été béni par les Anciens pour guérir les blessures. Mes chansons et ma musique ont le pouvoir de guérir les gens qui souffrent." Sa chanson "I cried", c'est pour un ami qui avait tenté de mettre fin à ses jours. Sa ballade "Mon fils", c'est pour encourager les enfants à devenir des Crazy Horse et des Louis Riel.
Peuple de la grande forêt boréale, des lacs et des rivières, les Cree ont, au départ, un vaste territoire qui s'étend sur la plus grande partie du Canada, de la rivière Ottawa au Québec jusqu'à la rivière Saskatchewan et la Baie d'Hudson, au nord de l'Alberta, couvrant les provinces de Québec, de l'Ontario, de l'Alberta, du Manitoba et du Saskatchewan. Vivant sous un climat trop rigoureux pour pratiquer l'agriculture, les Cree dépendent totalement de la pêche, de la cueillette de végétaux sauvages et surtout de la chasse à l'élan, au caribou, et au gibier d'eau. Ils pratiquent également le piégeage des animaux à fourrure pour leur propre usage ou pour le troc. Ils vivent du commerce de la fourrure. Le développement vers l'ouest des chemins de fer amènera, à partir de 1880, de nombreux colons sur leurs territoires. En 1885, les Cree participeront à la révolte des Métis de Louis Riel.
Dès le XVII ème siècle, les Cree sont en relation avec les Français pour le commerce de la fourrure, en particulier le commerce des peaux de castor. Beaucoup de trappeurs français, "coureurs des bois", s'unissent à des femmes Cree. De ces unions naitront de enfants métis. Des Métis qui, au XIX ème siècle, tenteront de se constituer en société distincte.
L'unité de base de la société Cree était la petite bande de chasseurs liés par la parenté, vivant sous des wigwams coniques recouverts d'écorce et de peaux, faciles à construire. Les Cree utilisent l'écorce de bouleau pour la fabrication de récipients et pour recouvrir les légers canoës qui leur permettent de se déplacer facilement sur les lacs et les rivières de leur immense pays. Les raquettes à neige permettent aux chasseurs de se déplacer facilement durant le long hiver, quand le gel des cours d'eau interdisait l'usage du canoë.
Aujourd'hui, les Cree canadiens ont plusieurs petites réserves dispersées en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et au Québec. Dès les années 1970, les Cree du Québec ont lutté contre la construction des immenses barrages que la société Hydro-Québec a implanté le long de la Baie James, causant l'inondation de leurs territoires ancestraux. Au nord de l'Alberta, près du Lac Lubicon, la communauté Cree de Peace River est victime, depuis la fin des années 1970, de forages pétroliers et d'implantation d'usines de pâte à papier. Au mépris de la dimension sacrée de la terre des ancêtres. L'indifférence au cri des Cree laisse sans voix.
Je me souviens de la célèbre formule du Chef des indiens Hurons, Oné Onti, dit Max Gros-Louis, rencontré à Loretteville : "Au début, ils avaient la croix et on avait les terres. Aujourd'hui, ils ont les terres et on la croix." 1534-1984, 450 ème anniversaire de ce que faute de mieux on appelle "la découverte du Canada par Jacques Cartier". En fait 450 ème anniversaire de la grande dépossession.
Depuis cette année 1984 et le temps fabuleux des pow-wow, quand j'entends le mot "Amérindiens", j'ai dans l'oreille, en creux, "Amers Indiens". Je me demande bien ce qu'en penserait aujourd'hui mon ami Winston Wuttunee.
© Jean-Louis Crimon