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27 août 2021 5 27 /08 /août /2021 08:57
L'Ultima Estate in Città. Gianfranco Calligarich. 1973. Le Dernier Eté en ville. Gallimard. 2021.
L'Ultima Estate in Città. Gianfranco Calligarich. 1973. Le Dernier Eté en ville. Gallimard. 2021.

L'Ultima Estate in Città. Gianfranco Calligarich. 1973. Le Dernier Eté en ville. Gallimard. 2021.

Curieux destin que celui du premier roman de Gianfranco Calligarich. Plus de quarante ans de purgatoire. Passé inaperçu ou presque à sa sortie, début des années 70. "L'Ultima Estate in Città" ne rencontre, en 1973, que ce qu'il est convenu d'appeler un succès d'estime. Façon délicate de dire que le roman n'a guère de succès. 50 ans plus tard, miracle et résurrection absolue. Après une seconde parution en Italie, en 2010, qui le rend à nouveau vivant, le roman renaissant est aujourd'hui déclaré : " roman culte".

 

Pigiste occasionnel sans motivation réelle, apprenti chroniqueur pour des revues médicales, dilettante social que Rastignac n'a jamais fasciné, doux rêveur qui se fout de la gnaque du winner, passant discret dans une société où il met un point d'honneur à laisser à d'autres les places à prendre, amoureux sans conviction, séducteur intermittent, Leo Gazzarra est un anti-héros subtil. Loser magnifique qui préfère l'ombre à la lumière des artifices de la prétendue bonne société.

Parfaitement aux antipodes de ces ambitieux qui regarde le haut de la bonne société avec des yeux envieux, prêts à tout pour réussir, Leo Gazzarra, lui, confusément, pressent déjà que sa destinée, c'est de tout faire pour échouer. Mais avec talent et un rien d'ironie. Même en amour, ou à ce qui pourrait y ressembler, il ne ne joue pas vraiment le jeu. Quant aux bons plans de boulot que ses amis pourraient lui dégoter, il est déjà du côté de celui qui passe à côté.

 

"Mes amis avaient des idées très précises, obtenir un diplôme, se marier et gagner de l'argent, mais cette perspective me répugnait." ( Page 13.)

 

"Noël était dans deux jours, tout devait déjà être organisé pour le déjeuner avec leurs filles, les maris et les enfants de leurs filles. Que des gens comme il faut. Où était ma place là-dedans ? Je sentais déjà les regards silencieux de mon père, j'entendais déjà les questions de ma mère, les commentaires de mes soeurs du haut du petit monticule de respectabilité bien ordonnée où elles avaient fait leur nid." (Page 188.)

 

Gianfranco Calligarich a aujourd'hui 74 ans et se prête de bonne grâce au jeu des interviewes. Sans aigreur ni amertume particulière. S'amusant presque de cette histoire d'amour à rebours. Son roman, d'abord mal aimé, ou pas aimé du tout, suscitant soudain des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, bientôt des millions de coups de foudre. Livre culte. Roman culte. De quoi en avoir "plein le culte". Poli et pas forcément francophile, Gianfranco Calligarich n'osa pas la réplique limite vulgaire qui vient de m'échapper.

 

Cela dit, ou écrit, ce roman est un vrai bonheur de lecture et pour qui connait piazza Navona ou piazza del Popolo, le château Saint-Ange, le Campo dei Fiori, ou la plage d'Ostie, de très agréables déambulations au coeur de Rome, déambulations souvent nocturnes et non moins souvent très alcoolisées. Seul petit bémol, un terme étrange parcourt la traduction du beau roman de Gianfranco Calligarich, un néologisme non encore répertorié dans la galaxie des sentiments des personnages de fiction, le terme "brancal", synthèse, selon la traductrice, de "branque" et de "bancal". Innovation langagière, pour ne pas dire linguistique, pas très heureuse. Nouveau mot voué manifestement à une très courte carrière.

 

Florilège :

page 27 : " Je n'étais pas en position d'exiger mieux pour achever une journée aussi brancale."

page 51 : " C'était un quartier aux rues défoncées, desservies par les trams les plus brancals que j'aie jamais vus."

page 69 : C'était une adaptation particulièrement brancale des Trois soeurs.

page 93 : " Je suis resté planté là, à penser à Niarcos comme un douanier brancal."

page 96 : " On avait les pères les plus brancals de l'histoire."

page 103 : " Vous me donnez l'impression d'être un vieux brancal, avec tout ce champagne..."

page 124 : "Ce type était brancal comme pas deux."

page 138 : "Je craignais qu'elle finisse par découvrir que je n'étais là-dedans qu'un dactylo complètement brancal."

page 141 : " — Oui, le dernier et le plus brancal des Mohicans."

page 149 : " Vous avez l'air brancals comme tout, dit-elle, parlant comme nous." 

page 183 : " Eva ne comprenait pas comment Arianna pouvait être amoureuse d'un type aussi brancal que moi."

page 189 : " C'était étrange, mais je ne me sentais même pas triste. Pas trop, du moins. Un peu brancal, ça oui, et à un moment donné, je pris le tram.

page 202 : " C'était le pantalon le plus brancal que j'avais jamais vu et elle se mit à ricaner."

 

Arianna, la jeune vénitienne croisée le soir de ses trente ans, aurait pu extraire Leo Gazzarra de son inaptitude à vivre, mais tout se passe comme si ces deux-là passaient leur temps à tout faire pour se manquer. Systématiquement à contre-temps, Leo et Arianna sont en décalage permanent, même quant on les croit au diapason. Comme si, Fellini ou pas, la Dolce vita était plus amère que douce. Plus cruelle que belle. Plus absurde qu'on ne pense quand la plupart essaient de lui trouver un sens.

 

© Jean-Louis Crimon

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