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29 juin 2017 4 29 /06 /juin /2017 15:49
Archives Départementales Meurthe et Moselle. 1932-1940. Piennes. Cote 1520 W 214. © Jean-Louis Crimon

Archives Départementales Meurthe et Moselle. 1932-1940. Piennes. Cote 1520 W 214. © Jean-Louis Crimon

 

 

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Ultime rebondissement dans cette quête que je voulais conquête. Tu es mort, mais tu t'enfuis encore. Aucune des communes, toutes méthodiquement contactées, une à une, n'a trace, dans  son Etat-Civil, d'un acte de décès à ton nom. Comme si toi, grand-père inconnu, tu t'évertuais, là où tu es, à te rendre plus inconnu que jamais. Toutes les mairies concernées, Mont-Bonvillers, Bouligny, Briey, Piennes, Landres, Murville... font invariablement la même réponse, par mail, par courrier classique, parfois par téléphone : aucune trace dans nos registres d'un acte de décès au nom de votre grand-père. Cherchez ailleurs. Cherchez encore. Vous finirez bien par trouver.

 

Pas d'acte de décès. Pas de décès officiel. Pas de décès officialisé. Pas de tombe à ton nom. Pas de cimetière où serait ta tombe. Pas de pierre tombale. Pas de nom gravé dans le marbre. Pas de marbre. 

Dans les Archives Départementales de Meurthe et Moselle, désormais consultables en ligne, les tables de successions et absences - superbe intitulé - que j'ai consulté plusieurs soirs de suite, disent peut-être entre les lignes une sinistre réalité : si pas d'actif... si pas d'argent, pas d'enterrement, pas de tombe. La fosse commune. Fosse commune pour le grand-père hors du commun. Je n'arrive pas à me résoudre à cette éventuelle réalité. Si tu n'es mort pour personne, s'il n'y a pas de tombe à ton nom, si tu n'as même pas eu droit à ce petit monticule de terre qu'une femme ou un fils fleurissent de temps en temps, à Pâques ou à la Toussaint, si tu n'es rien, pour personne, quand tu meurs, peut-être que la fosse commune est ton unique destinée. Comme ton voisin de trois lignes au-dessus, dans les tables de successions et absences, qui a eu droit, lui, à ce commentaire aussi cruel que transparent : Sans actif apparent. Sans actif et sans famille, sans proches, sans amis, sans camarades pour te construire une dernière demeure, possible alors dans ce cas qu'on finisse à la fosse commune. Carré de terre pour les sans ressources pour qui personne ne consentira à délier bourse. Sans ressources appelés aussi indigents. Pauvres gens.

 

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Précisions sur ces tables de successions et absences, pour celles et ceux qui - hormis les notaires - n'en connaîtraient ni l'existence, ni le sens :

 

Les tables de successions et absences, dressées par l’administration de l’Enregistrement sont désormais en ligne, pour la période 1849-1945.

Ces tables alphabétiques, constituées par les receveurs de l’enregistrement, par bureau – établi au chef-lieu du canton, lors de sa création en 1791 – sont destinées à recenser les « individus décédés ou déclarés absents » dans le ressort du bureau, en portant la mention et la référence précises des actes relatifs à la succession du défunt ou de la personne déclarée décédée par jugement du tribunal civil. Elles constituent, de ce fait, une clé indispensable pour accéder aux actes de mutation par décès.  

Les tables déclinent, pour chaque individu, son identité, sa profession, son domicile, la date précise du décès, la situation de famille, ainsi que les dates d’enregistrement des inventaires après décès, appositions et levées de scellés, tutelles ou curatelles, ventes de meubles. Mais, surtout, les tables portent la date à laquelle la déclaration de succession a été transcrite dans les registres de l’enregistrement, avec son numéro d’ordre. À défaut de déclaration de succession, la table mentionne la date du certificat constatant « que le défunt ne possédait aucun actif » et le numéro d’ordre de ce certificat.

 

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Pour la ligne qui te concerne, Monsieur Zanda, dans cette page 203 des tables alphabétiques de successions et d'absences, après ton nom, ton prénom, ton métier, ton âge, au-desssus de l'inscription Mont-Bonvillers, on peut lire cette mention manuscrite : " + à Nancy ".

" + à Nancy ",  indication faussement sibylline. Classique petite croix, synonyme de "décès" en généalogie. Donc, cette fois, c'est sûr, je suis sûr, j'en suis sûr : Francesco Zanda, tu es mort à Nancy. Mais où es-tu enterré ?

 

Mourir à 40 ans, à Nancy, quand on est mineur à Joudreville ou à Mont-Bonvillers, ce ne peut être qu'à l'Hôpital où l'on a dû t'admettre, sans doute après un accident à la mine. Oui, tu as été transféré à l'Hôpital de Nancy, et sur le registre est indiqué le nom de la commune où tu es domicilié, Mont-Bonvilliers, qui se chargera d'annoncer ton décès au correspondant local de L'EST RéPUBLICAIN. Annonce de ta mort qui figurera dans le journal du 13 septembre 1936.

 

Reste que ta tombe ne se trouve pas dans le cimetière de la commune. Pas de tombe à ton nom. Pas de cimetière où l'on t'a mis en terre. Insupportable mépris funéraire.

Je n'accepte pas que dans la mort, tu ne sois pas nommé. Ne pas nommer, c'est nier. C'est effacer. Effacé de la vie par la mort, passe encore. Même si, au fond, pas d'accord. Mais effacé de la mémoire, ça, non, jamais.

 

Zanda Francesco, illustre inconnu grand-père, mineur de mine de fer, tu n'es pas en enfer, pas condamné à l'oubli. Crois-moi, croix de bois, croix de fer, je te construirai un tombeau. Un tombeau de mots. Ce sera le plus beau.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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