Je suis entré très tôt dans la famille Séchan. Sans le savoir. A onze ans, pour mon anniversaire, ma mère m'avait offert "La Cachette au fond des bois". Mon premier livre vraiment à moi. Auteur : Olivier Séchan. Un beau jour, j'ai réalisé que l'auteur de mon livre préféré n'était autre que le père de mon chanteur préféré. Le père de Renaud. Renaud Séchan. Quand je lui ai confié à Renaud, que c’était son père qui m’avait donné le goût des mots et des histoires qu’on peut inventer avec, il m’a dit : « Si c’est mon père qui t’a donné envie d’écrire, on est frères. » C’était à la fin des années soixante-dix.
Dans l’histoire, j’avais gagné deux autres frères, David, le jumeau de Renaud, et Thierry, le frère aîné. Thierry Séchan, né en 1949, comme moi. En septembre. Moi, en août. On a fêté pendant un temps nos anniversaires ensemble. Pas ces dernières années. Notre dernière rencontre, c’était à Paris, avenue Reille, dans son petit appartement. Avant d’aller, le soir, au Zénith de Pantin écouter et applaudir le frangin. Thierry et moi, on était complices comme de vieux camarades qui partagent le même vice de l’écriture et la même admiration pour ces êtres incroyables qu’on appelle des chanteurs. Ensemble, on a publié, à L’Archipel, chez Jean-Daniel Belfond, une biographie kaléidoscopique, « Renaud raconté par sa tribu », une biographie écrite à quatre mains, pour mieux restituer toutes les voix qui entourent Renaud. Un temps, Thierry Séchan s’est perdu dans ce destin cruel d’être « frère de ». Ce qui n’avait rien d’évident à vivre. J’ai été témoin plusieurs fois, assis tous les deux en terrasse d’un bistrot parisien, des sollicitations incessantes des passants : « Renaud, on t’a reconnu, signe-nous un autographe ! » Et Thierry de dire : eh non, je ne suis pas Renaud, je ne suis que son frère. Mais les fans n’en croyaient rien et ne s’effaçaient qu’une fois l’autographe obtenu. Thierry me disait : si tu savais, tous les « faux Renaud » qui circulent… Heureusement circulent tout autant les vraies nouvelles et les vrais romans du frère aîné Séchan. Lui aussi, un vrai grand talent.
Ce soir, Thierry, je pense à toi et je te relis. Le meilleur hommage à rendre à un écrivain, à un romancier, c’est de le lire. De le faire lire. On peut sans doute vivre sans écrire, vivre une vie réussie sans écrire, mais nous sommes quand même un sacré paquet d’êtres humains à ne pas pouvoir vivre sans écrire, non pas pour entrer dans l’Histoire de la littérature, mais juste pour gagner un peu d’éternité temporelle. Un peu de cette éphémère éternité que les Dieux concèdent aux mortels que nous sommes. Thierry Séchan, je te le jure, tu mérites un peu, beaucoup, de cette éternité d’écriture.
© Jean-Louis Crimon