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19 août 2021 4 19 /08 /août /2021 08:57
Impossible. Erri de Luca. Gallimard. 2020. © Jean-Louis Crimon  
Impossible. Erri de Luca. Gallimard. 2020. © Jean-Louis Crimon  

Impossible. Erri de Luca. Gallimard. 2020. © Jean-Louis Crimon  

Je suis un enfant du plat pays et je m'embarque sans frayeur dans les pas d'un montagnard aguerri. Je vous rassure, je ne m'embarque qu'en littérature. Moi qui n'ai déjà pas le vertige très beau en haut d'un simple escabeau, je me vois mal accompagner Erri de Luca dans sa quête de sommets difficiles. Dans un roman, c'est davantage à ma portée. Il ne m'en voudra pas. Je le vois déjà sourire de son sourire compréhensif et malicieux. Depuis Jules César, lui, l'Italien, il sait bien le Picard un peu couard. C'est notoire, nos ancêtres Ambianis, quand Iulius Caesar s'approcha de Samarobriva, "se rendirent sans combattre corps et biens". Jules César en personne l'a consigné dans sa "Guerre des Gaules". (Livre II, 4). Moralité, vingt siècles plus tard, foi de Picard, à l'impossible, nul n'est tenu.

 

" Impossible", justement, c'est le titre du roman signé Erri de Luca. Ce roman, c'est un curieux objet dialogué, imprimé avec des caractères de machine à écrire plus habituée à enregistrer les dépositions des suspects. La teneur de ce dialogue entre le juge d'instruction et cet homme placé en garde à vue, peut surprendre à première vue, mais il y a une bonne raison : le magistrat est convaincu que les deux hommes ont bien dû se croiser dans la montagne, l'un montant, l'autre descendant. Ou bien l'un doublant l'autre, progressant plus lentement. Se sont même sans doute parlés. Puisque se sont connus dans une autre vie. Traduisez il y a un paquet d'années. Problème : un des deux montagnards a été retrouvé mort après une chute. Chute accidentelle ou conséquence d'un geste criminel. La question se pose et la question sera posée. Car, forcément, c'est bien l'homme vivant qui a croisé dans la montagne l'homme retrouvé mort. Une mort dont le juge d'instruction croit qu'elle n'est pas accidentelle. Que le suspect devant lui est donc un meurtrier. Le meurtrier. Voire un assassin. Puisque la préméditation n'est pas impossible.

 

Que faisait-il dans la montagne juste derrière celui qui a trouvé la mort ? Avait-il revu la victime, qu'il connaissait très bien, puisqu'ils ont appartenu tous deux dans leur jeunesse au même groupe révolutionnaire ? A-t-il poussé dans le gouffre ce faux frère, ce traître, qui livra autrefois tous ses camarades à la police en échange de la liberté ? La présence des deux hommes ce jour-là, au même moment, au même endroit, est-elle vraiment le fruit du hasard, une simple  coïncidence ? C'est "impossible". Le juge en est convaincu. Impossible, il n'y avait pas d'autre titre possible pour ce roman.

 

La forme choisie du procès-verbal avec sa mise en page sténodactylographiée serait d'une monotonie mortelle s'il n'y avait, pour ponctuer, ou respirer l'interrogatoire, ces lettres écrites par le suspect, lettres adressées à la femme aimée appelée "ammoremio", "mon amour", lettres à la typographie retrouvée d'un vrai roman. Simplement en italiques. L'italique, c'est bien pour les lettres de l'Italien.

 

En exergue, une citation de Gimpel le naïf, (Isaac Bashevis Singer) résonne à postériori comme une mise en abyme sublime :

"Souvent, en écoutant tel ou tel récit, je pensais "c'est impossible, cela n'a pas pu se passer", et puis un an ou deux après, c'était devenu vrai."

 

© Jean-Louis Crimon

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