L'Hortillonne. Alphonse Lemerre Editeur. 1897. Jeanne Laffitte Editeur. Laffitte Reprints. Marseille. 1979.
« ELLE SE PENDAIT au cou de l’amant, lui mettait des baisers sur les joues, sur les paupières, sur les pointes de la jolie moustache châtaine, aux intentions d’accroche-cœur, à laquelle se frôlait son visage en une suprême chatouille. Malgré la foule qui les entourait, les heurtait, les secouait à ses remous : – toute la population d’Amiens accourue pour faire la conduite au régiment, – elle sanglotait ; ses larmes s’écrasaient sur la face du beau gaillard, un sergent-major d’une trentaine d’années, ou lui ruisselaient, amères et chaudes, jusque sur les lèvres. »
L’Hortillonne, Première partie, page 1.
Alphonse Lemerre, l'Editeur de Verlaine, publie en 1897, L'Hortillonne, de Léon Duvauchel. Comment Léon Duvauchel (1848-1902), a-t-il proposé son manuscrit à Alphonse Lemerre, le grand éditeur parisien ? Le célèbre éditeur des grands poètes du 19 ème siècle. Peut-être par l'intermédiaire de Théophile Gautier, de qui il était proche. Sinon l'ami.
Léon Duvauchel, bien que parisien de naissance, a toujours revendiqué ses racines picardes. Sa famille est originaire de Crécy-en-Ponthieu. Dans son parcours littéraire, il sera l’ami de Théophile Gautier et de Pierre Loti. On le classe parmi les écrivains appartenant à l’école dite « naturaliste ». Sous-titré « Mœurs picardes », le roman de Duvauchel se situe au moment de la guerre de 1870, la guerre contre les Allemands qu’on appelle à l’époque les Prussiens.
L’hortillonne, qui donne son titre au roman, est une fille-mère de Camon. Aujourd’hui, bien sûr, on dirait « mère-célibataire ». Elle fait la rencontre d’un beau militaire, le lieutenant Jousserand, auquel elle ne résistera pas longtemps. De cette « rencontre », naîtra un fils, qui sera prénommé Firmin. Fils que le père reconnaîtra, dans un moment de générosité en forme d’égarement. A moins que ce ne soit un moment d'égarement aux apparences de générosité. Mais l’égoïsme du père reprend vite le dessus. Le beau Lieutenant n’y tenant guère, à ce rôle de père et de mari, s’échappe. Il quitte Camon, le village de la mère et de l’enfant, pour s’installer à Châteauroux, où il va se marier. Vie sans histoire. La retraite venue, il va vivre à Montreuil-sur-Mer. C’est là que le drame va se jouer et se dénouer. Firmin, le fils « naturel », pour ne pas dire le « bâtard », a grandi. Il n’a pas oublié la promesse faite à sa mère, – le jour de sa première communion – de la venger de cet abandon qui les a plongés tous les deux dans une vie très difficile, pour ne pas dire misérable.
Léon Duvauchel a commencé par publier dans des revues littéraires, de la prose et des vers. En 1871, son recueil de poèmes « Le Médaillon » reçoit les encouragements de Théophile Gautier. Succès d’estime, malgré ce parrainage prestigieux, mais véritable entrée en littérature. Son premier véritable succès, il le rencontre avec un premier roman « La Moussière », l’histoire des amours tragiques d’Azémila, jolie paysanne de l’Oise, et d’un jeune Baron amiénois, André d’Emméricourt. La parution en feuilleton, – comme ça se pratique à l’époque –, va créditer son auteur d’une réelle célébrité, bien avant la sortie du livre, en 1886. Duvauchel publiera « Le Tourbier », en 1889, et le roman qui nous intéresse particulièrement, « L’Hortillonne », en 1895. « Poèmes de Picardie », qui comprend « Les Faines », recueillera également un franc succès.
Consacré « Ecrivain régionaliste », Léon Duvauchel n’hésite pas à utiliser les expressions et les mots picards, lorsqu’ils lui semblent sonner plus juste et plus vrai que leurs équivalents français.
Au diable les critiques pour excès de « picardismes », quand on affirme simplement "excès d'humanité ou d'humanisme".
© Jean-Louis Crimon
L'Hortillonne. Léon Duvauchel. © Alphonse Lemerre Editeur. 1897.