Edouard David, dit Tchot Doère. Poète Picard. (1863-1932). © Lucien Caron.
La langue maternelle d'Edouard David, c'est le picard. Le dialecte picard parlé dans le quartier Saint-Leu, le coeur populaire d'Amiens. Quartier ouvrier, refuge de la langue picarde au XIXe siècle, même rebaptisée "patois". Dans cette famille où le père est tisseur, famille de dix enfants, Edouard David est le cadet. La maman du petit Edouard ne sait ni lire, ni écrire, mais parle parfaitement "picard première langue". Avec un talent de conteuse incontestable. Douée d'une mémoire remarquable, nourrie de contes et de légendes venant de ses parents et de ses grands-parents, c'est elle sans aucun doute qui forme l'oreille de son petit dernier à l'oralité. Aux mots qui sonnent. Aux mots-images qui donneront naissance à "Chés Hortillonnages".
Les journées et les soirées, les veillées, sont éminemment picardes. Le père, lui, adore les livres et il est un bon lecteur. Ce qui ne l'empêche pas de prendre un réel plaisir à écouter sa femme raconter des histoires en picard à leurs enfants.
"Chés Hortillonnages", publié au premier jour du premier mois de l'an 1900, me semble être la grande oeuvre d'Edouard David. Grand poème lyrique consacré, comme son titre l'indique, certes aux Hortillonnages, mais davantage aux hortillons et aux hortillonnes, ceux qui, de leur travail et de leurs mains, maintiennent le dessin et le dessein des Hortillonnages.
Edouard David sait parfaitement mettre en scène ces êtres dont le destin est d'être ces gondoliers de la brume, ces marins de la terre, ces jardiniers du bord de l'eau, ces maraîchers en bateau. Son écriture tient du croquis. Parfois du dessin humoristique. De la BD littéraire. Tout en étant un vrai beau et grand poème. Poème de mots et d'images. D'odeurs et de saveurs.
Ses notations sont simples et efficaces. Humbles comme ceux qu'il dépeint. Avec toujours beaucoup d'humour. Beaucoup d'amour aussi. Humour et amour, deux ingrédients indissociables de l'oeuvre d'Edouard David. Oeuvre qui déborde toujours d'une infinie tendresse.
Tchot Doère est âgé de 37 ans quand il publie, au 1er Janvier 1900, "Chés Hortillonnages". Long poème lyrique découpé en plusieurs chants. La picard d'Edouard David, toujours truculent, parfois grivois, peut donner l'impression de n'être que du "français picardisé", d'el dravie, comme on dit, mais ce serait méconnaître la présence de mots authentiquement picards, ces mots "concrets", ces mots qui ont déjà leur sens dans leur son. Les images, les mots-images, leur mise en scène, pour ne pas dire leur mise en situation, sont souvent drôles et cocasses. Certaines mignardises sur les fruits que les femmes mûrissent dans leur corsage, ou bien tiennent au chaud dans leur "caraco", ne seraient aujourd'hui plus permises.
A titre d'exemple, je ne résiste pas au plaisir de vous faire saliver en imaginant les fruits chantés par Edouard David, dans cet extrait du 6ème chant de "Chés Hortillonnages".
« Belle Mariette !
Adon, sous tin corsage d’v’lours
I gno reinettes pus désirabes
Qu’ toutes chell’s peindues à nos abes
Belle Mariette, à mes anmours...»
Traduction :
« Belle Mariette,
Donc, sous ton corsage de velours,
Il y a reinettes plus désirables,
Que toutes celles pendues aux arbres,
Belle Mariette, à mes amours…»
Bien évidemment - et vie d'amant - ce genre de poésie grivoise - seins-pommes, seins-poires ou seins-framboises -, cette écriture métaphorique érotique, qui confond malicieusement la cueillette des fruits qui mûrissent dans les arbres et la tentation des fruits trop sages qui se muchent et s'ennuient sous la toile des corsages, ce style de taquineries espiègles, ce genre de métaphore douce et sucrée, vaudraient - à n'en pas douter - à leur auteur, recadrage en règle et volée de bois vert. Pour propos sexistes, allusion déplacée, plaisanterie libidineuse et autres propos machistes !
Pour ne pas risquer de me faire prendre au piège où échappe en ce temps-là Edouard David, je précise que je ne produis ici que du "commentaire poétique et littéraire", et que toute ressemblance avec des chemisiers contemporains bien garnis, toute référence à des fruits qui s'y cacheraient pour mieux tenter les hommes, ne serait que le fait du hasard : l'Île Robinson n'est pas l'Île de la tentation, quoique...
L'Île des Tilleuls n'est pas là pour les bégueules !
© Jean-Louis Crimon
Chés Hortillonnages. Edouard David. Amiens Imprimerie Picardie. Janvier 1900.