Paris. Quai de la Tournelle. Septembre 2012. © Jean-Louis Crimon
Souvent, le soir, des filles superbes traversent le quai, comme un seul homme. Non pas au pas de course, mais c'est tout comme. A grandes enjambées. Comme dans un défilé de mode. On les regarde à la dérobée. Dérobée. Mot amusant. De robe, il n'est pas question. Elles sont en pantalon. Ballerines. Chaussures plates. Rarement en talons. Elles marchent, tête droite, vers leur destin du soir. Un resto, un cinoche. Un amoureux, un mec, un blanc-bec. Un fiançé pas trop moche. Un ami, un amant. Elles marchent élégamment.
A peine un coup d'oeil aux façades de livres des libraires de plein air. Pas un regard pour celui qui les regarde passer. Le bouquiniste se demande où s'en vont vraiment, d'un pas si décidé, ces belles à la démarche compassée. D'aussi jolies créatures qu'il aimerait bien faire rimer avec littératures.
Elle, ce serait Manon. Manon Lescaut. Elle, la Princesse de Clèves. Elle, Emma Bovary. Elle, la maîtresse de Julien Sorel. Elle, la Dame aux camélias. Tant de femmes. Tant de femmes félines. Tant de femmes coquines. Tant de personnages de roman. Sans oublier celle qui affirme, bien haut, bien fort : Je suis moi-même un personnage de roman. Admirable formule qui fera plus d'une émule. Romantique qui ne se sait pas encore romancière.
Personne sur le quai ne se hasarde à entreprendre ces passantes particulières sur leurs goûts en matière d'écriture. Leurs préférences. Sur les noms de leurs trois écrivains adorés. Sur leurs livres de chevet. Sur le seul poème qu'elles connaissent encore par coeur. Sur le titre du roman qui a changé leur vie.
Certains soirs pourtant, j'en meurs d'envie.