Lontemps je n'ai pas compris la poésie de Ponge, à commencer par sa façon de prendre résolument Le Parti pris des choses. Le destin inéluctable du cageot n'avait pas de sens dans ma famille où les parents nous avaient très tôt enseigné le "ça peut toujours servir ! " Difficile pour l'enfant que j'étais et l'adolescent que je suis devenu de voir dans la destinée du cageot une métaphore de l'existence. La révélation me fut donnée par hasard, au détour d'une entrée de ville où je m'étais égaré, auto-stoppeur débutant, à vingt ans, dans le mauvais temps. Le cageot flottait près du trottoir, la chaussée devenue ruisseau sous une grosse pluie d'orage. La photo s'imposa. Je relus Ponge la semaine suivante et à partir de là, tout s'éclaira.
© Jean-Louis Crimon
Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.
A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.
Francis Ponge - Le Parti pris des choses - 1942.