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22 juin 2024 6 22 /06 /juin /2024 08:57
 Amiens. Petit séminaire. 6ème M 2 de l'Abbé Guisembert. Année scolaire 1960-61. © DR

Amiens. Petit séminaire. 6ème M 2 de l'Abbé Guisembert. Année scolaire 1960-61. © DR

Cette année-là, je découvre le latin. J'aime bien les mots latins. Pas le latin de la messe en latin, pas le latin des curés, le latin des poètes et des écrivains. Les mots latins contiennent en creux les mots français. L'Abbé Guisembert, notre professeur principal, nous le répète souvent : étudiez bien votre latin, si vous êtes bon en latin, vous serez bon en français. A l'étude du soir, mon voisin, Marcel Monsigny, qui est en cinquième, me parle de sa fascination pour le grec ancien. Que, selon lui, j'étudierai aussi dans un an. Si je fais une bonne année de sixième.

Sa prédiction ne se réalisa jamais. Je fus doublement trahi. Par une psychologue et un prêtre. Après la batterie de tests obligatoires, la psychologue, chargée d'évaluer mon intelligence, avait, sans trembler, et surtout sans me le dire, posé un verdict assassin en face de mon nom : débile léger. C'était sans appel. Collé au mur des fusillés pour l'exemple. Premier accroc dans ma carrière d'apprenti intellectuel. Suivi, très peu de temps après, la semaine de la retraite préparatoire à la communion solennelle, par ma réponse à la question : Pensez-vous avoir la vocation ? Comme mon instituteur et mes parents m'avaient expliqué, avant de partir pour la ville, que le mensonge était la pire des choses, je n'ai pas voulu tricher avec la question du sacerdoce, j'ai répondu NON sans hésiter. Pourtant, sans honte, ni scrupules, presque tous les élèves de ma classe de sixième, au courant de la supercherie mortelle, avaient sciemment menti en répondant OUI. Eux savaient, moi pas, que le redoublement ou le passage en classe supérieure, était aussi lié à cet engagement à vouloir devenir prêtre.

J'avais dû être le seul de ma classe à répondre, sans même envisager l'idée du "peut-être", NON. En lettres capitales. Trois lettres capitales qui me condamnaient à la peine capitale. C'en était trop pour le Père supérieur : le débile léger se doublait d'un mécréant. Renvoi illico dans son village. C'est le fils du Georges, le jardinier. Les chats ne font pas des chiens. Sera manuel comme son père. Manant fils de manant. Le certificat d'études, s'il peut l'avoir, lui suffira bien. L'agriculture manque de bras. C'est son destin tout traçé. 

Bien sûr, je n'ai appris les vraies raisons de mon retour forcé à l'Ecole primaire de mon village que beaucoup plus tard. A 11 ans, j'ai dû vivre la chose presque naturellement, sans trop souffrir des commentaires peu amènes - je n'ose écrire "peu Amen" - des adultes de mon entourage : Peux pas faire de grandes études, le fils du Georges, sera travailleur manuel comme son père !

 

© Jean-Louis Crimon

 

 

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