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19 janvier 2024 5 19 /01 /janvier /2024 08:57
Paris. Radio France. France Culture. Juin 2006. © Christophe Abramovitz

Paris. Radio France. France Culture. Juin 2006. © Christophe Abramovitz

Cher ex confrère,

Tu ne sais plus si tu as rêvé tout ça ou si, vraiment, tu as été l'un de ces journalistes qui donnent les nouvelles le matin, très tôt, à la radio. Une de ces voix qui entrent dans la vie et dans l'oreille des gens. Voix familère aux fil des ans. Belles années où tu as le sentiment d'avoir prise sur les faits et les évènements alors que tu n'en es que le porte-paroles, un porte-voix plus ou moins éclairé, plus ou moins réfléchi. Dans tous les sens du terme. Les années passent vite. Un jour, c'est le jour, et c'est le dernier jour. Le jour du dernier journal. Les dernières infos. Le dernier micro. Tu te souviens de ce matin-là où - va savoir pourquoi ? - tu éprouves le besoin de saluer à ta manière ceux qui t'ont écouté pendant trois ans de matinales. Trois années à te lever à 2 heures du matin. On dort peu - peu le savent - quand on choisit d'être matinalier.

C'était, tu t'en souviens parfaitement, le lendemain du match France-Italie en Coupe du Monde et de ce fameux coup de boule de Zidane à Materazzi. Début juillet 2006. Nicolas Demorand aux manettes. Ce dialogue inattendu :

- Bonjour...

- Bonjour et... fin de ce journal !

 

Nicolas Demorand, parfait anchorman, dessine alors dans l'espace immédiat des gestes désordonnés comme un nageur désespéré face à un présentateur à l'espliéglerie suicidaire. Histoire de "reprendre" le micro. La radio a horreur des blancs. Des instants de silence. Sauf dans les émissions de musique classique. En guise de ponctuation quasi métaphysique.

Toi, tu enchaînes, superbe et subtil :

"Fin de ce journal, oui, parce que c'est mon dernier journal". Et le présentateur du 7 heures d'expliquer, mythe de Sisyphe à l'appui, l'absurdité du métier de matinalier, condamné, chaque nuit, à remonter jusqu'au petit matin, son rocher en forme de rouleau de dépêches en papier. Une fois le rouleau d'infos déroulé, - c'est son destin -, Sisyphe redescend de sa montagne magnétique et tout sera à refaire dès le lendemain. Chaque matin, pendant des années. Au nom de la sacro-sainte actualité et de l'indispensable devoir d'informer.

Heureusement, tu connais par coeur la phrase de Camus: "Il faut imaginer Sisyphe heureux." Dans ton Edito en forme de naufrage, avant de dérouler ton vingt minutes, tu as su placer : "Pour la dernière fois, voici les titres de l'actualité que je vous dois..." En prime, tu as même concédé à l'attention de tes auditrices et de tes auditeurs bien aimés : Il faut imaginer le matinalier heureux.

 

Plutôt assez fier de ta pitrerie philosophique, tu es rentré chez toi, ce matin-là, heureux du devoir accompli, sans imaginer qu'on allait, deux heures plus tard, te blâmer et même pour certains de tes jeunes confrères, réclamer, en conférence de rédaction, un "blâme", un "vrai blâme", un "blâme officiel", pour te sanctionner d'avoir osé "prendre en otages" les auditeurs de la chaîne. Tu parles, une minute de pertinente impertinence n'allait pas bousculer à ce point le désordre du monde. Encore moins sa narration ou son récit.

 

© Jean-Louis Crimon

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18 janvier 2024 4 18 /01 /janvier /2024 08:57
Paris. Closerie des Lilas. Bd du Montparnasse. 25 Mai 2016. © Jean-Louis Crimon

Paris. Closerie des Lilas. Bd du Montparnasse. 25 Mai 2016. © Jean-Louis Crimon

© Jean-Louis Crimon

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17 janvier 2024 3 17 /01 /janvier /2024 08:57
En mer. Interview CharlElie Couture. Paquebot Mermoz. Mai 1984. © DR.

En mer. Interview CharlElie Couture. Paquebot Mermoz. Mai 1984. © DR.

© Jean-Louis Crimon

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16 janvier 2024 2 16 /01 /janvier /2024 08:57
Amiens. Le Courier Picard. 5 Octobre 1995. © Bruno Ravalard

Amiens. Le Courier Picard. 5 Octobre 1995. © Bruno Ravalard

© Jean-Louis Crimon

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15 janvier 2024 1 15 /01 /janvier /2024 08:57
Paris. Stade Charléty. 2008. Heimermann, Fournel, Crimon, Echenoz. Une attaque de rêve. © DR

Paris. Stade Charléty. 2008. Heimermann, Fournel, Crimon, Echenoz. Une attaque de rêve. © DR

Quatre prix Tristan-Bernard pour une attaque de rêve. Benoît Heimmermann, Paul Fournel, Jen-Louis Crimon et Jean Echenoz. Un soir à Charléty. Le stade Sébastien-Charléty. Remise du Prix Tristan-Bernard à Jean Echenoz pour "Courir", biographie romancée consacrée à Emil Zatopek, parue aux éditions de Minuit. Ce prix Tristan-Bernard, surtitré Grand Prix de Littérature Sportive a été attribué pour la première fois, en 1943, à Roger Frison-Roche pour son roman Premier de cordée.

 

Pour Tristan Bernard, créateur de l'Asssociation des Ecrivains sportifs, le sport et la littérature n'ont rien de contradictoire. Bien au contraire, pour le romancier et auteur dramatique, célèbre pour ses mots d'esprit, de nombreuses passerelles réunissent sport et littérature. Créé en 1943, le Grand Prix de Littérature Sportive se donne pour ambition de "couronner un ouvrage écrit en langue française, pour ses qualités littéraires avant tout, son authenticité et son originalité". Il a pour but de contribuer à la reconnaissance, à la popularité et au renom du sport. Pour le bonheur de la littérature et des écrivains. 

 

© Jean-Louis Crimon

 

1989 : Paul Fournel, Les athlètes dans leur tête. Ramsay.

2001 : Jean-Louis Crimon, Verlaine avant-centre. Le Castor astral.(2001, Odyssée de laisse passe !)

2002 : Benoît Heimermann, Tabarly. Grasset.

2008 : Jean Echenoz, Courir. Editions de Minuit.

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14 janvier 2024 7 14 /01 /janvier /2024 08:57
Paris. Les Ondes. Mars 2009. © Marie Painon

Paris. Les Ondes. Mars 2009. © Marie Painon

Terrasse couverte aux Ondes, après avoir donné au micro les nouvelles du Monde, un café à l'abri de la pluie, le spleen matinal qu'on essuie, encore une nuit passée à passer d'hier à aujourd'hui. 

© Jean-Louis Crimon

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13 janvier 2024 6 13 /01 /janvier /2024 08:57
L'Humanité. Forum du Référendum. 27 Mai 2005. © Jean-Louis Crimon

L'Humanité. Forum du Référendum. 27 Mai 2005. © Jean-Louis Crimon

La question de départ pourrait être : n'ayant jamais cru au rôle messianique du prolétariat, pourquoi nous faudrait-il croire au rôle messianique du marché ? Cessons de nous voiler la face et de nous payer de mots. Le libre marché n'a de libre que le nom. Le marché, la seule loi du marché, est un marché de dupes. La "concurrence libre et non faussée" est faussée dès le départ : sans adéquation des fiscalités nationales, sans rééquilibrage des prix de revient des produits et des productions, sans obligation de charges sociales et salariales identiques, sans égalité devant l'impôt, des personnes comme des entreprises, sans réglementation une et unique, sans règle acceptée et respectée par tous, la "concurrence libre et non faussée" est une vaste blague, une fumisterie, une naïveté déconcertante, pour ne pas dire une erreur monumentale, parce que personnes, peuples ou Etats, elle affaiblit les forts sans fortifier les faibles.

Il faut oser dire : "Non, ça suffit !" Nous rêvions d'une autre Europe et nous devons à nos enfants une autre Europe.

© Jean-Louis Crimon

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12 janvier 2024 5 12 /01 /janvier /2024 08:57
Riga. Lettonie. Institut Français. 7 et 8 Déc. 2016. © DR

Riga. Lettonie. Institut Français. 7 et 8 Déc. 2016. © DR

Ecrire avec la voix, c'est le titre provisoire que tu as donné à la responsable du Colloque. Tu as précisé, en sous-titre : "De l'importance des cordes vocales dans la musique de l'écriture." Tu as choisi, pour mieux cueillir ton auditoire, de commencer par un extrait d'un de tes romans. Le plus autobiographique de tous : Rue du Pré aux Chevaux.

 

Souvent le matin, quand il part, il dit : Je m'en vais chercher le soir. J'aime la phrase. La musique de la phrase. Elle est belle. Belle comme une phrase d'écrivain ou de poète, s'il avait pour écrire autre chose qu'une bêche ou un râteau. S'en aller chercher le soir, comme si on pouvait vraiment s'en aller au devant de lui, le soir. Comme s'il existait déjà quelque part, le soir, sans qu'on le sache et qu'on soit simplement sûr d'une chose: il faut se mettre en route pour marcher à sa rencontre.
C'est pour ça que chaque matin, très tôt, il se lève quand tout le monde dort encore dans la maison. Pour s'en aller au devant de lui, le soir. Pour ne pas le manquer. Car il faut marcher longtemps. Très longtemps avant de le rencontrer, le soir. Alors, on lui tend la main, au soir, et on lui souhaite "Bonsoir" au soir, et on le ramène à la maison. Pour passer la soirée avec lui. Pour lui offrir un bon endroit pour la nuit, et lui souhaiter "Bonne nuit" au soir. Avant ça, bien sûr, à notre table, on l'inviterait à s'asseoir, le soir. Pour dîner avec lui. Pour une fois, on ne souperait pas en silence. On le ferait parler de sa journée à lui, le soir, et on lui parlerait de la nôtre aussi."

                                                                          Rue du Pré aux Chevaux, roman, Le Castor Astral, 2003.

                                          

 

Cet extrait de mon deuxième roman pour vous mettre d'emblée dans l'oreille, ma façon de jouer avec les mots. Ecrire, pour moi, c'est d'abord jouer avec les mots, composer avec les mots, avec la musique des mots, la mélodie de la phrase. Souvent, chez moi, les sons devancent le sens. N'en déduisez pas que le sens n'a pas d'importance, mais c'est comme ça, chez moi. Ça commence toujours comme ça. Comme si le rôle du son, c'est d'annoncer le sens. Comme si le son préside à la naissance du sens. Comme si le son est le parrain de baptême du sens.

Mais je dois d'abord vous faire un aveu : me retrouver là, devant vous, ici, à Riga, capitale de la Lettonie, moi, le gamin de Picardie, qui a appris le monde dans les pas de son père jardinier, derrière sa bêche, à ramasser les racines de liserons ou de chiendent, les racines de mauvaises herbes, comme on disait, en ce temps-là, ça me semble assez saugrenu et très insolite.

Vous avoir dit "oui" pour être celui qui ouvre ces deux journées internationales consacrées à L'oral et l'oralité, dans les langues romanes, baltes et scandinaves, c'est, de ma part, grande naïveté ou superbe inconscience. Nous mettrons ça sur le compte de ce que nous appelions autrefois, avec mes amis du temps de notre première année de Licence de philosophie, au tout début des années 70, la "hardiesse des timides".

La raison ?

J'ai le sentiment de ne pas être tout à fait légitime. L'impression que l'on a dû m'attribuer des qualités ou des compétences que je ne possède pas. Non, ce n'est pas de la fausse modestie, simplement de la vraie lucidité.

Car, quand je vois la qualité des intervenantes et des intervenants de vos deux journées d'études, l'expertise à attendre des spécialistes de la langue, des langues, romanes, baltes et scandinaves, je me sens dans la peau de "l'amateur" à côté de tels professionnels. Un amateur qui, certes, aime les mots, mais qui n'a dans son bagage que des mots de journaliste ou des mots de romancier.

Bien sûr, rassurez-vous, j'ai écrit et j'ai publié. J'ai écrit, beaucoup, et j'ai publié, très peu. Quatre romans, deux biographies, et tout de même - c'est vrai - des centaines d'articles et de chroniques diverses, au temps où j'étais journaliste de presse écrite, mais, vraiment, au fond, je me pose sincèrement la question : Qui suis-je ? pour venir vous parler, ici, en Lettonie, à l'Université de Riga, de l'oral et de l'oralité ? De l'importance du "son" dans ma façon de chercher le "sens", dans ma façon d'écrire ou dans ma manière d'être écrivain.

Ecrivain, cela aussi doit être nuancé, disons plutôt romancier. Ecrivain, très franchement, très simplement pour moi, ça ne vous étonnera pas, ça rime plutôt avec Balzac, Maupassant, Hugo ou Camus, et je vous le dis sans fioritures, je ne fais pas la taille et je n'ai pas la stature. Pas la pointure. Romancier me va mieux, dans la mesure où le romancier est celui qui écrit des romans. Oui, assurément, romancier me suffit et me va bien. Comme aurait dit un grand Général président - Charles de Gaulle, pour ne pas le nommer - : "Cela eut été sans dire, mais cela va mieux en le disant."

Pour vous mettre parfaitement à l'aise avec ma personne et mon parcours dans le monde des mots, je vous dois deux ou trois petites choses côté biographiqueAvant de nous aventurer vers la dimension au départ autobiographique de certains de mes romans.

 

Une mère, à demi-Italienne, par son père, -mon grand-père, Francesco Zanda-, une mère très volubile, et un père né en Champagne, plutôt silencieux, "taiseux", en tout cas pas très "démonstratif", m'ont fait ce que je suis, un être partagé, déchiré, entre deux tentations extrêmes : la tentation de la parole et la tentation du silence.

Un être extraverti et un être secret, discret, solitaire. Capable d'être heureux, en groupe, avec les autres, et tout aussi capable d'être heureux, seul, tout à fait seul, vraiment seul. Solitaire.

Un être "extraverti" qui a toujours besoin d'un public, ou d'un auditoire, pour exister et un "introverti" qui voudrait rester, le plus souvent, cloîtré, caché, dans son appartement ou dans sa chambre d'Hôtel.

Pour goûter le plaisir et le bonheur de la rêverie. La rêverie solitaire.

Un bonheur qui, pour cet être-là, n'a pas de prix.

 

Enfance dans une famille où il n'y avait pas de livres. Juste un Missel, le livre de messe. Enfance déterminante. Les seuls livres que j'ai pu lire appartenaient à la Bibliothèque de l'Ecole Primaire de mon village, Contay, mon Combray à moi.

"Verlaine avant-centre" et "Rue du Pré aux Chevaux", mes deux premiers romans, sont nés, vraiment, de cette enfance particulière, dans une famille que ma mère aimait à qualifier de "modeste", pour ne pas dire "pauvre".

Pauvres, nous l'étions sans doute, mais très tôt, je me suis senti riche d'autre chose.

C'est sans doute pour ça que je me suis dit, l'année de mes 9 ans, que plus tard, "quand je serai grand", j'écrirai des romans.

 

© Jean-Louis Crimon

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11 janvier 2024 4 11 /01 /janvier /2024 08:57
Paris. Mini Festin. 2009. © Marie Ferdinand.

Paris. Mini Festin. 2009. © Marie Ferdinand.

Les mots griffonnés sur la nappe en papier, les mots pour ne pas perdre pied, les mots en guise d'apéro, se saoûler de mots pour ne pas sombrer dans la picole, le meilleur chemin pour soigner ton spleen urbicole.

© Jean-Louis Crimon

 

De savoir qu'un morceau d'histoire vient d'être dicté mais qu'il est déjà temps d'en griffonner une autre. Kévin Guisnel, 5/03/2020. Ouest-France.

 

Je suis à ma table, en train de griffonner une phrase; une idée s'est levée, je vais la tenir... Paul Bourget. (1852-1935).

 

Alors, il a repris sa plume, lui qui n'a eu de cesse, toute sa vie, de griffonner des notes. Marie Lenglet, 12/04/2021. Ouest-France.

 

C'est le moment de se munir d'un appareil photo ou de griffonner un croquis ou un plan. Michèle Cuelhes. Le français aujourd'hui, 2001.

 

Il profite du temps libre dans les Transports pour griffonner un cahier d'écolier. Ouest-France, 4/10/2018.

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10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 08:57
Cimetière de Charleville. Eté 2008. © DR
Cimetière de Charleville. Eté 2008. © DR

Cimetière de Charleville. Eté 2008. © DR

Un particulier qui pour l'instant garde l'anonymat, a acquis, le 8 décembre dernier, chez Piasa, à Paris, lors de la vente aux enchères du manuscrit "L'Eternité", plusieurs lettres et documents rares, pour la coquette somme de 280 000 euros. Il a fait don de ses littéraires emplettes à la ville natale d'Arthur Rimbaud, Charleville. 

" Il ne pleut jamais. Voici un an que je couche continuellement à ciel ouvert. Pour moi, j'aime beaucoup ce climat, et j'ai toujours horreur de la pluie, de la boue et du froid", écrit Rimbaud dans une lettre de deux pages écrite à Aden, adressée à sa mère et à sa soeur le 15 janvier 1883.

La lettre la plus émouvante, la plus cruelle aussi, est datée du 23 juin 1891. Arthur écrit à sa soeur Isabelle. Il est couché dans son lit d'hôpital, à la Conception à Marseille, une jambe en moins. Sur une page, il dit sa souffrance et sa solitude : "Je ne fais que pleurer jour et nuit, je suis un homme mort, je suis estropié pour toute ma vie (...). Enfin, notre vie est une misère, une misère sans fin ! Pourquoi donc existons-nous ?"

© Jean-Louis Crimon

 

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Deux semaines après Noël, c’est un magnifique cadeau que vient de recevoir la Ville de Charleville-Mézières. Le maire Boris Ravignon, lors de ses vœux aux habitants ce dimanche, a fait part de sa « joie » en annonçant la surprise : deux lettres manuscrites d’Arthur Rimbaud, ainsi qu’un poème de lui, mais de la main de Paul Verlaine, rejoindront bientôt les collections du musée Rimbaud, grâce à un « généreux donateur » qui souhaite pour l’instant rester anonyme.

 

Pour tenter de comprendre, il faut faire un bond dans le temps et revenir un mois plus tôt, au 8 décembre, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Ce jour-là, les projecteurs sont braqués sur la vente aux enchères qu’organise la maison Piasa  : plus de 200 lots consacrés à la poésie française du XIXe siècle. Le manuscrit de « L’Éternité », un des poèmes les plus connus d’Arthur Rimbaud, dont le manuscrit a disparu depuis plus d’un siècle, est le clou du spectacle. Mis à prix à 150 000 euros, estimé entre 200 000 et 300 000, ce lot 138 décolle et quitte la Terre : 702 000 euros (*) ! Un « record mondial, toute littérature confondue, pour un poème d’une page seulement », selon les commissaires-priseurs.

Charleville-Mézières compte déjà de précieux manuscrits de Rimbaud, en particulier les chefs-d’œuvre « A la musique » et « Voyelles ». Au total, Boris Ravignon cite sept manuscrits, ainsi que des lettres et des dessins. Il n’empêche, les trois nouveaux documents du donateur, plus celui acheté par la Ville, vont sacrément enrichir la collection du musée Rimbaud, lequel n’a pas toujours eu de veine aux enchères.

Le sort ayant voulu que le poète le plus cher au monde soit originaire d’une ville loin d’être richissime, Charleville a parfois été frustrée  : en 2020, elle passait à côté d’une lettre illustrée par un dessin montrant Rimbaud et Verlaine, partie à 200 000 euros, deux fois la somme que la Ville était prête à payer. Quatre ans plus tôt, le fameux pistolet avec lequel Verlaine aurait tiré sur Rimbaud à Bruxelles, estimé à 70 000 euros, s’envolait à… 360 000 euros ! Hors de portée, le pistolet échappait à la Ville.

Celle-ci a cependant eu plus de succès lors de certaines ventes. En octobre 2016, elle s’est vu adjuger, pour 51 000 euros, déjà chez Piasa, un article de 1888 de Paul Verlaine, annoté par lui-même et consacré à Rimbaud. Dans un texte supplémentaire d’une vingtaine de lignes manuscrites, Paul Verlaine y évoque son admiration pour le poète ardennais.

En 2021, Charleville a aussi réussi à acheter, pour 19 300 euros, un portrait de Rimbaud par le peintre cubiste Fernand Léger, réalisé en 1948. Puis en 2022, elle a pu acheter un dessin représentant le poète, de la main de sa sœur Isabelle, moyennant 180 000 euros, grâce à un appel aux dons et à 80 % de subventions de l’État et la Région.

Mais ce qui nous préoccupe se passe juste après, avec les lots 139 à 143. Alors que la Ville a renoncé à « L’Éternité » (malgré de nombreux échanges, jusque dans la dernière ligne droite, avec le ministère de la Culture, pour tenter de l’acquérir), elle a jeté son dévolu sur le lot 140, une des trois lettres de Rimbaud mises en vente. Dans ce courrier de deux pages adressé à sa mère, Vitalie, en février 1891, depuis Harare, le poète évoque les débuts de sa maladie, ses « douleurs dans cette maudite jambe »… La Ville rafle la mise pour 78 000 euros, dont 50 % payés par l’État et la Fondation du patrimoine et 20 % par la Région.

La lettre la plus prisée, et aussi la plus coûteuse, vient juste après. Le poète est désormais dans un lit d’hôpital, à la Conception à Marseille, une jambe en moins, lorsque le 23 juin 1891 il écrit à sa sœur Isabelle. Sur une page, il dit sa souffrance et sa solitude. « Je ne fais que pleurer jour et nuit, je suis un homme mort, je suis estropié pour toute ma vie (…). Enfin notre vie est une misère, une misère sans fin ! Pourquoi donc existons-nous ? »

Cette lettre déchirante, estimée entre 60 et 80 000 euros, part à trois fois ce prix-là : 179 400 euros, soit le quatrième lot le plus cher de la vente. Et c’est le fameux donateur anonyme qui, participant à distance, signe le chèque et vient d’en faire don à la Ville.

Ce n’est pas tout. Dans le paquet, il a glissé deux autres surprises. D’abord le lot 139 (59 800 euros), une autre lettre d’Arthur, adressée à sa mère et à sa sœur, écrite à Aden le 15 janvier 1883. « Il ne pleut jamais. Voici un an que je couche continuellement à ciel ouvert. Pour moi j’aime beaucoup ce climat, et j’ai toujours horreur de la pluie, de la boue et du froid », écrit-il à sa famille, qui traverse l’hiver à Roche, au cœur des Ardennes.

Le dernier lot acheté (143), moyennant 39 000 euros, puis offert, est une curiosité en soi : un poème d’Arthur Rimbaud, « Ce qui retient Nina ! », remontant à 1870, avec cette particularité qu’il est recopié à la main et même signé « Arthur Rimbaud » par… Paul Verlaine, qui imite la signature de Rimbaud ! Ce poème de cinq pages écrites à l’encre noire est joint à une édition originale du recueil Reliquaire, datée de 1891. Pour l’anecdote, rappelle la maison Piasa, le livre avait été mis en vente à Paris le 10 novembre de cette année-là, le jour de la mort du poète…

Que va-t-il se passer désormais ? Les manuscrits, que Boris Ravignon n’a évidemment pas présentés au public pour ne pas les endommager, seraient déjà arrivés à Charleville. Ils devraient être présentés en février, sans doute au musée Rimbaud. En présence du donateur ? Nul ne le sait.

 

Les montants indiqués dans cet article incluent tous les frais et sont communiqués par la maison Piasa (de même que les précisions sur les lots vendus).   

 

 

 

 

 

 

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