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31 juillet 2022 7 31 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Sardaigne. Une rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon
Fluminimaggiore. Sardaigne. Une rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Fluminimaggiore. Sardaigne. Une rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Une fois encore, j'ai repris l'histoire. Sans perdre courage, vingt fois sur le métier, j'ai remis mon ouvrage, ajoutant parfois, effaçant souvent, polissant sans cesse et repolissant d'autant, mais le résultat n'est pas à la hauteur de l'espoir. Cet espoir qui est le mien au départ. Au tout début de l'entreprise. Le récit s'écrit trop comme une leçon trop bien apprise. Je sais si peu de choses précises pour écrire la véritable vie de ce grand-père putatif. Francesco Zanda à la fois si proche et si lointain. 

Si le récit est impossible, le roman s'impose. Mais le roman, c'est tout autre chose. Le roman, c'est une tout autre histoire. Me faudra bien l'écrire un jour. Puisque c'est à moi que la tâche incombe. C'est Ferré qui l'affirme : La lumière ne se fait que sur les tombes. Problème : dans cette histoire, dans mon histoire, il n'y a pas de tombe. 

 

© Jean-Louis Crimon

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30 juillet 2022 6 30 /07 /juillet /2022 08:57
Robert Doisneau et un verre de vin sur le zinc. Paris. 1950. © DR

Robert Doisneau et un verre de vin sur le zinc. Paris. 1950. © DR

Je t'écris du cimetière où ta fille Juliette, ma mère, a fait graver, de son vivant, sur le devant de la tombe qu'elle partage désormais avec mon père, Georges Crimon, son prénom et ton nom. Pour l’éternité, elle est enfin ce qu’elle a rêvé d’être toute sa vie : Juliette Zanda.

Ce beau nom que tu ne lui as pas donné, elle se l’est octroyé, effaçant pour cela son nom de femme mariée, pour prendre enfin ce qui aurait dû être sa première identité. Plus de nom d’épouse, la mort n’en sera pas jalouse. Identité première. Identité dernière.

Plus tard, le soir, accoudé au comptoir de l’unique endroit à boire du village, comptoir autrefois appelé, tu t’en souviens, le zinc, je me repasse le film de ta vie, trajectoire éclair dans un temps qu’on pensait immobile. Ce temps où c’était le zinc de Sardaigne qui coiffait les toits de Paris et qui habillait les comptoirs des bars et des estaminets. Les couvreurs-zingueurs fignolaient les pliures et les soudures du comptoir aussi parfaitement que les membrons et les entablements des toitures. Le membron sert d’ourlet à la toiture et protège des ruissellements de pluie et des inondations. Parfait aussi pour le rebord du comptoir du bistrotier ou du cafetier. Prendre un verre ou boire une bière sur le zinc est entré dans les habitudes langagières autant que dans les coutumes sociales. Même si, en fait, le matériau utilisé pour faire les dessus de comptoir d'un Bar ou d'un Bistrot, sera plutôt, au tout début, un mélange de plomb et d'étain fondu.

 

Sur le zinc, tiens, j’aurais bien pris un café avec toi, mon grand-père inconnu, ou un verre de vin, dans un de ces verres anciens où le fond épais fait loupe. A la loupe de nos verres à pied, on aurait scruté les chemins creux de ton enfance de fils de chevrier et de sabotier. Tu m’aurais parlé de ton père Antioco et de ta mère Rosa. De tes frères Vincenzo et Mario. De ta petite soeur Maria.

Je t’aurais montré mes premiers poèmes, mes préférés, les raturés. Mes premières ratures. Tu m’aurais sans doute dit sans rire : " Lis tes ratures". Je t’aurais parlé de mon petit vélo rouge, cadeau de mes parents pour mes dix ans. Je t’aurais raconté comment un été, nous sommes partis en vacances près du village de naissance de ma mère, du côté de Bouligny, de Joudreville, et de Piennes, et comment nous avons parcouru durant de longues heures les allées de plusieurs cimetières à la recherche de ta tombe. De ton nom gravé dans la pierre, entre deux dates, celle de ta naissance et celle de ta mort. Recherches désespérément vaines qui débordaient de grosses larmes de vraie peine, ruisselant sur les joues de ta fille, ma mère.

Je t’aurais parlé aussi de mon enfance à moi, enfance souvent cruelle, trop pleine de moqueries et d’insultes à cause de mes yeux. Mes yeux de travers. Je t’aurais raconté le football quand on dribble les arbres ou lorsqu’on joue avec eux en frappant le ballon sur l’écorce, comme au billard.

Le verger que ma mère appelle la pâture, c’est notre terrain, notre Parc des Princes, notre Stade Auguste-Delaune. Nous y pénétrons en petites foulées, mon père et moi, après les travaux du soir au jardin. Short blanc et maillot rouge et blanc. Chaussettes rouges à parements blancs. Chaussures à petits crampons en cuir. Deux petites mi-temps de dix minutes chacune. Quelle que soit la saison. Même l’hiver, quand le terrain est tout blanc. « Sont fous avec leur foot, vont attraper mal ! », peste la mère que ça met en colère. Surtout les soirs glacés, quand c’est la neige qui éclaire le terrain, car le verger n’est pas équipé pour les matchs en nocturne.

J’aurais aimé que tu me fasses vivre les chants polyphoniques des bergers Sardes, que tu m’expliques comment le choeur des hommes reprend la première phrase du leader et pourquoi ils ont la main droite sur l’oreille quand ils chantent a cappella. Simple mélodie reprise par tous, a cuncordu, improvisation poétique chantée, chant de travail, chant de fête, berceuse ou chant funèbre, compétitions poétiques de plein air, dans les villages. Tu devais être un bon chanteur. Tu devais être une bonne voix. Une voix des quatre voix du canto a tenore. Quatre voix appelées basse, contra, mesu oche et oche, basse, contre, voix moyenne et voix.

J'aurais aimé que tu m'aides à trouver ma voix.

 

© Jean-Louis Crimon

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29 juillet 2022 5 29 /07 /juillet /2022 08:57
Locomotive électrique AEG dans la Mine de Murville, à Mont-Bonvillers, vers 1928. Collection Claude Marmoy.

Locomotive électrique AEG dans la Mine de Murville, à Mont-Bonvillers, vers 1928. Collection Claude Marmoy.

Retour au fond. Au fond de la mine. Pour mieux saisir le fond de l'histoire. Sur cette photo datée "vers 1928", je me dis que l'un des mineurs se prénomme peut-être Francesco. Que son nom, c'est peut-être Zanda. Que tu es là, au fond de la mine de Mont-Bonvillers, toi, mon grand-père inconnu.

La légende met l'accent sur la Loco : Locomotive électrique AEG dans la Mine de Murville, à Mont-Bonvillers, Photo prise vers 1928. Carte postale de la collection Claude Marmoy. Rien sur les hommes, rien sur les mineurs qui entourent la machine. La machine a une identité. On la définit par ses initiales : AEG. Les mineurs, eux, n'ont pas droit à leurs initiales. Je cherche FZ, mais je ne trouve pas. Personne n'a eu l'idée d'écrire au dos la photo, les initiales des mineurs photographiés.

Pourtant, je me dis que toi, Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, plus inconnu que jamais, tu es forcément sur cette photo. Mont-Bonvillers, c'est le nom de la commune qui est indiquée à la rubrique Etat Civil de L'Est Républicain du 13 septembre 1936.

 

Décès. François Zanda, 40 ans, mineur, à Bonvillers-Mont. (M.et M.) 

 

Depuis le 1er juin 2017, j'ai tout fait pour essayer de retracer ta vie, ton parcours, ton chemin. En avril déjà, j'avais tenu à me rendre dans ton village natal de Fluminimaggiore, en Sardaigne. Pour y recueillir ton acte de naissance. Pour essayer de réconcilier ma naissance Picarde avec ta naissance Sarde.

Sardaigne que tu as dû quitter dans la deuxième moitié des années vingt. Pour l'Est de la France. Pour mourir à la mine. Ton décès est " acté " à Nancy. Pas le 2 août 1928, jour de la naissance de ta fille Juliette, comme le prétendait la légende familiale. Tu es mort huit ans plus tard. Le 11 septembre 1936. Sans doute des suites d'un accident à la mine. Berthe Leloup n'a menti qu'à demi. Ou Juliette, sa fille, ma mère, a réécrit l'histoire. D'année en année. Pour mieux se faire à l'idée. A l'idée du père qu'elle ne connaitrait jamais. L'absent qui s'est, un beau jour, définitivement absenté.

 

En Sardaigne, à Fluminimaggiore, Giuliana, la fille de ton frère Vincenzo, ne veut rien dire. Ne veut rien dire de ce temps-là. Trop loin pour elle. Trop loin pour accepter de partager des souvenirs. Pourtant, on a presque le même âge. 

 

En Sardaigne, à Sassari, Graziella Pulina, celle qui a partagé pendant plus de 50 ans la vie de ton fils François, semble tout autant inaccessible. Ses proches font barrage. Elle est la seule qui aurait pu me parler des souvenirs de France que ton fils, orphelin à 7 ans, par ta mort, en septembre 1936, aurait pu garder. Qu'il a dû partager tant de fois avec la femme de sa vie. 

 

En Sardaigne, mon ami Franco ne ménage pas sa peine, ni son temps, mais le temps, sans doute, a fait son œuvre, cher Francesco Zanda, et chaque jour qui m'éloigne davantage de toi me rapproche tout autant de toi. Dans la mort, la mienne, un jour, forcément, je te rejoindrai, et je saurai, - peut-être -, même si je ne crois à rien de cet au-delà inventé par des hommes craintifs, terrifiés comme de vieilles femmes devant l'immensité de l'éternité. Inconsolables face à ce parcours terrestre bien trop court pour donner un sens à une vie qui n'en a - peut-être - pas.

 

Pour l'instant, toi, mon grand-père inconnu, d'ici-bas, je te salue.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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28 juillet 2022 4 28 /07 /juillet /2022 08:57
Archives Départementales Meurthe et Moselle. 1932-1940. Piennes. Cote 1520 W 214. © Jean-Louis Crimon

Archives Départementales Meurthe et Moselle. 1932-1940. Piennes. Cote 1520 W 214. © Jean-Louis Crimon

Dernier rebondissement dans cette quête que je rêvais conquête. Tu es mort, mais tu t'enfuis encore. Aucune des communes, toutes contactées une à une, n'a trace, dans son Etat-Civil, d'un acte de décès à ton nom. Comme si toi, grand-père inconnu, tu t'évertuais, là où tu n'es plus, à te rendre plus inconnu encore. Chaque mairie concernée, Mont-Bonvillers, Bouligny, Briey, Piennes, Landres, Murville... fait invariablement la même réponse, par mail, par lettre, parfois par téléphone : Aucune trace dans nos registres d'un acte de décès au nom de votre grand-père. Cherchez ailleurs. Cherchez encore. Vous finirez bien par trouver. 

Pas d'acte de décès. Pas de décès acté. Pas de décès officiel. Pas de décès officialisé. Pas de tombe à ton nom. Pas de cimetière où serait ta tombe. Pas de pierre tombale. Pas de nom gravé dans le marbre. Pas de marbre. Pas de pierre au pied d'un arbre.

Dans les Archives Départementales de Meurthe et Moselle, désormais accessibles sur la planète internet, la lecture des tables de successions et absences - incroyable intitulé - révèle entre les lignes une sinistre réalité : si pas d'actif, si pas d'argent, si pas de famille en France pour payer les frais d'enterrement, pas d'enterrement, pas de cimetière, pas de tombe. Seul avenir : la fosse commune. Fosse commune pour le grand-père hors du commun. Je n'arrive pas à me résoudre à cette réalité. Si tu n'es mort pour personne, s'il n'y a pas de tombe à ton nom, si tu n'as même pas eu droit à ce petit monticule de terre qu'une femme ou un fils fleurissent de temps en temps, à Pâques ou à la Toussaint, si tu n'es plus rien pour personne, quand tu meurs, la fosse commune devient ton unique et ultime destin. Ta seule fin funeste. Comme ton voisin de trois lignes au-dessus, dans les tables de successions et absences, qui a droit, lui, à ce commentaire aussi cruel que transparent : Sans actif apparent. Sans actif et sans parent. Sans actif et sans famille, sans proches, sans amis, sans camarades pour te construire une dernière demeure, très probable alors que le mort finisse à la fosse commune. Carré de terre pour les sans ressources pour qui personne ne consentira à délier bourse. Sans ressources appelés aussi indigents. Pauvres gens.

 

Pour la ligne qui te concerne, Monsieur Zanda, dans cette page 203 des tables alphabétiques de successions et d'absences, après ton nom, ton prénom, ton métier, ton âge, au-desssus de l'inscription Mont-Bonvillers, on peut lire cette mention manuscrite : " + à Nancy ".

"+ à Nancy", indication faussement sibylline. Classique petite croix, synonyme de "décès" en généalogie. Donc, cette fois, c'est sûr, je suis sûr, j'en suis sûr : Francesco Zanda, tu es mort à Nancy. Mais où es-tu enterré ?

Mourir à 40 ans, à Nancy, quand on est mineur à Joudreville ou à Mont-Bonvillers, ce ne peut être qu'à l'Hôpital où l'on a dû t'admettre, sans doute après un accident à la mine. Oui, tu as été transféré à l'Hôpital de Nancy, et sur le registre est indiqué le nom de la commune où tu es domicilié, Mont-Bonvilliers, qui se chargera d'annoncer ton décès au correspondant local de L'EST RéPUBLICAIN. Annonce de ta mort qui figurera dans le journal du 13 septembre 1936. 

Francesco Zanda, illustre inconnu grand-père, mineur de mine de fer, tu n'es pas en enfer. Crois-moi, croix de bois, croix de fer, je veux te construire un tombeau. Un tombeau de mots. Ce sera le plus beau.

 

© Jean-Louis Crimon

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27 juillet 2022 3 27 /07 /juillet /2022 08:57
Acte de naissance de Juliette, ma mère, fille de Berthe Leloup, sans mention du père. © Jean-Louis Crimon

Acte de naissance de Juliette, ma mère, fille de Berthe Leloup, sans mention du père. © Jean-Louis Crimon

Quand je commence, il y a plus de cinq ans, cette Longue Lettre à un grand-père inconnu, je ne sais pas où cela va me conduire. J'ai une vague idée du roman que je veux un jour écrire. J'avais cru, enfant, comme ma petite sœur et mon petit frère, à cette histoire tragiquement belle, toujours si bien racontée par ma mère, de la mort de ce père, venu de Sardaigne, mineur dans une mine de fer, ce père mort le jour-même de sa naissance. Parfois, notre mère parlait d'un coup de grisou. Parfois de la mine de fer de Joudreville. Problème : il n'y a pas de grisou dans les mines de fer. Pas de coup de grisou possible. Les mines de fer ont d'autres types d'accident. Accidents mortels moins souvent que dans les mines de charbon. Pour nous, la mort du grand-père venu de Sardaigne pour fuir Mussolini et gagner sa vie à la mine, était plus que crédible. Elle était vraie. Véridique. Authentique. On y croyait... dur comme fer.

Avoir découvert, - par hasard - que Francesco Zanda avait survécu à la naissance de ma mère et qu'il avait eu un fils avec une autre femme que Berthe Leloup, ma grand-mère, avoir compris qu'il avait abandonné, sans doute à la naissance, et la mère et la fille, a quelque peu dégradé l'image que je me faisais de ce grand-père, militant syndical et politique. L'agitatore devenait seduttore. Pas le même combat. Pas les mêmes conquêtes. Mais ça ne se commente pas. Ça ne se juge pas. Même si ça me rend triste.

Sur l'extrait d'acte de naissance de ma mère, tout en bas, à gauche, est portée la mention "Légitimée par le mariage de Francesco Filippin et de Berthe Antoinette Leloup célébré à Bouligny le vingt-neuf septembre mil neuf cent trente-deux." Juliette a été, de fait, pour l'Etat-Civil, "illégitime", " enfant illégitime", pendant quatre ans. Du 2 août 1928 au 29 septembre 1932.

En 1932, son père, son père "naturel" vit avec une autre femme que sa mère, celle qui lui a donné un fils, François Zanda, né, lui, le 13 décembre 1929, à Piennes. Distance entre Piennes et Bouligny, lieu de naissance de ma mère : à peine 5 kilomètres. Francesco Zanda a très bien pu rendre visite à sa fille Juliette pendant 4 ans. Peut-être l'a-t-il fait ? En cachette. A l'insu de Jeanne Bourgeois, la mère de son fils François. Nul ne sait. Nul ne saura.

Aujourd'hui, je ne suis plus très sûr d'avoir envie d'écrire ce roman familial à la gloire du grand-père inconnu, apparemment plus fort en conquêtes féminines qu'en conquêtes salariales. Trois femmes et trois enfants, c'est assez déroutant. Bien loin de l'image de l'agitatore meneur de luttes sociales et de grèves radicales. Agitatore des cœurs féminins. Seduttore.

Me revient à l'esprit la formule de mon ami Enzo Barnabà :

" Un Sarde ne trahit jamais sa parole, sauf si..." En pointillés, à mi-voix, Enzo Barnabà a laissé entendre : "sauf si c'est la guerre ou sauf si c'est... l'amour."

La guerre, l'amour... L'amour, parfois, c'est la guerre... Ça dépend des femmes.

Forcément, c'est dans le "sauf si..." qu'il me faut trouver un sens à la vie de ce grand-père inconnu. Un sens à sa vie. Un sens à ma vie aussi.

 

© Jean-Louis Crimon

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26 juillet 2022 2 26 /07 /juillet /2022 08:57
Francesco Zanda et moi, petit-fils putatif. Photos de 1926 et de 1956.

Francesco Zanda et moi, petit-fils putatif. Photos de 1926 et de 1956.

Un jour, voulant percer

le secret de l'origine filiale

idée saugrenue ou géniale

 

il me faut mettre

côte à côte

nos deux photos d'identité

 

Jeu fabuleux de coller ma photo gamin

à côté de ta photo à toi

Jeu des ressemblances

 

Comparaison du visage

Du passé le présage

Bon augure de la figure

 

Mêmes oreilles 

Grand front pareil

Comme on se ressemble

 

Plus tard, beaucoup plus tard,

je trouve la solution

Trois lettres de ton nom

 

Dans Zanda,

il y a,

ça se voit à peine,

 

A D N. 

 

© Jean-Louis Crimon

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25 juillet 2022 1 25 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Fluminimaggiore. Sardaigne. La rue près de l'église. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

 

Je n'oublie pas qu'à la Mairie de Fluminimaggiore, sur le registre des naissances de l'année 1896, est indiqué en face du nom Francesco Zanda : né dans la maison qui est dans la même rue que l'église. Problème : habiter aujourd'hui la rue près de l'église n'a rien à voir avec ce que ça devait être à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Plusieurs rues aboutissent à l'église. Difficile de dire quelle était ta rue. Il faudrait reprendre un plan de la commune au moment de ta naissance, en mars 1896, pour essayer de localiser précisément l'emplacement de la maison des Zanda. Je me dois de faire ça. Quand je viendrai mettre vraiment mes pas dans tes pas, grand-père Zanda. Quand j'essaierai de prendre les chemins creux comme les caillouteux, quand j'essaierai de refaire le trajet à travers la montagne ou par la route jusqu'à la mine de Buggerru. Je me dois de faire ça. En mémoire de ce que tu as dû vivre, toi. Pour essayer de sentir, de ressentir, de comprendre ce qu'a dû être ta vie. Pour la restituer à défaut de pouvoir la justifier. "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie", répétait sans cesse, sans citer Malraux, ta fille, Juliette, ma mère, qui ne s'appela jamais Zanda. Un jour, je te dirai pourquoi. Même si tu le sais déjà.

Mais avant, me faut m'imprégner de cette terre et de cette vie qui furent ta terre et ta vie. A quoi servirait d'écrire si ce n'était pour ressusciter des morts et les rendre à tout jamais plus vivants que de leur vivant ? Pour qu'ils n'aient pas vécu pour rien, justement.

 

Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, inconnu jusque dans la mort, puisque tu n'as, en Sardaigne ou en France, même pas de tombe à ton nom, je me dois de faire ça pour toi. Je le ferai. Foi de Sarde, même si mâtiné de naissance Picarde.

 

Mâtiné, pour ceux qui ne sauraient pas, se dit d’un animal qui a perdu une partie de sa race. Les chiens mâtinés sont parfois bons à la chasse. Je veux être un bon chasseur. Pour toi, mon grand-père... chassé. Chassé, pourchassé, par la police et les milices Mussoliniennes. Cette histoire-là aussi, je me dois de l'écrire.

 

© Jean-Louis Crimon

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24 juillet 2022 7 24 /07 /juillet /2022 08:57
Fluminimaggiore. Via Roma. Sardaigne. © DR

Fluminimaggiore. Via Roma. Sardaigne. © DR

 

Ce lundi 24 Avril 2017, à Fluminimaggiore, Franco Melas, mon complice dans ce retour aux origines, est allé frapper à la fenêtre de Giuliana Zanda, la fille de ton frère Vincenzo. Elle habite toujours Fluminimaggiore. Elle n'a pas voulu lui ouvrir. Même pas voulu nous recevoir. Rien à dire. Rien à dire de ce temps-là. Tout oublié. Rien à raconter. Pas de photos à montrer. Pas d'anecdotes à partager. Pas de souvenirs précis de ce que son père, Vincenzo, ton frère, ton petit frère, pensait de toi. En dépit de vos neuf ans d'écart, vous aviez pourtant en commun la fuite en France, pour échapper à la police Mussolinienne et le temps passé à Bouligny et à Joudreville. Même pas voulu dire quelques mots sur le pourquoi on t'avait surnommé "agitatore" ? 

"Je ne suis pas intéressée", s'est bornée à répéter sur tous les tons, porte à peine entrouverte, Giuliana Zanda, quand Franco lui a dit qu'un petit-fils de son oncle Francesco était venu de France à Fluminimaggiore pour essayer de comprendre le chemin de cet homme hors du commun qu'a dû être son grand-père. "Pas intéressée", elle est drôle la Giuliana. Elle, peut-être pas, mais moi, oui. Moi, je suis très intéressé.

A la Mairie, sur le registre des naissances de l'année 1896, est indiqué en face du nom Francesco Zanda : Né dans la maison qui est dans la même rue que l'église. Problème : à Fluminimaggiore, en ce temps-là, et aujourd'hui encore, il y a plusieurs églises. Est aussi précisé que la famille où tu es né est une famille de paysans, père éleveur de chèvres. Aussi cordonnier et sabotier, a même ajouté le secrétaire de Mairie.

 

© Jean-Louis Crimon

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23 juillet 2022 6 23 /07 /juillet /2022 08:57
Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR
Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR

Bouligny. Francesco Zanda. Date de demande de sa première carte de séjour : 9 août 1926. © DR

Un beau jour, le miracle se produit. Une photo de toi arrive jusqu'à moi. Découverte fortuite et fabuleuse à la fois. Archives de la mairie de Bouligny. Ta Fiche d'entrée sur le territoire français délivrée par le Préfet de la Meuse, en date du 31 mai 1929. Ta Fiche d'entrée avec ta photographie agrafée dans le coin supérieur gauche. Un grand front, les cheveux brossés en arrière, une petite moustache étonnante et un regard que je trouve beau. Oui, un beau regard. Profond. Un regard qui semble s'évader bien au-delà de l'objectif du photographe. Au crayon, deux mentions : date de la demande carte, 9 août 1926, et au-dessus, une nouvelle date : 11 mars 1929. Seconde mention : parti à Piennes le 30 octobre 1929. Juliette, ta fille, ma mère, née à Bouligny, de Berthe Leloup, a tout juste un an, depuis le 2 août. Pourquoi partir pour Piennes ? Pour y rejoindre Jeanne Bourgeois qui, le 13 décembre, va donner naissance à ton fils, prénommé François. Jeanne Marie Louise Bourgeois, sans profession, née Lantéfontaine, le 20 juillet 1902, domiciliée à Piennes, 9 rue d'Alsace. Où tu habites désormais. Entre Berthe et Jeanne, tu as choisi Jeanne. Entre Bouligny et Piennes, tu as choisi Piennes.

 

Bien sûr, mes lettres sont restées sans réponse. Là où tu es, si tu es quelque part, on n’écrit pas à ceux d’en bas. A supposer que toi, tu sois en haut. Le fait que tu n’aies pas eu de vraie tombe, dans un vrai cimetière, me fascine chaque jour davantage. Fosse commune, pour un destin peu commun, n’est pas une fin commune.

Je pense souvent à ce jour-là où on t’as mis en terre. Etait-ce dans l’enceinte de l’Hôpital ? Là où tu es mort. Etait-ce dans le carré des indigents ? Est-ce qu’au moins il y a eu deux ou trois humains pour accompagner ton cercueil ? Un camarade de la mine, un prêtre, un enfant de choeur ? Est-ce que tu es mort seul dans ta chambre d’hôpital, te plaignant de souffrir, comme Rimbaud, de ta jambe amputée. Est-ce que tu as dit comme tous les amputés : « j’ai mal à la jambe que je n’ai plus » ? Est-ce que quelqu’un t’a tenu la main pour le passage ? Est-ce que tu t’es senti mourir ?  Est-ce que tu as revu des images de ton village de Sardaigne ? Est-ce que tu as eu la force de redessiner mentalement les rues de Fluminimaggiore, et d’abord cette petite rue près de l’église où tu es né et où tu habitais, enfant et adolescent ? Est-ce que tu as revu, un à un, comme on égraine un chapelet vivant, les visages de tous ceux que tu as connus et aimés dans ta vie de jeune sarde ? Antioco, ton père sabotier et chevrier ? Maria, ta mère. Vincenzo, ton frère le plus proche de toi ? Maria, ta petite soeur, la seule fille de la fratrie ?

A quoi as-tu pensé au moment ultime, au moment du dernier souffle, à l’instant du dernier soupir ? Je ne pourrai jamais le savoir. Je ne le saurai jamais. Sur qui ou sur quoi as-tu porté ton dernier regard ? Questions inutiles puisque forcément sans réponse. 

Une seule certitude pour moi, ton petit-fils, je me dois d'écrire l'histoire. Ton histoire. Je me dois de redonner vie à ta vie. Je dois écrire le roman de ta vie. Le roman de Zanda le Sarde. Sûr, ça me tarde. Il est temps. Il est grand temps. 

 

© Jean-Louis Crimon

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22 juillet 2022 5 22 /07 /juillet /2022 08:57
La mort de Francesco Zanda Junior. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

La mort de Francesco Zanda Junior. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

 

A peine le fils de Francesco Zanda découvert, déjà il faut se faire à l'idée que, lui aussi, s'est éclipsé. Impossible désormais d'avoir, de sa bouche et dans sa voix, des nouvelles de son père, ce grand-père inconnu, plus inconnu que jamais. Sur le faire-part de décès, la photo du fils offre peut-être des indices du visage qui a pu être celui du père. Sans certitude.

Seule certitude, l'épouse du fils Zanda, Graziella Pulina, est toujours en vie. Désormais, elle est la seule à détenir quelques souvenirs du versant sarde de ces vies qui sont aussi, un peu, beaucoup, passionément, ma vie. Une lettre, quelques photographies, un objet, une montre, une pipe, une lampe de mineur, autant de signes palpables qui auraient pu traverser le temps. Que les époux Zanda auraient pu conserver.

Questions : Graziella Pulina connaissait-elle la version de l'accident du petit Francesco Zanda, à l'âge de 3 ans ? Avait-elle eu vent de la façon dont le fait-diversier de L'Est Républicain avait relaté la chose, dans la 7ème édition du Quotidien Lorrain, le 2 novembre 1932 ? Que sait-elle aujourd'hui encore de l'enfance française de celui qui devint son mari, à Sassari, Sardaigne, le 31 août 1958 ? Francesco Zanda Junior a-t-il parfois évoqué le passé de son père ? Passé de mineur sarde à Buggerru et de mineur meusien ou mosellan, à Joudreville ou à Piennes ? Passé d'agitatore ou passé de seduttore ?

Francesco Zanda fils, savait-il que son père avait eu un autre enfant, un an plus tôt, une fille, Juliette, ma mère, née le 2 août 1928, à Bouligny ? Bouligny, Meuse, 4 kilomètres 800 de Piennes, Meurthe et Moselle. Savait-il qu'une première fille était née, d'un premier mariage, en 1921, à Fluminimaggiore, en Sardaigne ? Maria, sa demi-sœur sarde. Morte comme lui, en 2011. Etait-il allé la rencontrer ? Lui parler ?

 

Giuliana Zanda, fille de Vincenzo, frère cadet de Francesco Zanda père, est-elle détentrice d'une partie des réponses entourant ces petits secrets ?

 

Tant et tant de questions. Pour essayer de cerner d'un peu plus près la personnalité de ce grand-père inconnu. Pas la moindre réponse en vue.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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