Retour au fond. Au fond de la mine. Pour mieux saisir le fond de l'histoire. Sur cette photo datée "vers 1928", je me dis que l'un des mineurs se prénomme peut-être Francesco. Que son nom, c'est peut-être Zanda. Que tu es là, au fond de la mine de Mont-Bonvillers, toi, mon grand-père inconnu.
La légende met l'accent sur la Loco : Locomotive électrique AEG dans la Mine de Murville, à Mont-Bonvillers, Photo prise vers 1928. Carte postale de la collection Claude Marmoy. Rien sur les hommes, rien sur les mineurs qui entourent la machine. La machine a une identité. On la définit par ses initiales : AEG. Les mineurs, eux, n'ont pas droit à leurs initiales. Je cherche FZ, mais je ne trouve pas. Personne n'a eu l'idée d'écrire au dos la photo, les initiales des mineurs photographiés.
Pourtant, je me dis que toi, Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, plus inconnu que jamais, tu es forcément sur cette photo. Mont-Bonvillers, c'est le nom de la commune qui est indiquée à la rubrique Etat Civil de L'Est Républicain du 13 septembre 1936.
Décès. François Zanda, 40 ans, mineur, à Bonvillers-Mont. (M.et M.)
Depuis le 1er juin 2017, j'ai tout fait pour essayer de retracer ta vie, ton parcours, ton chemin. En avril déjà, j'avais tenu à me rendre dans ton village natal de Fluminimaggiore, en Sardaigne. Pour y recueillir ton acte de naissance. Pour essayer de réconcilier ma naissance Picarde avec ta naissance Sarde.
Sardaigne que tu as dû quitter dans la deuxième moitié des années vingt. Pour l'Est de la France. Pour mourir à la mine. Ton décès est " acté " à Nancy. Pas le 2 août 1928, jour de la naissance de ta fille Juliette, comme le prétendait la légende familiale. Tu es mort huit ans plus tard. Le 11 septembre 1936. Sans doute des suites d'un accident à la mine. Berthe Leloup n'a menti qu'à demi. Ou Juliette, sa fille, ma mère, a réécrit l'histoire. D'année en année. Pour mieux se faire à l'idée. A l'idée du père qu'elle ne connaitrait jamais. L'absent qui s'est, un beau jour, définitivement absenté.
En Sardaigne, à Fluminimaggiore, Giuliana, la fille de ton frère Vincenzo, ne veut rien dire. Ne veut rien dire de ce temps-là. Trop loin pour elle. Trop loin pour accepter de partager des souvenirs. Pourtant, on a presque le même âge.
En Sardaigne, à Sassari, Graziella Pulina, celle qui a partagé pendant plus de 50 ans la vie de ton fils François, semble tout autant inaccessible. Ses proches font barrage. Elle est la seule qui aurait pu me parler des souvenirs de France que ton fils, orphelin à 7 ans, par ta mort, en septembre 1936, aurait pu garder. Qu'il a dû partager tant de fois avec la femme de sa vie.
En Sardaigne, mon ami Franco ne ménage pas sa peine, ni son temps, mais le temps, sans doute, a fait son œuvre, cher Francesco Zanda, et chaque jour qui m'éloigne davantage de toi me rapproche tout autant de toi. Dans la mort, la mienne, un jour, forcément, je te rejoindrai, et je saurai, - peut-être -, même si je ne crois à rien de cet au-delà inventé par des hommes craintifs, terrifiés comme de vieilles femmes devant l'immensité de l'éternité. Inconsolables face à ce parcours terrestre bien trop court pour donner un sens à une vie qui n'en a - peut-être - pas.
Pour l'instant, toi, mon grand-père inconnu, d'ici-bas, je te salue.
© Jean-Louis Crimon