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6 mars 2021 6 06 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Pont de l'Archevêché. Mai 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Pont de l'Archevêché. Mai 2012. © Jean-Louis Crimon

 

Voile de mariée qui vole au vent devant un rideau de cadenas. Tout un symbole. D'abord, il y a ces cadenas qui recouvrent la totalité du grillage du Pont de L'Archevêché. Des cadenas de toutes les formes. De toutes les couleurs. De tout métal. Vil ou plus ou moins précieux. Pas trop. Un cadenas en or ne passerait pas deux nuits dehors. En cuivre ou en fer, ça fait bien l'affaire. La chose tient davantage du symbole que de l'obole. Même si l'offrande n'est pas loin. Le lieu de culte non plus. Là, précisément, on peut écrire : n'en jetez plus. Au propre et au figuré. D'abord, des clés de cadenas dans la Seine. Va finir par faire monter le niveau de l'eau. Rouiller les poissons et les péniches. N'en jetez plus aussi de déclarations niaiseuses. De textos bateau. De sms sans tendresse. De mots d'amour, qui riment avec toujours. D'initiales entrecroisées fatales. De prénoms entrelacés bancals. Je vais vous la réécrire, moi, l'histoire. En couplets assassins. Version chanteur de rue. Crus ou pas crus. Style, le grand amour, c'est cuit.

Jérôme et Jennifer, Cadenas de fer Annick et Pierric, Cadenas en plastique, Marie et Jean-Marie, Cadenas de la Mairie, Luigi et Gabriella, Cadenas tralala, Paolo et Paola, Cadenas paëlla Cadenas en papier, Pour l'amour qui perd pied... Cadenas en carton, Pour traverser le Pont ...Cadenas en gâteau, Pour se prendre un rateau, Cadenas en bombec, Pan sur le bec, Cadenas en goguette, Pour ma miss' tinguette...

L'amour sans promesse. L'amour sans Grand Messe. L'amour Notre-Dame. L'amour macadam. L'amour tout terrain. L'amour, je vais et je viens... L'amour sceptre d'airain. Mais pas d'amour guimauve. Même pour la fille en mauve.

 

Vrai, ça me déprime. Marre de la frime. Tous ces amoureux de Paris qui s'embrassent et se cadenassent. Balancent la clé dans la Seine, sordide mise en scène...

Cadenas d'amour. Compte à rebours. La belle histoire. Conte à rebours. Luchetti, Lovelocks, coeur qui bat la breloque, Tout au long du Pont des amours, de la passerelle des Arts, et jusqu'au bout du Pont de l'Archevêché, très saint est le péché : que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première clé ...

Se jurer un amour éternel, fermer le cadenas et puis jeter la clef dans l'eau du fleuve. Pour une passion fleuve. Vraiment  foutue bizarre tradition urbaine. Coutume à fleur de bitume.

Me donne l'idée d'une autre chanson. Une chanson de ma façon. Musique ancienne. Romantique et cruelle. Des mots de passe, pour ces filles qu'on cadenasse.  C'est l'amour qui trépasse... 

 

L'amour qu'on cadenasse,

La belle est dans la nasse,

La fiançée d'une heure,

Déjà signe son malheur...

 

L'amour quand on l'attache,

Très vite, il se détache...

Toi, la mieux des nanas,

Je t'aime sans cadenas... 

 

La seule clé faite pour toi,

J' la balance par dessus le toit,

C'est pas du tout méchant,

C'est la clé des... champs. 

 

 

Cadenas, variante sublimée de la ceinture de chasteté. Sublimée. Pas sublime. Inconsciemment, faux amants. Jeunes gens du siècle vingt et un déambulent en  plein Moyen-Âge. Prêtres en soutanes et religieuses en cornette, pas si loin. Jeunesse sms qui se joue le grand amour, texto, mais pas in extenso. Sms sans laisser d'adresse. Avec ou sans tendresse. Clé jetée dans le lit du fleuve. Trop au lit pour être honnête. 

 

Fait marrer mon voisin, tout ça ! Veut pas s'en laisser compter. Nouvelle Tradition Urbaine, qu'à cela ne tienne ! Pour le bouquiniste, belle aubaine ! Exclamation soudaine et bras d'honneur vocal à Notre-Dame. Morceaux de répliques à la diable. C'est Julien qui commence :

 

- Moi, j'vais vendre des cadenas !

- Moi, je vendrai des passe-partout...

- Moi, des cadenas à une seule clé !

- Moi, jamais, suis bouquiniste, pas... droguiste !

- Et alors, tu te ferais des couilles en or !

- Oui, mais c'est moche, faire fortune sur le malheur des filles...

- T'as pas d'humour, qu'est-ce t'as contre les cadenas ?

- Le cadenas, ça ferme, ça enferme. Le livre, au contraire, ça délivre...

- Jolie formule, comme toujours, t'es fier de toi ?

- Oui, et j' te l'avoue : y'a de quoi !

- Tu m'agaces quand tu finasses... 

- Tiens, j'ai une idée, à toutes celles qui se font "cadenasser" à Paris, j'offre "Le Rouge et le Noir" ou "Madame Bovary" ! et en prime  : "La Princesse de Montpensier". Tu peux le faire savoir...

 

Fin de l'échange. Grimace de mon voisin, sur ma dernière réplique. Comme d'hab, on peut avoir du rab. Ce soir, j'en prends pas. Préfère aller m'asseoir. Pas loin, sur le banc. Deviser, tout seul, sur les nouvelles traditions du temps.  

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 25 Mai 2012 )

 

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5 mars 2021 5 05 /03 /mars /2021 08:57
Première édition des "Fleurs du mal" annotée par l'auteur. Portrait de Baudelaire. © Carjat.
Première édition des "Fleurs du mal" annotée par l'auteur. Portrait de Baudelaire. © Carjat.

Première édition des "Fleurs du mal" annotée par l'auteur. Portrait de Baudelaire. © Carjat.

 

Sur le banc, parfois, à l'ombre des platanes, quand la poussière et les pollens du soir laissent un peu de répit, sous forme de conversation, s'improvise une inattendue leçon de littérature. Souvent de la même façon. Au départ, une cliente hésitante. Un bouquiniste avenant. Ou compréhensif. Un bouquiniste qui a du temps. Ou qui veut bien prendre un peu de temps. Prendre du temps n'est jamais perdre du temps.

 

- N'achetez pas sur un coup de tête, ou sans vraiment savoir, madame, ...

- Je voudrais Les Fleurs du Mal, le texte, les poésies, les poèmes, bien sûr, mais aussi, un petit manuel en parallèle, un petit livre d'explication ou d'analyse...

- Pour le texte, c'est comme si c'était déjà fait, madame... Cette belle édition des années cinquante, mille neuf cent cinquante, est très agréablement illustrée. Je vous la laisse à trente euros...

La dame a, comme on dit, un certain âge. Un âge certain. Mais un beau regard d'enfant. Une enfant d'un autre siècle. Lire Baudelaire, lire vraiment Baudelaire, pour elle, est une décision récente. Les souvenirs du Lycée semblent si loin.

- Baudelaire, oui, toutes mes amies en parlent en ce moment, alors...

- Savez-vous, madame, que le titre définitif a vu le jour au café Lamblin, pas si loin d'ici. Au cours d'une conversation entre Charles Baudelaire et Hippolyte Babou, ami du poète et journaliste de son métier. Le titre a vraiment été "soufflé" ou "donné" à Charles par Hippolyte. C'est d'abord le titre de dix-huit poèmes publiés dans la Revue des deux-mondes du 1er juin 1855.

- Mais quel titre curieux, monsieur, n'est-ce pas ? Comme si des fleurs pouvaient naître du Mal...

- "Fleurs du Mal" . Beau paradoxe, sans aucun doute, madame. Pour Baudelaire, la mission du poète, c'est vraiment de faire naître la beauté de là où on ne l'atttend pas. De la souffrance. De la douleur. Du malheur. Ou du péché. Le Mal, pour lui, c'est à la fois le mal qui fait mal et le mal qui est mal. Qui est le contraire du bien. 

- Vous pensez vraiment que du "beau" peut naître... du "mal" ?

- Baudelaire en est la plus belle preuve, madame... et c'est un bien pour un mal...

- Comment ça ?

- Cette idée, Charles Baudelaire, élégant et pertinent critique d'art, l'avait déjà plus ou moins élaborée. Conscientisée. En 1855, à propos d'une exposition de peinture, dans le cadre l'Exposition universelle, il donnait cette première approche :  "Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu'il soit volontairement, froidement, bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu'il contient toujours un peu de bizzarerie, de bizzarerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau."  Pas mal dit, non ! Très moderne, ce Charles Baudelaire.

- Vous en savez des choses, monsieur...

- Si peu, madame... Ce que je sais, je l'ai lu... ou on me l'a expliqué... Tenez, en fait, j'ai peut-être le petit guide précieux que vous souhaitez pour ponctuer votre lecture des Fleurs du Mal... Ce petit Profil. Ouvrage déjà ancien. Janvier 1992. Il a 20 ans, mais c'est très bien documenté. Bien écrit. Littérature Hatier. La première édition date de septembre 1987. 25 ans. Un quart de siècle. Comme on dit : ça n'a pas pris une ride. C'est une analyse critique signée Georges Bonneville, Agrégé des Lettres. Je vous en fait cadeau.

- Parfait, monsieur le bouquiniste ! Je vous trouve bien aimable...

- Je vous en prie, madame...

- Mais en fait, avec ses Fleurs du Mal, il cherche quoi, au juste, ce Baudelaire ?

- Il veut, madame, en finir avec la culture classique et ses vieilles valeurs. La décence. La mesure. Le bon goût. Baudelaire se veut le poète qui dérange, qui bouscule, qui étonne ou qui choque. Il se veut rebelle et ses Fleurs du Mal n'en sont que plus belles. Notez, le Parquet de l'époque ne lui fera pas de cadeaux. Pour délit d'offense à la morale publique et aux bonnes moeurs, on ordonnera la saisie des 1300 exemplaires de la première édition de juin 1857. En prime, si l'on peut dire : 300 francs d'amende pour Baudelaire et 100 francs d'amende pour son éditeur Poulet-Malassis. Ordre fut par ailleurs donné de supprimer six poèmes : Les bijoux, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées (le premier poème seulement) et Les métamorphoses du vampire

- Quelle science, monsieur ! vous devez bien l'aimer ce Baudelaire...

- Oui, madame, comme un frère, un grand frère, madame... madame ?

- Madame Aupick, monsieur le bouquiniste !

- Madame Aupick ! ! ?

- Oui, madame Aupick, mère de Charles Baudelaire... ça m'amuse de venir parfois sur le quai de la Tournelle, voir si ce fils que j'ai si peu compris et si mal jugé, est toujours connu et aimé par ce petit monde des lettres. Ce monde pour lequel il aurait damné son âme ...

- Au revoir, madame...

- Merci pour le Profil d'une oeuvre, monsieur. Je m'y penche dès ce soir... Je veux tout comprendre et tout savoir de l'oeuvre de mon fils...

 

La vieille Aupick s'en est allée comme ça, tout simplement. Une édition des années cinquante des Fleurs du Mal et le Profil d'une oeuvre dans son cabas. Moi, je n'en reviens toujours pas.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 27 Mai 2012 )

 

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4 mars 2021 4 04 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Mars 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Mars 2011. © Jean-Louis Crimon

"Comme l'eau qui goutte à goutte tombe du toit,

Pleure mon triste coeur..."

 

En ce samedi de pluie froide sur la ville, me revient en mémoire, ce début de poème raturé en classe de troisième. Lis tes ratures était pour moi Littérature. La Prof de Français se prénomme Claire. Elle a pris en affection le cancre que je dois être. En tout cas, je le crois. Je l'ai cru. Longtemps. Sans le savoir, c'est elle qui m'a sauvé la vie. Ma vie d'élève et ma vie tout court.

 

En cours, elle semblait prendre un malin plaisir à m'obliger à réciter, chaque semaine, devant mes camarades pas franchement médusés, mes dernières trouvailles. D'ailleurs, elle disait "mes compositions". Compositions poétiques. La faute à Dudule, Dufresnoy, mon voisin de salle d'études, qui m'avait piqué un jour - le traître- mon cahier de poèmes pour le glisser dans le cartable de la Prof. Composition Française était ma matière préférée, la seule avec Dessin Artistique où je manifestais quelques qualités. Ou plutôt, formule du conseil de classe, quelques dispositions.

 

Mon "gouttàgouttetombedutoit" avait plu d'emblée à la petite Claire - elle n'était pas plus grande que nous. De l'estrade - c'était avant mai 68 - elle s'était exclamée, faussement solennelle, mais vraiment convaincue : " allitération en T ". Elle qui désespérait, depuis un bon mois, de nous faire trembler d'effroi devant le fameux "pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes" venait de trouver, dans ma dernière trouvaille, de quoi nous convaincre des bienfaits du style et de l'allitération. Elle avait pris toute la classe à témoin :

- Voyez l'importance du son dans le sens de ce début de poème très réussi "Comme l'eau qui goutte à goutte tombe du toit " ! On perçoit vraiment la musique de cette goutte d'eau et le second vers "Pleure mon triste coeur" est très annonciateur de cette mélancolie soudaine qui frappe le poète. On a envie d'entendre la suite, on a envie de savoir ce qui va arriver, ce qui va se passer dans la vie de ce poète si... mélancolique.

 

Je ne savais plus où me mettre. Derrière qui me cacher. J'avais honte. Vraiment honte. Honte de fierté. Fier, je ne le suis plus. J'ai perdu mon cahier de poèmes de ce temps-là et je n'ai jamais retrouvé la suite de mon début de poème griffonné en classe de troisième.

 

Comme l'eau qui goutte à goutte tombe du toit

Pleure mon triste... moi

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 16 Juillet 2011. )

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3 mars 2021 3 03 /03 /mars /2021 08:57
Vladimir Jankélévitch, le philosophe musicien. © DR.

Vladimir Jankélévitch, le philosophe musicien. © DR.

 

Elle est venue du Quai aux Fleurs de la rive droite promener ses 88 ans rive gauche. Elle a poussé jusqu'à la Tournelle. La première fois où on s'est vus, en mai de l'an dernier, je m'en souviens très bien, elle m'avait parlé de son métier de photographe et du temps de l'argentique, tout en me montrant un petit numérique extra-plat dont elle venait de faire l'acquisition. "La photo, vous savez, c'est une histoire de cadrage. Aujourd'hui, tout le monde fait de la photo, mais les vrais photographes sont rares. La plupart, ils ne savent pas cadrer. Vous, ça se voit, vous avez le sens du cadre !" Et puis Geneviève, - c'est son prénom - m'avait complimenté pour les nuances de gris, bien mises en évidence sur les tirages que j'expose dans le haut de mes boîtes de bouquiniste..

Cette fois-ci, on a évoqué l'un de ses illustres voisins du siècle dernier. Jankélévitch. Vladimir Jankélévitch. Le philosophe. Le musicologue. Le musicien. Le génial inventeur du "Je-ne-sais-quoi" et du "presque-rien". Notions philosophiques impensables autrement que par lui. L'auteur aussi de "L'Aventure, l'Ennui, le Sérieux". Le philosophe du " temps", fasciné par "l'instant", l'instant pris, ou plutôt surpris, entre le "pas encore" et le "jamais plus". Elle se souvient très bien, Geneviève, de l'être humain adorable qu'a été Vladimir Jankélévitch et ses yeux en pétillent encore d'émotion : il m'invitait pour le thé, il jouait du piano, il recevait en simplicité.

Une autre des grandes passions de Geneviève, c'est Rimbaud. Arthur Rimbaud. Elle me montre une photo de lui dans la mémoire numérique de son extra-plat. Elle rit et elle dit : "il est là, en photo, on s'quitte pas, je l'emmène en vacances avec moi".

Le quai, c'est comme ça. C'est plein de gens étonnants et souvent vraiment "extra-ordinaires". Faut juste avoir la chance de les croiser. Juste savoir aussi les reconnaître. Savoir leur parler. C'est à dire d'abord savoir les écouter.

 

La dernière phrase de Geneviève avant qu'on se quitte concerne le troisième homme important de sa vie: son père. "Comme disait mon père, le respect s'perd ! Il était marrant, mon père ! "

 

© Jean-Louis Crimon

 

 ( Première parution : 31 Juillet 2011 )

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2 mars 2021 2 02 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. 2010/2011. © DR.

Paris. Quai de la Tournelle. 2010/2011. © DR.

 

Au tout début des années 70, dans l'autre siècle, un étudiant en philosophie découvre le monde particulier des bouquinistes. Un univers à la fois étrange et familier. Amarrés au bord du fleuve, impassibles, de curieux petits bateaux verts prennent l'air, du matin au soir.  Ça l'étonne et le fascine, autant que les cargaisons de ces pénichettes en somnolence sur le quai.

Ses premiers livres vraiment à lui seront des livres déjà lus par d'autres, annotés parfois, jaunis souvent, mais au texte intact et toujours vivant. Au fil des années, à chacun de ses passages sur les quais, rive droite ou rive gauche, il s'invente une bibliothèque impensable, faite uniquement d'achats coup de coeur ou coup de blues. Sans que la Seine en soit jamais jalouse. Il glane indifféremment des éditions de peu de valeur ou des originales. Il entre dans l'amitié de Léautaud, de Poulaille, de Rictus, de Vallès, de Verlaine ou de Rimbaud. Chacune de ses trouvailles lui apporte la part de rêve qui lui manquait jusque là.

Très vite, les bouquinistes chez qui il achète, deviennent, plus que des marchands, des amis. De précieux amis qui le conseillent et le guident, en douceur, vers des titres ou des auteurs qu'il n'aurait jamais connus sans eux. Dix ans, vingt ans, trente ans, quarante ans, toute une vie passe ainsi. Dans l'amitié des livres et de ceux qui en font commerce. A chacun de ses passages dans cette ville où coule la Seine, il ne manquerait pour rien au monde sa balade sur les quais. D'année en année, il progresse dans la connaissance du métier, de ses rites, de ses rituels, de ses manies, de ses travers.

 

Un jour, il traverse la rue. Il entre dans son rêve. Vieux rêve romantique. Rêve d'ado. Rêve d'enfance. A la société encadrée, il tire sa révérence. Libéré du travail obligatoire, ses années de cotisations en ordre, il devient à 60 ans, et un peu plus, celui qu'il voulait être à 15 ans. Homme libre, toujours tu chériras... ton rêve.

 

L'étudiant en philo du début des années 70, bien sûr, c'est moi. Bouquiniste, sur le quai, mon vieux rêve d'ado. Bouquiniste, sur le quai, désormais mon nouveau métier. Mon dernier rôle social. Comme aime à dire ma vieille maman : c'est pas banal 

 

 

Jean-Louis Crimon 

 

( Première parution : 27 Avril 2011 )                                                                                                                        

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1 mars 2021 1 01 /03 /mars /2021 08:57
Chengdu. Chenglong. Nouveau Campus. Déc. 2011.  © Jean-Louis Crimon

Chengdu. Chenglong. Nouveau Campus. Déc. 2011. © Jean-Louis Crimon

Cher Laoshi,

 

Tu te souviens de ton premier poème écrit en Chine ? De la façon dont tu l'as imposé, en douceur, à ta classe de 4ème année de français. Une soixantaine d'étudiants dans l'amphithéâtre, ce jour-là. Des étudiantes surtout. 

Le balayeur, premier poème. Poème rêvé vraiment pendant la nuit. Couché sur le papier vers 5 heures du matin. Quand les premiers balayeurs entrent en action sous ta fenêtre. Musique étrange du balai de genêt qui pousse, amasse et ramasse les feuilles mortes tombées pendant la nuit. Poème écrit pour tes étudiants. Des étudiants charmants qui ne comprennent pas ton intérêt pour les balayeurs et les balayeuses du campus. Ne comprennent pas que tu puisses leur dire Bonjour, à chacun, chaque matin. Les immortaliser en photographies. Les balayeurs, ce n'est pas un sujet intéressant, a tranché, une fois pour toutes, la Chef de classe.

 

       Le balayeur

 

Dès le début d'octobre

D'un geste précis et sobre,

Il entre en scène,

Sans mise en scène,

Ici ou ailleurs,

Lui, le balayeur...

 

Il décrit d'étranges arabesques

Dessine d'invisibles fresques,

Avale des morceaux entiers de trottoir

Ne se raconte pas d'histoire,

Ne tire aucune gloire,

D'un destin pourtant méritoire...

 

Il balaie du matin au soir

Ne prend guère le temps de s'asseoir,

Vous le regardez sans le voir,

Sa vie est monotone,

A peine si ça vous étonne,

Le balayeur efface l'automne.

 

Un beau matin donc, dès ton entrée dans l'amphi, tu écris au tableau les trois strophes de ton poème. Sans dire un mot. Juste Ni hao. Tes étudiantes et tes étudiants lisent, en silence, le mot à mot du poème. C'est un beau moment. Un moment plein. Le plus beau moment de tes six mois chinois.

Tu commences ton cours sans faire référence au poème que tu viens d'écrire à la craie blanche sur le tableau noir. Une heure de cours magistral. Ecriture romanesque, Ecriture journalistique. Tu maîtrises ton sujet. Les étudiants sont bouche bée. A la pause, une étudiante vient te parler. Elle est très étonnée qu'on puisse écrire un aussi beau poème - ce sont ses mots - sur un métier aussi minable. Tu lui dis que ton père, dans sa vie de jardinier, maîtrisait mieux que personne le geste du balayeur. Qu'il était mort il y a dix ans. Que photographier les balayeuses et les balayeurs du campus et de la ville, les saluer chaque jour, c'est une forme d'hommage à ton père disparu. Que tu espères que le père est fier du fils. Fier des photos et de l'attitude de son fils. Elle sourit. Puis s'en va rejoindre ses amies.

Au cours de la deuxième heure, tu lis, avec tes étudiantes et tes étudiants, à haute voix, plusieurs fois, le poème. Un garçon propose qu'on le traduise en chinois. Une fille estime qu'il faut l'envoyer au journal régional pour qu'il soit publié.

 

C'est le dernier vers qui fascine. Le balayeur efface l'automne. Impensable pour tes étudiants. Lumineuse évidence pour toi. A mettre autant d'ardeur et d'application à faire disparaître, à peine tombée, la moindre feuille morte, c'est bien la preuve que le balayeur est porteur d'un pouvoir magique : il est cet être rare qui posséde la "gomme à saisons". Le cours prend fin sur de multiples interrogations. Tu trouves ça bien : aux réponses, tu préfères, depuis toujours, les questions.

 

La semaine suivante, l'étudiante indignée qu'on puisse écrire un aussi beau poème sur un métier aussi minable, vient te revoir à la pause. Tu ne sais si l'expression existe en chinois, mais manifestement, elle a dû balayer devant sa porte. Faire table rase de ses préjugés. Un beau sourire illumine son visage de Joconde inachevée. Elle te dit, tout de go : 

 

- Vous savez, Laoshi, maintenant, je dis "Bonjour" aux balayeuses et aux balayeurs, quand je croise leur chemin. Ils me sourient. Je ne suis pas sûre que leur vie en soit plus heureuse, mais moi, je le suis, Laoshi !  Merci à votre poème. Il a changé mon regard. Il a changé ma vie. 

 

Ce jour-là, tu t'es dit que tu la tenais ta... Révolution culturelle !

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 9 Février 2016 )

 

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28 février 2021 7 28 /02 /février /2021 08:57
Amiens. Troglodyte mignon. 27 Février 2021. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Troglodyte mignon. 27 Février 2021. © Jean-Louis Crimon

 

Il est si petit et si discret que l'apercevoir est déjà un exploit. Le photographier, n'y pensez pas. Celui qu'on appelle "le roitelet des haies", ne pèse que quelques 8 ou 9 grammes et mesure à peine 10 centimètres. S'il a l'apparence d'un petit oiseau dodu, il n'en est pas moins très vif et remuant. Toujours en mouvement. Pas facile à distinguer au sol, plus facilement repérable par son vol bas et ses battements d'ailes très rapides.

Au sol, il porte sa queue toujours dressée. Pour plumage, de jolies teintes de brun, de roux et de gris, avec des stries noires sur les parties inférieures de son corps. Un bec long et fin, des sourcils clairs au-dessus des yeux, complètent son portrait.

Le Troglodyte mignon vit caché dans des crevasses, des fissures, dans les arbres ou les murs, d'où son nom tiré de son mode d'habitation. Il sort de ses caches en sautillant à vive allure entre les pierres ou les arbustes. Au jardin, ses endroits préférés : les massifs, le tas de compost ou de bois, endroits où il peut espérer trouver de la nourriture au sol et se cacher facilement. Pucerons, chenilles, araignées et larves en tout genre, constituent l'essentiel des repas de cet insectivore qui ne dédaigne pas baies et graines.

 

© Jean-Louis Crimon

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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 08:57
Amiens. 26 Février 2021. © Jean-Louis Crimon

Amiens. 26 Février 2021. © Jean-Louis Crimon

 

Maître Corbeau

Sur un rateau perché

Tenait en son bec 

Une allure de 5 G

 

Maître Renard par le bidule attiré

Le brancha sans hésiter :

Eho du Corbeau

Quel beau matos ! Mieux qu'un calendos !

C'est pas des vannes,

Si c'est vrai c'que tu cancannes,

T'es le champion des connectés du quartier.

 

Devant si belle jactance, le Corbeau lui balance :

Grand merci, l'ami, je m'suis mis au salami !

Fatale confidence, bec grand ouvert, le Corbeau perd son outil

S'en saisit illico le futé goupil

Qui lui dit : Mon bon ami du salami,

Je vais vous épater, c'est vous qui êtes dans le pâté !

Tout flatté trop flouté de ses flatteurs,

Perd tôt ou tard ses écouteurs !

 

La leçon sans doute vaut qu'on l'écoute.

Le Corbeau, trop fier pour se montrer fâché,

Jura de rester désormais toujours débranché.

 

 

© Jean-Louis Crimon / p.c.c. Jean de La Fontaine.

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26 février 2021 5 26 /02 /février /2021 08:57
Amiens. 1er Février 2021. 13:46. 1/50. © Jean-Louis Crimon

Amiens. 1er Février 2021. 13:46. 1/50. © Jean-Louis Crimon

Tristesse sans fin. Cinq ou six  jours que mon ami rouge-gorge ne vient plus discrétement se poser sur sa branche préférée. Lui si peu farouche, pas du tout fine bouche, lui visiteur fidèle de chaque matin, lui qui se faisait un bonheur de traverser le jardin pour y picorer, selon le moment de la journée, quelques miettes de pain ou de fromage, ou bien encore piquer dans le gazon petits vers ou insectes, a complètement disparu du paysage du pays des oiseaux de passage. 

Me revient en mémoire une légende très belle où, frigorifié au coeur de l'hiver, le rouge-gorge cherche un arbre pour s'abriter. Aucun arbre ne daigne l'héberger, sauf le houx. Il s'y blottit sans méfiance, mais se se blesse aux piquants d'une grosse feuille verte. Blessure mortelle et son sang colore son plastron tandis que les boules du houx se teintent de rouge.

Dites-moi que la légende ne dit pas vrai. Que mon ami rouge-gorge est toujours vivant. Dans un autre jardin tout simplement.

 

© Jean-Louis Crimon

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25 février 2021 4 25 /02 /février /2021 08:57
Amiens. La becquée. Mai 2020. © Jean-Louis Crimon

Amiens. La becquée. Mai 2020. © Jean-Louis Crimon

Même en âge de se nourrir tout seul, le moinillon flémarde encore un peu, laissant ses parents, souvent la mère, lui apporter sa nourriture et lui donner la becquée. Beauté tendre du nourrissage des petits en leur introduisant la nourriture dans le bec. Sur le plan de l'orthographe, les deux graphies, becquée et béquée, sont admises. La première est la plus courante. Sans doute parce que le bec subsiste dans la becquée.

 

© Jean-Louis Crimon

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