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16 mars 2021 2 16 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Août 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Août 2012. © Jean-Louis Crimon

Le quai, un soir. Dégradé de gris sur Paris. Gris de mistigri. Soudain surgit cette gerbe de couleurs. Une 2 CV Paris Authentic remonte vers Saint-Michel. Une jeune femme, sac Shop Online, marche vers La Tournelle. Pas d'hésitation. Pas de tergiversation. Il me faut cette photo. Juste une question d'angle. De cadrage. D'instant. D'instant décisif. Pas le temps de fignoler. La vitesse de la bagnole ne permet pas qu'on fignole. La marche déterminée de la jeune femme non plus. Faut jouer gagnant. Faut jouer placé.

La photo, c'est le sens du placement. Simplement. Dans l'axe.

Pas forcément chez... AXA.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 5 Août 2012.

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15 mars 2021 1 15 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Plateau Beaubourg. Février 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Plateau Beaubourg. Février 2011. © Jean-Louis Crimon

 

Le hasard. Le hasard encore. Le hasard toujours. Le bol. La chance. Le bol d'être là. Au bon moment. Bol d'être là pour la bulle. Plateau Beaubourg. Février. Un homme se fait des ronds en faisant des bulles. Se fait des euros en faisant des heureux. Deux enfants s'arrêtent et s'attardent. Sous le regard complice des parents. Clin d'oeil. Des bulles de l'enfance, ne jamais faire le deuil. Curieux culte. Exulte la joie de l'adulte. Miracle païen du quotidien. Tout se fige. La place, les gens, les passantes, les passants.

Retour en enfance. Destin de bulle. Bulle et son muet conciliabule. Du destin de bulle de savon, rien ne savons. Souvent bulle ne vit guère sa vie de bulle. A peine née, elle explose et s'efface. Très vite, une autre la remplace. Une autre qui veut vivre à sa place. Une seule veut vivre davantage. Davantage que cette unique magique seconde. Fière de voir tout ce beau monde. Eternité de l'instant. Les deux enfants semblent fascinés. Tout s'arrête. Même le sourire se fige. A la bulle, le silence fait la pige.

 

Deux visages, ravis, pris, surpris, dans une bulle. Une bulle heureuse d'être en vie. Une vie de rêve. D'autant qu'on la sent si brève. Sourire aussi du faiseur de rêve. Toujours, c'est l'enfance que l'adulte ravive. Comme pour mieux... coincer la bulle.

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 31 Juillet 2012.)

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14 mars 2021 7 14 /03 /mars /2021 08:57
 Paris. La mise en bière. Juillet 2011. © Antoine Marette

Paris. La mise en bière. Juillet 2011. © Antoine Marette

 

Il y a des jours sans vie où le bouquiniste traîne un abyssal ennui. Les rares passants des après-midi de ciel gris et d'averses jettent à peine un regard à l'homme qui vend des livres en plein air. Comme s'il n'existait pas. Comme s'il n'était qu'une gargouille de pierre descendue prendre la pose sur le parapet. Histoire de voir la Seine d'un peu plus près. Ces journées grises, même le grand fleuve charrie une mélancolie liquide où l'on peine à noyer cet incroyable chagrin. Face à tous ces livres endormis et à tous ces auteurs morts, le bouquiniste rêve à sa fin prochaine et à son épitaphe future. Trois ou quatre mots. Pas davantage. Tout ça pour ça, lui irait très bien. Oui, simplement ça. Tout ça, toute cette vie, tout ce parcours de détours et de chemins de traverse, tout ce temps passé, à bosser, à rêver, à gamberger, à inventer, toute cette vie, toute cette énergie, tout cet enthousiasme et tout ce désespoir... pour finir, un beau soir, en allongé pour toujours. En gisant, même pas de cathédrale. Statue sans statut. Toute cette vie minuscule et dérisoire, avec ses trois ou quatre pas de géant, pour rien, ou presque. Oui, vraiment, désespérant. Déprimant. Quatre mots pour point final. Tout ça pour ça.

 

Sans aucun doute. Mais le plus tard possible.

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 20 Juillet 2011.)

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13 mars 2021 6 13 /03 /mars /2021 08:57
Amiens. Léo Ferré. Juin 1979. Première interview. © DR.

Amiens. Léo Ferré. Juin 1979. Première interview. © DR.

 

Vous n'allez pas me croire, mais la nuit dernière, j'ai rêvé de Ponge. Oui, de Ponge. Francis Ponge. Parfaitement. L'auteur du Parti pris des Choses. L'auteur de La Seine. L'auteur du Carnet de Bois de Pins. L'auteur aussi de Proèmes. C'est une chose qui m'arrive assez souvent de rêver des absents. Des partis. Des en allés. Des disparus. Il y a trois ou quatre mois, j'ai rêvé de Ferré. De Léo. De Léo Ferré. C'était curieux. Il me parlait comme de son vivant. Je l'ai bien connu de son vivant. Phrase absurde. Comment pourrais-je l'avoir connu autrement que de son vivant ? Comment nous serions-nous croisés autrement que de son vivant ? Donc, il me disait "Petit, tu vois..." Il m'appelait toujours "Petit", même si, en fait, on devait avoir à peu près la même taille. Dans mon rêve, il semblait plus jeune, il n'avait pas la soixantaine comme quand je le rencontrai pour la première fois. Aujourd'hui, d'ailleurs, j'ai l'âge qu'il devait avoir au moment de notre première rencontre. Dans mon rêve, Léo me disait : Tu sais, petit, j'ai appris que tu étais devenu bouquiniste, tiens j'ai préparé ça pour toi, ce sont de vieux livres que j'ai lu et relu, ils viennent d'ailleurs presque tous des quais, j'aimais m'y promener dans mes premières années parisiennes, allez, prends-les, ils sont pour toi, tu les vendras en pensant à moi. C'était vraiment étrange comme situation. On était là, tous les deux, dans un petit appartement mansardé. On parlait comme on parle sous les toits. On buvait du café. Léo fumait. Je me disais que ce n'était pas possible. Dans mes rêves, souvent, je suis capable de m'extraire de la scène, et de dire au rêve qu'il est absurde. Que ça n'a pas de sens. Que ce n'est pas possible.

Le lendemain de la nuit du rêve de Léo Ferré, il y avait, devant ma porte, une pile de vieux bouquins qui n'y étaient pas la veille. Mon nom et mon prénom griffonnés à la hâte sur un bout de papier glissé sous la ficelle qui tenait l'ensemble. La concierge de l'immeuble, sans doute. A moins que...

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 3 Déc. 2012.)

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12 mars 2021 5 12 /03 /mars /2021 08:57
Amiens. Goéland du soir. Mardi 9 Juin 2020. 1/250. 19:34. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Goéland du soir. Mardi 9 Juin 2020. 1/250. 19:34. © Jean-Louis Crimon

 

Cette fois, c'est sûr, la mer au fond du jardin, je vais l'avoir. La preuve: ce jeune goéland passé me dire bonsoir. Sans crier gare, il s'est posé sur le gazon. A hésité à quitter l'herbe verte pour la véranda entrouverte. A quitter le gazon pour la maison. Porteur de je ne sais quelle nouvelle. 

En fait, il avait dû voir de ses yeux perçants un reste de repas du chat du voisin qui vient parfois gourmander une aile de poulet. Il a quitté son escadrille de famille pour plonger d'un coup chez nous.

Un goéland sur le gazon, surréaliste et bizarre image du soir. Paraît que la mer n'est pas si loin et qu'ils sont de plus en plus nombreux à venir jusqu'en ville. La mer, elle est à moins de soixante-dix kilomètres. A vol d'oiseau.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 9 Juin 2020.

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11 mars 2021 4 11 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Le quai des bouquinistes. Rive gauche. 10 janvier 2013. © Jean-Louis Crimon

Paris. Le quai des bouquinistes. Rive gauche. 10 janvier 2013. © Jean-Louis Crimon

Quai d'hiver, quai désert, c'est la vie à l'envers. Sous un ciel hagard, le quai prend des airs de quai de gare. Sur la rambarde s'attarde le convoi du soir. Petit train de wagons verts. A l'arrêt ou au départ. Wagons de marchandises. Quoique tu en penses, quoique tu en dises, des centaines et des centaines de livres qu'il faut que tu relises.

C'est la saison morte. Faut prendre ce que la vie apporte. Enfilade de cercueils sous la haie d'honneur d'arbres sans feuilles. Quai désert, quai d'hiver, les plus chanceux vont se mettre au vert.

 

Le passant se fait rare. Promeneur d'hiver a le coeur solitaire. Pas un mot, à peine un regard. Juste un coup d'oeil au ciel, pour y lire l'heure de la pluie.

Quai désert, quai d'hiver. Petit train de wagons verts, tous fermés, ou presque. Sont rares ceux qui sont ouverts. Pour l'hiver, en partance. Saison des remembrances. Dans la saison froide, on s'embarque.

Plus loin, là-bas, tout au loin, à hauteur de La Tour d'Argent, à trois pas de Sainte-Geneviève, le grand Bernard, héroïque ou stoïque, garde le quai... Il veille...

Sentinelle éternelle... Guetteur inlassable... Vigie véritable... Gardien du phare du bout du quai.

Quai d'hiver, quai désert... c'est la vie à l'envers.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 10 Janvier 2013.

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10 mars 2021 3 10 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Mars 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Mars 2012. © Jean-Louis Crimon

Depuis que je me suis remis à la photo, j'ai le sentiment d'avoir manqué ma vie. Je me suis, professionnellement parlant, égaré dans l'univers des mots et des idées. Pendant  40 ans. Le comble, j'y ai pris du plaisir. Beaucoup de plaisir. Les mots, écrits et publiés dans le journal, ou parlés à la radio, étaient ma raison d'être, mon pain quotidien et, soyons lucide, mon gagne-pain. Mon gagne-pain quotidien. C'est la vie, me suis-je dit, un beau jour. J'ai renoncé à la photo. Sans réaliser alors la gravité du renoncement. J'ai trahi mon premier amour. Je me suis trompé de vie.

 

Ma boîte à images, mon boitier, mon 24x36, (selon les années, Mamiya ou Minolta, Praktica ou Leica), je l'ai abondonné un beau jour pour mon clavier AZERTY et mon micro Sennheiser. Conséquence : mes négatifs, soigneusement développés et coupés par bandes de six vues, ont dormi, à l'abri de la lumière et de la poussière, pendant trois ou quatre fois dix ans. Aujourd'hui, ils sont intacts. Comme neufs. Commme développés, et séchés, il y a quelques heures à peine. Comme si les images argentiquement supportées, et transportées, à travers le temps, avaient été prises la veille ou l'avant-veille.

De fait, le destin de ces images est  assez extra-ordinaire. Littéralement "en dehors de l'ordinaire". Ce n'est pas aussi courant que des photos prises au début des années 70 ne soient "révélées", au sens photographique du terme, que quarante ans plus tard, dans les années 2010. Façon d'éprouver les instants dans la dure durée du temps. Mes négatifs n'ont pas bougé. Certaines photos, mal fixées, deviennent sépia. J'ai, en n'effectuant aucun tirage sur papier, échappé au sépia. La photo sépia. Mais je n'ai pas échappé à " la photo s'épia ". Du Lacan dans le texte. Si Lacan avait été photographe. Le Leica de Lacan, joli titre, non, pour mon prochain roman ? Un photo-roman. Pas un roman-photos. Pas une histoire d'amour un peu mièvre. Non, un photo-roman. Un livre où les photos ponctuent les chapitres. Cadrent le décor. Inventent une autre histoire. Une histoire dans l'histoire. Un photo-roman, tout entier fait d'instants. Instants essentiels et dérisoires à la fois.

 

Henri Cartier-Bresson, le premier, a dû dire " De tous les moyens d'expression, la photographie est le seul qui fixe un instant précis". A partir de là, HCB a développé sa conception de "l'instant décisif".

Instant décisif ou instant dérisoire. Très vite, inconsciemment d'abord, puis consciemment, je me suis laissé séduire, au contraire, par la beauté éphémère de l'instant dérisoire.

L'instant dérisoire, par opposition à l'instant décisif de HCB, c'est l'instant insignifiant. L'instant d'une beauté insignifiante. Mais qui, pour moi, en devient essentielle. C'est l'importance de l'accessoire. L'utile du futile. L'image de l'instant dérisoire n'est pas indispensable, et c'est pour cela qu'il n'est pas pensable qu'on puisse s'en passer.

 

Sans partager tout ce qu'il dit de "l'instant décisif", je me sens proche d'un Cartier-Bresson quand il raconte sa quête photographique : "Je marchais toute la journée l'esprit tendu, cherchant dans les rues à prendre sur le vif des photos comme des flagrants délits". Je ne fais rien d'autre dans mes déambulations urbaines. Quand à la situation absurde où je me suis moi-même mis, j'ai trouvé une façon très philosophique de la définir. Une définition exacte de mon état. Pas seulement de mon état d'esprit. Je vous laisse juge : Je suis le seul photographe au monde à avoir passé la majeure partie de sa vie au stade du négatif. Diagnostic en forme de check up psychologique. Jolie perspective. Intéressant développement futur. J'entrevois déjà le divan d'un de mes amis, psychanalyste convaincu et convaincant.

Henri Cartier-Bresson disait encore : " Il faut être sensible au détail ". HCB parle aussi d'une sorte de "pressentiment de la vie". D'une nécessité d'anticiper l'évènement. Nécessité d'avoir cette sorte d'intuition, ce sentiment aigu qu'il va se passer quelque chose. De l'entrevoir pour ne pas le manquer. L'entrevoir pour le voir. Quand il va se présenter devant nous.

 

Au fond, la leçon que je retiens de Cartier-Bresson, c'est exactement ça : la photo, il faut la voir, avant de la prendre. La sentir ou la pressentir. La voir, avant de ... l'avoir !

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 21 Mars 2012.)

 

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9 mars 2021 2 09 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. © Jean-Louis Crimon

 

Curieux moment en début d'après-midi: un homme était à la recherche d'un autre homme. Un homme qui a habité le quartier autrefois et qui voulait retrouver l'endroit où officiait un bouquiniste chez qui il avait acheté de nombreux livres. Un bouquiniste qui avait la particularité d'avoir été, dans une autre vie, chanteur. "Il a une très bonne voix. Il est  plutôt grand. Il a écrit des centaines de chansonsDe mémoire, ça ne doit pas être très loin de votre emplacement. Son prénom, si je ne me trompe pas, ce doit être Bernard." Détails précis. Identification immédiate. Localisation de même. Beau sourire sur le visage de l'homme en quête de son ami d'antan.

Le Grand Bernard, comme on l'appelle affectueusement sur le quai, facile à reconnaître. Là-bas, presque à hauteur de La Tour d'Argent. Juste à côté des boîtes du P'tit Bernard, le spécialiste des polars. Grand connaisseur de San-Antonio. Ne lui vendez  jamais rien, vous êtes sûr de vous faire avoir. Chez les bouquinistes, c'est comme ça, il y a des margoulins et il y a des artistes. Des gens de talent vraiment.  Pas seulement des marchands. Plus ou moins honnêtes. Plus ou moins scrupuleux. L'un de mes autres mes voisins, sur le quai, en remontant vers Montebello, n'est pas seulement celui qui a trouvé le thème de "Requiem pour un con", pour un certain Serge Gainsbourg, qu'il accompagnait à l'époque, c'est aussi un peintre de talent. Un peintre qui n'a jamais exposé. Mais qui le ferait bien maintenant. "J'ai peint  La Grande Chaumière, à Montparnasse". Jacky raconte avec des étoiles de grand môme dans les yeux : "J'avais 14 ans. Les modèles posaient nus. A 14 ans, voir des femmes nues, tu imagines..."  Aujourd'hui, dans la vie de Jacky, la peinture a pris la place de la musique. Il s'en étonne lui-même. Avoue, avec un rien d'admiration pour ses insomnies créatrices : "Je me réveille la nuit et je me mets à peindre ! "

 

Plus tard, juste avant l'arrivée de la lumière du soir, c'est le passage des colporteurs. Ils approvisionnent les bouquinistes. Rive droite comme rive gauche. Beaucoup de Poches, dans leurs poches. Enfin dans leurs sacs. Des grands sacs. Genre sacs de sport où la littérature transpire par tous les pores. Caddies même parfois pour les plus astucieux. Moins lourds à porter les livres, si tu les roules. Eric et Georges. Georges a toujours des trouvailles intéressantes. Et souvent des 45 Tours des années soixante. Eric connait bien son affaire. Il sait y faire. Petits prix pour les uns. Bons prix pour les autres. Livres en allemand pour Michel, celui qui s'est spécialisé en langues étrangères. Chez Michel, vous ne trouverez jamais  un livre  en français, il a choisi, depuis longtemps, d'offrir aux promeneurs, aux passants, aux fouineurs, aux chercheurs, aux amateurs, tout ce que ses collègues n'offriront jamais: des livres en italien, en espagnol, en allemand, en anglais, en suèdois, en russe, et même en mandarin.

 

L'homme qui m'avait demandé l'endroit où travaillait le Grand Bernard est repassé me voir. Il était visiblement heureux et pas mal ému d'avoir retrouvé celui qu'il cherchait. On a reparlé chanson. Une de ses passions. Confidence en forme de cadeau, juste avant de s'effacer :  " Vous savez, dans  ma vie, j'ai rencontré Brel plusieurs fois.  La première fois, j'étais professeur dans un lycée, à Meknès, au Maroc. Le Proviseur avait invité Brel à rencontrer les élèves. Brel avait joué le jeu. Il leur avait dit "on rêve jusqu'à 15 ans, après on réalise ses rêves". Jacques Brel, un type extraordinaire. Je suis allé le voir dans l'Homme de la Mancha. Je suis même allé le voir aux Marquises. Comme lui, je pilote. On avait le même avion."

 

Le Grand Jacques. Le Grand Bernard. On a les fréquentations et les amitiés qu'on mérite, monsieur. N'en dites pas davantage, vous allez faire des envieux.

 

A part ça, on ne m'a rien acheté. Autrement dit,  je n'ai rien vendu. Passé quatre heures sur le quai. Pour rien. Non pas. Ce soir, je me sens riche des mots des conversations tenues. Juste avant la fermeture, un homme cherchait "La Contrebasse" de Süskind. Pour sa fille lycéenne. Qui l'accompagnait. Discrètement. Légèrement en retrait. De Süskind,  j'avais "Le Parfum", mais l'homme voulait "La Contrebasse".  A défaut de Contrebasse, je lui ai proposé une cythare. "La Cythare nue" de Shan Sha, la plus française des romancières chinoises. Shan Sha, superbe pseudonyme qui peut se traduire par "Bruissement de vent dans la montagne". Shan Sha, Goncourt des lycéens 2001 pour La Joueuse de go.

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 19 Février 2012.)

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8 mars 2021 1 08 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. Printemps 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Printemps 2011. © Jean-Louis Crimon

 

Au tout début de mon arrivée Quai de la Tournelle, j'ai cru que les mariés étaient de vrais mariés. C'est ma voisine, Marie-Hélène, bouquiniste de longue date, qui m'a mis au parfum. Elle m'a dit "c'est des faux" ! Des mariés pour de faux. Je ne croyais pas ça possible. J'ai gardé sur ces choses-là un regard d'enfant. Quand on se marie, c'est pour de vrai. Quand on se marie, c'est pour la vie.

M'a fallu déchanter. Ces mariés sont des mariés de pub. De campagne publicitaire. Pour la Chine ou pour le Japon. Des Chinois et des Japonais qui se chamaillent aujourd'hui pour des cailloux sans habitants et qu'on croirait sans intérêt. Des cailloux stratégiques, à ce qu'en disent les journaux. Cinq cailloux et trois rochers. Quelque part en mer de Chine. Des eaux très poissonneuses, disent-ils, en évoquant ces îles, avec, possiblement, dans les fonds marins, de non négligeables ressources pétrolières.

S'en moquent sans doute éperdument mes beaux mariés à la Peynet, version asiatique. Parfois la mariée est en rouge. Le rouge, couleur suprême, et suprême valeur, pour les Chinois. Peu importe pour moi, puisque c'est pour de faux. Faut c'qu'y faut. Mais là, y'a comme un défaut. M'est avis que dans la vie, faut de l'amour, mais pas du faux.

 

L'amour, je frappe à ta porte. Toctoc ! Ah bon, c'était pour de faux. C'est du toc ! C'est pas très beau. Le toc, ça se retoque. Et toc ! Moi, je ne veux que du vrai. Mariage du bout du quai. Mariage alambiqué. Mais oui, mon biquet. 

Les mariés du quai ne s'embarquent qu'en rêve. Je sais, c'est bateau. Mais pour trouver une jolie chute à ce billet quotidien, allez savoir pourquoi, aujourd'hui je rame.

 

Mariés pour de vrai ? Mariés pour de faux ? M'en fous. L'amour vrai n'est pas sans défaut. L'amour faux semble si vrai. Pas vrai ? Me dites pas que j'ai tout faux.

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 8 Mars 2011.)

 

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7 mars 2021 7 07 /03 /mars /2021 08:57
Paris, Quai de la Tournelle. 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris, Quai de la Tournelle. 2012. © Jean-Louis Crimon

L'idée est celle d'un collectif d'associations féministes. A la veille du 8 mars, journée internationale de la femme, s'attaquer au plus célèbre des bastions de la domination masculine : la règle de grammaire qui veut que, dans notre langue, toujours, en cas d'accord, ce soit le masculin qui l'emporte. Les féministes en question demandent le rétablissement de la règle dite de proximité, datant de 1767, qui exigeait autrefois, à l'époque des rois, d'accorder l'adjectif avec le nom le plus proche ainsi qualifié. En vertu de quoi, il faudrait à nouveau dire :"Les hommes et les femmes sont belles" et non plus : "Les hommes et les femmes sont beaux". Julien, mon voisin sur le quai, chauffeur de taxi dans une autre vie, et qui, soixantaine superbe, porte plutôt beau, s'est exclamé: "Les hommes et les femmes sont belles ! Celle-là, elle est bien belle !"

 

Chez les bouquinistes, la langue, c'est un peu notre gagne-pain. D'abord, il faut l'avoir bien pendue si l'on veut vendre chaque jour quelques bouquins. La grammaire n'est pas la première de nos préoccupations. L'imparfait du subjonctif, pas davantage. Au nombre de femmes qui exercent dans la corporation, on pourrait concéder que chez nous aussi, comme dans d'autres assemblées, c'est - malheureusement - toujours le masculin qui l'emporte. De là à remettre en cause une règle de grammaire apparemment acquise et partagée par le plus grand nombre, ça, ça étonne et scandalise mon voisin.

Pour le plaisir de la discussion, qui est toujours, avec lui, un vrai bonheur, je me suis amusé à lui faire commenter cet exemple d'accord trouvé sous la plume d'une blogueuse. Mon voisin est réfractaire au monde internet, aux mails et aux blogs, mais il aime assez bien être tenu au courant. Je lui explique donc : tu connais le mot tailleur. Une femme en tailleur, ça te va ? La phrase, Julien ! pas la femme ! L'exemple. Je ne te parle pas d'une femme en tailleur, en particulier. Juste de cet exemple particulier d'une femme en tailleur.

Je poursuis : tu connais le mot "cravate" ? Tu es d'accord avec moi que "tailleur" est du genre masculin, mais que c'est généralement beaucoup mieux porté par le "genre féminin", je veux dire "par une femme" ! Maintenant, "cravate", toujours d'accord avec moi, Julien, est bien du genre féminin. Mais, problème: une cravate est plutôt un attribut masculin. Les hommes portent des cravates. Même si, c'est vrai, certaines femmes, en de rares occasions, s'attribuent parfois, le port de ce que Freud n'a peut-être pas osé qualifier de "symbole phallique". Bon, Julien, imagine donc que ta femme aille au pressing récupérer ta cravate et son tailleur. Que va lui dire la dame du pressing ?

 

- Votre Tailleur et votre cravate sont prêtes ! 

 

Non, la dame du pressing dira : " Votre tailleur et votre cravate sont prêts ! "

 

Mon voisin Julien s'est juste exclamé : Tout ça, c'est la faute à Richelieu et à son Académie Française ! Adorable Julien. Qui a ajouté - ce en quoi, il n'a pas tort : tu sais, tout ça, ça dépend comment on parle. Tôt ou tard, c'est l'oral qui l'emporte sur l'écrit. Pas l'inverse

 

J'ai repensé à ce que m'avait dit un jour, il y a au moins vingt ans, dans un taxi qui nous conduisait vers la gare, un ami professeur de linguistique, Dominique Maingueneau, alors que je lui faisais part de ma déception d'entendre régulièrement à la radio "un interview" au lieu de "une interview", "un autoroute" au lieu de "une autoroute", et pire encore "cette interview, je l'ai fait" au lieu de "cette interview, je l'ai faite".

La phrase de mon ami professeur de linguistique, - je m'en souviens comme si c'était hier-, c'est : le linguiste n'est pas le législateur de la langue,  il est seulement  le greffier de l'usage

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 7 Mars 2012.)

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