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26 mars 2021 5 26 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Avenue Marceau. 25 Avril 2013. / Nice. Juillet 2016. © Jean-Louis Crimon
Paris. Avenue Marceau. 25 Avril 2013. / Nice. Juillet 2016. © Jean-Louis Crimon

Paris. Avenue Marceau. 25 Avril 2013. / Nice. Juillet 2016. © Jean-Louis Crimon

Reprographe du 57 de l'Avenue Marceau. Deux jeux d'épreuves. Rencontre fortuite. Insolite. Inédite. Crimon tutoie Lévy. Un auteur anonyme ou presque et une star mondiale de la littérature. Du côté de chez Shuang et Un sentiment plus fort que la peur. Deux tapuscrits. Deux livres en devenir. Deux destins qui se croisent. Un instant côte à côte. Des millions d'exemplaires assurément assurés pour l'un. Au mieux, quelques centaines pour l'autre. A quoi ça tient le succès ? La reconnaissance ? 

Comme mon vieil ami Paul Briois, anonyme talentueux boxeur d'avant-guerre, je pourrais dire aujourd'hui : La gloire n'a pas voulu de moi.

 

© Jean-Louis Crimon

 

( Première parution : 25 Avril 2013.)

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25 mars 2021 4 25 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de La Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de La Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

Beau moment cet après-midi d'avril. Belle rencontre. Belle conversation. L'homme aimait les livres. L'homme aimait le foot. Football et littérature, pas toujours évident de conjuguer les deux passions. Lui, avait été joueur professionnel. Au Stade Rennais. Dans la conversation, comme autrefois sur le terrain, il a le sens du dribble. Tu te dis que c'est le jour où jamais pour relire Verlaine avant-centre. Ce roman-football rêvé à 9 ans, écrit 40 ans plus tard, et à tout jamais éternel dans l'éternité dérisoire des livres déjà oubliés de leur vivant. Dommage. Simplement dommage. Souvenir incroyablement vivace - début des années 2000 - de cet élève de 5 ème d'un Collège de Creil, dans l'Oise, fasciné devant le "contrôle à une touche de balle", sur le rectangle de gazon, métamorphosé en "virgule" sur le rectangle de la page. 

 

- M'sieur, M'sieur, Contrôle à une touche de balle

 

L'élève tellement fier de cette réinvention de la ponctuation dont il se foutait joyeusement cinq minutes avant. Sa Prof de Français subjuguée devant le miracle. " Vous avez inventé quelque chose, Monsieur. Il faut breveter l'idée ! "

...

"La ponctuation est pour moi la technique utile au jeu d'écrire, comme le jonglage se révèle précieux pour apprendre à contrôler la balle. C'est une respiration dans le match que l'écrivain livre avec les phrases et avec les mots, une manière de temporiser, de maîtriser la partie, avant de relancer, de jouer en profondeur, sans se refuser, si l'opportunité se présente, un superbe changement d'aile. Histoire de dérouter le lecteur.

...

​"Les deux points représentent le but par lequel doit passer la phrase. Bien construite, bien menée, bien appuyée par les arrières et les demis, elle va droit au but, elle atteint son but, elle marque. La virgule, c'est le contrôle à une touche de balle, avant le dribble court, ce dribble irrésistible qui met l'adversaire dans le vent, comme on embarque son lecteur pour mieux le prendre à contre-pied. Le point d'exclamation ponctue une belle action de jeu: c'est le joueur étonné de voir son tir raser de près le poteau et choisir de passer juste à côté du cadre ! Le point d'interrogation, n'est-ce pas le goal qui saute les bras en l'air et qui se demande une fraction de seconde s'il va bloquer ou dévier en corner ? D'une claquette dans le cuir, in extremis, pour l'expédier au-dessus de la transversale ? Ou alors, les deux mains en écran, pour stopper la trajectoire du ballon, l'arrêtant net dans sa course, tout en accompagnant le mouvement ? Les deux mains en écran: deux parenthèses qui effacent la tentative de but.

...

" Les points de suspension, une action dont on ne sait si le ballon va mourir en touche ou en six mètres, phase de jeu mal maîtrisée comme une phrase mal ficelée ou une idée confuse qui reste en suspens, parce que l'on ne sait pas comment conclure. Le point, c'est le rond central, le lieu de l'engagement, là où la rencontre commence, là où l'on revient toujours après un but marqué, pour engager à nouveau, comme dans l'écriture : à chaque point, ça repart. Comme si rien n'était joué. Comme si tout était à refaire. Ça repart et ça va plus loin. Dans le match de l'écrivain avec les mots."

 

Trois extraits de la façon dont un roman revisite l'écriture et la ponctuation. L'art du dribble et autres facéties. Un ballon de foot pour faire vivre les arbres du verger. Les mots et les idées aussi.

 

© Jean-Louis Crimon 

 

Première parution : 10 Juin 2016.

 

Verlaine avant-centre. Le Castor Astral. Janvier 2001. (pages 107, 108 et 109).

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24 mars 2021 3 24 /03 /mars /2021 08:57
Campagne picarde, vers Gorenflos. Hiver 1974/75. © Jean-Louis Crimon

Campagne picarde, vers Gorenflos. Hiver 1974/75. © Jean-Louis Crimon

 

"Moi, j'ai horreur du noir et blanc, je n'aime que la couleur !" Jugement direct. Sans équivoque. Il est l'oeuvre d'un passant qui s'est attardé de longues minutes devant mon étal. Plutôt attiré par le haut de mes boîtes, où pour casser la monotonie des journaux anciens sous cellophane, suspendus sur un fil avec des pinces à linge, j'expose aussi au regard des photos, format 18x24. Belles photographies prises, pour les premières, au début des années 70, quand j'étais étudiant en philosophie, puis dans les années 80 et 90, quand j'étais journaliste, mais, photos réalisées en dehors du strict exercice de mon métier: j'étais journaliste à la radio. D'autres sont plus récentes, comme celles du Grand Palais, prises l'an dernier, au moment de la présentation officielle de la dernière photo connue d'Arthur Rimbaud. Autant d'instants décisifs ou anodins, essentiels ou dérisoires, autant d'instantanés surannés, glanés d'année en année.

 

Le noir et blanc, les Américains, les Hollandais et les Japonais en sont friands. Ils achètent assez facilement, mais négocient âprement le prix. Disons que mes photos sont très "vintage" comme on dit aujourd'hui. Alors, monsieur, pardon de ne pas partager votre point de vue sur la pauvreté du noir et blanc. Une telle affirmation mériterait d'être contredite. Ou débattue. Mise en question. Vous ne supportez pas, monsieur, que l'on vous contredise. Bon, ça ne va pas être facile. Comment faire ? Accepteriez-vous que nous dialoguions en silence. Qui ne dit mot consent. C'est moi qui commence.

Détrompez-vous donc, mon ami, qui n'êtes pas mon ami, le noir et blanc n'est pas manichéen, le noir et blanc n'est pas l'expression d'un monde en noir ou blanc. Selon la formule consacrée, ce n'est pas " tout noir ou tout blanc ". Le noir et blanc, c'est tout sauf "noir ou blanc". Avez-vous jamais goûté, monsieur, la saveur, la douceur, la beauté, du dégradé de gris ? Le dégradé de gris n'est pas dégradant. Au contraire, mon cher monsieur, c'est dans le dégradé de gris que la lumière prend naissance.

Tenez, parmi les photos que j'aime, il y a celle de cet homme qui marche dans la neige sur une route verglacée, il tourne la tête vers les champs et la plaine, comme pour mieux embrasser du regard l'immensité blanche. C'est une photo philosophique. Il y a celle aussi d'Augustin Lherbier, mineur de fond, du bassin minier de Lens, venu faire prendre l'air à ses poumons silicosés  à Ambonnay. Vendanges en Champagne. 1972 ou 1973. "L'Augustin", comme l'appelaient ses camarades, "Ch'est du toubac qu'tu fouais, y'o trop d' feulles dins tin raisin" ! L'patron n'va pas êt' contint !" L'Augustin qui, chaque matin, à la pause du petit-déjeuner champêtre de vendangeurs affamés, allumait sa clope avec la braise d'un sarment de vigne qui se consume. L'Augustin,  "l'Homme sarment", comme je l'avais tendrement surnommé. Ou encore les quatre ou cinq photos de la séquence du laveur de vitres d'Ecosse, qui grimace avec une application non feinte, dans la répétition des gestes pénibles du quotidien. Comme si la grimace donnait toute sa valeur à la qualité du travail accompli. Ou cet enfant qui se métamorphose en danseur de flamenco ou en toréador, alors qu'il joue simplement avec une araignée qui se débat au bout de son fil. Toutes ces photos prises, toutes ces images arrêtées, et jamais développées, pendant des dizaines d'années, je les aime, monsieur. Toutes ces photos muettes pendant 30 ou 40 ans et qui se mettent soudain à parler ardemment, à sourire et à rire, trop joyeuses de sortir d'un trop long silence, j'en suis, pardon pour l'immodestie, assez fier, monsieur. Mon noir et blanc est lumineux, monsieur: la couleur est à l'intérieur.

 

Car enfin, monsieur, sachez-le, ces photos viennent de très loin. Jusqu'à ce jour, elles n'avaient jamais vu le jour. Pendant des années, je me suis contenté de simplement développer moi-même les négatifs, les tirages sur papier étant à l'époque trop onéreux pour ma bourse. Ma bourse d'étudiant ou de professeur débutant à mi-temps. Bien sûr, après, chemin faisant, chemin professionnel, s'entend, j'ai eu, comme tout le monde, davantage d'argent mais beaucoup moins de temps. Les négatifs sont restés dans leurs grands classeurs, à l'abri de la poussière et de la lumière, par feuille de "six fois six vues" et les photos, moi non plus, pour la plupart, je ne les ai jamais vues. Je me dis aujourd'hui que le moment est venu de les révéler enfin à la lumière. Avant qu'il ne soit trop tard. Je dois à mes enfants, à ma fille, à mon fils, à ma femme, à mes amis et à tous ceux que la chose intéresse, ce livre de 300 ou  400 photos, somme fabuleuse d'instants captivants, captés avec tendresse ou ironie parfois, et définitivement placés hors du temps. Hors du temps et de son pouvoir destructeur qui fait que tout passe et tout trépasse, et que tout s'efface. 400 photos pour 40000 négatifs, c'est une vision très humble, convenez-en, monsieur, de la réalité du trésor d'images que je me suis constitué, d'année en année, sans en avoir vraiment conscience. J'ai le sentiment, monsieur, qu'en relisant la parabole des talents, je me sens, un peu, beaucoup, passionnément, coupable, d'avoir si longtemps autant maltraité mon talent de photographe.

 

Je vais vous laisser sur ce dernier scoop, monsieur, je dois vous avouer que je suis sans aucun doute le seul photographe au monde à avoir passé toute sa vie... au stade du négatif !

Un sourire à peine sur le visage de l'homme qui s'en va maugréant contre je ne sais quoi ou contre je ne sais qui, et qui n'en démord pas :

- "De toute façon, je n'aime que la couleur !"

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 4 Mai 2011

 

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23 mars 2021 2 23 /03 /mars /2021 09:00
Paris. Quai de La Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de La Tournelle. Avril 2011. © Jean-Louis Crimon

- On gagne sa vie avec ça !

- Non, mais on la rêve, et ça n'a pas de prix !

Dialogue impromptu juste à l'ouverture de ma petite librairie de plein air. Car il faut le savoir, dans certains milieux, le Bouquiniste s'appelle désormais "Libraire de plein air ". Par opposition, bien sûr, au "Libraire de Librairie en dur ". Mais c'est le "Libraire de plein air " qui a la vie dure. L'averse froide du début de l'après-midi a de quoi décourager. A peine ouvertes, il faudrait refermer les boîtes vertes ? Non, ce n'est pas dans le tempérament de celui qui, sans être forcément intempérant, se moque des intempéries. Plus ou moins bien à l'abri de la pluie, sous les auvents, qui ne protègent pas du vent, le bouquiniste essaie de déchiffrer le ciel. Le grand Bernard, lui, est expert dans l'analyse des rapports complexes entre le vent et la pluie. Jeudi, il m'avait dit: le vent est au nord. Moi, faux ingénu, j'ai répondu: ça veut dire quoi ? Le grand Bernard, sans se démonter, m'a expliqué: ça veut dire qu'il fait froid et ça peut repousser les nuages qui, eux, ne viennent pas du nord. De fait, les nuages ont été un temps repoussés, et quand le vent est tombé, la pluie est arrivée. Moralité, sur le quai ou ailleurs, quand le vent tombe, la pluie, elle aussi, tombe. C'est le moment de mettre les livres à l'abri, le bouquiniste aussi.

On gagne sa vie avec ça ! Au fond, je ne sais pas si la phrase était exclamative ou franchement interrogative. Mais ma réponse n'a laissé aucun doute. Deux fois payante même. Mon interlocutrice a souri. D'un beau sourire. En embrassant du regard l'étal du Bouquiniste, s'emparant soudain des deux tomes de la "Vie de Benvenuto Cellini, écrite par lui-même", -Julliard Littérature, 1965 -, et me gratifie d'un billet de 20 euros - c'était indiqué  18 - en me disant : "Gardez la monnaie, je les cherchais depuis longtemps !"

La pluie s'est arrêtée. Côté Boulevard Saint-Germain, le ciel tourne à l'éclaircie. La recette de ma journée aussi.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 29 Avril 2011.

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22 mars 2021 1 22 /03 /mars /2021 20:27
Paris. Quai de la Tournelle. 2011. © Jean-Louis Crimon
Paris. Quai de la Tournelle. 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. 2011. © Jean-Louis Crimon

 

Le Christ recrucifié, Le miroir égaré, Mon amie Carla, Les coulisses du ciel, Le chemin de la perfection, Quelques adieux, Mémoire d'un paysan, La paresse de Dieu... Il se plante devant mes boîtes, et à haute voix, crie les titres sur lesquels son regard se pose. Ou plutôt les déclame. Incroyable séance. Incroyable séquence. Les passants s'étonnent de la puissance vocale de l'homme. 

On croirait Devos, dit l'un. C'est du Beckett, dit l'autre. Moi, je suis interloqué. Je ne sais comment lui couper le caquet. Je risque: donnez au moins le nom des auteurs... Quelle erreur. Le voilà qu'il enchaîne Nikos Kazantzaki, Françoise Sagan, Stéphane Kiehl, Pierre Boulle, Sainte Thérèse d'Avila, Marie Laberge...

 

Sur le quai, on se croit parfois au théâtre. Carrément sur scène, sans l'avoir vraiment voulu. Des passants de hasard sont des acteurs nés. Mais le public ne fait que passer.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 9 Juillet 2011

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21 mars 2021 7 21 /03 /mars /2021 08:57
Amiens. Saint-Leu. Place du Don. Tableau de Daniel Grardel. 2016. © DR.

Amiens. Saint-Leu. Place du Don. Tableau de Daniel Grardel. 2016. © DR.

Je me demande bien pourquoi l'ami Grardel a tenu à me représenter entre deux képis en tenue. Scène insolite. A deux pas, sur son scooter, s'échappe le camarade Lacoche, embarquant une énième conquête. M'abandonne sans vergogne à mon destin de menu fretin. Mais qu'ai-je à voir avec les deux blondes ? Celle qui s'installe au volant, ou qui sort de la voiture, et celle de dos, légèrement cambrée qui tutoie un renard ou un loup, - il y a beaucoup de loups et de renards, les soirs d'été, dans le quartier Saint-Leu. Leu, en picard, c'est loup en français. D'ailleurs, Lafleur est tout près. On reconnait sa bonne trogne et son chapeau caractéristique. 

La scène se déroule Place du Don, juste en face des As du Don. Je m'accroche machinalement à mon écharpe mauve, comme si j'étais vraiment en état d'arrestation. Qu'ai-je donc fait pour me retrouver dans cette galère ? Ou bien, est-ce un film que l'on tourne ? Suis-je l'un des acteurs des nuits amiénoises ?

Même s'il fait beau dans le tableau, je repense à mon Je me souviens d'Amiens, publié au Castor Astral en Mai 2017, et à ce souvenir n° 193, page 61 : "Je me souviens du ciel ardoise qui tutoie les toits qu'il toise, les soirs de pluie narquoise, on ne cherche pas noise à la pluie amiénoise." A cet autre aussi de la page 79 : "Je bade, je blues, je suis le roi de la lose, de ma vie, ma mort n'est pas jalouse."

 

Curieuse séquence d'un bien étrange tableau, - de plus d'un mètre de long -, m'a assuré Grardel, et dont la photo, offerte par lui, ne révèle que la scène centrale.

Ma pomme, au centre de la toile. Génial ! Grandiose ! Surtout pour ceux qui ne peuvent pas... me voir en peinture

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 11 Mai 2018.

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20 mars 2021 6 20 /03 /mars /2021 08:57
Amiens. Mai 1979. © DR.
Amiens. Mai 1979. © DR.

Amiens. Mai 1979. © DR.

L'après-midi avait été assez banale. Dès l'ouverture des boîtes, mon voisin m'avait amusé comme à chaque fois, avec sa rituelle ritournelle sur le temps : Ah, le printemps, c'est tout de même plus agréable que l'hiver ! A quoi, inexorablement, je réponds : Julien, tu le sais bien, moi, j'aime toutes les saisons !

Mon voisin de rétorquer : L'hiver dernier, ça a été trop dur, vraiment trop froid, l'an prochain, j'préviens la Mairie, j'prends des vacances et je pars au soleil !

 

Vers 16 heures, une belle Italienne lui a marchandé jusqu'à réduire en cendres sa maigre marge un petit bouquin au titre sobre Herculanum, d'Amedeo Maturi. Réduire en cendres la marge de la vente d'Herculanum, c'est cocasse et cruel. Pour arriver à ses fins, la belle Italienne a trouvé un argument incroyable : "Si je n'étais pas passée ici aujourd'hui, vous ne l'auriez jamais vendu ce livre ! Avec ce Gide "Retour d'URSS", 30 euros, c'est beaucoup trop !"

Erreur fatale de Julien, il accepte trop vite de négocier. Je le lui ai déjà dit.  On casse le prix, seulement à la fin. Si le client renonce. Ou fait mine de renoncer. A la toute fin. Mais jamais d'emblée.

 

- Je peux vous faire un prix, madame, 25 euros ...

- Vous n'y pensez pas, ça ne les vaut pas ...

- 20 euros, mais je ne gagne rien !

- 15 euros, pas davantage !

- Va pour 15 euros ...

 

La belle Italienne, très fière d'elle, emporte, bien serrés contre sa poitrine, son Gide et son Herculanum. Assez fière d'elle et de son coup. Julien se dit qu'il a tout de même gagné 15 euros. Ce qui n'est pas faux. Ces deux livres, on les lui avait donnés.

 

Plus tard, à Julien de me chambrer. Pour une séquence inédite de la vie du quai. C'est d'abord Jacky, le musicien de France Gall et de Gainsbourg, Jacky, l'inventeur du thème du Requiem pour un con. A ce qu'il m'a raconté, le grand Serge a juste oublié de partager la signature avec lui. La signature et les droits d'auteur. Le Jacky, inégalable charmeur, accompagne jusqu'à mes boîtes une dame qui tient à la main un ouvrage dont je connais bien la couverture. Titre : Renaud raconté par sa tribu. Livre coécrit avec Thierry, le frère aîné de Renaud, Thierry Séchan, et publié par l'Archipel en septembre 2006.

 

- Monsieur, c'est un livre que ma fille a acheté, il y a 5 ans !

- Madame, vous voulez une dédicace, bien volontiers, je vais vous la faire ...

- Non, non, dit-elle en souriant, je ne veux pas de dédicace ! Ma fille a 36 ans maintenant, elle est mariée, elle a des enfants et ...

- Elle peut toujours aimer Renaud... Il n'est pas jaloux !

- Non, elle déménage et elle m'a demandé de lui vendre les livres qui ne l'intéressent plus !

- Vous voulez que j'achète ce "Renaud raconté par sa tribu" ?

- Oui, je veux le vendre !

- Mais, Madame, pas à moi, je vous l'ai dit, j'en suis l'auteur ! Enfin le "coauteur" ! C'est moi, madame, qui l'ai écrit ce livre, avec Thierry Séchan, le frère aîné de Renaud. Thierry Séchan, oui, le frère aîné du chanteur !

- J'en veux 5 euros !

- Madame, neuf, il en valait 18 ! Le livre a bientôt six ans ...

- Justement, vous allez le revendre plus cher, vous !

- Madame, je n'ai gagné que 7 euros, pour l'instant ...

- 4 euros !

- C'est encore trop ! C'est plus de 50 % de ma recette de l'après-midi !

- 3 euros, c'est mon dernier prix !

- 2 cinquante, madame !

- Va pour 2 euros cinquante !

 

Au fond de ma poche, j'ai trouvé sans mal une pièce de 2 euros et une pièce de 50 centimes. Je n'avais que deux pièces dans ma poche. Je les ai mises dans la paume de la main de la dame qui m'a tendu le livre. C'est exactement comme ça que les choses se sont passées. Comme ça que je me suis racheté moi-même. Jusqu'à aujourd'hui, ça ne m'était jamais arrivé. Incroyable sensation. Se racheter soi-même...

 

Les courtiers, les colporteurs, les vieilles dames qui, le dimanche,  veulent se faire un peu d'argent de poche, toutes ces personnes qui déambulent avec des sacs ou des caddies de livres, ne paient, elles, ni taxes, ni impôts. Elles ne se déclarent pas comme auto-entrepreneurs. Elles se baladent simplement sur le quai, le dimanche après-midi, et proposent, aux bouquinistes, des ouvrages, la plupart du temps, sans intérêt.

 

Julien, témoin très amusé de la scène, et du dialogue avec la dame, m'a dit : tu vois, tu trouves que je ne vends pas assez cher, mais moi, au moins, je vends ! Toi, tu achètes ! Le comble : tu t'achètes toi-même ! C'est surréaliste !

 

Il n'a pas tort, Julien. Il n'a pas tort, mon voisin de quai. Se racheter soi-même, c'est limite absurde. Mais, symboliquement, ça n'est pas pour me déplaire. Il y a quelque chose de beau et même d'héroïque à se racheter soi-même.  La vie sur le quai, ce n'est pas ce qu'en croient parfois les passants. Ce métier de bouquiniste, perçu comme "très romantique" par la majorité des promeneurs ou des touristes, avoue, certains jours, des côtés quelque peu attristants. Signe des temps. Signe inquiétant. Pas forcément. Signe que le quai est vivant. Toujours vivant.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 25 Mars 2012.

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19 mars 2021 5 19 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle. 2011/2012. © DR.

Paris. Quai de la Tournelle. 2011/2012. © DR.

- 325 000 francs !

La voix est tonitruante. Tout le quai doit l'entendre.

- C'est pas le prix, voyons, monsieur, c'est le titre.

- Ah bon, mais ça ferait combien en euros ?

 

Je ne sais si l'homme est sérieux ou s'il plaisante. S'il est fou, vraiment fou, ou si c'est un grand humoriste. S'il débarque d'un continent lointain, d'une galaxie non répertoriée. Il maintient son idée comme on le ferait d'une idée fixe: en euros, ça fait combien ?

 

- Monsieur, on ne traduit pas en euros un roman de Roger Vailland.

- A coeur vaillant, rien d'impossible !

- C'est du Devos !

- Oui, mais en euros, s'il vous plaît, ça fait combien ? Vous savez, j'ai les moyens !

- J'en sais trop rien, monsieur, divisez 325 000 francs par 7 et ce sera un peu plus !

 

L'homme se détend un peu. Il  sourit.  Il dit: alors ?

- J'arrondis: 46.500 euros. Par 7, ça doit tourner autour de 49.000 euros...

- Vous acceptez les chèques ?

- Mais monsieur, vous n'êtes pas sérieux !

- Puisque je vous dis que j'ai les moyens !

 

L'homme sort son chéquier. Il me lance : je peux avoir un paquet cadeau, c'est pour offrir ! Je m'exécute. Avec en prime, pour habiller le papier doré, un ruban rouge torsadé au ciseau façon librairie chic. Grandiose. L'homme me tend son chèque et une pièce d'identité que j'ose à peine regarder. A ce niveau-là, on fait confiance. Je viens de vendre le Poche le plus cher de ma courte carrière. 49.000 euros un Poche qui, d'occasion, en vaut à peine 3 !

 

Si Roger Vailland savait ça. Il y a vraiment de grands fous par les temps qui courent et par les quais. Et de plus fous encore pour imaginer de pareilles histoires !

Tout est faux, bien sûr ! Vous êtes déçu ? Vous m'aviez cru ? Pardon, c'est trop drôle ! Notez, si vous voulez que l'histoire soit vraie... le Poche est toujours à vendre.

 

J'vous l'mets de côté ?

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 15 Juin 2011.

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18 mars 2021 4 18 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Quai de la Tournelle, 41. Année 2011. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle, 41. Année 2011. © Jean-Louis Crimon

 

Elles sont arrivées sans crier gare. Se sont scotchées devant mes vieux journaux. Mes vieux journaux étendus avec des pinces à linge sur un fil, dans le haut de mes boîtes, sous les auvents. Un  fil à linge où sèche la presse du temps passé. Pélerin des années 30, Journal du Dimanche de l'année 1863, exemplaires du Voleur des années 80. 1880. Elles semblaient fascinées. Je les ai laissées de longues minutes savourer leur passion. Puis, n'y pouvant plus, j'ai risqué une question: pourquoi cet intérêt manifeste ? La première a dit: je suis étudiante à la Sorbonne. En Lettres Médias Com'. J'aimerais un jour être journaliste. Voir, en vrai, ces vieux journaux, dont on nous parle en cours, c'est fascinant.

La seconde a ajouté: moi, non, je n'envisage pas ce métier. Je veux être kiné, mais j'adore l'odeur et la texture du vieux papier. Elle fait mine de respirer l'odeur avec le nez. Touche un livre imaginaire avec le bout des doigts. Puis ajoute: Chez mes parents, quand j'ouvrais un livre ancien, c'était d'abord pour le sentir, le respirer, avant de le lire.

 

Filles merveilleuses, toutes deux originaires de Charleville. La ville de Jean-Arthur. Forcément, on a parlé de Rimbaud. De sa maison. Sa maison devenue Musée. De sa tombe, au cimetière. De ce célèbre "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans" et de ce poème où Arthur raille les notaires ou les banquiers. C'était drôle. Les deux amies riaient à gorge déployée. Puis vint l'aveu. En forme d'incroyable regret. Nous, au Collège ou au Lycée, ce n'est pas Rimbaud que les profs nous faisaient étudier, c'est Baudelaire.

" Les Fleurs du Mal ", c'est vrai, ce n'est pas mal non plus, mais passer à côté de la maison de la famille Rimbe et d'une balade dans cette Charleville où ont dû déambuler, certains soirs de désespoir, Jean-Arthur et sa gloire future, c'est dommage. C'est à pied que parfois se redécouvre la littérature.

Mettre ses pas dans les pas de celui qui un jour a écrit " La Lettre du Voyant ", moi, je ne m'en priverai pas.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 3 Juillet 2011.

 

Esther04/07/2011 19:19


Merci à vous d'avoir partagé ce moment avec nous .. Après avoir cherché dans mes affaires, j'ai retrouvé le poème dans lequel il parle des "gros bureaux bouffis", il s'agit du poème "à la musique..." , mon préféré je crois.. J'ai également après avoir fouillé dans mes pensées, retrouvé la citation sur Charleville, en réalité il s'agit d'un extrait d'une lettre qu'il avait adressé à
Georges Izambard : "Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions."
Le poème tout comme l'extrait de la lettre, malgré les années passées sont plus que jamais encore d'actualité malheureusement ..

Encore merci pour cette belle rencontre et pour cet article ..

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17 mars 2021 3 17 /03 /mars /2021 08:57
Paris. Août 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Août 2012. © Jean-Louis Crimon

La plupart du temps, il ne se passe rien. Rien d'extraordinaire. Rien d'exceptionnel. La scène est banale. Incroyablement banale. Un homme se roule une cigarette. Il est assis sur son scooter. Le scooter, garé près d'un mur. Entre une fenêtre et une spirale rose. Des barreaux en fer forgé obstruent la fenêtre. Normal: c'est la fenêtre d'une chambre d'Hôtel. C'est écrit juste au-dessus.

Une spirale rose peinte sur le mur. Spirale nietzschéenne ou escargot en partance. Ce n'est rien. Vraiment rien. Ce n'est pas grand chose. Pas un passant que la scène n'arrête ou n'étonne.

Ce genre de séquence me fascine. Juxtaposition de signes anodins. Là est le vrai quotidien. Là se trouve la beauté simple du quotidien. Agencement imprévisible de signes anodins. Image vraiment extra-ordinaire. Composition de hasard.

Ce qui ne tient pas du hasard, c'est le regard. Le choix du regard. Là est la photo. Là est le photographe.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 6 Août 2012.

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