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25 avril 2021 7 25 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Rue de la Fosse au Lait. Sept. 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Rue de la Fosse au Lait. Sept. 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher archéologue urbain,

 

L'atelier a disparu depuis longtemps. Le mot seul subsiste. Tu te demandes qui était le dernier ébéniste ? Ebénisterie, le mot est joli. Aujourd'hui encore, il sourit. S'étale en lettres capitales sur sa pleine page de briques.

Tu te souviens du titre d'un livre ancien : "Les murs ont la parole". Un livre publié dans l'après Mai. Un mois de Mai d'un autre siècle. D'un autre temps. Du temps où "Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! " était à la fois incitation poétique et slogan politique. Les mots des murs. Un mot, un mur. Un mot, un seul, et c'est du passé qui te revient dans la gueule.

 

Tu te souviens du titre de l'une des premières pièces de théâtre du Carquois : "Les murs avaient des briques". La boucle est bouclée. Les murs, les mots, les briques... Tout ces instants du passé qui s'imbriquent.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 28 Sept. 2016.

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24 avril 2021 6 24 /04 /avril /2021 08:57
Paris. 25 Mai 2016. © Jean-Louis Crimon

Paris. 25 Mai 2016. © Jean-Louis Crimon

Cher petit piéton photographe,

 

Tu le sais bien, ça ne peut pas être autrement. Tu le sais d'instinct. C'est comme ça que fonctionne la capture de l'instant. Instant et instinct. Instinct de l'instant. L'oeil en éveil permanent. Ne jamais relâcher l'attention. Juste voir avant d'avoir vu. D'avoir vraiment vu. Entrevoir. Juste penser qu'il va se passer quelque chose. Sentir. Pressentir. Quelque chose va se produire. Doit se produire. Va venir. Va advenir.

Quelque chose ou quelqu'un. Qui va entrer dans le champ. Occuper l'espace. Tout l'espace. En un instant. La photo se révèle à ce moment précis. Il s'agit simplement de la saisir, de la cueillir. Trouver le contrepoint ou le contre-pied. Sans faire de contresens.

Photographier, c'est donner du sens à ce qui n'en avait pas. Pas forcément. Donner un sens différent. Un nouveau sens. Un autre sens. Détourner le sens en détournant le regard. Inventer le second degré de l'image.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 25 Mai 2016.

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23 avril 2021 5 23 /04 /avril /2021 08:57
Paris. Rue La Fontaine. Sous l'oeil de Verlaine. 2013. © Jean-Louis Crimon

Paris. Rue La Fontaine. Sous l'oeil de Verlaine. 2013. © Jean-Louis Crimon

 

Cher toi,

 

Jadis et Naguère. Paris. Léon Vanier, Libraire-Editeur. 19, Quai Saint-Michel, 19. Nouvelle Edition. 1891. Dit comme ça, sûr, ça n'est pas très excitant. Pas très attirant. Sans nom d'auteur, est-ce moins flatteur ? Le recueil se compose de deux parties. L'auteur l'a voulu ainsi. Cette pièce - on dit comme ça - se trouve dans Jadis. Pages 19, 20 et 21. Elle est dédiée à Charles Morice. Son titre : Art Poétique. La première strophe est la plus connue, si bien chantée par Léo Ferré, qui préfaça, naguère, dans la collection du Livre de Poche, les "Poèmes Saturniens". Quatre premiers vers fantastiques, tout est dit et tout reste à faire, vous ne pouvez pas ne pas les connaître :

 

De la musique avant toute chose,

Et pour cela préfère l'Impair

Plus vague et plus soluble dans l'air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

 

Plus loin, redoutable conseil à tout rimailleur débutant. Que tu es toujours et pour longtemps. Variante: Que tu es depuis longtemps et pour toujours. Le conseil en question :

 

Prends l'éloquence et tords-lui son cou !

Tu feras bien, en train d'énergie,

De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

 

Sans oublier la fin, superbe fin, devenue précepte ou proverbe:

 

Que ton vers soit la bonne aventure

Eparse au vent crispé du matin

Qui va fleurant la menthe et le thym...

Et tout le reste est littérature.

 

Verlaine, bien sûr. Verlaine. Relire Verlaine. Chaque soir de la semaine. Toujours et encore. Relire Jadis et Naguère. Relire Verlaine. Des comme lui, y'en a plus guère.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 5 Avril 2016.

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22 avril 2021 4 22 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Avril 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Avril 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher rêveur,

 

Va savoir pourquoi, ça te vient comme ça, sans prévenir, sans crier gare, au coin d'une rue, sur le bord du trottoir. Trois mots, trois fois rien, deux ou trois rimes, un refrain, et à ce moment-là, toi qui n'est pas chanteur, tu chantes, enfin, ça chante en toi. Les mots chantent et puis s'en vont souvent comme ils sont venus, jusqu'à ce qu'une autre chanson s'en vienne. Cette fois,  les mots, tu les trouves trop beaux, surtout cette nouvelle façon de conjuguer "avril". Néologisme, diront les savants qui savent. Les mots, tu te les répétes à tue-tête, pour te les fixer bien dans ta tête avant que ton poème ne t'échappe et que ta chanson ne passe à la trappe.

 

Tous ces instants que tu disperses

Te mettent le coeur aux averses

Averses éparses d'un mois de mars

Qui faussement s'avrilise

Pour ne pas faire sa valise...

 

Le printemps est à la peine

Le printemps est à la traîne

Toi aussi, t' as le coeur en peine

Mais tu sais bien que ça sert à rien

Ta peine, c'est trois fois rien...

 

Comme tu fredonnes en marchant, une vieille dame t'arrête et te lance :

- Vous êtes chanteur, Monsieur ? 

- Non, Madame, seulement rêveur. Oui, rêveur, rêveur fredonneur. Les jours où j'ai mal au coeur.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 8 Avril 2016.

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21 avril 2021 3 21 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Socrate au jardin. Août 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Socrate au jardin. Août 2016. © Jean-Louis Crimon

Cher félin,

 

Même né sous le signe du lion, parfois, tu te rêves chat. Chat philosophe. Chat penseur. Chat rêveur. Chat de l'ombre qui joue avec la lumière. Chat tigré qui se rêve zèbre. Les zébrures te fascinent. Les zébrures de la vie, ça forge l'âme. Les zébrures de l'âme, ça zèbre la vie. Je zèbre, donc je suis.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 20 Août 2016.

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20 avril 2021 2 20 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Rue Saint-Fuscien. 20 Nov. 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Rue Saint-Fuscien. 20 Nov. 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher chercheur de signes,

 

Etonnant, vraiment, ce triskèle, à cet endroit-là, tout en haut de cette rue que tu connais pourtant parfaitement bien. Jamais vu avant. Triskèle ou triskell, symbole qui représente trois jambes humaines et qui évoque une symétrie de groupe cyclique.

Le triskell est un symbole celte. Son nom vient du grec «triskelés » qui veut dire à trois jambes. Le symbolisme du triskell a été interprété de plusieurs manières. C'est avant tout un porte bonheur mais à l'origine ce devait être un symbole solaire. Ses trois branches réunies représente la triplicité dans l'unité. Chez les Celtes, cette triplicité peut être matérialisée de diverses façons. Le Panthéon des dieux celtiques au nombre de trois: Lugh, Daghda, Ogme. La déesse unique sous ses trois aspects: fille, mère, épouse. Et bien d'autre encore. On dit souvent que le triskell représente les trois éléments dynamique: eau, air, feu. La terre en serait le centre . La courbure des branches serait symbole de la vie.

Tu n'es pas assez savant dans la science des signes. Tu aimerais tellement savoir. Tu aimerais tellement comprendre. Mais il y a tant de choses à apprendre et si peu de temps pour comprendre.

Tu te demandes pourquoi cette importance du chiffre trois. Tu aimerais savoir si la Trinité reprise dans d'autres cultures, dans d'autres religions, aurait des liens avec la triplicité du Triskèle.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 29 Nov. 2016.

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19 avril 2021 1 19 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Rue Albert Catoire. 7 Sept. 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Rue Albert Catoire. 7 Sept. 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher épistolier,

 

Perplexe, toi, l'infatigable écrivain de lettres, devant une telle invite: BOîTES AUX LETTRES. Boîtes aux lettres, certes. Mais où ? Où sont-elles ? Où est l'ouverture ? Où poster ta missive ? Pour être sûr qu'elle arrive ? Plein ciel. Pleins cieux. Poétique, mais hasardeux. Dans le tuyau. Pas très rigolo. Cruel le destin de l'épistolier égaré dans l'espace urbain.

Epistolier: Personne qui aime à écrire des lettres ou qui excelle dans l'art de les écrire. Banal. Classique. Pas très enthousiasmant.

Le féminin est plus évocateur, la forme épistolière plus familière. Sa sonorité plus attirante. Plus attractive. Une épistolière est une femme qui écrit des lettres. Certes, mais quelles lettres ! L'histoire littéraire française regorge, si l'on peut dire, de ces talentueuses faiseuses de lettres.

Au cours des siècles, de nombreuses correspondances féminines ont eu l'honneur de la publication. D'ailleurs, leurs auteur(e)s n'étaient pas ignorantes de la valeur littéraire de leurs écritures.

La plupart des critiques s'accordent à penser que ce qui caractérise les lettres de ces épistolières, c'est leur naturel. Madame de Sévigné a incarné cette qualité au point d’être considérée comme le modèle type de l’épistolière et un écrivain à part entière.

En 1669, paraissent les célèbres Lettres portugaises, présentées comme la traduction de cinq lettres envoyées par une religieuse portugaise à un officier français, celles-ci passent longtemps pour d’authentiques lettres dues à Mariana Alcoforado avant d’être définitivement classées par la critique moderne comme une œuvre de fiction littéraire attribuées à Gabriel de Guilleragues. Un homme.

La frontière entre le réel et la fiction s’efface volontiers entre littérature et correspondance. Surtout quand les romanciers vont vouloir faire de cette technique d’écriture un artifice littéraire qui sera le roman épistolaire. Très en vogue au siècle des Lumières. L'écrivain tente de persuader son lecteur qu’il a entre les mains une réelle correspondance, comme Jean-Jacques Rousseau avec sa Nouvelle Héloïse.

Parmi les plus célèbres des épistolières, pas facile de choisir aujourd'hui. Mériteraient toutes d'être à nouveau publiées et lues en ce siècle débutant où le vrai talent ne court pas les rues.

Où sont vos lettres et êtes vous donc, Juliette Adam, Jeanne d'Albret, Catherine de Bourbon ? Adélaïde de La Briche, Christine de Pisan, Isabelle de Charrière ? Hélisenne de Crenne, Madeleine des Roches, Françoise de Graffigny, Marie-Thérèse de Hongrie ? Ninon de Lenclos, Julie de Lespinasse, Françoise de Maintenon, Marguerite de Navarre, Mathilde de Flandre ? Juliette Récamier, Manon Roland, Madeleine de Sablé, George Sand, Madame de Sévigné ? Germaine de Staël, Sophie Volland ?

Ce soir, tu t'endors en égrenant le chapelet des prénoms et des noms de ces épistolières qui n'écriront plus jamais de lettres et auxquelles tu n'écriras pas davantage. Ou en rêve. Oui, en rêve, sûrement.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 7 Sept. 2016.

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18 avril 2021 7 18 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Janvier 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Janvier 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher voleur d'instants,

 

Tu es incorrigible. Tu as une pratique compulsive de la photographie. L'oeil toujours en alerte. En éveil. Le regard circulaire pour mieux faire entrer dans le cadre le sens du moment, la beauté de l'instant. L'insolence de l'insolite. Tu es incapable de ne pas "prendre". Tu ne sais pas te contenter de simplement voir. Regarder. Contempler. Pourquoi cette nécessité de fixer ? Ce devoir de tout fixer ? Pour laisser trace. Pour laisser des traces. Des traces du fugace. Des traces du trop fugace. Chasseur d'inattendu, toujours aux aguets, toujours à l'affût.

Tu sais bien que ce qui est fascinant, c'est le paradoxe. Paradoxe, du grec paradoxos, παράδοξος, ce qui est contraire à l'opinion communément admise. De para, "contre" , et de doxa, "opinion". Surprenant ou choquant, au premier abord, à première vue. Ce qui va à l'encontre du sens commun. Des idées reçues. Des préjugés. C'est ce qui te plait. Ce qui t'attire.

Tu te souviens de: "Toi, tu vois des choses que les autres ne voient pas !" Une remarque qui te va droit au coeur. C'est exactement ton projet photographique. Fait plaisir parfois d'être si bien saisi.

Dans le domaine des idées aussi, tu adores cette apparente contradiction, ce raisonnement proche de l'absurde, et pourtant porteur d'une vérité désarmante. Le paradoxe, c'est ton carburant. Ton moteur. Ta potion magique. Ton remède pour pactiser avec le réel. Avec les mots ou par la photo. De bon matin et jusqu'à très tard le soir. Le monde appartient à celui qui se lève tôt, mais il se révéle aussi aux couche-tard.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 29 Janvier 2016.

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17 avril 2021 6 17 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. La Confirmation. Avril 1961. © D.R.

Amiens. La Confirmation. Avril 1961. © D.R.

 

Mon vieux,

 

Tu te dis souvent que tu as eu une vie en noir et blanc. Sur la photo, tu as les mains jointes, tu viens de t'agenouiller, l'Évêque te fait le signe de la croix sur le front. L'Abbé Dentin, le Supérieur du Petit séminaire, pose sur toi un regard noir, comme empreint d'un gros reproche. En fait, tu n'y es pour rien, mais l'homme qui pose sa main droite sur ton épaule, n'est pas ton vrai parrain de confirmation. C'est le parrain de l'enfant qui te suit dans le long cortège des aubes blanches. Le trio ecclésiastique lui a fait comprendre qu'il devait suppléer, pour Dieu - et pour le photographe -, ton parrain défaillant. Ton parrain, le parrain prévu, t'a fait faux bond. Disons qu'il s'est dégonflé. Au dernier moment. Tu te sens trahi, abandonné, lâché par celui en qui tu as placé toute ta confiance. Ton parrain, c'est ton grand-père. Grand-père Edouard, manoeuvre sur les chantiers.

Pourtant, tout s'était bien déroulé jusque là. La communion solennelle avait été un grand moment de la fin de matinée. La messe chantée en latin une réussite aux dires des prêtres et du Supérieur. Le déjeuner qui réunissait tous les communiants et leurs familles avait été parfait. Le menu très commenté. Très apprécié surtout.

Tu ne comprends pas ce qui a pu se passer dans la tête de ton grand-père adoré. Tu te dis que c'est à cause du défilé, dans le choeur de la Cathédrale, de tous ces beaux habits et de ces beaux souliers vernis. Un truc, quand vous êtes pauvre, à vous donner le tournis. En fait, tu imagines bien ce qui a dû se passer. Edouard, jusque-là irréprochable, ne se sent soudain pas très à l'aise dans ses habits d'ouvrier. Pour la première fois de sa vie, la seule sans doute, Edouard a honte de ne pas être comme les autres hommes en impeccable costume croisé. Grand-mère Edith a beau lui labourer les côtes de plusieurs coups de coude bien appuyés, rien n'y fait : Edouard est têtu, il ne bouge pas de son banc. Et vlan !

Tu es seul face à l'autel et à la troïka divine. Tu te dis que ce Dieu qui voit tout, qui sait tout et qui est partout, aurait dû prévoir le coup. Ne pas t'imposer cette humiliation de te retrouver seul, sans ton parrain de confirmation. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné... te dis-tu, en pensant au célèbre crucifié.

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 15 Janvier 2016.

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16 avril 2021 5 16 /04 /avril /2021 08:57
Amiens. Rue Delpech. 25 Février 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Rue Delpech. 25 Février 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher toi... Amiénois,

 

Tu le sais, la Maison de la Culture d'Amiens fête cette année ses 50 ans. Le 19 mars 1966, André Malraux, le ministre de la Culture du Général de Gaulle, l'homme qui voulait bâtir les cathédrales de l'esprit, se serait fendu dans son discours d'Amiens d'une formule souvent mal comprise et mal interprétée. Malraux aurait dit, en substance ou texto: Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas. On a longtemps traduit: Le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas. Ce qui n'est pas du tout la même chose.

Que penserait Malraux aujourd'hui de ce début de 21ème siècle ? Penserait-il qu'on avait bien fait de le mal comprendre ? Mériterait réflexion. La nouvelle ministre de la Culture a-t-elle pensé à cela en prononçant son discours d'Amiens à elle, cinquante ans plus tard ? Tu n'en sais rien. Tu n'étais pas parmi les invités. On ne t'avait pas invité. On t'avait invité à Moulonguet pour le match de football Amiens-Orléans, Moulonguet parce que la structure métallique du Stade de la Licorne est devenue dangereuse, la rouille, en moins de 20 ans, l'ayant sérieusement endommagée. Quand tu penses au Parthénon, au Colisée ou à la Grande Muraille de Chine, tu te demandes pourquoi vraiment des hommes sans moyens autres que... humains, ont largement construit pour 20 siècles, alors qu'aujourd'hui, avec tous leurs moyens techniques et technologiques, les hommes construisent à peine pour... 20 ans. Le Stade de la Licorne sinistré, les rencontres de football, pour éviter tout risque d'accident avec les joueurs ou les spectateurs, auront lieu désormais dans le vieux Stade Moulonguet. Retour qui n'est pas pour te déplaire: le Stade, au cœur de la ville, c'est tout de même autre chose. Les tribunes et les gradins de football, pour toi, comme pour Camus, sont aussi lieux de Culture.

A propos de la naissance, il y a donc tout juste 50 ans, de cette toute neuve Maison de la Culture, tu te souviens d'une superbe anecdote. Quelques jours après l'inauguration officielle, un homme de la campagne avait poussé jusqu'à la ville pour aller voir ce qu'il pouvait bien trouver en rapport avec son métier dans cette Maison. Pour voir ce qui pouvait bien l'intéresser.

En bleu de travail, casquette sur la tête, il a timidement poussé la porte vitrée du bâtiment tout en béton tout neuf. Comme on savait le faire à cette époque, il a, d'un geste à la fois précieux et gracieux, salué l'hôtesse en retirant d'une main leste sa casquette et après un court instant, le temps d'embrasser le nouvel espace d'un beau regard circulaire, il a osé poser la question, sa question, la seule qui lui importait : Où sont les tracteurs ?

La dame de l'accueil, un peu gênée, a souri et a très vite expliqué qu'il n'y avait pas de tracteurs exposés dans la Maison et qu'à son avis il n'y en aurait jamais. L'homme a semblé déçu. Il a fait deux pas en arrière, a bredouillé quelques mots d'excuses, pour le dérangement, avant de tourner les talons. Définitivement.

Dehors, il a revissé sa casquette sur sa tête et a réalisé sa bévue. Pour lui, la Culture, depuis toujours, c'était l'AGRI Culture, la culture de la terre. Une Maison de la Culture, ça devait forcément exposer des tracteurs. Au village, tout le monde ou presque travaillait "dans la culture".
Avec Malraux, une véritable révolution culturelle allait s'écrire. Une révolution qui allait d'abord s'écrire dans le vocabulaire. Du monde de l'Agri/culture, on passait dans le monde de la Culture. De la culture de la terre à une Terre de Culture. Pour effacer, à tout jamais, - Malraux dixit -, le mot hideux de province. Formule, au fond, légèrement maladroite.

 

Tous ceux qui n'avaient alors, à la campagne, pour seul diplôme, que leur BSP, leur Bon Sens Paysan, se sont bien rendus compte qu'on allait changer d'époque. De façon de vivre et de penser. L'histoire ne dit pas si l'homme qui voulait voir les tracteurs est revenu à la Maison de la Culture. Pour y voir des Spectacles, des Expositions, du Théâtre... Pour y écouter de la musique, des concerts, de la musique... classique, mais aussi des chanteurs dits de... variétés.

Toi, tu te prends à rêver que oui.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

Première parution : 28 Février 2016.

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