30 octobre 2022
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Paris. 2009. © DR. Le Courrier Picard. 14/15 Février 1981. © Jean-Louis Crimon
L'interview, le portrait d'un chanteur, la critique de spectacle, autant de genres d'écriture pas forcément à la portée du journaliste de locale. Celui qu'on aimerait enfermer dans des compte-rendus d'assemblées générales de pêcheurs à la ligne ou de philatélistes, dans des séances de Conseil municipal ou dans des papiers d'ambiance lors de la couverture de matchs de foot de Division 2, est pourtant un être sensible et délicat. Sensibilité qui ne demande qu'à s'exprimer quand on lui en offre la possibilité.
D'autant qu'en pages "magazine", dans l'édition du mercredi ou du samedi, ce genre de papiers valorise le journal et le journaliste qui en a pris l'initiative. Ma force ou ma chance, dans ce domaine, c'était d'avoir aimé la chanson et les chanteurs, de les avoir approchés, de les avoir photographiés, parfois interviewés, bien avant d'être engagé au journal. Lény Escudéro, Henri Tachan, Gilles Servat, Joan-Pau Verdier, Graeme Allwright, Catherine Ribeiro, Claude Nougaro, Marcel Mouloudji, Léo Ferré, étaient déjà dans ma palette quand je commençais à faire mes gammes à la rédaction du Courrier Picard.
C'est une plus-value incontestable pour le journal, avait commenté Bernard Roux, le Directeur Général. Articles très appréciés aussi en interne, du côté de confrères admiratifs autant que chez les rotativistes, les ouvriers du Livre. Les premiers à lire le journal. Tu connais Ferré ? Tu as interviewé Graeme Allwright ? Tu as parlé avec Gilles Vigneault ? Tu as rencontré Nougaro ? J'osais à peine leur dire que dans ma discothèque intérieure des rencontres extraordinaires, j'avais aussi Barbara et Catherine Ribeiro ou Colette Magny.
Relire aujourd'hui les mots d'une conversation commencée avec Julos Beaucarne il y plus de quarante ans, fait du bien. Parti il y a peu pour l'envers du décor, Julos est à tout jamais vivant. Dans ma tête et dans mon coeur, je sais que je dois vivre un peu pour lui maintenant.
© Jean-Louis Crimon
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29 octobre 2022
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Amiens. Léo Ferré. Première interview. Mardi 12 Juin 1979. © DR.
Sur la photo, Léo et moi, on sourit d'un même beau sourire, sans dire le moindre mot. Si jolie photo. Photo signée Pascale Lavergne ou Philippe Callot. Je ne sais plus. Je me souviens seulement qu'ils étaient présents tous les deux pour ce grand moment. L'interview vient tout juste de se terminer. Léo a été charmant, charmeur et charmant. Centre de nos regards, la rééditon de son recueil "Poète, vos papiers !" et sa couverture orange.
Une Préface qui percute. Qui uppercute. Ferré boxe les mots et les idées. Chaque phrase est punchline. "La poésie contemporaine ne chante plus. Elle rampe." Mais aussi "A l'école de la poésie, on n'apprend pas : on se bat !" et puis surtout " Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds, ne sont pas des poètes : ce sont des dactylographes !" Publié pour la première fois à La Table Ronde en Décembre 1956. Dépot légal du 1er trimestre 1957. Imprimerie Sévin-Dessaint, à Doullens, Somme. Doullens, Somme, Picardie. Déjà un signe.
Ferré, mon idole depuis mes 14 ans. Celui qui est pour moi le plus grand chanteur de tous les temps. Même si "chanteur" semble être un mot bien dérisoire pour un tel homme. Impuissant à dire l'immensité du talent de cet-homme-là.
© Jean-Louis Crimon
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28 octobre 2022
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Amiens. Juin 2009. © François Crimon. Amiens. Année 1956 ou 1957. © Lucien Hacquart.
Le mot "harcèlement" n'existe pas encore. Dès que je sors de la petite maison blanche aux murs en torchis, les mots-coups de poing me pleuvent dessus. "Gougnou, Gougnou, Gougnou..." Je ne bronche pas et je m'aligne dans la file en baissant la tête. Que faire d'autre ? C'est d'une cruauté rare et d'une bétise crasse. Dégueulasse. Une torture quotidienne. A peine si les adultes prennent ma défense. Je ravale mes larmes, je cache ma haine, j'endure de semaine en semaine. Me jure que ma vengeance sera superbe.
Plus tard, beaucoup plus tard, je découvrirai le mot "harcèlement" et sa définition : violence verbale, physique ou psychologique. Cette violence commence au sein de l'école. Elle est le fait d'un ou de plusieurs élèves qui se choisissent une victime qui ne peut se défendre.
Toutes ces moqueries, toutes ces insultes, ces humiliations, il me faudra les subir jusqu'à mes 20 ans, mes parents, ma mère surtout, excluant toute opération. "Si ça rate, ce sera pire qu'avant !" ajoutant pour mieux se convaincre : "Avec des verres fumés, ça atténue bien. C'est suffisant."
Un jour, j'aurai la force de désobéir. Les yeux droits, moi aussi, j'y ai droit.
© Jean-Louis Crimon
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16 octobre 2022
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Paris. France Culture. Salle de Rédaction. Saison 2002-2003. © Emmanuel Georges.
Conférence de Rédaction. Le lieu et le moment où l'on se réunit pour décider du contenu du journal, où l'on hiérarchise les sujets traités, les reportages, ceux déjà prêts à diffuser, les PAD, ceux en cours de réalisation, les interviews, les propos recueillis, les dernières informations qu'il faut traiter en brèves. Sujet d'ouverture, sujet de fin de journal, choix de l'invité à prendre en direct, le présentateur du journal du soir, est celui qui, au micro, doit valoriser le travail de toute une Rédaction. Mettre en valeur l'originalité du traitement de faits d'actualité qui ont déjà fait "la Une" d'une multitude de journaux ou de bulletins d'information dans la journée.
Il faut trouver la bonne accroche, un angle particulier, pour s'éloigner de la simple répétition et aller au coeur du sujet. Décrypter, le mot clé de ces années-là. Traiter en profondeur. Chercher à comprendre pour donner à comprendre. Donner à réfléchir. Varier les approches, différencier les points de vue. Exercice exigeant et fascinant à la fois. Décevant parfois. Quand l'intention n'a pas été réalisée à la perfection. Même si dans ce métier d'informer, tout est toujours à parfaire. Sans jamais oublier de donner un peu de plus-value à des faits considérés à tort sans valeur. Il n'y a pas de "petite info" pour qui a le regard qu'il faut.
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15 octobre 2022
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Contay. Eté 1961. Le temps des haricots. © DR
Le rituel des fins d'après-midi d'été. Ecossage des haricots blancs. Ou équeutage des haricots verts. La mamma domine la scène. D'un air entendu ou amusé. Nous sommes côté cour de la maison de Contay, sur la partie engazonnée. Depuis qu'il travaille comme jardinier au cimetière anglais, mon père a acheté une tondeuse à rouleau et on transforme le moindre petit espace herbeux en pelouse douce à la plante des pieds : l'été, on a le droit d'y marcher pieds nus. C'est moelleux, beaucoup mieux et moins dangereux que sur les allées caillouteuses aux petits silex tranchants.
Tous nos légumes viennent de notre jardin. Haricots verts, haricots en grains, petits pois, poireaux, carottes, pommes de terre, salades, laitues, romaine ou batavia, scaroles, frisées, même les fruits mûrissent avec bonheur chez nous, poires, pommes, groseilles, cassis, cerises, fraises, framboises. Notre jardin, a dit le Monsieur le Curé dans son sermon dominical, au risque de nous fâcher avec toute la communauté des paroissiens, c'est le plus beau du village, carrément le paradis sur Terre.
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14 octobre 2022
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Eglise de Contay. Trois enfants de chœur devant trois ecclésiastiques. Année 1956 ou 1957. © DR
Je suis le plus petit des enfants de choeur, le plus jeune, le plus rêveur. La messe en latin, les prières chantées, le son de l'harmonium, le moment de la communion, font un grand théâtre et j'en suis l'un des acteurs. Pas le plus important, mais aux premières loges. La Tante Laure l'a voulu ainsi. Le jour de mes 7 ans, elle est allée trouver Monsieur le curé pour lui dire que je pouvais servir la messe.
Sur la photo, je suis devant l'Evêque, reconnaissable à la mitre qu'il porte sur la tête. J'ai le regard attiré par quelque chose qui se passe hors champ, hors cadre. Comme mon alter ego, de l'autre côté de la grande croix que porte celui qui est le plus grand de nous trois. Des fidèles en marche vers l'autel. Tout en remplissant parfaitement le rôle qui leur incombe, les enfants de choeur se laissent parfois distraire.
Curieux, - observation jamais faite jusqu'à aujourd'hui -, de nous trois, je suis le seul dont on ne voit pas la croix. Cachée sans doute sous mes bras... croisés.
© Jean-Louis Crimon
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13 octobre 2022
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Laveurs de pierres. Cimetière militaire Britannique. Eté 1969. © Marie-Christine Crimon
Père et fils laveurs de pierres. De pierres tombales. Les stèles des soldats Britanniques tués pendant les deux dernières guerres mondiales. Sur la stèle, en quelques lignes, sont gravés le prénom, le nom, l'âge, parfois le métier du soldat tué pendant la guerre. 17 ou 18 ans souvent. Une vie volée. A peine une pensée pour celui dont tu vas blanchir la pierre. Pas le temps d'une prière. Il faut respecter le rythme et surtout la consigne du chef : 70 stèles par jour et par manoeuvre. Employé l'été de la CWGC. Commonwealth Ware Graves Commission. Les stèles doivent être lavées à l'eau claire, sans aucun produit chimique. Seul outil : une brosse à chiendent et pas mal d'huile de coude. Travail physique assez dur. Histoire d'aguerrir encore le corps déjà rompu aux travaux manuels. Celui qui s'apprête à affronter le monde des idées doit avoir le corps souple et parfaitement entraîné. La première année de licence de philosophie n'en sera que plus fluide. Un esprit sain dans un corps sain. Mens sana in corpore sano.
© Jean-Louis Crimon
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12 octobre 2022
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Albert. Lycée Lamarck. Terminale A. 1968-69. © DR
Terminale A. Terminale Philo. La plus belle des Terminales. La plus belle de mes années scolaires. Pour la première fois de ma courte vie, je suis heureux d'apprendre. Apprendre à poser des questions. Apprendre à construire des réponses. Tout prend sens. Le pourquoi et le comment. La quête et la conquête. Tout ça pour ça. Tout ces détours et toutes ces impasses. Viré en sixième. Viré en Seconde. Un an de "vie active". Employé de Bureau/Aide-métreur dans une Entreprise de Bâtiments et de Travaux Publics. Pas BEP mais BTP. Le retour au Lycée, à ma demande. En Première. Un trimestre à l'essai, a simplement proposé le Proviseur. A moi de transformer l'essai.
L'essai sera transformé. Le passage en Terminale validé. Oublié définitivement le couperet assassin de mon dernier bulletin scolaire de Seconde "Non admis en classe supérieure, Non autorisé à redoubler". Aux oubliettes les tenants de la machine à guillotin scolaire.
Le "débile léger" de la sixième m2 de l'Abbé Guisembert prépare le Bac Philo. Le jugement de la Psychologue scolaire définitivement battu en brèche. Mais je ne chercherai même pas à livrer bataille. A rechercher celle et ceux qui m'ont nui gravement. Au diable l'année du Petit séminaire. Il m'aura fallu huit ans pour relever la tête et cette fois me jurer à moi-même de fuir les imposteurs et les prétendus éducateurs.
© Jean-Louis Crimon.
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11 octobre 2022
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Contay. Avril 1961. Famille Crimon devant la maison. © Bernadette Buffet.
Ce doit être une des rares photographies où toute la famille est réunie. Prise par Bernadette, ma marraine, amie de toujours de ma mère, Juliette. Mari de ma marraine, Yvon, est au centre, entre mon père et ma mère. A côté de ma mère, ma petite soeur, et un peu en retrait, devant le moteur de la voiture, mon petit frère. A la place du conducteur, votre serviteur. Pas peu fier de dominer la scène. Ou plutôt d'être un peu à l'écart. D'avoir pris mes distances. A la fois "faire partie" de la famille, et être déjà un peu "à part".
© Jean-Louis Crimon.
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10 octobre 2022
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Contay. Frère et soeur. 1957. © DR.
Cette photo, je la connais depuis toujours. Elle a toujours été à l'honneur sur le buffet de la cuisine de la maison de Contay, notre première maison, ou, plus tard, sur la commode de la salle à manger, dans la "maison neuve" de Ribemont. Je me demande bien pourquoi le photographe a éprouvé le besoin de retoucher à ce point la robe de ma petite soeur et la chaîne qu'elle porte au cou. Etait-ce à la demande de mes parents, pour masquer la modestie de nos habits ? Ou bien est-ce une initiative malheureuse du photographe qui a cru "bien faire" ?
Je penche pour la seconde hypothèse. Ma mère a toujours dit que nous étions des gens "modestes", pour ne pas dire "pauvres". Mais modestes, nous l'étions surtout par cette façon de ne jamais vouloir paraître autrement que nous étions. Sans apprêt, sans apparat, sans en rajouter. Nature et naturels. Alors, les "retouches", vestimentaires ou photographiques, ce n'était pas pour nous. Pas notre style. Pas notre manière d'être.
© Jean-Louis Crimon
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