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14 juillet 2022 4 14 /07 /juillet /2022 08:57
"Le Peuple", n° 3268. Mardi 24 Décembre 1929. © Jean-Louis Crimon

"Le Peuple", n° 3268. Mardi 24 Décembre 1929. © Jean-Louis Crimon

 

Je relis ce matin

le "quatre pages" du Peuple

journal de la CGT

sous-titré

Quotidien du syndicalisme 

 

Une brève

une simple brève

Une brève en Une

Brève datée

"Joudreville, 23 décembre, par téléphone"

 

Une douzaine de lignes,

pour dire que 

500 mineurs de fer

de la Mine de Joudreville

se sont mis en grève

ce matin du 23 décembre

 

Leurs revendications :

augmentation des salaires,

application de la journée de 8 heures

et disparition des heures supplémentaires

 

Le dernier paragraphe de la brève

précise que la grève

est conduite

par le syndicat confédéré de Bouligny

et par l'Union départementale de Meurthe-et-Moselle.

 

Titre on ne peut plus informatif et direct :

LES MINEURS DE FER DE JOUDREVILLE SONT EN GREVE.

 

Bien sûr,

contrairement à ce que j'espérais,

-très naïvement, je le reconnais-,

rien sur toi,

Francesco Zanda,

rien sur toi, 

l'agitatore,

rien sur toi,

le mineur Sarde militant.

 

Sûr pourtant,

que si tu es toujours vivant,

en ce 23 décembre 1929,

tu dois être du côté des grévistes.

Carrément le leader du mouvement.

Oui, sûrement.

 

© Jean-Louis Crimon

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13 juillet 2022 3 13 /07 /juillet /2022 08:57
Piennes. La Mourière. Mineurs du fond. 1er Groupe. 1927. © Mémoires familiales des mineurs de fer Lorrains.

Piennes. La Mourière. Mineurs du fond. 1er Groupe. 1927. © Mémoires familiales des mineurs de fer Lorrains.

 

Sûr que tu es sur la photo,

mais où ?

Faudrait qu'au verso

quelqu'un ait noté

tous les noms, tous les prénoms, 

et que cette photo

annotée

ait traversé le fleuve du temps jusqu'à nous

 

De la mine de fer de Buggerru, Sardaigne,

à la mine de fer de Joudreville ou de Piennes, 

jusqu'à la mine de La Mourière, de Bouligny ou d'ailleurs

 

C'est écrit "Année 1927"

Forcément, tu dois en être.

Tes deux frères, Vincenzo et Mario t'ont sans doute déjà rejoint.

Si ça tombe, sur la photo, vous êtes tous les trois.

Ensemble 

Côte à côte

Toi l'aîné, au milieu,

Vincenzo d'un côté, Mario de l'autre.

Va savoir...

 

En même temps, vous n'avez peut-être pas tenus,

vous, les trois frères, 

vous, les trois Sardes,

à être immortalisés 

avec le premier groupe.

 

Il y a eu ce jour là quatre ou cinq groupes à poser devant l'objectif du photographe

venu officier à la demande du Directeur de la Mine.

Sans doute, à reculons, ou presque,

vous avez sacrifié au rituel social avec les mineurs du dernier groupe.

Mais comment savoir ?

 

Une petite croix au dessus d'une tête et,

au dos de la photo,

un nom, un prénom, une date...

Un indice, un signe.

 

L'homme au chapeau, qui sait, tout en haut...

Etais-tu plutôt casquette ou chapeau ?

Les Sardes sont-ils plutôt casquette ou plutôt chapeau ?

 

L'homme au chapeau, tout en haut de la photo,

impossible,

c'est le rang et l'étage de la Direction.

Les sous-chefs qui entourent le Patron.

Pas pour toi.

Toi qui n'est pas du rang des porions

Toi, forcément,

tu fais partie du "personnel du fond",

Donc, tu es,

forcément,

sur la photo.

 

Casquette,

ou nue tête,

encore une fausse piste,

pour toi, Francesco Zanda, tête nue,

toi, mon grand-père grandement inconnu.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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12 juillet 2022 2 12 /07 /juillet /2022 08:57
Lampes de mineurs. Musée de la Mine de Buggerru. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Lampes de mineurs. Musée de la Mine de Buggerru. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

 

Dans la vie,

comme tout le monde,

j'ai eu droit à deux grands-pères

 

Un grand-père du côté de mon père,

le père de mon père

Un grand-père du côté de ma mère,

le père de ma mère

 

Un grand-père Crimon

Un grand-père Zanda

 

Grand-père Crimon que je n'ai pas connu,

mort des suites du gaz moutarde

qui lui a brûlé les poumons pendant la guerre

Grand-père Zanda que je n'ai pas connu,

mort à la mine

 

Grand-père Crimon, prénom Adrien,

mort en 1922, l'année où est né mon père

Grand-père Zanda, prénom Francesco,

mort en 1928, l'année où est née ma mère.

 

Pour l'enfant que j'étais,

la symétrie des destins

voulait dire que c'était normal

que les grands-pères meurent très tôt

 

meurent l'année même de la naissance de leur premier enfant

 

J'ai dû vivre au moins dix ans sur cette vérité-là

C'est seulement quand j'ai réalisé que les autres

avaient toujours leurs deux grands-pères

que j'ai compris l'injuste cruauté des destins.

 

Ce jour-là, je me suis juré de bien apprendre à écrire

A écrire comme un écrivain

Juré aussi de ne jamais oublier ma promesse

Dur durable désir d'écrire

 

Pour dire la vie de ceux que la mort a pris trop tôt

C'est pour ça que je me dois maintenant d'écrire

la vie de mon grand-père Sarde

la vie de Francesco Zanda.

 

© Jean-Louis Crimon

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11 juillet 2022 1 11 /07 /juillet /2022 08:57
Musée de la mine de Buggerru. Le travail des femmes et des enfants. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

Musée de la mine de Buggerru. Le travail des femmes et des enfants. Avril 2017. © Jean-Louis Crimon

 

Passé une bonne partie de la nuit sur un site qui recense toutes les grandes catastrophes minières du Bassin Lorrain. Depuis le 15 Mars 1907 jusqu'au 21 Juin 2001. Aucune mention de Joudreville. Simplement la longue litanie de tous les morts à la mine.

Puits Villemuin, 15 mars 1907, explosion de grisou, 83 morts.

Puits Sainte-Fontaine, 3 janvier 1919, explosion de grisou causée par une lampe défectueuse, 36 morts.

Puits Reumaux, Merlebach, 26 mars 1925, défaillance de la machine d'extraction, chute de la cage au fond du puits, 79 mineurs à son bord, 53 morts.

St Charles, Petite-Rosselle, 15 septembre 1929, suite à une fausse manœuvre, chute d'un fût de benzol de 200 litres, explosion, 3 morts.

St Charles, Petite-Rosselle, 16 septembre 1929, remontées subites de grisou, violente explosion, 23 morts.

 

A chaque catastrophe, funérailles spectaculaires, les veuves en noir, aux premiers rangs, et les noms des victimes des catastrophes gravés en lettres dorées sur les monuments de chaque commune touchée.

Le seul endroit où le mineur est nommé, c'est le Monument aux morts. Là, pour l'éternité, le mineur à droit à son prénom et à son nom, et aux deux dates gravées dans ce cas-là, ponctuation classique de nos existences humaines : date de naissance et date de mort.

Tant de morts. Tant de catastrophes minières. Mais pas la moindre mention d'un accident à la Mine de Joudreville. Parfois je me dis que ma grand-mère, Berthe Leloup, a peut-être produit un "pieux mensonge". Fatiguée des questions incessantes de la petite Giulietta, elle a un jour trouvé cette parade irréfutable et définitive : ton père est mort à la mine le jour de ta naissance. Fille-mère, comme on disait à l'époque, ce n'était pas très glorieux et surtout pas facile à vivre. Humiliation d'être abandonnée par ce Sarde, déjà marié en Sardaigne, déjà père d'une petite Maria, sans doute bel homme, beau parleur, beau séducteur, mais peut-être aussi beau cavaleur... Pas fiable. Amour pas durable. Amour qui n'a pas duré.


Pardon, Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, de dire tout ça, comme ça, maintenant, mais comprends qu'avec tout le mystère qui entoure ta vie, ton parcours terrestre et le peu de traces que tu as laissé derrière toi, on puisse se poser des tas de questions et avoir quelques doutes. En Sardaigne, ils n'ont rien su de toi depuis ton départ pour la France, en 1926 ou 1927, et en France, on ne sait pas où tu as vécu, où tu es mort et où tu as été enterré. 

Si on ne mentionne aucun accident mortel à la Mine de Joudreville, en août 1928, c'est que tu n'es pas mort le jour de la naissance de la petite Juliette, ta fille, ma mère. Qu'elle a eu beau faire, ma mère, pour te chercher, avec nous, ses enfants, plusieurs étés de suite, début des années soixante, dans tous les cimetières des villages autour de Joudreville, de Piennes ou de Bouligny, avec une volonté de fer, ma mère, mais sans jamais que nous trouvions une tombe à ton nom. Pas de plaque mortuaire sur un monticule de terre. 

Mon grand-père Zanda, tu n'as pas été enterré dans ces cimetières-là.

 

© Jean-Louis Crimon

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10 juillet 2022 7 10 /07 /juillet /2022 08:57
La génération muette. Marinella Carosso. CNRS Éditions/Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.

La génération muette. Marinella Carosso. CNRS Éditions/Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.

 

Il y a des livres qui vous redonnent le moral et vous remettent dans le droit chemin. Comme ce livre sur la transmission en Sardaigne. Son titre, "La généalogie muette", intrigue d'emblée. Sa lecture n'est pas facile. Je m'y suis mis progressivement. Son auteur, Marinella Carosso, formée en France, est ethnologue et anthropologue. Son ouvrage est un ouvrage scientifique, publié en 2006, par les Editions du CNRS. Le sous-titre "Résonances autour de la transmission en Sardaigne ", résonne d'autant en moi-même. D'autant que le nom Zanda apparaît à plusieurs reprises. Page 177 notamment :

 

— Des Zanda, il y en a trois grandes «races», dit Giuseppe.

 

Plus loin, dans cette même page 177, c'est Marinella Carosso qui contextualise :

 

" Un ancien propriétaire de bétail et de terres, passionné par mes recherches sur les groupes de descendance, Francesco Zanda 'e Grillone, l'un des rares cas rencontrés où un père porte le sobriquet personnel du fils, m'adressa un courrier, dont voici un extrait :

« Je suis né le 13 Juin 1900 de Zanda Salvatore et Gioi Antioca, je suis de s'arèu du Sang qui tourne» de mon père depuis le début de 1700, ils ont eu des savants et des sculpteurs. Zanda Costantino, le frère aîné de mon grand-père, sculpta la statue de Saint Gabriel. Mon oncle paternel Zanda Giuseppe dit Su Cavaleri était également sculpteur. C'est pour ça que je dis que s'arèu Zanda « part » avec du sang d'artistes.»

 

Page 170, Marinella Carosso avait défini le terme « s'arèu » comme désignant "un groupe de parenté formé par plusieurs lignées issues d'une même fratrie dont les membres, morts ou vivants, portaient et portent un même patronyme, et se reconnaissent aujourd'hui en un ancêtre commun situé  à la troisième, parfois à la quatrième génération... S'arèu recouvre une temporalité d'un siècle, un siècle et demi environ, et tire sa raison d'être de mémoire d'homme."

 

Ce soir, sculpteurs, savants, mineurs ou bergers, je suis fier d'appartenir au groupe des... ZANDA.

 

 

© Jean-Louis Crimon

 

L'ouvrage de Marinella Carosso concentre ses recherches à Desulo, un bourg ancien, au coeur des montagnes du Gennargentu occidental. Le lieu fut habité dès le néolithique, comme en témoignent les nombreux nuraghes alentours, tel le nuraghe Ura 'e Sole, le plus haut de toute la Sardaigne. Chaque année, entre le 31 octobre et le 2 novembre, c'est le temps de " La Montagna produce " qui a pour but de mettre à l'honneur les produits de la montagne et l'artisanat du bois. Pendant ces trois journées est attribué le prix littéraire Montanaru, exclusivement réservé aux poètes sardes.

Dans son ouvrage, paru en 2006, Marinella Carosso s'attache à faire ressortir les traits saillants de la société locale. Elle décrit les différentes divisions et les usages du territoire, la mémorisation des bornes de ce territoire et l'organisation sociale et parentale, mettant en évidence la caractéristique majeure des généalogies sardes : elles sont silencieuses.

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9 juillet 2022 6 09 /07 /juillet /2022 08:57
Brigitte Zanda. Muséum national d'Histoire naturelle. Spécialiste Météorites. © DR

Brigitte Zanda. Muséum national d'Histoire naturelle. Spécialiste Météorites. © DR

Un jour,

j'ai voulu savoir

combien de personnes

portaient le beau nom

de Zanda

en France

 

La réponse fut à la fois

modeste

et

impressionnante

 

Pour le patronyme Zanda,

on recense

22 personnes nées en France

depuis 1890,

dans treize départements différents

 

Le total des naissances pour le patronyme Zanda détaille :

 

- Une naissance pour la période 1891 - 1915

- Huit naissances pour la période 1916 - 1940

- Huit naissances pour la période 1941 - 1965

- Cinq naissances pour la période 1966 - 1990

 

Il y a des Zanda dans l'Est et au Sud-Est de l'hexagone

dans la Meuse

en Haute-Savoie

dans les Pyrénées Orientales

 

Le nom Zanda est classé au 242 693 ème  rang des noms les plus portés

Autant dire que Zanda

est un patronyme

plutôt rare 

sinon rarissime.

 

Parmi tous les Zanda, une femme me fait rêver,

c'est Brigitte Zanda,

qui étudie les météorites et les minerais extraterrestres.

 

Sûr, elle doit être

une descendante

de Francesco Zanda

qui,

lui,

arrachait aux entrailles de la Terre,

des minerais très terrestres.

 

Cette Brigitte Zanda, à la renommée internationale,

travaille au Muséum national d'Histoire naturelle à Paris.

 

Je n'ose l'appeler

Je n'ose lui écrire

Je n'ose lui poser la question fatidique

même si je devrais le faire :

 

–  Votre grand-père s'appelait-il... Francesco Zanda ?

 

© Jean-Louis Crimon

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8 juillet 2022 5 08 /07 /juillet /2022 08:57
Piennes. Mineurs au fond de la mine de la Mourière. (Meurthe et Moselle). © DR

Piennes. Mineurs au fond de la mine de la Mourière. (Meurthe et Moselle). © DR

 

Je me demande souvent

si les noms des gens

ont un sens,

si les patronymes

que portent les humains que nous sommes

ont une signification.

 

Forcément,

pour moi, la question,

c'est : quelle est la signification du nom Zanda ?

 

Trouvé sur internet, 

une superbe réponse

 

D'origine grecque, le nom Zanda signifie... "Le défenseur de l'homme ".

 

Mon grand-père maternel sarde Zanda,

l'agitatore,

incarnait donc parfaitement son nom

 

Zanda, le défenseur de l'homme,

était

logiquement 

le défenseur de ses camarades mineurs.

 

En 1925, en Sardaigne, à Buggerru,

Francesco Zanda devait se battre 

pour que la journée de travail de 14 heures

soit réduite à 12 heures.

 

En ce temps-là, c'était comme ça,

les patrons avaient décrété le maintien de la journée de travail de 14 heures

deux journées de travail en une,

ça devait faire un max de tunes

pour les patrons

 

Les patrons ont toujours été de grands humanistes.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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7 juillet 2022 4 07 /07 /juillet /2022 08:57
Sardaigne. Le pianure vegliate dai Nuraghi. Les plaines surveillées par les Nuraghi. © DR
Sardaigne. Le pianure vegliate dai Nuraghi. Les plaines surveillées par les Nuraghi. © DR

Sardaigne. Le pianure vegliate dai Nuraghi. Les plaines surveillées par les Nuraghi. © DR

Grand-père Zanda, tu es mort vraiment trop tôt

j'aurais tant aimé que tu me racontes l'histoire de ton île

l'histoire des Nuraghi

les plaines protégées par les Nuraghi

 

que tu m'expliques qu'un nuraghe est une tour ronde en forme de cône

édifice mégalithique

caractéristique

de la culture nuragique

culture apparue en Sardaigne deux mille ans avant notre ère

 

Nuraghe

pour tutoyer les nuages

Nuraghe

petite soeur ou cousine des pyramides d'Egypte. 

 

© Jean-Louis Crimon

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6 juillet 2022 3 06 /07 /juillet /2022 08:57
Bouligny-les-Mines. Mines de Joudreville. © DR
Bouligny-les-Mines. Mines de Joudreville. © DR

Bouligny-les-Mines. Mines de Joudreville. © DR

Un jour,

je n'étais plus enfant depuis longtemps,

j'ai écrit pour ma mère, ta fille, au Directeur de la Mine de Joudreville

Ma mère, ta fille, voulait vraiment savoir

Comme elle, je pensais que c'était possible d'obtenir quelques précisions

même à plus de cinquante années de distance

sur cet accident au fond de la mine

qui est cause de ta mort

 

mourir le jour de la naissance de sa fille, sordide fatalité,

l'accident du 2 août 1928

le coup de grisou

 

même si, au village, quelqu'un nous avait dit

Il n'y a pas de grisou dans les mines de fer

 

La réponse du Directeur de la Mine de Joudreville fut sans appel :

Tu avais quitté le 16 novembre 1927

Tu avais été " manoeuvre au Fond " chez eux du 15 avril 1927 au 16 novembre

Tu ne travaillais plus à Joudreville le 2 août 1928,

sans doute déjà embauché dans une autre mine de la région

 

La lettre, signée du Chef du Siège des Mines de Joudreville, 

ne faisait aucune mention d'un accident mortel

à la Mine de Joudreville

le 2 août 1928.

 

Ma mère interrogea : qu'est-ce que ça veut dire alors ?

La question resta sans réponse.

 

© Jean-Louis Crimon

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5 juillet 2022 2 05 /07 /juillet /2022 08:57
Contay. Dans le verger footballisé, première tentative de dribble. 1960/61. © Juliette Crimon

Contay. Dans le verger footballisé, première tentative de dribble. 1960/61. © Juliette Crimon

J'aurais tant aimé, mon grand-père inconnu,

te parler de mon enfance à moi,

enfance souvent cruelle,

trop pleine de moqueries et d’insultes

à cause de mes yeux

mes yeux de travers.

Strabisme.

Mot horrible que je déteste.

Je t’aurais raconté le football quand on dribble les arbres du verger

ou bien quand on joue avec eux en frappant la balle sur l’écorce,

comme au billard.

Le verger que ma mère appelle la pâture,

c’est notre terrain,

notre Parc des Princes,

notre Stade Auguste-Delaune.

Nous y pénétrons en petites foulées,

mon père et moi,

après les travaux du soir au jardin.

Short blanc et maillot rouge et blanc.

Chaussettes rouges à parements blancs.

Chaussures à petits crampons en cuir.

 

Deux petites mi-temps de dix minutes chacune.

Quelle que soit la saison.

Même l’hiver, quand le terrain est tout blanc.

« Sont fous avec leur foot, vont attraper mal ! »,

peste Juliette, ta fille, ma mère,

que ça met en colère.

Surtout les soirs glacés, quand c’est la neige qui éclaire le terrain,

car le verger n’est pas équipé pour les matchs en nocturne.

 

J’aurais aimé que tu m'expliques

les chants polyphoniques

des bergers Sardes,

que tu me dises 

comment le choeur des hommes reprend la première phrase

du premier chanteur,

celui qui improvise,

et pourquoi parfois ils ont la main droite sur l’oreille quand ils chantent a cappella.

Simple mélodie reprise par tous, a cuncordu,

improvisation poétique chantée,

chant de travail,

chant de fête,

berceuse ou chant funèbre,

compétitions poétiques de plein air, dans les villages.

Tu devais être un bon chanteur.

 

© Jean-Louis Crimon

 

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