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24 juin 2021 4 24 /06 /juin /2021 09:47
Paris. France Culture. Studio 168. Déc. 2003. © François Crimon

Paris. France Culture. Studio 168. Déc. 2003. © François Crimon

Se lever, chaque nuit, au beau milieu de la nuit, du lundi au vendredi, pour une prise de service au quatrième étage de la grande Maison Ronde, à 3 heures du matin, la dure condition du matinalier. Le matinalier, celui qui présente les premiers journaux de la journée. 7 heures et 7 heures trente. Une vie à l'envers. Qui vous prive de toute vie véritable. Un rythme qui exige une très bonne condition physique. Le refus de toutes les invitations ou les tentations de sortie du soir. On ne peut pas être du soir et du matin. Le matinalier ne le sait que trop bien. Même s'il a très vite appris à dormir en "fractionné". Quand on est speaker, on dort comme un skipper

Que se passe-t-il dans la tête de celui qui vit à contre-temps, juste avant la prise d'antenne ? Juste avant le "Bonjour" du premier micro ? Pour ceux qui écoutent, c'est le matin, mais pour lui, c'est déjà le milieu de sa journée.

Une pensée d'une fraction de seconde pour les proches, la famille, les enfants, les parents, les amis fidèles qu'on imagine à l'écoute, et ces dizaines de milliers d'auditrices et d'auditeurs qu'on ne connait pas, mais qui, eux, ont le sentiment de bien vous connaître, vous, la voix familière de chaque matin. Pensée à chasser très vite. Ne pas se laisser distraire. Au contraire, concentration intense et une bonne respiration. C'est parti pour un round up de 15 ou 20 minutes. Sans hésitation, sans faute de diction, avec une voix bien timbrée, sans trop de "graves" pour plonger dans la gravité des affaires du monde. L'actualité est rarement rose ou enjouée. Le porteur de nouvelles est souvent le speaker des mauvaises nouvelles.

 

© Jean-Louis Crimon

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23 juin 2021 3 23 /06 /juin /2021 12:58
Amiens. JDA. Journal des Amiénois. 1994. © DR

Amiens. JDA. Journal des Amiénois. 1994. © DR

Devenir le Directeur, le patron, le boss, de cette radio où j'avais débuté, douze ans plus tôt, comme simple pigiste, forcément, ce fut une expérience assez particulière, le côté "clin d'oeil du destin" en prime, pour pimenter la chose. Parcours insolite, comme toujours. Humainement enrichissant. Même si, DS, DP, CHSCT ou CE, pas toujours très fraternels et parfois franchement conflictuels. De fait, mettre entre parenthèses sa carrière de journaliste, en Scandinavie, pour une fonction administrative, en Picardie, était une décision pas évidente à prendre. Courageuse, peut-être, mais surtout risquée. Dans la vie, privée, ou professionnelle, le retour aux premières amours ne paye pas toujours.

La mission que le Directeur des radios locales de Radio France, le grand Jean-Pierre Farkas, m'avait confié reposait sur trois points. Un : ramener la paix sociale dans l'entreprise. Deux : développer les partenariats payants. Trois : augmenter l'audience.

En prime, la direction comptable des budgets des radios locales me demanda de mener une enquête discrète pour comprendre pourquoi - cas unique en France, ou plutôt "en Radio France" -, on était capable à Amiens, de faire un plein de 80 litres d'essence dans un réservoir de 40. 

Dès ma première semaine, je pris rendez-vous avec le pompiste attitré de la Station. Une rencontre courtoise et éloquente. L'homme me déclara tout bonnement que mon prédecesseur avait coutume, à chaque plein de sa voiture de fonction, de faire aussi le plein de la voiture qui le suivait, la voiture de sa femme. Le pompiste facturant les deux pleins sur une même facture. Elémentaire, mon cher Watson. Elémentaire mais stupide. L'affaire fit grand bruit à Paris. Avec ironie, de bonnes âmes me surnommèrent Sherlock Holmes. D'autres m'imaginaient plutôt en Columbo avec sa phrase fétiche "Quand je vais dire ça à ma femme..."

Dans mon esprit, je n'étais pas nommé Directeur de Radio France Picardie, à vie. C'était une fonction, un rôle social. Limité dans le temps. Périssable. Mais sans y laisser sa peau. Mon quinquennat me parut suffisant.

Le jour où j'ai fait part, au cours du déjeuner d'un CCE houleux sur le passage aux 35 heures, à Jean-Marie Cavada, PDG de Radio France, de mon intention de quitter un poste où je réussisais plutôt bien, pour reprendre mon métier de journaliste, ma démarche ne l'a pas surpris. Au contraire. Il m'en félicita. N'hésitant pas à me citer en exemple au cours d'une réunion de tous les Directeurs et Directrices des radios locales de Radio France. Ce qui me valut quelques inimitiés dans la confrérie et l'hostilité définitive de ceux qui considéraient que leur rôle de Directeur était une fonction à vie. Un acquis définitif. A ne jamais remettre en cause. Les nominations successives, à la préfectorale, ponctuant logiquement les années de Direction. Sans jamais y mettre un terme. Sauf quand l'âge de la retraite était atteint.

 

© Jean-Louis Crimon

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22 juin 2021 2 22 /06 /juin /2021 15:39
Paris. France Culture. Salle de rédaction. Juin 2003. © Emmanuel Georges.

Paris. France Culture. Salle de rédaction. Juin 2003. © Emmanuel Georges.

La conférence de rédaction. Là où tout se décide. Le rituel indispensable au bon fonctionnement de la rédaction. Par rédaction, il faut entendre "ensemble des journalistes d'une radio ou d'un journal" autant que "le lieu où ils travaillent". Le choix des sujets qui seront traités, leur pertinence, les angles, tout est discuté, pesé, nuancé, et finalement validé. Ou pas. Papier ou son. Enrobé : voix du reporter + son.

Dans le rôle du présentateur du journal de 22 heures et du flash de Minuit, j'ai pris, je l'avoue, beaucoup de plaisir dans ce travail de mise en forme de l'actualité. Mise en forme et mise en voix. Vingt minutes d'informations avec, pour éclairer un fait d'actualité de la journée, l'interview, en direct, d'un éditorialiste de la presse européenne. Berlin, Copenhague, Madrid, Londres, Rome... Parfois Ankara, Alger et même Jérusalem.

Dans un autre registre, le flash de Minuit de France Culture, carte blanche et vrai bonheur d'écriture. Un 5 minutes, uniquement constitué de brèves dans la voix du présentateur. Les infos du jour qui s'en va, mêlées aux infos du jour qui s'en vient. Un exercice de style autant qu'une technique d'assemblage. 

Je me souviens de la chute insensée de la brève annonçant la mort d'un grand sociologue qui avait de son vivant refusé tout éventuel hommage, à sa mort. J'ai simplement dit au micro, après le rappel de sa vie de chercheur et d'intellectuel, " Ce soir, s'il existe, Dieu a fait une bourde".

Ce qui a eu le mérite de scandaliser le Directeur de la rédaction et de plaire énormément aux auditeurs, surtout des auditrices d'ailleurs, de la nuit.

 

© Jean-Louis Crimon

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21 juin 2021 1 21 /06 /juin /2021 09:57
Saint-Quentin. Graeme Allwright. Août 1979. © Philippe Callot.

Saint-Quentin. Graeme Allwright. Août 1979. © Philippe Callot.

Palais de Fervaques. Saint-Quentin. Aisne. Picardie. Mois d'août. Une heure avant le spectacle. Graeme Allwrigth est à chaque fois déconcertant de gentillesse. Disponible. Partant pour toutes les conversations. Ouvert à toutes les questions. Que l'on parle de l'importance des mots, du texte, dans le choix de ses chansons, de sa façon d'être sur scène, souvent pieds nus, du bonheur d'être chanteur, du bonheur de vivre, d'être vivant, de la vie simplement et de la mort aussi, Graeme est toujours le même. Simple, direct, avec en prime un rien de méditation métaphysique profonde. Touchant et attachant. Un bel être humain vraiment humain.

"La mer est immense", "Henrik", "Qui a tué Davy Moore ?", "Petites boîtes", "Il faut que je m'en aille", "Dommage", ou encore  "ça, je ne l'ai jamais vu", autant de titres, autant de chansons qui ont ponctué sinon les grands moments, de bien beaux instants de notre vie.

 

Extraits d'une jolie conversation magnétique d'il y a plus de quarante ans.

 

" Pour moi, la chanson, c'est beaucoup plus le texte. En dehors. de certaines chansons qui sont des chansons pour s'amuser, pour rigoler, et pour chanter ensemble aussi. Mais, pour moi, le texte est très important, ça conditionne ma façon de travailler, parce que la musique doit véhiculer le texte et le mettre en valeur. Bien sûr, le fait d'attacher beaucoup d'importance au texte, ça n'empêche pas de concevoir et de créer une mélodie agréable. Actuellement, je crois qu'on a perdu l'habitude d'écouter. On entend des musiques constamment, à longueur de journée et des chansons, il nous reste des bribes de paroles, des mélodies qui nous trottent dans la tête. On appelle ça des "tubes", des "scies", et c'est fait pour ça aussi... Mais la chanson, c'est - ou ça devrait être - autre chose. Autre chose que cet espèce de fond sonore qu'on écoute souvent en train de faire autre chose. La chanson mérite toute notre attention et puis c'est un moyen merveilleux pour s'adresser au plus grand nombre."

 

"De toute façon, je ne crois pas à la politque. Plus du tout. Je trouve que les hommes politiques sont des pantins, des pantins de l'Histoire. Ils font un spectacle qui amuse les gens, comme un match de foot, ça les distraie, ça fait partie des distractions. Bon, c'est vrai qu'il y a des hommes compétents, des hommes sincères certainement, mais ils ne voient pas, ils ont des oeillères, et ils n'ont pas de vrai programme pour l'homme. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur langue, ce qu'ils appellent la polémique."

 

Lucidité rare. D'une actualié sidérante. Les temps changent. Pas si sûr. Les temps n'ont pas tellement changé. 

 

© Jean-Louis Crimon

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20 juin 2021 7 20 /06 /juin /2021 11:17
France Bleu Picardie. Avec Vincent Schneider. Juin 2017. © DR

France Bleu Picardie. Avec Vincent Schneider. Juin 2017. © DR

Dans cette radio, il sera dit que j'aurai franchi toutes les étapes, appris tous les métiers, ou presque, de pigiste, commentateur des matches de foot de Moulonguet ou des tiers-temps de hockey sur glace au Coliseum, reporter, flashman, présentateur des journaux du matin, puis du journal du soir, et enfin, directeur, après une escapade de trois ans de grand reportage à Copenhague. Envoyé Spécial Permanent de Radio France pour les Pays Scandinaves et les Etats Baltes. Sans oublier la Finlande qui n'est pas un pays scandinave, même si l'on y parle, en plus du finnois, aussi suédois. La Finlande a en effet deux langues officielles : le finnois et le suédois.

 

Être invité de la matinale de Vincent Schneider, plus de trente ans après mon premier micro, pour évoquer mes 480 "Je me souviens d'Amiens", façon Perec, pas si mal, ou plutôt, comme aurait dit ma vieille maman, malheureusement plus de ce monde depuis sept ans déjà, "C'est pas banal".

 

Pas banal, mais toujours matinal. La radio, à tout jamais, c'est le matin. 

 

© Jean-Louis Crimon

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19 juin 2021 6 19 /06 /juin /2021 09:27
Amiens. Radio France Picardie. Picardie-Hebdo. Saison 1988-1989. © DR

Amiens. Radio France Picardie. Picardie-Hebdo. Saison 1988-1989. © DR

Picardie-Hebdo. L'hebdo de la rédaction. Une semaine d'actu. Co-produit avec Elisabeth Durin. Rédactrice en chef. D'abord, ensemble, choisir, dans la totalité des sujets traités dans la semaine, ceux qui méritent qu'on y revienne. Ensuite récupérer les sons, les papiers, les bobinos. Travail de manutention avant le travail de rédaction. Pour l'Hebdo, il faut ré/écrire les lancements, resituer dans le contexte. La plupart du temps, des petits sujets. De la petite locale. Rarement de la grande info. De la petite actu. Rarement une actu locale qui devient nationale. Si, de ces années-là, il te fallait retenir un reportage, une interview, un son, un seul, sans aucune hésitation, ce serait la voix de cet homme, originaire d'un petit village de la Somme, près de Moreuil, dont la France entière n'a pu ignorer le deuil.

Emotion immense le 29 novembre 1987 pour des obsèques nationales. Une foule de 10.000 personnes dans les rues froides de ce jour-là. Devant la Mairie d'Amiens, du haut de la tribune drapée de rouge, Georges Marchais, secrétaire général du PCF, a la colère contenue pour dire simplement : "Le coeur se serre et les poings se ferment." et Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, ponctue d'une voix débordant de tristesse : "Un militant ouvrier a été assassiné pour avoir défendu une juste cause." Hommage national pour celui qui avait rejoint le Parti communiste clandestin en 1942, à l'âge de 16 ans, qui s'était enrôlé dans les FTP, et qui, depuis, n'avait jamais cessé de militer.

Lucien Barbier, mort le 26 novembre 1987, après trois semaines de coma. La manifestation du 6 novembre, au Parc des Expositions d'Amiens, pour le passage du TGV-Nord par la capitale picarde, avait été sévèrement réprimée. Projeté à terre et matraqué, l'homme de 61 ans est admis aux urgences le soir-même. Diagnostic: fracture du crâne. Le militant cégétiste et communiste sombre dans un profond coma dont il ne se réveillera jamais.

 

Oui, vraiment, de toutes ces années de radio locale, le son le plus fort, le son le plus beau, c'est la voix de Lucien Barbier. Quand il te dit au micro, dans l'herbe de La Courneuve, à la Fête de l'Huma: "J'ai adhéré au Parti comme on va boire à la source..." Romantique démarche politique que celle de Lucien Barbier. Il a le sens du récit. La manière de dire. La façon. Sans façon. Mais avec un rien de poésie vraie des gens simples qui savent si bien dire ce qu'ils ont simplement vécu.

Nom, prénom, profession. Ta technique d'interview basée d'abord, sur le bon réglage du niveau du son, à l'aide de la grande aiguille du vu-mètre, te permet en même temps d'identifier immédiatement au montage qui parle. Gain de temps et objectivité absolue. "Je m'appelle Lucien Barbier... "

 

Comme souvent les confrères du national qui couvrent l'évènement passent à la station régionale, pour essayer de récupérer des éléments sonores qui pourraient enrichir leur reportage. Ce jour des obsèques nationales d'un militant anonyme, forcément, ça défile.

 

- Vous n'avez rien sur Lucien Barbier ?

- Non, jamais interviewé, répondent, unanimes, mes consoeurs et confrères. Silence en forme de déception immense. 

- Si, moi j'ai du garder dans mes archives perso une bande magnétique avec sa voix. Je l'ai rencontré à la Fête de l'Humanité, il y a quelques années.

- Tu es sûr que c'est lui ?

- Oui, absolument, il donne lui-même son prénom et son nom, avant le début de l'interview. 

- Tu nous vends ton interview ?

- Non, je vous la donne ! A une condition: faites parler Lucien quand passera l'image de son cercueil... Que tout le monde sache que, même mort, sa parole est toujours vivante.

 

 

Le soir du 29 novembre 1987, dans le 20 heures de France 2, qui s'appelle Antenne 2, au moment où, à l'image, on voit le cercueil du militant cégétiste et communiste, en lettres blanches, sur fond noir, on peut lire "Document Radio France Picardie". Je n'ai pas osé accepter qu'on signe de mon nom, mon interview. J'ai comme souvent joué collectif et fait créditer la rédaction de RFP.

"Je m'appelle Lucien Barbier... j'ai adhéré au Parti comme on va boire à la source..."

 

Mon hommage à cet homme croisé un jour de septembre, Parc de La Courneuve, Fête de l'Huma. Lucien, c'est toi le plus fort. Même mort, tu parles encore.

 

© Jean-Louis Crimon

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18 juin 2021 5 18 /06 /juin /2021 10:10
Amiens. MCA. Itv. Jacques Canetti. Début des années 80. © Gérard Crignier / Courrier Picard.

Amiens. MCA. Itv. Jacques Canetti. Début des années 80. © Gérard Crignier / Courrier Picard.

Jacques Canetti. On lui doit tout ou presque. Personnage central de la chanson française. Incroyable découvreur de talents. En 1950, c'est lui qui découvre au Québec le jeune Félix Leclerc en qui, à l'époque, - même dans son propre pays -, personne ne croit. Jacques Canetti réussit à le convaincre de venir en France et lui offre sa première renommée parisienne. En 1954, il donne à Brel la possibilité d'enregistrer son premier album. Entre 1953 et 1958, Jacques Canetti ne lâchera pas Jacques Brel dont la maison de disques, Philips, ne voulait pas, ou plus. Il le programmera six fois de suite aux Trois-Baudets. En 1967, au faîte de sa gloire, Brel, avec cette ironie incroyablement tendre et mordante dont il était porteur, concédera à Canetti, devenu producteur indépendant : "Vous avez eu le mérite de me sortir de mon trou, mais, en somme, vous m'avez dit ce qui était probablement évident et, comme vous étiez Canetti, cela m'a donné l'élan nécessaire pour faire ce que j'avais envie de faire dans mon for intérieur... C'est vous qui devez me dire merci... J'ai fait honneur à votre réputation de découvreur !"

 

Brel, Brassens, Boris Vian, Piaf, Trenet, Gréco, Aznavour, Gainsbourg, Béart, Nougaro, Reggiani, Devos, Brigitte Fontaine et Jacques Higelin, mais aussi Mouloudji, Boby Lapointe, Ricet Barrier, Anne Sylvestre, Maurice Fanon, Leny Escudero, Claude Nougaro... Tous lui doivent leurs premiers pas sur scène. Entre 1947 et 1962, Jacques Canetti fait naître aux Trois Baudets la génération la plus talentueuse qui soit des auteurs-compositeurs-interprètes français.

L'homme, qui a pour frère aîné Elias Canetti, prix Nobel de littérature en 1981, et pour frère cadet Georges Canetti, chercheur et professeur à l'Institut Pasteur, a la parole simple et fraternelle. Il déroule le récit d'une vie vraiment extra/ordinaire, comme si c'était tout simplement naturel. Evident. L'interviewer est un vrai bonheur. 

 

Ce que toi tu n'as pas osé dire à Jacques Canetti, c'est que Brel, Jacques Brel, un jour des années soixante, est venu chanter ici, à Amiens, au Cirque. Ce soir-là, toi, tu es interne. Au Lycée Lamarck d'Albert. A peine une trentaine de kilomètres d'Amiens. Un déplacement en autocar est organisé pour aller au spectacle, comme on dit alors. Prix du concert, déplacement compris : 5 francs. Le billet de 5 francs au beau visage de Victor Hugo. Problème : tu n'as pas l'argent. Tu n'as pas d'argent. Ce soir-là, tu seras l'un des rares à rester à l'internat. Tu n'as même pas eu l'idée d'emprunter ces foutus 5 francs à un camarade plus fortuné. Ou à un pion, ou à un prof. Tu n'es pas allé écouter Brel. Tu n'as pas vu chanter Brel. Tu ne verras jamais chanter Jacques Brel.

Le regret de toute une vie.

 

© Jean-Louis Crimon

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17 juin 2021 4 17 /06 /juin /2021 10:07
Québec. Commémoration 1534-1984. Interview Winston Wuttunee. Indien Cree. © DR

Québec. Commémoration 1534-1984. Interview Winston Wuttunee. Indien Cree. © DR

C'était au lendemain du pow-wow. Le pow-wow, pour les Amérindiens, c'est le rassemblement des descendants des Premières Nations. Une vraie fête avec des danses et des chants. A vivre intensément. Jusqu'à très tard dans la nuit. Cette nuit-là, Winston Wuttunee avait chanté dans sa langue d'Indien Cree de Saskatchewan les plus belles chansons que la Terre ait jamais portées. Une beauté rare, une voix venue de si loin et soudain un être dont on se sent si proche. Lui, Indien Cree, et moi, sans l'avoir jamais su, Indien Cri à demi. Puisque Cri/mon. D'autant que Cree se prononce Cri. C'est Winston Wuttunee qui me l'a dit.

 

"Chaque noeud de mes cheveux que je tresse, c'est une prière pour mes ancêtres". Il joint le geste à la parole et déroule une pensée claire dans les sous-bois de l'existence. "J'ai été béni par les Anciens pour guérir les blessures. Mes chansons et ma musique ont le pouvoir de guérir les gens qui souffrent." Sa chanson "I cried", c'est pour un ami qui avait tenté de mettre fin à ses jours. Sa ballade "Mon fils", c'est pour encourager les enfants à devenir des Crazy Horse et des Louis Riel.

 

Peuple de la grande forêt boréale, des lacs et des rivières, les Cree ont, au départ, un vaste territoire qui s'étend sur la plus grande partie du Canada, de la rivière Ottawa au Québec jusqu'à la rivière Saskatchewan et la Baie d'Hudson, au nord de l'Alberta, couvrant les provinces de Québec, de l'Ontario, de l'Alberta, du Manitoba et du Saskatchewan. Vivant sous un climat trop rigoureux pour pratiquer l'agriculture, les Cree dépendent totalement de la pêche, de la cueillette de végétaux sauvages et surtout de la chasse à l'élan, au caribou, et au gibier d'eau. Ils pratiquent également le piégeage des animaux à fourrure pour leur propre usage ou pour le troc. Ils vivent du commerce de la fourrure. Le développement vers l'ouest des chemins de fer amènera, à partir de 1880, de nombreux colons sur leurs territoires. En 1885, les Cree participeront à la révolte des Métis de Louis Riel.

 

Dès le XVII ème siècle, les Cree sont en relation avec les Français pour le commerce de la fourrure, en particulier le commerce des peaux de castor. Beaucoup de trappeurs français, "coureurs des bois", s'unissent à des femmes Cree. De ces unions naitront de enfants métis. Des Métis qui, au XIX ème siècle, tenteront de se constituer en société distincte.

L'unité de base de la société Cree était la petite bande de chasseurs liés par la parenté, vivant sous des wigwams coniques recouverts d'écorce et de peaux, faciles à construire. Les Cree utilisent l'écorce de bouleau pour la fabrication de récipients et pour recouvrir les légers canoës qui leur permettent de se déplacer facilement sur les lacs et les rivières de leur immense pays. Les raquettes à neige permettent aux chasseurs de se déplacer facilement durant le long hiver, quand le gel des cours d'eau interdisait l'usage du canoë.

 

Aujourd'hui, les Cree canadiens ont plusieurs petites réserves dispersées en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et au Québec. Dès les années 1970, les Cree du Québec ont lutté contre la construction des immenses barrages que la société Hydro-Québec a implanté le long de la Baie James, causant l'inondation de leurs territoires ancestraux. Au nord de l'Alberta, près du Lac Lubicon, la communauté Cree de Peace River est victime, depuis la fin des années 1970, de forages pétroliers et d'implantation d'usines de pâte à papier. Au mépris de la dimension sacrée de la terre des ancêtres. L'indifférence au cri des Cree laisse sans voix.

 

Je me souviens de la célèbre formule du Chef des indiens Hurons, Oné Onti, dit Max Gros-Louis, rencontré à Loretteville : "Au début, ils avaient la croix et on avait les terres. Aujourd'hui, ils ont les terres et on la croix." 1534-1984, 450 ème anniversaire de ce que faute de mieux on appelle "la découverte du Canada par Jacques Cartier". En fait 450 ème anniversaire de la grande dépossession.

 

Depuis cette année 1984 et le temps fabuleux des pow-wow, quand j'entends le mot "Amérindiens", j'ai dans l'oreille, en creux, "Amers Indiens". Je me demande bien ce qu'en penserait aujourd'hui mon ami Winston Wuttunee.

 

© Jean-Louis Crimon

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16 juin 2021 3 16 /06 /juin /2021 09:57
Amiens. Jeudi 7 Avril 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Jeudi 7 Avril 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher footballeur de papier,

 

Tu pensais que tu ne jouerai pas. Au téléphone, on t'avait dit : "C'est juste au cas où... On a invité un arbitre international, mais on ne sait pas s'il arrivera à temps, alors..."

Ok, pas de problème, ça me va, s'il vient, ce sera le banc. Le banc des remplaçants. Des coiffeurs. L'arbitre n'est pas venu. Tu es entré en jeu. Dès le début.

La radio, - tu le sais d'expérience - c'est vif, c'est rapide, c'est dans l'instant. Avant, tu te dis " faut dire ça " et " faut raconter ça comme ça". Mais dès que le rouge s'allume, ça ne se passe jamais comme prévu. Tu n'as pas su bien traduire ton football/musique et ton Fontaine/Verlaine. Bien sûr, tu as donné l'esprit, l'ambiance, la "romance", mais pas vraiment bien présenté le roman.

Pas évident de se retrouver dans le rôle de l'interviewé quand on a passé sa vie à être l'intervieweur. Pas si simple de répondre simplement aux questions quand on été pendant plus de trente ans dans la peau de celui qui les pose. Emission en l'honneur de l'arrêt dans ta ville, Amiens, du train de l'Euro. L'Euro 2016. Le train dont le départ a été donné le 2 avril, Gare de Lyon, à Paris. Pour faire halte dans 25 villes jusqu'au 8 juin. Un train divisé en quatre voitures. Un thème particulier pour chaque voiture : le stade, les vestiaires, la fête et l'histoire du football.

 

A la radio, dans cette émission réalisée à l'entrée du quai, la séquence Littérature et Football t'a laissé sur ta faim. C'était trop court, trop rapise. Trop dans le survol. Un gros regret surtout : tu n'as pas eu le temps de rappeler ces mots fabuleux de Denis Troch, l'entraineur de l'ASC, juste avant la finale de la Coupe de France, au Stade de France, contre Strasbourg, en 2001, l'année de la parution de ton tant aimé Verlaine avant-centre : "Passez les ballons que vous aimeriez recevoir ! "

Une phrase reprise tout au long de ta vie, en la déclinant selon les moments, selon les instants, à commencer par : " Passez les idées que vous aimeriez recevoir ! " Sans oublier, bien sûr : " Passez les sourires que vous aimeriez recevoir ! "

 

© Jean-Louis Crimon

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15 juin 2021 2 15 /06 /juin /2021 08:57
Paris. France Culture. Journal de 22 heures. Juin 2009. © DR

Paris. France Culture. Journal de 22 heures. Juin 2009. © DR

 

Au départ, je suis professeur de philosophie. Maître Auxiliaire. A cette époque - (1977-1978) - à la fin de chaque cours, je lance à mes élèves cette fausse boutade, vrai principe de vie : "Entre Être et Avoir, ne vous trompez jamais d'auxiliaire, et vous pouvez me croire, moi qui suis Maître Auxiliaire !" Le 1er Juillet 1979, je deviens journaliste. Georges-Louis Collet, le Rédacteur-en-Chef historique du Courrier Picard, m'accueille dans son bureau de la rue Alphonse Paillat, et me met d'emblée à l'aise : "Paraît que vous savez écrire, montrez-nous ce que vous savez faire et surtout sentez-vous libre ! Je vous engage pour les deux mois d'été." Deux mois extraordinaires qui décidèrent de ma nouvelle vie. Deux mois qui durèrent près de quatre ans. Mille et un papiers sur mille et un sujets. L'apprentissage au quotidien, dans tous les sens du terme, du fascinant métier d'écrivain de reportages ou de chroniques. Ensuite, ce sera la radio, Radio France Picardie - un micro pour écrire avec la voix - puis France Inter et Copenhague, ESP au Danemark, Envoyé Spécial Permanent, pour tutoyer pendant trois ans les pays scandinaves et les pays baltes, et la Russie aussi, via Saint-Pétersbourg. Puis retour en Picardie pour diriger cette Radio qui m'avait, dix ans plus tôt, accueilli comme pigiste. Enfin, France Culture, où je boucle cette année 2009 l'aventure commencée en 79, en présentant, chaque soir à 22 heures, du lundi au vendredi, le journal de la nuit. 

 

De ce périple de 30 ans au pays des Médias, je garde deux ou trois certitudes et une foultitude de questions. Pour faire court - la règle du métier - je me borne ici aux certitudes :

 

Un : je confesse un faible définitif pour un journalisme qui dérange, qui prend l'actualité à contre-pied, qui rebondit, qui choisit et qui sait dire non aux sirènes de la Com', la Communication, souvent brouilleuse et embrouilleuse de pistes.

Deux : je suis pour un journaliste à la fois observateur, interprète et narrateur de la réalité. Sans jamais oublier cette réalité première : les faits sont têtus et ne se soumettent qu'à la question.

Trois : pas de pertinence sans impertinence, regard critique oblige. Avant de vous tirer ma révérence, je suis - définitivement - pour un journalisme irrévérencieux.

 

Quant à la recherche de la vérité, la quête et l'enquête, choisir là encore les chemins humains : non pas "couvrir" mais "découvrir", non pas "assurer la couverture", mais prendre le parti de "la découverte". Enfin, pour la sacro-sainte objectivité, ne jamais oublier que nous sommes tous des sujets, et que nous ne produisons rien d'autre que du "subjectif".

Moralité : cette objectivité journalistique que certains voudraient nous imposer est un leurre, une illusion. La vérité de la Presse ne sera jamais une vérité scientifique, d'ailleurs toute relative elle aussi, mais une vérité humaine, c'est à dire toujours imparfaite et toujours à parfaire. 

Résolument, je persiste et je signe : je suis à tout jamais pour l'imparfait du subjectif. 

 

© Jean-Louis Crimon

Carte de presse n° 45785. 

 

Editorial écrit à la demande du Club de la Presse de Picardie en Juin 2009, en guise de préface à l'Annuaire 2009-2010.

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  • : Journal d'un bouquiniste curieux de tout, spécialiste en rien, rêveur éternel et cracheur de mots, à la manière des cracheurs de feu !
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