Les galettes de pommes de terre à ma mère. © DR
" C'est incroyable tout ce que ma mère sait faire avec des pommes de terre. Le délice des délices, c'est le steak des pommes de terre : les patates d'abord, on les épluche, ensuite on les râpe comme des carottes, et on fabrique des steaks hachés végétariens, larges comme la main. Comme on a pas d'argent pour acheter de la viande, ça tombe bien. J'en souffre pas trop : j'aime pas la viande.
Frits dans la poêle, dorés des deux côtés, tournés et retournés avec amour, c'est bon comme du dessert. Un dessert qui vous arriverait sans prévenir, sans crier gare, au beau milieu du repas. Chez nous, les gens de la rue d'en bas, on a le sens du petit rien qui fait un festin d'un simple repas."
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Page 50 de Rue du Pré aux Chevaux. Le Castor Astral. 2003.
Ce caillou bizarre en forme de pomme de terre
Je l'ai toujours au fond de ma poche
Comme un trophée
Un talisman
Un trésor
Pomme de terre éternelle
Inoxydable
Imputrescible
Silex silencieux
Qui ne parle qu'à moi
Le soir très tard
Ou la nuit
Pomme de terre fossile venue de la nuit des temps
Pomme de terre caillou de la mi-août
Pomme de terre caillou qui se fout du mildiou
Des pommes de terre cailloux
J'en ai des dizaines
Cachées dans le bas du placard de ma chambre
Souvent mon père me chambre :
Un jour, on va les cuire tes patates-cailloux
On fera un grand feu dans le jardin
On les mettra dans le grand chaudron
Avec de l'eau
Des poireaux
Des carottes et des oignons
Cette fois-là
Tu sauras
Quel goût elle a
La soupe à...
Cailloux.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
A la criée
Petite et rose,
Même pas dix balles,
Je vous l'emballe,
C'est la Roseval...
Moyenne, mais fine et longue
Comme une queue de rat
Qui aurait de la rate !
Le prix n'est pas scélérat,
Mais c'est la ratte !
Grosses et savoureuses
Pour les amoureuses
D'assiettes copieuses,
Bintje, BF 15 ou Belle de Fontenay,
Vous n'en avez pas, moi j'en ai !
Ronde de Provence
Ou Charlotte
C'est sur la balance
Si ça vous botte !
Si vous pensez : " Quoi de neuf ? "
En cette année 2010... neuf,
Pas vraiment pleine comme un oeuf,
Sachez qu'au Royaume du tubercule à Parmentier,
On prospère en... trois neuf,
Mais oui, côté variétés de pommes de terre,
On atteint désormais... 999 !
Moralité, si ça vous tente,
Faire du plant,
Du plant de la plante,
C'est une vraie rente...
Et puis, demain, ou bien aujourd'hui,
On se dit :
999 + une,
et on met dans le mille...
Sans oublier toutes les manières
De les rendre familières,
Mais pour la purée,
Celle que je préfère,
C'est la Charlotte...
Attention, voyons !
Le couvercle !
sur... la cocotte.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Pommes de terre à dégermer. © Emmanuel Lattes.
Je ne sais plus quand
Précisément
Vient le temps
Où l'on descend
A la cave...
Là, dans un coin,
Le plus sombre,
Il y a des êtres étranges
Qui n'aiment pas
Qu'on les dérange...
Ils ont des antennes de Martiens,
C'est une armée de Lilliputiens
Prêts pour l'attaque
Et la morsure
Des petites jambes des enfants de géants...
Des tiges aux pointes bleues et vertes
Parfois violettes
Qui vous caressent et vous menacent
Les mollets sans socquettes
Si vous passez un peu trop près...
Tiges curieuses au toucher
Souples et cassantes
A la fois liquides et rigides
Hautes herbes d'un talus imaginaire
Qui descendrait vers la rivière...
Mais en contrebas,
Faut le dire tout bas,
Pas d'eau, pas de rivière,
Juste un radeau
De pommes de terre...
Un bateau naufragé
Echoué
Depuis l'automne dernier
Sur le sable
De la cave...
A son bord, des êtres venus d'ailleurs,
Pour entourer de leurs bras minuscules,
Chacun de nos tubercules,
Ils tournent leurs têtes incrédules
Vers le trou d'air et de lumière du soupirail...
De sa canne autoritaire,
Tante Laure pointe alors le tas,
L'immense tas,
De pommes de terre toutes emberlificotées
Dans leurs tiges bizarrement tricotées...
La Tante dit, chaque année sur le même ton :
"Allez, au travail, c'est le moment, faut qu'on dégerme !"
Je n'aime pas le temps du dégermage,
Sauf pour une raison, une seule,
Mais c'est un secret...
A chaque fois,
Ma petite soeur et moi,
On s'assoit
A même le sol de sable et de terre
On commence, pomme de terre après pomme de terre...
C'est le temps de la danse
Ou de la contre-danse,
Le temps qu'on pense
Et qui compense
L'absence de vacances...
C'est l'après-midi du jeudi,
Faut bien que les enfants, on les occupe,
Même si on n'est pas dupe,
On sait bien qu'y a pas d'âge
Pour la science du dégermage...
A la fin, la toute fin,
Quand tout est fini, vraiment fini,
Sous le tas, à l'endroit du tas,
Bousculé, dérangé, déplacé,
Et reconstitué juste à côté...
Soudain, on s'écrie, ma petite soeur et moi :
" Elle est là ! "
Superbe, gracieuse, étonnante, elle-même étonnée,
Dans robe noire marbrée de jaune,
La peau si douce et si fine de son ventre orange...
La Tante s'énerve : " Ne la touchez pas !
C'est la créature du diable ! "
Je n'en crois rien
Je la trouve belle, trop belle,
Je la garde longtemps au creux de ma main...
Je caresse longtemps, doucement,
La peau fine et douce de son ventre orange.
A jamais, pour moi, le temps du dégermage,
C'est cette salamandre au ventre orange qu'on dérange
Dans son sommeil diurne...
Sous l'oeil de la Tante soudain taciturne
Qui claque d'un coup sec
La porte de la cave et s'exclame :
"Allez, les enfants, c'est fini,
Rentrez chez vous
Le dégermage est terminé ! "
Avant, bien sûr, après une dernière caresse,
La salamandre, je l'ai rendue
A la terre sableuse de la cave
Dans le coin le plus sombre
Tout près du nouveau tas de pommes de terre...
Dégermées, prêtes à retourner en terre,
Pour faire de nouvelles pommes de terre.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Les pommes de terre,
Moi, l'enfant d'après-guerre,
Mon père et ma mère,
M'en ont fait naguère,
Manger de toutes les manières...
Ma mère était experte en cuisson,
La pomme de terre, mon garçon,
C'est pratique, c'est commode,
Tout dépend de la façon
Dont on l'accommode...
La patate, fiston,
Ecoute pas c'que ta mère te chante,
C'est d'abord comment on la plante,
Savoir au bon moment la butter,
Surtout savoir la récolter...
Mais d'abord,
Faut être le plus fort
Dans la chasse aux doryphores,
Et surtout à la mi-août,
Ne pas laisser gagner le mildiou...
C'est vrai, vrai de vrai,
En l'art et la manière
De faire pousser les pommes de terre,
Mon jardinier de père était expert,
C'était un jardinier hors-pair !
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Pomme, pomme, pomme,
Pas celle de l'arbre, pardi,
Pas celle qui nous a fait perdre le paradis,
Pas celle qu'a croqué Êve,
Et qui nous est restée
Pomme d'Adam...
Pomme, pomme, pomme,
Celle de la terre, bonne mère,
Celle sans qui nous serions encore en enfer,
Le coupe-faim des pauvres diables,
Les vitamines des trompe-la-mort,
Le pain de ceux qui n'en ont pas...
Pomme, pomme, pomme,
Pourquoi le taire ?
Je nomme
- c'est salutaire -
L'invention révolutionnaire
De la Pomme de Terre.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Ma mère coupe en petits dès
Les pommes de terre déjà cuites
A l'eau ou à la vapeur
Puis elle fait dorer doucement à la poêle...
Alors on verse par dessus les oeufs battus en omelette
Un peu de sel, un peu de poivre, on mélange,
On saisit à feu vif,
Puis on laisse cuire à feu doux...
Cette omelette aux pommes de terre,
C'est l'un des plus beaux gâteaux de mon enfance,
Plat unique, mais tellement copieux qu'il sert,
Et d'entrée, et de dessert...
J'ai 10 ans,
Je suis pauvre, fils de pauvres,
Mes parents, modestes ou discrets, disent :
On n'est pas très riches...
Je m'en moque, je m'en fiche,
Chaque soir que Dieu nous doit
J'ai droit
A un festin de Roi.
De toute la Terre
Ma mère
Est la meilleure cuisinière
De pommes de terre.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Cuites sous la cendre
Elles avaient une saveur particulière
Un goût indéfinissable
Inégalable.
Elles étaient un cadeau
plus qu'un repas.
Marcel Proust ne m'en voudra pas
Cette pomme de terre toute chaude
Que mon père me glisse dans la main
Avec sa croûte brune
Pareille à une croûte de pain
Qui aurait cuit dans la cendre
Du feu du ventre de la Terre...
Cette pomme de terre-là
Avec son croquant,
Sa chair tendre
Son goût sucré-cendré,
C'est ma petite madeleine à moi,
C'est un petit bonheur tout chaud
A n'avoir pas peur de l'hiver
Et notre jardin
Le Paradis sur Terre.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)
Cher Antoine-Augustin,
Cela fait bien longtemps que je me promets de vous écrire. Je vous dois en effet, nous vous devons tous ici, un grand merci.
Que serions-nous devenus sans vous ? On ne vous l'a jamais dit ? Je sais, le peuple est ingrat. Ah ! L'ingratitude des peuples...
Pas une fête à votre nom ! Pas un festival en l'honneur de votre tubercule ! Un Festival de la Pomme de Terre. Un Festival où tout au long d'une seule et même journée, on goûterait, on testerait, on dégusterait, on glorifierait, on louerait, on chanterait les mille et une manières d'accomoder la pomme de terre. Car l'on vous doit tout - pêle-mêle - la disparition des famines, la purée mousseline, les pommes dauphines, les pommes noisettes, les chips, les frites, et les précuites, juste à faire rissoler et dorer à la poêle ou au four, pour les gens pressés que nous sommes devenus.
Sincèrement, cher Antoine-Augustin, vous méritez beaucoup mieux que la manière dont les dictionnaires résument en une petite phrase la géniale révolution de nos habitudes alimentaires :
Parmentier généralisa en France la culture de la pomme de terre.
Pour moi, Antoine-Augustin, vous êtes un Saint-Homme. Vous avez réussi la multiplication des tubercules dans la foulée du multiplicateur des pains et des poissons. Non, non, la référence Biblique ne doit pas vous choquer, votre modestie dut-elle en souffrir. Pour preuve, l'autre Dimanche, devant la boîte à images vivantes, en pianotant de la UNE sur la DEUX, ( joli une-deux ), passant des meilleurs buts de Télé-Foot à la Grand-Messe télévisée, ma petite fille qui a tout juste six ans, ne s'est-elle pas spontanément exclamée, au moment de la communion :
"Papa, viens voir, le Prêtre, il donne des chips aux enfants ! "
Vous voyez bien, Cher Antoine-Augustin, le pain des pauvres, devenu en un instant, par la bouche d'une enfant de six ans, pain divin.
Avez-vous jamais rêvé telle consécration ?
Pour nous, pour vous, c'est vrai, chrétiens ou païens, votre pomme de terre, c'est chaque jour "pain bénit" !
Alors, à nouveau, grand merci à vous, je vous salue bien, Monsieur Parmentier.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)