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17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 16:55

 

- Une vie, de Maupassant, en Poche, c'est combien ?

- 2 euros, madame !

- Sur les marchés, c'est un euro, monsieur !

- Un euro, c'est mon prix d'achat, madame !

- Eh bien tenez, voilà un euro, moi aussi, je vous l'achète un euro.

 

Sur le quai, il y a des gens qui ont un aplomb extraordinaire. Sur le quai, il y a des femmes qui ont le sens des affaires. N'ai même pas eu le temps de m'opposer, pour la forme ou par jeu, à cette décision unilatérale. La dame s'est emparé de Maupassant et m'a gratifié, comme si elle condescendait à me faire l'aumône, de cet euro unique qui était "son" prix. Pas le mien. Plutôt fière d'elle, elle m'a jeté un regard convaincu, celui du vainqueur au vaincu. J'ai laissé faire. Il y a des jours où il faut savoir perdre. Je me referai la prochaine fois. Car j'en suis sûr: elle reviendra ! 

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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 22:42

 

"Moi, j'ai été pris en photo par Doisneau quand j'étais gamin, j'ai jamais vu la photo, j'aimerais vraiment la voir cette photo !" Il a dit ça comme ça. Naturellement. Spontanément.  Sans fierté particulière. Sans éprouver aucunement le besoin d'appuyer sur le côté exceptionnel de la chose. Comme si c'était naturel d'être môme à Paris en ce temps-là et d'être pris en photo par Doisneau, parce que Doisneau passe par là. Vous le petit moineau de Paname, devenu, en un instant,  photo de Doisneau. Il a dit "j'aimerais la voir" et pas "j'aimerais l'avoir". C'est tout le talent de l'homme. Tout en discrétion et en délicatesse.

Les bouquinistes sont gens modestes. Ils croisent la gloire mais ne s'en glorifient pas. Ils connaissent un paquet de gens célèbres mais célèbrent l'anonymat. Parfois, au détour d'une conversation, ou au coeur d'un repas, ils vont lâcher comme une confidence, un morceau de bravoure, mais sans bravade. Comme Jacky, l'ouvre-boîte de Pierre, qui raconte comment il a trouvé le thème de "Requiem pour un con" de Gainsbourg. Le grand Serge jouait dans le film Le Pacha de Georges Lautner. Jacky, à la demande de Gainsbourg, s'est mis à la batterie et très vite a sorti le truc. Gainsbourg a trouvé ça chouette. Mais la chanson "Requiem pour un con", signée Gainsbourg, n'a pas crédité Jacky, côté "musique". Dommage pour les droits d'auteur. Mais aujourd'hui comme hier, rien d'amer, dans les yeux bleus très clairs de Jacky. 

 

Une pensée pour mon père, ce soir. Mon père, né  le 16 mai 1922. Je voulais acheter, hier, dimanche, un petit espace de trois lignes dans le journal pour dire" Bon anniversaire mon jardinier de père, 89 années cette année, et déjà 10  sous la terre." Mais je n'ai pas osé, j'ai eu peur que personne ne comprenne et j'ai gardé pour moi tout seul ma peine.

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 20:57

 

Quand il vente,

Pas une vente !

 

Quand il pleut,

Un livre ou deux !

 

Ciel gris,

Pas un radis !

 

Ciel bleu,

Queue leu leu !

 

Quand les passants, flâneurs, chineurs, rêveurs, se font attendre, quand le jour est trop tendre, le dimanche après-midi souvent, quand les fidèles de la Tournelle s'attardent à la Tour d'Argent, ou chez Vincent, quand d'autres s'assoupissent, en famille, à la table du repas dominical, ou choisissent de prendre l'air par la balade au Jardin des Plantes, le bouquiniste, lui, pour passer le temps, s'amuse à "bouts rimés". Même si ça rime à pas grand chose. Même si ça rime à rien. Même si ce ne sera jamais la chanson de Verlaine qui s'en viendrait retutoyer la Seine ...   

Poète, non pas, chanteur, à peine, parleur. Parleur de "mots-paroles" qui font silence, parleur de "mots-musiques", parleur de "mots-bourlingueurs" qui restent à quai, parleur de "mots-fugueurs" qui taillent la route, parleur de fausses certitudes qui, sans doute, finissent dans le doute, parleur de mots simples qui s'habillent en dimanche, parleurs de mots de semaine qui feraient bien la manche, bouquiniste-journaliste qui commente à sa façon l'actualité, le temps qui passe et le temps qu'il fait. Puis chantonne à nouveau sur un air ancien des idées neuves:

 

Qu'il vente ou qu'il pleuve,

Pas de pensées malsaines,

Pas d'idées obscènes

Pas de mise en scène,

Pas de discours fleuve,

 

Qu'on s'en balance

Ou qu'on s'en souvienne,

Qu'on s'en tape

Ou qu'on s'en émeuve,

Qu'on fasse la clape

Ou qu'on se retienne,

 

Juste une chanson...

A peine ancienne

Chanson à la Seine, 

La mienne

Ou plutôt ... la sienne !

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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 23:07

 

De belles rencontres et de belles conversations cet après-midi encore, mais une seule vente. Koenigsmark, le premier roman de Pierre Benoit. Publié pour la première fois en 1918 et qui manquera de peu le Goncourt. Mon édition est plus tardive, Emile-Paul Frères,1931. Le livre de ma jeunesse, commente l'homme qui s'est arrêté à hauteur de l'ouvrage, s'en empare, le serre contre son coeur, sans même négocier le prix. A l'intérieur, une jolie dédicace, avec cette date "13 septembre 1933": A mon Raymond bien aimé. Dédicace signée "Claire". Simplement. Je la fais lire au nouveau propriétaire du livre de Pierre Benoit. L'homme sourit. D'un beau sourire. Empreint d'émotion et de pudeur mêlées. Je remarque qu'il porte une petite croix discrète au revers de la veste de son costume gris. Un prêtre. Il relit la dédicace à haute voix et commente: elle devait bien l'aimer, son Raymond, cette Claire. Puis il ajoute, avant de s'effacer: notez que si la dédicace était de Pierre Benoit, l'ouvrage vaudrait au moins dix fois son prix ! Un lecteur qui sait si bien la différence entre la dédicace d'un lecteur, ou d'une lectrice, et l'envoi d'un auteur, mérite le respect. Par les temps qui courent, c'est une espèce en voie de disparition.

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11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 06:59
Une saison en enfer. Alliance typographique. Jacques Poot. Bruxelles. 1873.
Une saison en enfer. Alliance typographique. Jacques Poot. Bruxelles. 1873.

Une saison en enfer. Alliance typographique. Jacques Poot. Bruxelles. 1873.

 

Bien sûr, inutile de rêver, vous ne risquez pas de trouver le moindre exemplaire de ce livre-là chez les bouquinistes des quais de Seine ou d'ailleurs. D'ailleurs, si l'un d'entre nous, les libraires de plein air, tombait par hasard sur une édition originale de ce livre, très rare dès le départ, à coup sûr, il le confierait à un libraire spécialisé dans les livres précieux et les livres anciens. Une saison en enfer, seul livre publié par Rimbaud de son vivant et à compte d'auteur.

10 juillet 1873, dans un Hôtel de Bruxelles, Paul Verlaine tire un coup de revolver sur Arthur Rimbaud. Une  amitié particulière signe sa fin en fait-divers. Une semaine auparavant, Verlaine a abandonné Rimbaud à Londres après une dispute sordide. Mais "l'époux infernal" décide de le rejoindre en Belgique. Or, à Bruxelles, c'est Rimbaud qui veut rompre et, cette fois, définitivement. Il annonce à Verlaine sa décision de partir pour Paris. Rimbaud raconte l'épisode dans sa déposition devant le juge d'instruction T'Serstevens: "Pendant que nous étions ensemble dans notre chambre, il descendit encore plusieurs fois pour boire des liqueurs; il voulait toujours m'empêcher d'exécuter mon projet de retourner à Paris. Je restai inébranlable. Je demandai même de l'argent à sa mère pour faire le voyage. Alors, à un moment donné, il ferma à clef la porte donnant sur le palier et il s'assit sur une chaise contre cette porte. J'étais debout, adossé contre le mur d'en face. Il me dit alors:"Voilà pour toi, puisque tu pars !", ou quelque chose dans ce sens; il dirigea son pistolet sur moi et m'en lâcha un coup qui m'atteignit au poignet gauche; le premier coup fut presque instantanément suivi d'un second, mais cette fois l'arme n'était plus dirigée vers moi, mais abaissée vers le plancher".

Le 8 août, Verlaine est condamné à deux ans de prison. Rimbaud est rentré à Roche. A pied sans doute. Une page définitive se tourne dans la vie de chacun des deux protagonistes. Un cycle s'est accompli. Pour Verlaine commence une sorte de long purgatoire qui va le mener jusqu'à la conversion. Dans sa prison de Mons, au-delà des murs, Verlaine voit le "ciel si bleu, si calme"...

Le 20 juillet 1873, Arthur Rimbaud est sorti de l'hôpital et il a quitté Bruxelles. Pour Rimbaud, la saison en enfer est terminée. Il ne reste plus qu'à l'écrire, qu'à la transcrire. Dans le grenier de la maison maternelle de Roche et dans un état de fébrilité indéniable. Loin des travaux des champs des moissonneurs. Ces travaux des champs exaspèrent Arthur. Le grand frère quitte le grenier parfois et l'écriture de son infernale saison pour aller boire au café d'Attigny. 

" Mon frère Arthur ne partageait point nos travaux agricoles" note la petite soeur Vitalie, dans son journal d'enfant, admirative en secret de ce grand frère un peu étrange, sinon vraiment étranger. Elle ajoute, montrant qu'elle comprend tout dans sa tête d'enfant sage: "la plume trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse pour qu'elle ne lui permit pas de se mêler de travaux manuels."

A Roche, Rimbaud écrit l'essentiel de la Saison. Pour bien sentir dans quel état d'esprit se trouve Rimbaud à ce moment-là, il faut lire ou relire de Pierre Michon Rimbaud le fils. Gallimard. L'un et l'autre. 1991. Fin août 1873, Rimbaud fait parvenir son manuscrit à l'imprimerie bruxelloise de Poot, l'Alliance typographique. Jacques Poot. Non, pas "jack pot" ! Pas davantage "jackpot" ! En septembre, le livre est imprimé. Quelques exemplaires, cinq ou six vraisemblablement, sont remis par Jacques Poot, l'imprimeur, à Rimbaud, le poète, qui en distribue quelques uns à ses amis. Le stock, faute de paiement définitif, reste dans la cave de l'éditeur. Jusqu'en 1901, année de la découverte fabuleuse de Léon Lossau. C'est lui qui racontera, vingt-huit ans plus tard: "un certain nombre d'exemplaires, détériorés par l'eau qui avait percé du toit, furent jetés dans le grand poêle de l'atelier". Un certain nombre d'exemplaires d'Une saison en Enfer qui terminent leur carrière dans le feu du grand poêle de l'atelier.L'enfer, le feu. Le feu de l'enfer ?

Reste une question, une seule: combien d'exemplaires d'Une saison en enfer  ont aujourd'hui survécu ? Une question, une seule, et puis, bien sûr, son corollaire : où se trouvent les autres exemplaires de ce livre introuvable ?

 

 

Jean-Louis Crimon

 

________________________________________________________________________________________________________

 

 

C'est en 1901 que Léon Losseau, bibliophile, découvre, en fouillant le magasin de l'atelier d'imprimerie de l'Alliance typographique, à Bruxelles, plusieurs centaines de volumes d' Une saison en enfer, mettant ainsi fin à la légende d'un Arthur Rimbaud ayant brûlé la presque totalité des volumes de l'édition, excepté quelques exemplaires d'auteur offerts par lui-même à des amis ou à des connaissances littéraires. Léon Losseau rapporte que "Le gérant, qui était déjà ouvrier dans l'atelier en 1873", lui confie "se souvenir que l'auteur ayant dû quitter la Belgique à l'époque de l'impression, n'avait jamais payé sa note et qu'on avait gardé le ballot". 

Une version confirmée sur place, le jour-même, par la consultation du grand livre de l'atelier. Aprés avoir jeté au feu "un certain nombre d'exemplaires détériorés" par une fuite d'eau, Léon Losseau acheta les 425 volumes restants. Si l'on ajoute les quelques exemplaires d'auteur, il semble plausible d'évaluer le tirage de l'édition d'Une saison en enfer, édition à compte d'auteur, à environ 450/500 volumes. 

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10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 06:25

 

Le bouquiniste est un passeur, passeur de mots, passeur d'idées. Les livres, il les connait, il les aime, et, logique, entre ce qu'il vend et ce qu'il aime, il y a une parenté réelle. Tout en se faisant un honneur de toujours avoir le titre qu'on lui demande. Ou de se mettre en quatre pour vous le trouver. La librairie de plein air a souvent l'allure d'une bibliothèque de rue. Mais son apparence instable ou son allure fragile ne doivent pas faire croire qu'il n'y a pas derrière tout ça quelques lignes force, de sérieux étayages, une vraie culture. Même si c'est, la plupart du temps, une culture d'autodidacte. Avec des rêves insolites de bibliothèque idéale. Le bouquiniste, si vous savez lui parler, est intarissable sur ses goûts et ses trouvailles de lecteur.

Dans ma bibliothèque idéale, il y a, bien sûr, les valeurs sûres, Rutebeuf, Villon, Louise Labé, Ronsard, Balzac, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Flaubert, Maupassant, Louise Colet, Proust, Paul Nizan, Camus, Sartre, Queneau et Modiano, mais aussi Vallès, Jehan Rictus, Luc Dietrich, Henry Poulaille, Jean Meckert, Neel Doff, Eugène Dabit et Stig Dagerman. Stig Dagerman, pour  Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, (Actes Sud, 1981), et ce passage de la page 18 que je relis chaque matin et chaque soir de ma déjà longue vie:

 "Je peux reconnaître que la mer et le vent ne manqueront pas de me survivre et que l'éternité se soucie peu de moi. Mais qui me demande de me soucier de l'éternité ? Ma vie n'est courte que si je la place sur le billot du temps. Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels j'aurai le temps de donner le jour avant de mourir. Mais qui me demande de compter ? Le temps n'est pas l'étalon qui convient à la vie." 

Du Suédois Stig Dagerman, il faut tout lire, lire et relire surtout L'enfant brûlé et Le Serpent , et puis aussi Dieu rend visite à Newton , Les Wagons rouges  et  Le froid de la Saint-Jean.

Dans ma bibliothèque idéale, il y a Roland Dorgelès, Blaise Cendrars, Pierre Mac-Orlan, André Billy, Aragon, Paul Eluard, il y a Elsa Triolet, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, il y a Emmanuel Bove et Boris Vian, il y a Olivier Séchan, il y a  Knut Hamsun, Per Lägerkvist, Selma Lagerlöff et Brautigan, Richard Brautigan, et Jack Kerouac, il y a Alberto Moravia, Elsa Morante et Dino Buzzati, il y a Jean Rouaud, Philippe Djian, Philippe Claudel, Philippe Delerm, et Jeanne Benameur. Il y a Friedrich Nietzsche, Vladimir  Jankélévitch, Voltaire et Rousseau, Gaston Bachelard et Sören Kierkegaard.

Si jamais vous me rendez visite, sachez qu'à quelques mètres de mon étal -les choses sont bien faites- un banc public vous tend... les bras. On peut prendre un livre dans mes boîtes, commencer à le lire, en parler, l'acheter, si vraiment les premières lignes ou les premières pages vous ont convaincu ou tout simplement le remettre en place dans sa boîte. Pour  celle ou celui à qui le livre et l'auteur parleront davantage.

Pour finir sur un sourire, si vraiment un de ces jours prochains, vous poussez, de Saint-Michel, ou du quai de Montebello, jusqu'au 41, quai de la Tournelle, juste en face la petite rue de Pontoise, pas très loin de la Tour d'Argent, où mes recettes ne nous permettront pas encore aujourd'hui d'aller déjeuner ou dîner, n'oubliez pas, jeux de mots permis et même fortement recommandés. Qu'est-ce qu'un écrivain, au fond, sinon un orfèvre en "jeux de mots". Désormais, ne dîtes plus Maupassant mais plutôt... "mot passant".

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9 mai 2011 1 09 /05 /mai /2011 19:02

 

 

"Moi, vous savez, monsieur, c'est pas que je regrette le franc, mais tout de même, avec cent francs, on pouvait en faire des choses. Aujourd'hui, avec vingt euros, on ne va pas très loin !" L'homme me regarde avec cet air incrédule, consterné et désespéré à la fois. Il insiste: " Avec un billet de cent francs, on pouvait sortir, aller au restaurant, s'amuser, et il nous restait même encore un peu de monnaie. Vous savez aujourd'hui, à Paris, les gens n'arrivent plus à joindre les deux bouts, tout est hors de prix. Le logement, la nourriture, les transports, et l'électricité qui va augmenter de 30 ou 40 %. Vous les voyez nos salaires, croyez-vous qu'ils vont augmenter de 30 ou 40%, nos salaires ?" L'homme repose le livre. Dix euros, c'est trop cher. Je vous le prendrai une autre fois. Moi: allez, prenez-le quand même. Lui: puisque je vous dis que c'est trop cher. Moi: puisque je vous dis que vous pouvez le prendre: je vous l'offre. L'homme: vous feriez ça ? Moi: oui, un homme qui veut lire ne doit pas être empêché. Le livre vous plaît, prenez-le, vous me le rapporterez quand vous l'aurez lu. L'homme: et s'il me plaît vraiment, je vous le paierai à ce moment là ! Parfait. Titre de l'ouvrage prêté: L'Ame Grecque, pages de la Littérature Antique de Chevalier Badit. (Jean Marguerat Editeur, Lausanne. 1941.

 

Monsieur, je recherche un ouvrage introuvable. Il n'y a rien d'introuvable, madame. Tout se trouve, parfois sans chercher. Par hasard ou par chance. Et puis ne dit-on pas: qui cherche, trouve ? Avez-vous au moins en tête le titre précis ?  Oui, c'est Le pétrole et l'Algérie  !  L'auteur ?  Maurice Mainguy. Pourquoi recherchez-vous cet ouvrage précisément ? C'est mon père qui l'a écrit. Quand nous étions tout petits. Publié sans doute dans les années d'après-guerre. Dernières années quarante ou début des années cinquante. Je note, madame. Je ne vous promets rien, mais je vais tout faire pour vous aider à retrouver un exemplaire du livre de votre père. La dame a souri. Visiblement heureuse. Face à sa demande, mon attitude lui a plu. Du coup elle m'a acheté, pour trois euros, Le Roi Lépreux, de Pierre Benoit. Etre à l'écoute, renseigner quelqu'un, ou s'engager à l'aider dans sa quête, c'est sans aucun doute gagner un client et parfois même un ami. Sur le quai, il faut être disponible, accueillant, ouvert et surtout sans a priori.

Le bouquiniste a ce rôle rare et précieux de conseil et d'aide, quand on se met en tête de trouver un livre introuvable.

 

Plus tard, dans l'après-midi, Nine stories, de JD Salinger ( A Bantam Book, Printed in the United States of America) a trouvé preneur à trois euros. Samarcande d'Amin Maalouf, en Poche, est parti dans les mêmes conditions. Une jeune et jolie femme a acheté, pour six euros et pour l'offrir à son frère, un petit ouvrage fort bien illustré Paris, des origines à nos jours, ouvrage de Jean Colson, publié aux Editions Hervas, en 2001. Bon achat et cliente charmante. Vol de nuit de Saint-Ex, en Folio, a trouvé aussi son lecteur. Pilote de guerre, également, dans la demi-heure qui a suivi. Enfin, juste au moment de la fermuture -c'est souvent comme ça- j'ai réalisé ma plus grosse vente de l'après-midi. Un siècle d'humour français, bel ouvrage, très bien documenté et illustré, au départ à trente euros, s'en est allé faire le bonheur d'une lectrice qui travaille dans la banque, pour ... vingt euros.

 

- Vous n'avez rien sur Grace Kelly ?

- Madame, si vous demandez comme ça... le bouquiniste risque de vous répondre par la négative...

- Que voulez-vous dire, monsieur ?

- Dîtes-moi plutôt: avez-vous quelque chose sur Grace Kelly ?

- Si vous y tenez, monsieur: avez-vous quelque chose sur Grace Kelly ?

- Non, madame, pas en ce moment !

Et la dame de rétorquer, visiblement très satisfaite de ma réponse: voyez que j'avais raison, et d'insister: vous n'avez rien sur Grace Kelly !

- Je vous rends "grâce", madame !

- Parce que je collectionne tout sur elle, vous savez, et depuis des années... 

- Grace... qu'elle lit ?

- Bien sûr, monsieur,  qu'elle lit, la dame. Et pas que des livres sur des Princesses.

 

 

Dans le RER C du retour, une famille allemande s'installe face à moi. La longue jeune fille blonde aux yeux d'un bleu incroyable, entre mauve et turquoise, a un Poche entre les mains. L'auteur: Henning Mankell. Le titre: Les chaussures italiennes. La jeune allemande lit Les chaussures italiennes en français. L'Europe est en marche. Même si l'euro pose des problèmes à de nombreux européens, citoyens ou Etats. L'Europe de la culture. La libre circulation des poètes et des philosophes, voilà ce qui est important. On aurait dû commencer par là. La libre circulation des idées, oui ! La libre circulation des capitaux, non. Mais c'est une autre histoire. Hegel n'a-t-il pas planté un arbre de la liberté, pour saluer la Révolution Française ?

Mais qui le sait encore aujourd'hui ?

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6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 21:48

 

 

Il y a des jours comme ça. Des jours sans. Sans passants. Sans promeneurs. Sans flâneurs à la recherche d'un p'tit bonheur. Un bonheur de trois fois rien qu'on obtient pour pas grand chose.  Un bon livre pour pas très cher. Un bonheur imprimé parce qu'on se sent un peu... déprimé. Un livre, parfois, ça soigne et ça guérit. Mais le vendredi, allez savoir pourquoi, n'est pas souvent un bon jour. C'est Jacky, l'ouvre-boîte de Pierre, qui me l'avait dit, l'an dernier déjà: " Tu sais, mon gars, le vendredi après-midi, c'est pourri, le vendredi, c'est RTT et début de week-end, y'a pas grand chose à espérer. Sauf si tu vends de la babiole à touristes. Et encore ..."

Moins de dix personnes se sont attardées vraiment pour détailler les titres des ouvrages de ma petite librairie de plein air. A deux reprises, j'ai failli vendre une biographie de Wagner et un 18x24 noir et blanc du "Living Theater". Photo du début des années 80. La Princesse de Clèves, en poche, n'a pas trouvé preneur à deux euros. Le Poche a pourtant été pris en mains quatre ou cinq fois. Une charmante dame d'un certain âge m'en proposait un euro. Le prix auquel je l'avais acheté. J'ai gardé ma "Princesse".

Tout au long de l'après-midi, le flot incessant des voitures et le bruit surtout. Un bruit permanent avec, par intermittence, de très courtes plages de silence, accordées par les feux rouges, chargés depuis des lustres pas très illustres, de la ponctuation automobile. Mais très vite, ça repart et la ville s'honore d'une pollution qui n'est pas que sonore. Pollution automobile mariée en avril aux pollens des platanes, pour un cocktail détonnant, qui voit le bouquiniste tousser, cracher, pleurer, pendant des quintes qui esquintent les cordes vocales, et pas seulement. Ces dernières semaines n'ont pas été de tout repos pour les poumons qui s'époumonnent en vain à réclamer un air moins "pollué". Face à ce déluge de pollutions, au bord du désespoir, le bouquiniste rêve de s'embarquer dans l'arche... Delanoë.

Juste avant que je ne ferme, plutôt déçu d'avoir passé près de 5 heures, debout sur le quai, pour rien, - zéro euro dans l'escarcelle !, un familier des quais est passé me voir. Un type d'une quarantaine d'années. Un connaisseur avec qui, depuis peu, on échange davantage que quelques mots. Ce soir, il m'a parlé de Vercors, Jean Bruller de son vrai nom. Il m'a dit que le meilleur livre de Vercors n'était pas Le Silence de la mer , comme tout le monde le pense, publié sous l'Occupation, en 1942, mais La Marche à l'étoile où Vercors parle de la Passerelle des arts. La "Passerelle" des arts, insiste mon interlocuteur, et non pas le "Pont" des arts, comme on le dit la plupart du temps, ou comme Brassens l'a chanté. Car il s'agit d'une "Passerelle" et non pas d'un "Pont".

"La Marche à l'étoile", c'est l'histoire triste et tragique du Tchèque Thomas Muriz qui n'a cessé de rêver de la France, et qui en 1942, sera livré aux Allemands par des gendarmes français, en raison de son sang juif. La Marche à l'étoile, dénonciation implacable des collaborateurs et de la collaboration. Thème que Vercors reprendra en 1952, dans Les Animaux dénaturés. Alors que je le questionne sur les livres de "Jean Vercors" qu'il a déjà chez lui, le lecteur passionné et passionnant me dit que Jean Bruller, alias Vercors, a en effet signé quelques uns de ses ouvrages en réunissant son vrai prénom de l'Etat-civil, "Jean" et son pseudonyme de Résistant "Vercors". Je ne le savais pas. Le quai est fabuleux pour ça. On le quitte chaque soir plus intelligent que la veille. De jour en jour, on se sent plus riche. Riche d'une richesse qui ne se compte pas en "euros" mais en "heureux". En gens heureux. Car ceux qui aiment les livres ont une réelle philosophie du "savoir-vivre". Un réel sens de l'existence. Pour le plaisir de la conversation, je demande à mon interlocuteur comment il contemple tous les ouvrages de ses 21 bibliothèques, - il m'avait lui-même dit, lors de notre première rencontre, que son appartement débordait de livres et contenait ... 21 bibliothèques - mais il préfère alors me décrire chacun des domaines qui le passionnent: Philosophie, Psychologie, Sociologie, Histoire, avec cette bibliothèque entière consacrée exclusivement à la Commune de Paris. Je lui demande alors s'il a un goût particulier pour les éditions originales et les envois, cette dédicace personnalisée de l'auteur à un lecteur anonyme ou célébre. La réponse est instantanée. Je la trouve admirable et lumineuse, même si je ne suis pas sûr de pouvoir la faire mienne un jour:

"Non, monsieur, pas de livres précieux, que des livres de lecteur !"

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5 mai 2011 4 05 /05 /mai /2011 09:06

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par crimonjournaldubouquiniste

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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 19:38

31262_391691799725_6333941_n.jpg © Jean-Louis Crimon 

 

"Moi, j'ai horreur du noir et blanc, je n'aime que la couleur !" Le commentaire est sans équivoque. Il émane d'un passant qui s'est attardé de longues minutes devant mon étal. Plutôt attiré par le haut de mes boîtes, où pour casser la monotonie des journaux anciens sous cellophane, suspendus sur un fil avec des pinces à linge, depuis plusieurs mois, j'expose des photos, format 18X24. Belles photographies prises, pour les premières, au  début des années 70, quand j'étais étudiant en philo, puis dans les années 80 et 90, quand j'étais journaliste, mais, photos réalisées en dehors du strict exercice de mon métier: j'étais journaliste à la radio. D'autres sont plus récentes, comme celles du Grand Palais, prises l'an dernier, au moment de la présentation officielle de la dernière photo connue d'Arthur Rimbaud. Autant d'instants décisifs ou anodins, essentiels ou dérisoires, autant d'instantanés surannés, glanés d'année en année.

Le noir et blanc, les Américains, les Hollandais et les Japonais en sont friands. Ils achètent assez facilement, mais négocient âprement le prix. Disons que mes photos sont très "vintage" comme on dit aujourd'hui. Alors, monsieur, pardon de ne pas partager votre point de vue sur la pauvreté du noir et blanc. Une telle affirmation mériterait d'être contredite. Ou débattue. Mise en question. Vous ne supportez pas, monsieur, que l'on vous contredise. Bon, ça ne va pas être facile. Comment faire ? Accepteriez-vous que nous dialoguions en silence. Qui ne dit mot consent. C'est moi qui commence.

Détrompez-vous donc, mon ami, qui n'êtes pas mon ami, le noir et blanc n'est pas manichéen, le noir et blanc n'est pas l'expression d'un monde en noir ou blanc. Selon la formule consacrée, ce n'est pas "tout noir ou tout blanc". Le noir et blanc, c'est tout sauf "noir ou blanc". Avez-vous jamais goûté, monsieur, la saveur, la douceur, la beauté, du dégradé de gris ? Le dégradé de gris n'est pas dégradant. Au contraire, mon cher monsieur, c'est dans le dégradé de gris que la lumière prend naissance.

Tenez, parmi les photos que j'aime, il y a celle de cet homme qui marche dans la neige sur une route verglacée, il tourne la tête vers les champs et la plaine, comme pour mieux embrasser du regard l'immensité blanche. C'est une photo philosophique. Il y a celle aussi d'Augustin Lherbier, mineur de fond, du bassin minier de Lens, venu faire prendre l'air à ses poumons silicosés  à Ambonnay. Vendanges en Champagne. 1972 ou 1973. "L'Augustin", comme l'appelaient ses camarades, "ch'est du toubac qu'tu fouais, y'o trop d' feulles dins tin raisin" ! L'patron n'va pas êt' contint !" L'Augustin qui, chaque matin, à la pause du petit-déjeuner champêtre de vendangeurs affamés, allumait sa clope avec la braise d'un sarment de vigne qui se consume. L'Augustin,  "l'homme sarment", comme je l'avais tendrement surnommé. Ou encore les quatre ou cinq photos de la séquence du laveur de vitres d'Ecosse, qui grimace avec une application non feinte, dans la répétition des gestes pénibles du quotidien. Comme si la grimace donnait toute sa valeur à la qualité du travail accompli. Ou cet enfant qui se métamorphose en danseur de flamenco ou en toréador, alors qu'il joue simplement avec une araignée qui se débat au bout de son fil. Toutes ces photos prises, toutes ces images arrêtées, et jamais développées, pendant des dizaines d'années, je les aime, monsieur. Toutes ces photos muettes pendant 30 ou 40 ans et qui se mettent soudain à parler ardemment, à sourire et à rire, trop joyeuses de sortir d'un trop long silence, j'en suis, pardon pour l'immodestie, assez fier, monsieur. Mon noir et blanc est lumineux, monsieur: la couleur est à l'intérieur.

Car enfin, monsieur, sachez-le, ces photos viennent de très loin. Jusqu'à ce jour, elles n'avaient jamais vu le jour. Pendant des années, je me suis contenté de simplement développer moi-même les négatifs, les tirages sur papier étant à l'époque trop onéreux pour ma bourse. Ma bourse d'étudiant ou de professeur débutant à mi-temps. Bien sûr, après, chemin faisant, chemin professionnel, s'entend, j'ai eu, comme tout le monde, davantage d'argent mais beaucoup moins de temps. Les négatifs sont restés dans leurs grands classeurs, à l'abri de la poussière et de la lumière, par feuille de "six fois six vues" et les photos, moi non plus, pour la plupart, je ne les ai jamais vues. Je me dis aujourd'hui que le moment est venu de les révéler enfin à la lumière. Avant qu'il ne soit trop tard. Je dois à mes enfants, à ma fille, à mon fils, à ma femme, à mes amis et à tous ceux que la chose intéresse, ce livre de 300 ou  400 photos, somme fabuleuse d'instants captivants, captés avec tendresse ou ironie parfois, et définitivement placés hors du temps. Hors du temps et de son pouvoir destructeur qui fait que tout passe et tout trépasse, et que tout s'efface. 400 photos pour 40000 négatifs, c'est une vision très humble, convenez-en, monsieur, de la réalité du trésor d'images que je me suis constitué, d'année en année, sans en avoir vraiment conscience. J'ai le sentiment, monsieur, qu'en relisant la parabole des talents, je me sens, un peu, beaucoup, passionnément, coupable, d'avoir si longtemps autant maltraité mon talent de photographe.

Je vais vous laisser sur ce dernier scoop, monsieur, je dois vous avouer que je suis sans doute le seul photographe au monde à avoir passé toute sa vie au stade du ... négatif !

Un sourire à peine sur le visage de l'homme qui s'en va maugréant contre je ne sais quoi ou contre je ne sais qui, et qui n'en démord pas "de toute façon, je n'aime que la couleur !"

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