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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 19:42

 

Comment devient-on bouquiniste ? Pas un jour sans que la question ne me soit posée. De façon plus ou mois directe. Souvent "bille en tête" ! Du style "Comment en êtes-vous arrivé là" ? Comme si forcément, avant de se retrouver sur le quai, en vrai marin, ou en vrai marinier, on avait tutoyé les océans ou les grands fleuves. Comme si aussi, d'une certaine façon, c'était déchoir que d'avoir choisi de se retrouver "à quai". Dégradant d'être, par tous les temps, sur le trottoir, dans la rue, à vendre des livres et des revues. Selon celui, ou celle, qui pose la question, selon le ton, selon l'attente, qui se lit facilement dans les yeux des gens, le bouquiniste accepte ou non de jouer le jeu. Le seul jeu qui vaille: le jeu de la vérité. Arrive alors le récit d'exploits et d'aventures incroyables qui conduisent à la belle histoire de l'homme, ou de la femme, qui aimait les livres. Au point un jour de ne plus vivre que pour les livres.

Parfois, mais c'est très rare, et ça se mérite vraiment, je lis des extraits de ma lettre de motivation. Car désormais, la ville de Paris, qui attribue les autorisations d'installation sur le parapet, rive droite et rive gauche, exige des candidats bouquinistes une véritable lettre de motivation, un CV détaillé et une certaine connaissance d'un domaine particulier de la littérature.

Pour le partage de la lettre, le rituel est bien en place. On s'asseoit sur le banc, à cinq pas de mes boîtes, et tout en jetant un oeil à celles et à ceux qui aiment bien emporter des livres sans les payer, - les piqueurs, les voleurs- je commence ma lecture. La lettre date de mai 2009. Je l'ai écrite d'une traite. Sans chercher à plaire. Ni à déplaire d'ailleurs. La relisant, je m'aperçois que je n'ai cité aucun auteur. Stratégie d'instinct. Les auteurs, je les défendrai à l'oral. Car, passé le cap de la lettre de motivation, il y a, bien sûr, comme pour n'importe quel métier ou emploi, l'étape de l'entretien. Un entretien d'embauche, mais oui, pour être bouquiniste sur les quais de Paris. Maintenant, peut-être, place à la lettre.

 

"Depuis la fin des années soixante, j'ai dû acheter sur les quais des centaines de livres, des milliers sans doute. J'avais 20 ans à peine et j'en ai - bientôt ! - 60. Le temps est venu de rendre un peu de ce que j'ai reçu. De rendre aux quais de Seine tous ces bonheurs de lecture que les quais de Seine m'ont donné. Le temps est venu de remettre en circulation une bonne partie de tout ce que j'ai pu acheter, lire et aimer. Quand on prend de l'âge, on resserre, on recadre, on réduit. On se dit qu'il est temps d'aller à l'essentiel. Des livres qu'on croyait indispensables le deviennent beaucoup moins et on se dit, qu'en littérature aussi, l'essentiel tient peut-être en peu d'ouvrages. Je vous rassure: quelques centaines tout de même.

Vendre ce qu'on a aimé - tous les bouquinistes commencent comme ça ! -n'est pas forcément douloureux si ceux qui emportent vos livres sont aussi passionnés que vous avez pu l'être. Ce doit être même passionnant. Si vous réussissez à transmettre à d'autres "lecteurs/chercheurs/chineurs" ces livres qui vous ont fait rêver, sourire et rire, émus parfois au point d'en pleurer, de tristesse ou de joie, si une fois dans votre vie, vous avez la possibilité de faire découvrir à d'autres ce que vous-même avez pu découvrir, grâce à ces gens merveilleux que sont les bouquinistes, alors la transmission n'est pas un vain mot. Les livres survivent aux hommes qui les écrivent. Etre bouquiniste, c'est exercer ce métier magique qui fait que, longtemps après leur mort, les écrivains, les romanciers, les poètes ou les philosophes, sont toujours vivants. Ecrire, être écrivain, c'est vrai, c'est courir ce risque incroyable et fabuleux de pouvoir continuer à vivre, plusieurs siècles après sa mort.

Raison première de ma candidature à un poste de bouquiniste: défendre la littérature vivante à l'intérieur de cette confrérie faussement étrange. Confrèrie qui possède ce pouvoir fantastique de faire que la littérature, la vraie, soit éternellement vivante. Même si, mortels parmi les mortels, les bouquinistes le savent, l'éternité n'est pas de ce monde. Et de l'autre non plus, d'ailleurs."

 

Souvent la lecture de la lettre de motivation est prétexte à discussion. C'est fait pour ça. Elle fait naître quelques bons rires moqueurs. Opinions et convictions bien affirmées de part et d'autre donnent naissance à des échanges enflammés. On ne peut pas dire ça. Ou alors pas comme ça. Vous ne donnez aucun exemple. Aucun nom d'auteur. Votre lettre est beaucoup trop générale. Beaucoup trop dans les idées de fond. Ah si moi, j'avais candidaté... vous auriez vu !

- Qu'à cela ne tienne, monsieur, candidatez, candidatez, il y a encore de nombreux espaces à prendre sur le parapet !

- Vous n'y pensez pas, voyons, j'ai une situation respectable et une famille de même. Que penseraient-ils de moi, les miens ?

- Nous-y voilà. La "respectabilité" ! ...

 

Dans ce cas-là, je replie la lettre et je la range pour une autre fois. Pour une oreille plus complice. Une écoute plus fraternelle. Sinon je poursuis la lecture. Assez souvent à la demande de l'intéressé(e).

 

"J'ai bien conscience qu'il y a pléthore de candidats et que réussir  à être dans les 10 ou 20 premiers de la liste d'attente, peut prendre, à ce qu'on dit, plusieurs années, mais je veux bien prendre date dès maintenant. Je tiens vraiment à contribuer, à mon niveau, à redonner à ce fascinant métier de bouquiniste ses véritables lettres de noblesse. Si l'on peut dire ça d'un métier de roture. D'abord, bien sûr, mettre un terme, en douceur, à la dérive du commerce de la "bimbeloterie TourEiffelesque". Pour retrouver l'âme et l'esprit du métier, redonner du "corps" et -dans tous les sens de l'expression- "du coeur à l'ouvrage". C'est un peu, beaucoup, passionnément, pour ça que je suis candidat à un emplacement de bouquiniste, quelque part, quai de Seine, à Paris.

"Enfin, il n'y a pas si longtemps, existait un Prix Littéraire vraiment extra "ordinaire", le Prix des Bouquinistes. Un prix littéraire décerné chaque année par les  bouquinistes. Je ne sais pas à quel moment de l'année il était attribué et quelle en était l'organisation, le rituel, mais j'aimerais bien contribuer à relancer ce Prix des Bouquinistes. Qui pourrait, pourquoi pas, se traduire par la réédition, en Poche, d'un auteur méconnu ou complétement tombé dans l'oubli. Un auteur qui mériterait d'être relu, ou simplement lu, et qui sortirait d'un oubli mortel grâce aux bouquinistes.

"Pour finir sur un sourire en forme de pensée profonde, sachez qu'il ne s'agit pas tant, pour moi, d'AVOIR un emplacement de bouquiniste que d'ETRE bouquiniste. Entre ETRE et AVOIR, ne jamais se tromper d' AUXILIAIRE, c'était ma ritournelle de fin de cours, au lycée, au tout début de ma carrière, quand j'étais professeur de philosophie. Quand j'étais... "Maître-Auxiliaire" !

"ETRE bouquiniste sur les quais, c'est être ce "passeur" de mots, d'idées et de livres, un passeur qui a le don et le devoir de faire vivre éternellement les auteurs mortels. Preuve que ça marche, que la magie opère ? Le bouquiniste, en prime, donne vie aux quais de Seine.

Superbe mise en Seine que ces petits bateaux verts qui se reposent à quai, leurs trésors à l'intérieur.

Le bouquiniste ne manque pas d'humour: il possède l'art de la mise... en boîte ."

 

Sans doute la lecture de la lettre a duré un peu trop longtemps. Sans doute ai-je manqué une vente ou deux. Mais j'ai gagné à la cause du livre et des quais un nouvel allié. Pas si mal.

 

 

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 21:04

 

Elle voulait L'Assommoir, j'avais La Bête humaine. Notre discussion a commencé comme ça.  De Zola, elle voulait tout lire. Se disait naturaliste. En Poche, j'avais deux ou trois titres des Rougon. Les Rougon-Macquart, ça la fascinait. Comme la fascinait l'ambition de Balzac. Balzac et sa Comédie humaine. Elle n'avait pas trente ans et son monde, ce n'était pas Houellebecq, Beigbeder, Christine Angot ou Amélie Nothomb. Elle n'avait pas trente ans et la littérature contemporaine ne l'intéressait pas. Pas du tout. Elle n'avait pas trente ans et de Balzac, je lui conseillai La Femme de trente ans.

Balzac qui salua le travail de Creuze, en peinture, pour faire entrer dans la toile, pour la première fois, les petites et les grandes misères des petites gens. La beauté simple de ceux du peuple. La Laitière, belle, simplement belle, belle et vraie, dans la lumière vraie, sans pose ni manière.

Au fil de la conversation, je lui confie soudain ce projet délirant: inventer le CAC 40 de la littérature. La Cotation des Auteurs en Continu. Les 40 auteurs les plus connus à la Bourse des valeurs littéraires. Une Bourse où enfin la valeur ne sera pas financière. Un éclat de rire pour finir. Entre deux gorgées d'eau. Il faisait chaud. Un éclat de rire entre deux éclats d'eau bue.

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27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 20:00

 

Un envoi de Verlaine, de Maupassant, ou de Dorgelès, un destinataire aussi prestigieux que l'auteur, un Carco à Mac Orlan, un Barthes à Jankélévitch, un Jean Rouaud à Claude Nougaro, et c'est le livre -plus ou moins- rare qui devient précieux. Témoignage manuscrit d'une connexion  -on dit comme ça- inédite ou inattendue, l'envoi est signe d'une rencontre ou d'une amitié. D'une relation réelle et durable ou d'une rencontre fortuite. Les envois m'ont toujours fasciné. Parce qu'ils disent et parce qu'ils ne disent pas. Pas ouvertement. Entre les lignes. Simplement.

 

D'abord il y a Le Devoir et l'Inquiétude d'Eluard, et cet envoi à Marcel Noll, envoi qui est à lui seul vrai manifeste poètique "pour que la phrase prédominante s'abaisse au silence". Suit la signature de Paul Eluard, la première sur ce premier recueil, signature où il n'a pas encore eu l'idée d'entremêler le "L" de Paul et le "E" de Eluard, pour en faire cette croix étonnnante qui sera sa marque.

 

Et puis ce Avec les Filles..., de Francis Carco, Paris, Le Divan, 37, Rue Bonaparte, 37 et cette superbe dédicace à celui à qui l'ouvrage est dédié (A Pierre Mac Orlan) à mon vieux Pierre, avec ma fidèle affection et mon admiration qui, ni l'une ni l'autre, ne datent d'aujourd'hui. Et c'est signé F.Carco, qui en desssous précise Paris 21 février 25. Il s'agit de l'exemplaire de Pierre Mac Orlan.

 

Et puis aussi L'Apprentissage de la Ville de Luc Dietrich (Editions Denoël) avec ces lignes très belles, pas seulement pour leur calligraphie "Pour Janette Deletang-Tardif, Au bon poëte et à l'écrivain compréhensif. En souvenir de belles lignes sur le Bonheur des Tristes. Signé: Luc Dietrich 10 Fev.1942.

 

Ou encore Les Champs d'Honneur de Jean Rouaud et ce bel envoi sur toute une page, avec jeu de mots sur prodigue/prodige  "Pour Claude Nougaro, croisé une fois rue Lepic - le retour de l'enfant prodig(u)e, Avec toute mon admiration, Jean Rouaud (ô) Toulouse  et la date 27 Nov 90.

 

Enfin Les photographies, de Vassilis Vassilikos, traduit du grec par Jacques Lacarrière. NRF Gallimard, avril 1969. Collection Du Monde Entier. Un SP, Service de Presse, destiné à Sartre. L'envoi est simple et politique: " à Jean-Paul Sartre, et pour la résistance grecque". Vassilikos est aussi et surtout l'auteur de Z, roman adapté au cinéma avec Yves Montand. Juste en dessous de l'envoi de Vassili Vassilikos, suivi de sa signature, le traducteur, Jacques Lacarrière a ajouté "et pour la résistance française à la Grèce".  Sous entendu sans doute "à la Grèce des colonels"?

Penser que Jean-Paul Sartre a eu cet ouvrage entre les mains est assez émouvant. Dans les mains des grands hommes passent parfois des livres qui font aussi vivre, rêver et espérer des hommes moins illustres. Avoir dans sa bibliothèque quelques ouvrages "avec  envoi", quand l'auteur et le destinataire ont des idées ou des combats en commun, et des rêves et des passions, c'est comme une signature. Une signature en filigrane. Un aveu en transparence. Une famille reconstituée. Des parentés littéraires insolites. Des associations inédites. Signes insignifiants pour la plupart. Ouvrages avec envoi, messages cachés d'un jeu de piste littéraire. Aujourd'hui encore, "la bibliothèque d'un honnête homme".

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 09:54

 

La demande était simple. "Décrivez votre blog en quelques mots". C'était précis : 500 caractères maxi. Je ne sais pas bien répondre à ce genre de demande. Ecrire sur soi n'est pas évident pour moi. Ecrire sur moi, je préfère laisser ça à d'autres que moi. Mais bon, en même temps, faut comprendre, c'est comme lorsqu'on vous demande de décliner votre identité. Poète, vos papiers avait anticipé, il y a bien longtemps, Léo Ferré.

Au bout d'un mois, je me suis dit qu'il fallait bien me résoudre à parler de moi. D'autant que mon "hébergeur" -on dit comme ça- argumentait parfaitement.  La chose avait un but, un objectif, un objet, un projet très convaincant: relever ou augmenter mon niveau de confiance.

Au cas où je me sentirais complétement perdu devant l'immensité de la tâche, une directive non contraignante indiquait : présentez le ou les thèmes abordés dans votre blog aux autres internautes.

J'ai donc cédé et concédé. Le résultat tient en une vingtaine de mots. Moins de 200 signes, ponctuation et espaces compris. Je vous laisse lire:

Journal d'un bouquiniste, curieux de tout, spécialiste en rien, rêveur éternel et cracheur de mots, à la manière des cracheurs de feu.

Rien de moins. Rien de mieux. Bon, c'est vrai, au risque de passer pour prétentieux, j'aurais pu ajouter l'incroyable étendue de mon curriculum vitae. Que vient justement d'exiger ma caisse de retraite. Décliner à la Prévert, en fausses rimes ou en vrais vers: bouquiniste depuis peu, moins d'un an, qui dit mieux ? Egrèner la longue litanie des avanies et des arguties d'une vie sociale réussie. En tout cas bien remplie.

Ex-journaliste, de presse écrite d'abord, puis encore de France Inter, France Info, France Musique, de France Culture, ex-homme de radio, mais pas ex abrupto, ex-prof de philo, mais pas ex nihilo, ex-prof de Fac, ex-abonné de la FNAC, ex-jardinier, ex-laveur de pierres, pierres tombales des cimetières militaires, ex-manutentionnaire, ex-OS, Ouvrier Spécialisé, pas vraiment spécialisé, mais vraiment ouvrier, ex-employé de bureau, ex-aide métreur, ex-aide comptable, ex-rimailleur qui, de bon coeur, troquerait bien François Fillon contre François Villon, ex-auto stoppeur qui dormait dans les fossés, au réveil toujours un peu cassé, mais pas fracassé, ex-ramasseur de racines, de chiendent ou de liserons, ex-ex-ex-ex-ex-

et terminer cette trop longue liste en "ex" qui mène à bouquiniste par le seul "ex" qui ne soit pas "ex", ne sera jamais dans la famille des autres "ex". Cet "ex" forcément toujours d'actu !  Avec qui je suis "A toi et à tu". Je veux dire, mais  vous le devinez  déjà, ex... libris !

Pas mal, non ? Mais pas de regrets, cette trop longue tirade, ça ex-plosait la consigne des 500 signes ! Alors, j'ai renoncé. Renoncer à entrer dans le détail. La pub de la vente au détail ne fait pas de détails.

En fait, je regrette seulement de ne pas avoir pris la peine et le temps d'ajouter cette petite précision:

Bouquiniste débutant, passé en moins d'un an, de "Rédacteur en chef de la nuit", mon plus beau titre, à "Libraire de plein air", mon plus ancien rêve et mon dernier rôle social.

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 18:29

 

De qui parlait Mallarmé quand il disait "le piéton improbable" ? Non, ce n'est pas "le piéton improbable", l'expression Mallarméenne, c'est le "passant déconcertant". Non, ce n'est pas ça non plus. Passant, sans doute, mais pas déconcertant. Plus fort que déconcertant. Plus beau aussi. Plus aérien. Plus léger. "L'homme aux semelles de vent" ? Non, pas davantage. "L'homme aux semelles de vent", ce n'est pas de Mallarmé.

Ce soir, je pense à lui, à cet homme là, et je pense aussi à Isidore Ducasse, alias Lautréamont, auteur des "Chants de Maldoror", l'un de ses contemporains, mort trop jeune, lui aussi, mort en 1870. Ça y est, j'ai trouvé, c'est "Le passant considérable". Oui, sûr, j'en suis sûr, ce sont les mots de Mallarmé pour évoquer Arthur. Pour définir Rimbaud. "Le passant considérable", je ne trouve rien de plus beau. Je sais, le dire aujourd'hui n'est pas très original. Mais Dieu que c'est beau, cette définition de Rimbaud. "Le passant considérable". Soit dit en ... passant.

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23 mai 2011 1 23 /05 /mai /2011 20:17

 

Cet après-midi là, il n'avait guère travaillé. Les promeneurs étaient trop à la promenade. Certains s'étaient attardés à feuilleter son étal, mais sans manifester une grande attirance pour un titre ou pour un auteur. Quelques mots échangés parfois, sans plus. Vous chercher un ouvrage en particulier ? Un auteur ? Un titre précis ?

Presque à chaque fois, la réponse était la même: non, rien de précis, je regarde.

Pour relancer, par jeu, il avait testé: "vous savez, c'est très simple, quand on cherche, souvent, on ne trouve pas", ajoutant, après un court silence "mais, curieusement, quand on ne cherche pas, on trouve !"

La formule avait amusé. Suscité même quelques commentaires enrichissants. Enrichissants, pour la formule. Mais rien à voir avec la formule de l'enrichissement.
A la fin, juste avant de commencer le rituel de la fermeture et des cadenas qui cadenassent les boîtes vertes, il avait pris trois livres, de formats différents, avec des couleurs assez vives en couverture, et, assis sur le parapet,  il agitait la main levée sur fond de Seine en contrebas: qui les veut, mes livres ?  Sourire amusé des dernières passantes du soir. Désintérêt évident de leurs maris ou  compagnons. Le bouquiniste reste seul, désemparé. A la main, son bouquet de bouquins.

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 21:20

 

Il doit avoir vingt-cinq ans. Guère plus. En tout cas, pas trente ans. Une belle allure. Humble et déterminée. S'arrête net devant la photo. Ma photo. La photo de cet homme qui marche sur une route verglacée. Un hiver pour une fois, je m'en souviens très bien, de neige et de congères au bord des routes. L'homme marche d'un pas déterminé. Il doit avoir la soixantaine. La photo, prise au début des années soixante-dix, a quarante ans. Aujourd'hui, l'homme aurait cent ans. La photo est hors du temps. Un instant hors du temps. Un instant qui nous parle de ce temps là. Ce temps-là qui n'est plus. Qui ne sera jamais plus.

L'homme jeune a retourné la photo. pour voir si elle était signée. S'il elle avait un copyright. Il a dit: je suis cinéaste, j'aime m'entourer de photos quand je travaille un scénario.

 

- Combien cette photo ?

- Trente euros !

- Trop cher pour moi.

- 20 euros ?

- Je n'ai que 10 !

- Prenez-la !

- Non, je ne peux pas.

- Si, puisque je vous le dis. J'y perds, bien sûr, elle m'a coûté 14 euros au tirage, chez Picto, rue de la Roquette. Mais prenez-la !

- Vous êtes sûr ?

- Puisque je vous le dis: je n'ai qu'une parole. Si c'est photo est importante pour vous, elle est pour vous, c'est tout ! C'est comme ça que je vois les choses et la vie. Face à un coup de coeur, aucune raison n'a prise. Et, sans doute vous reviendrez... La prochaine fois, vous paierez le juste prix !

- Oui, sûr, je reviendrai. Vos photos sont très intéressantes.

 

L'homme m'a salué. Il est parti, heureux de son achat. Ce soir, ma photo dort chez lui. Demain, elle entre dans un scénario. Bouquiniste, métier d'artiste.

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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 21:20

 

Il a la soixantaine adolescente, des cheveux longs, des yeux bleus incroyables. Elle a un regard étonnant. S'est assise sur mon banc. Un banc public, à trois pas de mes boîtes. Lui, est resté debout, son vélo à la main. Ils parlent ardemment. Ils se sont rencontrés par hasard. Un peu grâce à moi. Ils convoitaient le même ouvrage.

L'après-midi a filé comme dans un rêve. 

Ils se sont parlés au moins deux heures. Moi, je n'ai gagné que deux euros, mais, sûr, j'ai fait.... deux heureux.

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 22:08

 

Parfois, fatigué d'être debout, des heures entières, devant ses boîtes, à attendre qu'une passante s'arrête ou qu'un passant s'attarde, que quelqu'un lui demande un titre rare, un auteur méconnu, une édtion ancienne, le bouquiniste s'asseoit sur le parapet. S'abandonne quelques instants à l'une de ses rêveries préférées. Promène de longues minutes son regard vers la Seine en contrebas.

Se pose la question du sens de la vie. De sa vie. Jette un oeil toujours à ses boîtes et à leur contenu, car certains habitués du quai, lecteurs gourmands ou indélicats, peuvent en profiter pour discrétement s'emparer d'un ouvrage et le dissimuler plus ou moins bien, pour partir sans le payer. Quand je m'en rends compte, trop tard, je me dis que celui, ou celle, qui me vole un livre, aurait pu simplement me demander que je lui prête. Je l'aurais fait bien volontiers. Je le fais souvent. Les livres prêtés reviennent toujours. Les livres volés jamais. Du parapet au banc public, il n'y a que quelques pas. Le banc me tend les bras. Je m'y asseois parfois aussi. C'est un banc un peu particulier. Un banc clin d'oeil. Un banc malicieux. Un banc tendancieux. Sur le banc public, il y a longtemps déjà, quelqu'un a gravé, en lettres capitales, sans doute avec la pointe d'une lame de couteau, une phrase injonctive particulière. Une injonction peu commune. Une injonction formulée par la négative. Une négation forte. Une phrase de rebelle. Une phrase rebelle. Belle et rebelle. La phrase, c'est "Ne travaillez jamais".

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 11:00
Les Fleurs du Mal. Charles Baudelaire.

Les Fleurs du Mal. Charles Baudelaire.

 

- Est-ce que vous auriez Les Fleurs du mal ?

- En Poche, oui.

- Non, j'aurais voulu une belle édition.

- Une originale ?

- Non, je ne rêve pas.

- Vous avez tort.

- Pourquoi donc?

- Le rêve et l'édition originale ont au moins un point commun ...

- Lequel ?

- Les deux n'ont pas de prix !

 

" Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas Vivre ensemble !"

 

 

Quelqu'un m'a demandé ce midi de l'aider à trouver Solal, de Cohen. Mais attention "Une belle édition. Vraiment belle. Un livre qui sort de l'ordinaire. Pas un simple livre. Relié ou pas, peu importe". Et l'homme d'ajouter, montrant qu'il sait vraiment bien ce qu'il cherche "Avec envoi, pourquoi pas ?" Et de conclure, ce qui met le bouquiniste à l'aise: "Peu importe le prix !"  Sans être trop indiscret, une petite question ou deux permettent de comprendre la raison de cet intérêt pour l'auteur ou le roman, ce roman-là, en particulier. L'homme ne se fait pas prier "je viens d'avoir un petit-fils... qui a reçu pour prénom... Solal ... alors, vous comprenez ..."  Albert Cohen, sûr, lui aussi, en sourirait, de tendresse et d'émotion partagées.

C'est souvent comme ça, on s'adresse au bouquiniste pour un conseil, une aide, une recherche plus ou moins précise et, derrière le client, se cache souvent un personnage attachant.

 

© Jean-Louis Crimon

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