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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 13:20

 

Le ciel avait vraiment couleur d'orage. Des reflets d'or dans dans les nuages trop blancs, trop gris, trop bleus.  Trop acier aussi. L'orage n'est pas venu. Les clients non plus. A ce qu'on dit, beaucoup avaient choisi de faire le pont. Pas le Pont de la Tournelle. Pas le Pont de l'Evêché. Le pont, le grand pont d'un grand congé de quatre jours. Les quais semblaient déserts. Heureusement, les fidèles étaient là. Pour le plaisir de la balade. Pour le plaisir de la rencontre. Le bonheur des mots simples qu'on échange. Un instant, sur le banc, comme de vieux amis, on devise. De la vie, du temps qui passe, des enfants qui grandissent. Des livres qu'ils aiment. Des auteurs qu'on adorait à leur âge. De cet auteur tombé dans l'oubli. Définitivement. Qui mériterait pourtant d'être relu.

Vers sept heures du soir, on se décide à fermer les coffres verts de la librairie de plein air. On a vendu quatre ou cinq livres et on s'en contente. Raison de ce bonheur certain: les livres sont entre de bonnes mains. On salue les voisins. On vérifie deux fois la position des cadenas. Puis chacun rentre chez soi. L'air est lourd. Curieusement, le coeur aussi. Il y a des jours comme ça.

Plus tard, beaucoup plus tard, vers minuit, l'orage, enfin. Libérateur. Avec sa pluie torrentielle. Des tonnes d'eau tombées du ciel. Des gerbes liquides jaillissant des roues des voitures. Soudain, un éclair immense dessine au ciel une étrange fracture.

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4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 08:30

 

Sur mon exemplaire de Pain de soldat (1914-1917), roman publié en avril 1937 chez Bernard Grasset, Henry Poulaille a écrit de sa main : "il n'est pire pain que celui de soldat". Comprenne qui voudra. L'exergue de ce roman est suffisamment éloquent. Le relire souvent :

 

A la mémoire de mon oncle, Henri Spiller, "forte tête", tué.

A Roger Weil, mon frère de trou et à mes camarades du 5e chasseur.
A mon ami d'enfance Robert Laurent et à tous ceux qui ont fait la guerre sans avoir rien à défendre et pour rien.

A Pierre Monatte et à travers lui aux quelques rares hommes qui pendant la guerre furent contre la guerre.
Et aussi à Romain Rolland, qui était alors "au-dessus de la Mêlée".

 

De Poulaille, qui fut un temps bouquiniste, il faut tout relire. Dans l'ordre ou le désordre. Ils étaient quatre, Ames neuves, L'enfantement de la Paix, Charles Chaplin, Le Train fou, Le Pain quotidien et Les Damnés de la Terre. Ne pas oublier pour autant Il était une fois..., curieusement sous-titré Livre de lecture pour les enfants qui ne veulent pas apprendre à lire.

 

Pain de soldat se compose de deux tomes. Tome I : Pain de soldat. Première partie : Le Pain blanc en premier, qui comprend L'arrière civil à Paris, (fin juillet 1914 à début août 1916), L'Arrière militaire, (Août 1916 à mai 1917), L'Arrière militaire, en deux parties, La caserne et Le centre d'instruction. La deuxième partie du Pain de soldat porte en titre La mort au jour le jour. Cette deuxième partie traite du Front et du Chemin des Dames. Entre parenthèses, Poulaille précise Les Mutineries, puis indique De Craonne à Malmaison. Mai 1917 à fin octobre 1917.

Tome II de Pain de soldat : Les rescapés. Trois parties et un épilogue au titre sans équivoque: Les Lauriers sont coupés et cette précision, si besoin était, La rentrée dans la vie, Juin-Juillet 1919. Titres des trois parties des Rescapés : Première partie Les Rescapés, Ambulances et hôpitaux (fin octobre 1917 à février 1918), deuxième partie : Les"Hors La Gloire", L'Arrière du front, L'Alsace reconquise, (Mars 1918 à début 1919, Troisième partie : L'enfantement de la Paix, La démobilisation, La recherche du travail, Les déboires des "vainqueurs", (début 1919 à fin mai 1919).

 

Pain de soldat est une véritable fresque de la première guerre mondiale, celle de 14-18, celle qui devait être la "der des der", par la volonté première et dernière de ceux qui l'avaient faite. Mon exemplaire de Pain de soldat / Les Rescapés  a été Achevé d'impimer Le 29 Octobre 1938 par l'Imprimerie Floch à Mayenne (France). Octobre 38, septembre 39. Moins d'un an après, on remettait ça et tout le monde comprenait que 14-18 ne serait jamais la "der des der".

 

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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 18:17

 

Il fait beau. Beau ciel bleu. Les quais retrouvent leurs teintes multicolores. Piétons patchwork qui, inlassablement, jouent aux impressionnistes. Donnent des couleurs insolites, ou insolentes, à cette toile de bitume qui s'enrhume. La poussière, poussée par le vent fort, qui souffle sans cesse, provoque des éternuements et des toux violentes chez les plus sensibles. Quintes incroyables et yeux qui larmoient. A se dire -absurde- "vivement qu'il pleuve"...

Cette année, les platanes n'en finissent pas de m'escagacer les bronches. L'an dernier, j'avais beaucoup mieux résisté. Vent, poussière, pollens, le lot quotidien du libraire de plein air que la saison n'incite guère à respirer à... pleins poumons.

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 21:53

 

Saint-Sulpice. Salon du livre rare ou ancien. Début d'après-midi. Les Fleurs du mal. Charles Baudelaire1857. Edition originale. Mais expurgée. Censurée. Sans les textes censurés. Fleurs condamnées par la 6e chambre correctionnelle. Fleurs coupées. Taillées. Retirées chez l'imprimeur par les forces de police, sur ordre des hommes de loi. Livre débroché, puis rebroché d'autorité. J'ai vu, j'ai touché ce livre-là. Bonheur étrange et intense. Charles, si tu m'entends, du néant où tu es, sache qu'ici, en ce moment, tu es toujours vivant. Je n'ai pas demandé le prix d'aujourd'hui de ton recueil sulfureux. Je sais que je ne peux pas jouer dans cette catégorie-là. L'amour du texte, l'amour de la chose imprimée, la passion de l'édition originale, ont des limites. Ces limites. Mes limites.

 

Devant moi, à deux pas, dialogue entre un vrai bibliophile et le marchand:

- Pardon, monsieur, c'est la deuxième édition, ou c'est l'originale ?

- Non, c'est la première. L'originale. Celle de 1857. La seconde est de 1861.

- Avec les pièces condamnées ?

- Non, bien sûr, expurgée ! Malheureusement.

 

"C'est mieux pour toi", reprend l'ami du bibliophile. Sous-entendu "mieux pour ton chéquier !"

 

Plus tard, 41 quai de la Tournelle, devant les quatre boîtes de ma Librairie de Plein Air, j'achète à Eric, courtier adorable, qui déambule sur les quais depuis plus de trente ans, pour 5 euros, La Marche à L'Etoile de Vercors,  Achevé d'Imprimer le 7 Juillet 1945 par Aulard à Paris. Copyright by Editions de Minuit 1943. Tous droits réservés. Avec ce bel exergue: A la mémoire de celui dont ces pages racontent la vie. Eric m'explique: "C'est un bel hommage à l'immigration et aux immigrés francophiles." Il ajoute: s'il fallait un argument, si on avait besoin d'un argument pour bien accueillir les immigrés, c'est le plus bel argument que je connaisse !"

Ecrit et imprimé pendant l'occupation, La Marche à L'Etoile est un des premiers textes des Editions de Minuit. Baudelaire et Vercors, ce soir, deux de mes amis. Deux de mes copains. Deux de mes frangins.

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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 12:17

 

Je dois être en classe de troisième. Lycée Lamarck d'Albert, à l'est d'Amiens. Somme. Picardie. Cette année-là, je décide que j'ai trois poètes préférés: Villon, Ronsard, Verlaine. Rien de moins. Rien de mieux. Chaque soir, après avoir rapidement rempli les obligations de travaux scolaires parfaitement inintéressants, dans la salle d'études des internes, en silence, même si ça chante dans ma tête, je compose, j'écris, je crie. Ma révolte et mon amour. Mon nom de plume est d'un ridicule consommé, mais il est la synthèse de mes trois poètes préférés: VIRONLAINE. Villon, Ronsard, Verlaine. Au bahut, même quand on joue au foot, dans la cour de récré, c'est vite devenu ma véritable identité. Je me souviens de mon premier poème. Une chanson d'un chevalier à sa Dame. Trouvère ou troubadour, c'est le métier que j'aimerais faire, ai-je dit au professeur principal, dès le premier trimestre. Problème : dans le dossier d'orientation, après le BEPC, le Brevet, ces professions-là ne sont pas indiquées. J'ai demandé comment faire. Le prof principal a éclaté de rire. Il a dû dire quelque chose comme "Cherchez pas, Trouvère, vous trouverez pas, ça n'existe pas, ça n'existe plus, on n'en a pas besoin dans la société d'aujourd'hui !" Puis, il a éclaté de rire.

M'a déçu, mon prof principal. Lui que je trouvais bien, je l'ai trouvé "moins bien". Je me suis dit : on n'a pas le droit de décevoir un élève qui veut être Trouvère. J'ai maintenu mon choix d'orientation. J'ai redoublé... d'efforts. Dans l'étude solitaire de la maîtrise de l'art des rythmes et des rimes. Au fait, le titre de mon premier poème, c'était Ma Dame, tout simplement. On le relit ensemble ?

 

      Ma Dame

 

Souvent la nuit, je m'éveille,

Cherchant en vain le sommeil,

Je pense. Je pense à vous Ma Dame,

Je vous vois près de la flamme,

Dans votre château vous chauffant,

Tandis qu'au dehors souffle le vent.

 

Il y a deux autres strophes, qui parlent de songe et de mensonge, mais je ne m'en souviens pas précisément. Le texte avait été publié dans un journal qui devait s'appeler Facettes. 1965/1966. Qui retrouvera ce journal qui contient mon poème ? Ma première parution.

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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 16:25

 

Le livre ne se livre pas toujours à la première lecture. J'adore d'ailleurs ces livres qu'il faut re-lire pour en savourer toute la teneur. Toute la saveur. Toute la sensibilité. Tout le savoir. Un savoir humble qui te rend intelligent en douceur. Sans se la jouer. Sans te la jouer. J'adore ces livres vraiment modestes. Ces livres qui n'affichent aucun orgueil, aucune prétention d'emblée. C'est à la fin seulement, souvent à la deuxième, à la troisième lecture, que vous commencez à comprendre à qui vous avez affaire. 

Certains romans disent souvent en secret une autre histoire que celle qu'ils racontent ouvertement. La lectrice futée dit simplement : il faut savoir lire entre les lignes. Mais ce n'est pas tout à fait la même chose. C'est une autre histoire. Une autre lecture.

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30 mai 2011 1 30 /05 /mai /2011 15:49

 

Sur la couverture noire, dans son médaillon, une princesse en mosaïque. Une des dernières princesses de l'empire romain. D'emblée, la désignant d'une main assurée, elle s'exclame "Théodora" !

Pour rire, je rétorque du tac au tac: "T'es odorat". J'explique: le bouquiniste a du nez, du flair, il sent les bonnes affaires. Elle rit. Plus sérieusement, nous revenons à la mosaïque et à la princesse. Elle l'a vue, en vrai, autrefois, au cours d'un voyage en Italie. La mosaïque, pas la princesse. La princesse a quitté cette terre en l'an 548, au mois de juin. Titre de l'ouvrage de Jean Steiner Théodora, tout simplement. Avec ce sous-titre, pédagogique et incitatif, ou comment une danseuse devint Impératrice. Editions Rencontre Lausanne, 1965.

Le premier paragraphe du chapitre premier mérite arrêt sur images: "La prodigieuse destinée de celle qui, sortie du monde interlope du cirque de Constantinople, accéda à la pourpre des Césars, a excité la curiosité et l'imagination, déjà de son vivant. C'est là sans doute qu'il faut chercher pourquoi, dans la longue suite des impératrices et princesses qui jalonnent les onze siècles de l'histoire de l'Empire romain d'Orient, Théodora, épouse de Justinien Ier, est la seule dont la renommée, est universelle."

La mosaïque du VIe siècle, elle s'en souvient parfaitement, se trouve à Ravenne, au Nord de l'Italie. Eglise Saint-Vital. Elle la trouve superbe. Fascinante. Avec ses quatre fois vingt ans et son beau regard bleu, elle est comme une enfant devant une friandise. Que voulez-vous que je vous dise? Le livre, bien sûr, il est pour elle. Dans ma tête, je le lui ai déjà offert. Dès le premier regard. Avec sa superbe Théodora en couverture, pour elle, ce livre n'a pas de prix. Un livre qui n'a pas de prix, ça se donne. Pour elle, soudain, c'est Noël au mois de mai. Pour moi, c'est vraiment une belle journée.

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 19:42

 

Comment devient-on bouquiniste ? Pas un jour sans que la question ne me soit posée. De façon plus ou mois directe. Souvent "bille en tête" ! Du style "Comment en êtes-vous arrivé là" ? Comme si forcément, avant de se retrouver sur le quai, en vrai marin, ou en vrai marinier, on avait tutoyé les océans ou les grands fleuves. Comme si aussi, d'une certaine façon, c'était déchoir que d'avoir choisi de se retrouver "à quai". Dégradant d'être, par tous les temps, sur le trottoir, dans la rue, à vendre des livres et des revues. Selon celui, ou celle, qui pose la question, selon le ton, selon l'attente, qui se lit facilement dans les yeux des gens, le bouquiniste accepte ou non de jouer le jeu. Le seul jeu qui vaille: le jeu de la vérité. Arrive alors le récit d'exploits et d'aventures incroyables qui conduisent à la belle histoire de l'homme, ou de la femme, qui aimait les livres. Au point un jour de ne plus vivre que pour les livres.

Parfois, mais c'est très rare, et ça se mérite vraiment, je lis des extraits de ma lettre de motivation. Car désormais, la ville de Paris, qui attribue les autorisations d'installation sur le parapet, rive droite et rive gauche, exige des candidats bouquinistes une véritable lettre de motivation, un CV détaillé et une certaine connaissance d'un domaine particulier de la littérature.

Pour le partage de la lettre, le rituel est bien en place. On s'asseoit sur le banc, à cinq pas de mes boîtes, et tout en jetant un oeil à celles et à ceux qui aiment bien emporter des livres sans les payer, - les piqueurs, les voleurs- je commence ma lecture. La lettre date de mai 2009. Je l'ai écrite d'une traite. Sans chercher à plaire. Ni à déplaire d'ailleurs. La relisant, je m'aperçois que je n'ai cité aucun auteur. Stratégie d'instinct. Les auteurs, je les défendrai à l'oral. Car, passé le cap de la lettre de motivation, il y a, bien sûr, comme pour n'importe quel métier ou emploi, l'étape de l'entretien. Un entretien d'embauche, mais oui, pour être bouquiniste sur les quais de Paris. Maintenant, peut-être, place à la lettre.

 

"Depuis la fin des années soixante, j'ai dû acheter sur les quais des centaines de livres, des milliers sans doute. J'avais 20 ans à peine et j'en ai - bientôt ! - 60. Le temps est venu de rendre un peu de ce que j'ai reçu. De rendre aux quais de Seine tous ces bonheurs de lecture que les quais de Seine m'ont donné. Le temps est venu de remettre en circulation une bonne partie de tout ce que j'ai pu acheter, lire et aimer. Quand on prend de l'âge, on resserre, on recadre, on réduit. On se dit qu'il est temps d'aller à l'essentiel. Des livres qu'on croyait indispensables le deviennent beaucoup moins et on se dit, qu'en littérature aussi, l'essentiel tient peut-être en peu d'ouvrages. Je vous rassure: quelques centaines tout de même.

Vendre ce qu'on a aimé - tous les bouquinistes commencent comme ça ! -n'est pas forcément douloureux si ceux qui emportent vos livres sont aussi passionnés que vous avez pu l'être. Ce doit être même passionnant. Si vous réussissez à transmettre à d'autres "lecteurs/chercheurs/chineurs" ces livres qui vous ont fait rêver, sourire et rire, émus parfois au point d'en pleurer, de tristesse ou de joie, si une fois dans votre vie, vous avez la possibilité de faire découvrir à d'autres ce que vous-même avez pu découvrir, grâce à ces gens merveilleux que sont les bouquinistes, alors la transmission n'est pas un vain mot. Les livres survivent aux hommes qui les écrivent. Etre bouquiniste, c'est exercer ce métier magique qui fait que, longtemps après leur mort, les écrivains, les romanciers, les poètes ou les philosophes, sont toujours vivants. Ecrire, être écrivain, c'est vrai, c'est courir ce risque incroyable et fabuleux de pouvoir continuer à vivre, plusieurs siècles après sa mort.

Raison première de ma candidature à un poste de bouquiniste: défendre la littérature vivante à l'intérieur de cette confrérie faussement étrange. Confrèrie qui possède ce pouvoir fantastique de faire que la littérature, la vraie, soit éternellement vivante. Même si, mortels parmi les mortels, les bouquinistes le savent, l'éternité n'est pas de ce monde. Et de l'autre non plus, d'ailleurs."

 

Souvent la lecture de la lettre de motivation est prétexte à discussion. C'est fait pour ça. Elle fait naître quelques bons rires moqueurs. Opinions et convictions bien affirmées de part et d'autre donnent naissance à des échanges enflammés. On ne peut pas dire ça. Ou alors pas comme ça. Vous ne donnez aucun exemple. Aucun nom d'auteur. Votre lettre est beaucoup trop générale. Beaucoup trop dans les idées de fond. Ah si moi, j'avais candidaté... vous auriez vu !

- Qu'à cela ne tienne, monsieur, candidatez, candidatez, il y a encore de nombreux espaces à prendre sur le parapet !

- Vous n'y pensez pas, voyons, j'ai une situation respectable et une famille de même. Que penseraient-ils de moi, les miens ?

- Nous-y voilà. La "respectabilité" ! ...

 

Dans ce cas-là, je replie la lettre et je la range pour une autre fois. Pour une oreille plus complice. Une écoute plus fraternelle. Sinon je poursuis la lecture. Assez souvent à la demande de l'intéressé(e).

 

"J'ai bien conscience qu'il y a pléthore de candidats et que réussir  à être dans les 10 ou 20 premiers de la liste d'attente, peut prendre, à ce qu'on dit, plusieurs années, mais je veux bien prendre date dès maintenant. Je tiens vraiment à contribuer, à mon niveau, à redonner à ce fascinant métier de bouquiniste ses véritables lettres de noblesse. Si l'on peut dire ça d'un métier de roture. D'abord, bien sûr, mettre un terme, en douceur, à la dérive du commerce de la "bimbeloterie TourEiffelesque". Pour retrouver l'âme et l'esprit du métier, redonner du "corps" et -dans tous les sens de l'expression- "du coeur à l'ouvrage". C'est un peu, beaucoup, passionnément, pour ça que je suis candidat à un emplacement de bouquiniste, quelque part, quai de Seine, à Paris.

"Enfin, il n'y a pas si longtemps, existait un Prix Littéraire vraiment extra "ordinaire", le Prix des Bouquinistes. Un prix littéraire décerné chaque année par les  bouquinistes. Je ne sais pas à quel moment de l'année il était attribué et quelle en était l'organisation, le rituel, mais j'aimerais bien contribuer à relancer ce Prix des Bouquinistes. Qui pourrait, pourquoi pas, se traduire par la réédition, en Poche, d'un auteur méconnu ou complétement tombé dans l'oubli. Un auteur qui mériterait d'être relu, ou simplement lu, et qui sortirait d'un oubli mortel grâce aux bouquinistes.

"Pour finir sur un sourire en forme de pensée profonde, sachez qu'il ne s'agit pas tant, pour moi, d'AVOIR un emplacement de bouquiniste que d'ETRE bouquiniste. Entre ETRE et AVOIR, ne jamais se tromper d' AUXILIAIRE, c'était ma ritournelle de fin de cours, au lycée, au tout début de ma carrière, quand j'étais professeur de philosophie. Quand j'étais... "Maître-Auxiliaire" !

"ETRE bouquiniste sur les quais, c'est être ce "passeur" de mots, d'idées et de livres, un passeur qui a le don et le devoir de faire vivre éternellement les auteurs mortels. Preuve que ça marche, que la magie opère ? Le bouquiniste, en prime, donne vie aux quais de Seine.

Superbe mise en Seine que ces petits bateaux verts qui se reposent à quai, leurs trésors à l'intérieur.

Le bouquiniste ne manque pas d'humour: il possède l'art de la mise... en boîte ."

 

Sans doute la lecture de la lettre a duré un peu trop longtemps. Sans doute ai-je manqué une vente ou deux. Mais j'ai gagné à la cause du livre et des quais un nouvel allié. Pas si mal.

 

 

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 21:04

 

Elle voulait L'Assommoir, j'avais La Bête humaine. Notre discussion a commencé comme ça.  De Zola, elle voulait tout lire. Se disait naturaliste. En Poche, j'avais deux ou trois titres des Rougon. Les Rougon-Macquart, ça la fascinait. Comme la fascinait l'ambition de Balzac. Balzac et sa Comédie humaine. Elle n'avait pas trente ans et son monde, ce n'était pas Houellebecq, Beigbeder, Christine Angot ou Amélie Nothomb. Elle n'avait pas trente ans et la littérature contemporaine ne l'intéressait pas. Pas du tout. Elle n'avait pas trente ans et de Balzac, je lui conseillai La Femme de trente ans.

Balzac qui salua le travail de Creuze, en peinture, pour faire entrer dans la toile, pour la première fois, les petites et les grandes misères des petites gens. La beauté simple de ceux du peuple. La Laitière, belle, simplement belle, belle et vraie, dans la lumière vraie, sans pose ni manière.

Au fil de la conversation, je lui confie soudain ce projet délirant: inventer le CAC 40 de la littérature. La Cotation des Auteurs en Continu. Les 40 auteurs les plus connus à la Bourse des valeurs littéraires. Une Bourse où enfin la valeur ne sera pas financière. Un éclat de rire pour finir. Entre deux gorgées d'eau. Il faisait chaud. Un éclat de rire entre deux éclats d'eau bue.

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27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 20:00

 

Un envoi de Verlaine, de Maupassant, ou de Dorgelès, un destinataire aussi prestigieux que l'auteur, un Carco à Mac Orlan, un Barthes à Jankélévitch, un Jean Rouaud à Claude Nougaro, et c'est le livre -plus ou moins- rare qui devient précieux. Témoignage manuscrit d'une connexion  -on dit comme ça- inédite ou inattendue, l'envoi est signe d'une rencontre ou d'une amitié. D'une relation réelle et durable ou d'une rencontre fortuite. Les envois m'ont toujours fasciné. Parce qu'ils disent et parce qu'ils ne disent pas. Pas ouvertement. Entre les lignes. Simplement.

 

D'abord il y a Le Devoir et l'Inquiétude d'Eluard, et cet envoi à Marcel Noll, envoi qui est à lui seul vrai manifeste poètique "pour que la phrase prédominante s'abaisse au silence". Suit la signature de Paul Eluard, la première sur ce premier recueil, signature où il n'a pas encore eu l'idée d'entremêler le "L" de Paul et le "E" de Eluard, pour en faire cette croix étonnnante qui sera sa marque.

 

Et puis ce Avec les Filles..., de Francis Carco, Paris, Le Divan, 37, Rue Bonaparte, 37 et cette superbe dédicace à celui à qui l'ouvrage est dédié (A Pierre Mac Orlan) à mon vieux Pierre, avec ma fidèle affection et mon admiration qui, ni l'une ni l'autre, ne datent d'aujourd'hui. Et c'est signé F.Carco, qui en desssous précise Paris 21 février 25. Il s'agit de l'exemplaire de Pierre Mac Orlan.

 

Et puis aussi L'Apprentissage de la Ville de Luc Dietrich (Editions Denoël) avec ces lignes très belles, pas seulement pour leur calligraphie "Pour Janette Deletang-Tardif, Au bon poëte et à l'écrivain compréhensif. En souvenir de belles lignes sur le Bonheur des Tristes. Signé: Luc Dietrich 10 Fev.1942.

 

Ou encore Les Champs d'Honneur de Jean Rouaud et ce bel envoi sur toute une page, avec jeu de mots sur prodigue/prodige  "Pour Claude Nougaro, croisé une fois rue Lepic - le retour de l'enfant prodig(u)e, Avec toute mon admiration, Jean Rouaud (ô) Toulouse  et la date 27 Nov 90.

 

Enfin Les photographies, de Vassilis Vassilikos, traduit du grec par Jacques Lacarrière. NRF Gallimard, avril 1969. Collection Du Monde Entier. Un SP, Service de Presse, destiné à Sartre. L'envoi est simple et politique: " à Jean-Paul Sartre, et pour la résistance grecque". Vassilikos est aussi et surtout l'auteur de Z, roman adapté au cinéma avec Yves Montand. Juste en dessous de l'envoi de Vassili Vassilikos, suivi de sa signature, le traducteur, Jacques Lacarrière a ajouté "et pour la résistance française à la Grèce".  Sous entendu sans doute "à la Grèce des colonels"?

Penser que Jean-Paul Sartre a eu cet ouvrage entre les mains est assez émouvant. Dans les mains des grands hommes passent parfois des livres qui font aussi vivre, rêver et espérer des hommes moins illustres. Avoir dans sa bibliothèque quelques ouvrages "avec  envoi", quand l'auteur et le destinataire ont des idées ou des combats en commun, et des rêves et des passions, c'est comme une signature. Une signature en filigrane. Un aveu en transparence. Une famille reconstituée. Des parentés littéraires insolites. Des associations inédites. Signes insignifiants pour la plupart. Ouvrages avec envoi, messages cachés d'un jeu de piste littéraire. Aujourd'hui encore, "la bibliothèque d'un honnête homme".

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