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8 juillet 2011 5 08 /07 /juillet /2011 00:27

 

Une lettre signée Colette de Jouvenel pour plaider la cause de Mes Amis, le roman d'Emmanuel Bove. Lettre autographe signée, sur papier bleu garance, avec pour en-tête une adresse 69, Boulevard Suchet et un téléphone Auteuil 06.27 . Le document est intéressant, même s'il ne comporte pas de date précise: la lettre a vraisemblablement été écrite en 1924.

 

"Chère Madame, avez-vous lu le livre d'Emmanuel Bove, qui court sa chance auprès d'un jury dont vous êtes la plus belle jurée ? Ce livre est intitulée "Mes amis", et je vous défie de le feuilleter sans le lire tout entier.

"Cette misère de Victor Baton, c'est la misère de Bove. Mais seul son talent a le droit de compter. Donnerez-vous votre voix à Mes Amis ?

" Dans tous les cas, vous serez tentée de la lui donner. Je vous remercie quoi qu'il arrive, et je vous demande de me croire bien amicalement à vous.

Colette de Jouvenel

 

Colette défend ici avec un avec zèle certain cet ouvrage d'Emmanuel Bove, publié en 1924 chez Ferenczi. Mais Bove n'eut pas le Goncourt pour autant. Question: comment s'appelait cette Dame dont Colette affirme "vous êtes la plus belle jurée" ? Question subsidiaire : qui eut le Goncourt cette année-là ?

 

BOVE (Emmanuel), écrivain français (Paris, 1898-Paris, 1945)

Fils d'un père russe et d'une mère luxembourgeoise, découvert par Colette, admiré par Rilke, célébré par Beckett pour son "sens du détail touchant". On a pu dire de Bove qu'il  était "le romancier de la défaite et de la misère intérieures, le peintre de la médiocrité à l'état brut". Relire impérativement Mes amis, 1924, Armand, 1927, Bécon-Les-Bruyères, 1927, Le crime d'une nuit, 1927, repris l'année d'après dans Henri Duchemin et ses ombres, 1928, mais aussi La  Coalition, 1928, Petits Contes, 1929, Un homme qui savait, (La Table Ronde, 1985), et enfin Le Piège, 1945 et  1986 (La Table Ronde).

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7 juillet 2011 4 07 /07 /juillet /2011 11:49

 

"Ma mère aimait les mots. Mon père aimait les matches. Je décidai de gagner le match avec les mots." Le projet de Verlaine Avant-Centre, mon premier roman, tient tout entier dans ces trois petites phrases qui peuvent n'en faire qu'une si je renonce, sciemment, à cette nécessité qu'elles soient trois. Trinité familiale fictive dans laquelle le narrateur doit trouver son unité en même temps qu'un sens à une vie qui, peut-être, n'en a pas. Au moment de la dernière relecture des épreuves, l'Editeur a demandé à l'Auteur de "ponctuer avec des virgules" les trois petites phrases. Pour une histoire de respiration. L'Auteur s'est plié au souhait de l'Editeur. Dans le roman, les trois petites phrases n'en forment plus qu'une. Dans l'esprit de l'Auteur, même avec la respiration différente des virgules, elles sont toujours trois. Trois propositions indépendantes et pourtant à tout jamais liées.

L'évidence du lien entre les mots, les matches, et la nécessité de gagner un jour le match avec les mots ne m'est apparue que très tardivement, à un âge adulte, et de façon progressive. La prise de conscience de la richesse d'une enfance pauvre ne peut se faire qu'après avoir rompu avec cette enfance-là. La conscience est souvent diffuse, la prise de conscience parfois brutale. Immédiate. Dans mon cas, elle est tardive. Tardive et progressive. La découverte de la lumière particulière de cette enfance pauvre, semblable à beaucoup d'autres enfances pauvres, ne s'est pas faite en une fois. Cela pour la mise en place des aspects "vécus" que beaucoup aimeraient enfermer dans une démarche strictement autobiographique.

Ne voir dans Verlaine Avant-Centre que le mot-à-mot précis d'une enfance, comme si le roman, aux allures de récit, devait être considéré, non pas comme une oeuvre de fiction, mais plutôt comme la simple transcription d'une existence aux accents romanesques, est une douce et rassurante tentation. Réduire le roman à la seule catégorie du récit d'enfance, un récit extraordinaire d'une enfance extraordinaire, c'est méconnaître d'emblée le travail de création, de déconstruction et de reconstruction du romancier, même s'il travaille sur des sentiments ou des sensations qu'il connaît bien, puisque les ayant, sans doute, lui-même, en partie, éprouvés, enfant. Mais, première erreur du lecteur pressé: prendre au premier degré, et selon la formule, pour argent comptant, ce que l'écrivain raconte, c'est à dire invente. Deux questions tout d'abord, pour bien cerner le problème et l'enjeu. Doit-on aussi rapidement accepter de réduire l'enfance du narrateur à l'enfance de l'écrivain ? Qu'est-ce qui nous permet d'affirmer que ces deux enfances ne sont qu'une seule et même enfance ?

Sur des cahiers de brouillon qu'il baptise "Mes je n'oublierai jamais", le narrateur de Verlaine Avant-Centre consigne des mots, des paroles, des phrases, des idées, des odeurs, des sensations, des sentiments, des bruits, des sons ou des chansons. Cela, c'est le narrateur qui le fait ou qui dit qu'il le fait. C'est l'Auteur qui le lui fait faire. Mais qu'est-ce qui peut faire penser ou faire croire que cela, l'Auteur l'a vraiment fait ? Que l'Auteur, enfant, a réellement, dans son enfanvce réelle, tenu ce genre de cahiers de brouillon de"phrases définitives" ?

Au risque de vous faire sourire, il arrive souvent à l'Auteur de Verlaine Avant-Centre, que je connais bien, et avec qui je m'entretiens de temps en temps, de devoir répondre à l'issue de séances de signature ou de rencontres-débats avec des lecteurs, souvent des lectrices d'ailleurs, à ce genre de questions très touchantes:

 

- Vos cahiers de brouillon, vous les avez gardés ?

- Non ! ils n'ont jamais existé. Ils n'existent que dans l'imagination de l'Auteur du roman.

 

La déception est souvent à la hauteur de l'espérance placée dans la question. L'Auteur s'en veut de ne pas oser mentir. D'autant que les autres commentaires sont plus terribles encore :

 

- Vous avez bien de la chance d'avoir une Tante qui a connu Verlaine !

- Mais ce n'est pas vrai, c'est seulement vrai dans le roman. C'est une invention du narrateur qui croit, dur comme fer, que la Laure de la dédicace du Sonnet de Jadis et Naguère, c'est sa Laure à lui, alors qu'il s'agit de la Laure de... Pétrarque ! Laure de Noves. 

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6 juillet 2011 3 06 /07 /juillet /2011 17:12

 

Débarquant par hasard sur le quai du vieux monde, je suis le passant de l'antépénultième seconde...

C'est tout pour aujourd'hui. Comprenne qui pourra. Comprenne qui voudra. 

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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 15:41

 

C'est une idée de Frédéric Lefort, le Trésorier de l'Association. Un Trésorier qui est un trésor d'imagination. Une idée par jour. Quand ce n'est pas une idée à la minute. Dernière idée en date : un journal. Créer un journal où chacun, enfin chacun qui le voudrait bien, pourrait parler de ce qu'il aime, de ce qu'il vend, de sa ou de ses spécialités. De ses passions ou de ses déceptions. De ses enthousiasmes. De ses coups de coeur. De ses petits bonheurs. Ou même de ses galères. 

Autrefois existait un petit format très bien fait, bien écrit, et joliment mis en pages, qui s'appelait "Le Parapet". Faute de moyens ou faute de volontés, Le Parapet a coulé. Le Parapet est tombé à l'eau. Sans refaire Le Parapet, l'idée serait de publier, d'abord tous les trois mois, un canard, le canard des bouquinistes. La Gazette du quai, Le journal des Bouquinistes, L'Echo du quai, sont, pour l'instant, les trois titres le plus souvent proposés. Quand au contenu, tout est possible: photos, dessins, caricatures, interviews, portraits, anecdotes, échos, brèves de brocantes, une séquence "Temps passé/Temps présent", avec illustration ou photo d'un endroit du quai il y a 50 ans, 100 ans, 150 ans... Rubrique inépuisable. Contenu du journal non limitatif, bien sûr. Toute idée nouvelle bienvenue. Forcément. Avis aux amateurs.

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 21:56

 

Elles sont arrivées sans crier gare. Se sont scotchées devant mes vieux journaux. Mes vieux journaux étendus avec des pinces à linge sur un fil, dans le haut de mes boîtes, sous les auvents. Un  fil à linge où sèche la presse du temps passé. Pélerin des années 30, Journal du Dimanche de l'année 1863, exemplaires du Voleur des années 80. 1880. Elles semblaient fascinées. Je les ai laissées de longues minutes savourer leur passion. Puis, n'y pouvant plus, j'ai risqué une question: pourquoi cet intérêt manifeste ? La première a dit: je suis étudiante  à la Sorbonne. En Lettres Médias Com' . J'aimerais un jour être journaliste. Voir, en vrai, ces vieux journaux, dont on nous parle en cours, c'est fascinant.

La seconde a ajouté: moi, non, je n'envisage pas ce métier. Je veux être kiné, mais j'adore l'odeur et la texture du vieux papier. Elle fait mine de respirer l'odeur avec le nez. Touche un livre imaginaire avec le bout des doigts. Puis ajoute: Chez mes parents, quand j'ouvrais un livre ancien, c'était d'abord pour le sentir, le respirer, avant de le lire.

Filles merveilleuses, toutes deux originaires de Charleville. La ville de Jean-Arthur. Forcément, on a parlé de Rimbaud. De sa maison. Sa maison devenue Musée. De sa tombe, au cimetière. De ce célèbre On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans et de ce poème où Arthur raille les notaires ou les banquiers. C'était drôle. Les deux amies riaient à gorge déployée. Puis vint l'aveu. En forme d'incroyable regret. Nous, au Collège ou au Lycée, ce n'est pas Rimbaud que les profs nous faisaient étudier, c'est Baudelaire.

Les Fleurs du Mal, c'est vrai, ce n'est pas mal non plus, mais passer à côté de la maison de la famille Rimbe et d'une balade dans cette Charleville où ont dû déambuler, certains soirs de désespoir, Jean-Arthur et sa gloire future, c'est dommage. C'est à pied que parfois se redécouvre la littérature.

Mettre ses pas dans les pas de celui qui un jour a écrit La Lettre du Voyant, moi, je ne m'en priverai pas...

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2 juillet 2011 6 02 /07 /juillet /2011 20:15

 

Il s'est arrêté à hauteur de mes boîtes. On a échangé un sourire. Il s'est attardé de longues minutes. Je l'ai laissé fouiner un peu. Nouveau sourire. Nouveau regard. Quelques mots sur ce qui se publie aujourd'hui. Sur les auteurs qu'il aime. Très vite, il a dit son métier. Son âge aussi : 88 ans, et des problèmes de palpitant. Pas feignant pour autant. "50 ans, que j'fais les quais, alors vous savez..." 

M'a aussi parlé de son amour pour les mots, les phrases, la syntaxe et l'orthographe. L'orthographe, la vraie passion de Pierrot, ancien correcteur au Figaro.

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1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 14:24

 

Pas une semaine sans qu'une passante, un passant, ne s'opposent, souvent avec une violence verbale incroyable, à la photo. Le bouquiniste est aussi photographe. C'est son droit. Le quai est un endroit fabuleux pour la photo. Un espace public. Où souvent d'ailleurs, à son insu, à la dérobée, le touriste, qui a tous les droits, ou qui le croit, photographie, lui, le ... bouquiniste photographe.

Le passant, la passante, se baladent dans l'espace public. Le quai, les quais de Seine. L'un des endroits les plus touristiques de Paris où tout le monde photographie tout le monde. Nous ne sommes pas dans la sphère privée, pas davantage dans une atteinte à la vie privée. Pourtant, le passant, mécontent, ou la passante, agaçante, argumente, l'un et l'autre convaincus de leur bon droit: mon droit à l'image !

Non sans humour, le photographe répond, lui aussi, mon droit à l'image ! Le droit à l'image photographique. Le droit de photographier. Le droit d'être photographe. "Effacez-moi ça tout de suite", intime, sublime, la passante, effacez, ordonne, menaçant, le passant. Le numérique a bon dos. C'est sa force et sa faiblesse. On peut effacer l'image contestée. Souvent, d'ailleurs, le photographe s'exécute. Pour avoir la paix. Mais cette exigence du passant, ou de la passante, au nom du sacro-saint droit à l'image, n'est-ce pas au fond un abus de pouvoir ? En invoquant cette loi de 72 destinée à protéger la vie privée des citoyens. Autre question: a-t-on le droit de parler de "vie privée" sur l'espace "public" ? L'avis d'un juriste spécialisé dans le droit à l'image serait précieux. Sur le quai, ou ailleurs, on est demandeur. Il en va tout simplement du droit à être... photographe. A se rêver Doisneau.

C'est vrai, au fond, Doisneau, aujourd'hui, il ferait comment ?

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 13:46

 

- Les trois titres que tu emportes sur une île déserte ?

- Une saison en Enfer, Les Illuminations et Alcools !

- Deux Rimbaud pour un Apollinaire ?

- Oui, et si j'ai droit à un quatrième, les Poèmes Saturniens du Pauvre Lélian !

- Pas de roman ?

- L'Etranger ! ou bien Le Grand Meaulnes !

- Je t'accorde les deux.

- Un recueil de nouvelles ?

- Raymond Carver !

- Non, j'ai dit "un" recueil !

- Non, j'emporte "tout Carver" !

- Tu vas devoir t'acquitter de la surtaxe : trop de livres dans ton bagage !

- Je voudrais ajouter deux ou trois Dagerman...

- Rien que ça !

- J'ai oublé Jules Vallès...

- Non, Vallès, tu laisses...

- Nizan, Aden Arabie ...

- To be or not to be ?

- Boris Vian, l'Automne à Pékin...

- C'est trop, t'en retires un !

- Non, tu plaisantes ! L'envers et l'Endroit, j'y ai droit ?

- Encore un Camus ?

- Oui, le premier, le Camus du début, le Camus des Essais, essais en forme d' histoires faussement simples où tout Camus est déjà là...

- Franchement, ça ne va pas, c'est trop, beaucoup trop, tu ne sais pas choisir...

- Je sais, "choisir, c'est renoncer " et c'est vrai, j'ai encore beaucoup de mal à renoncer...

- Allons, fais un effort...

- Non, j'pars plus, je reste. Mon île déserte, c'est ma bibliothèque, mon grenier, mes huit mètres soixante de quai. Là où j'embarque, en rêve, ou en vrai, quand je veux. Sans façon, sans manière. Superbe course en solitaire. Vieux loup de mer. Bibliothécaire amer. Libraire de plein air. Désolé mais... mon île déserte a... le mal de mer.

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29 juin 2011 3 29 /06 /juin /2011 09:48

 

Il passe entre les mains des bouquinistes des ouvrages souvent très semblables. A un petit détail près. Suffit d'avoir l'oeil. J'ai chez moi plusieurs exemplaires de La Jument verte, célèbre roman de Marcel Aymé. Publié chez Gallimard, en 1933, la Jument  vaut dès le départ à son auteur un incroyable succès: il y a ceux qui adorent et qui saluent un comique ironique et un humour rabelaisien et ceux qui s'indignent devant  le texte d'un auteur quelque peu "licencieux".  La Jument, roman. Or, sur une réédition tardive, du dix-neuf juillet 1957, très semblable aux précédentes et annoncée 347e édition, sous le titre La Jument verte, est imprimé, de façon fautive, le mot nouvelles. La page 5, qui reprend exactement la mise un page de la couverture, indique pourtant roman. Il y a donc contradiction flagrante entre la couv', la couverture, et sa reprise en page intérieure.

Question : est-ce l'erreur, la négligence, d'un ouvrier du livre distrait ou le clin d'oeil voulu d'un auteur facétieux ? Marcel Aymé voulait-il, en 1957, que sa Jument verte de 1933 soit désormais présentée comme un recueil de nouvelles, et non plus comme un roman ? Thèse peu probable. Les ouvrages fautifs - combien d'exemplaires ?- ont-ils, pour la plupart, terminé leur carrière au pilon ? Combien ont survécu ? J'en possède au moins un. Preuve de l'épreuve fautive. Bienvenue aux lecteurs curieux qui feront, ou qui ont déjà fait, cette découverte insolite !

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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 13:44

 

Dagerman est un nom propre formé de deux noms communs. Deux mots suédois. "Dager", qui signifie "jour" et "man", qui veut dire "homme". Deux noms communs pour donner naissance à un homme hors du commun. Dagerman, étymologiquement sans doute, "journalier". Journalier, non pas dans le sens moderne de "quotidien", mais plutôt "journalier", homme qui vend, de ferme en ferme, au jour le jour, sa force de travail. Dagerman peut signifier aussi "homme de jour", sinon "homme du jour",  et pourquoi pas, poétiquement, en tout cas pour moi, "homme-jour" ?

Homme-jour tourmenté par les papillons de nuit, ces idées sombres et noires qui tournent autour de vous, comme ces coléoptères nocturnes que la lumière attire. Homme-jour, homme-lumière, Dagerman a l'écriture lumineuse. Il faut tout lire de lui, L'Enfant brûlé, Le Serpent, L'Ile des condamnés, Dieu rend visite à Newton, Ennuis de noce, Les Wagons rouges, Le Froid de la Saint-Jean, Notre plage nocturne. Il faut lire surtout, traduit du suédois par Philippe Bouquet et publié chez Actes Sud, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Texte court, écrit par Dagerman en 1952,  à peine dix pages, texte dense empli de fulgurances, texte essentiel autant que le pourrait être une version scandinave d' Une saison en Enfer. A ceci près que pour Dagerman, c'est toute la vie qui est absurdité. L'Enfer n'y dure pas qu'une saison.

L'attaque, le premier paragraphe, de ce texte-testament, en moins de cent-cinquante mots, s'imprime, dans ma déprime, comme en écho au Mythe de Sisyphe de Camus, même si Camus concède, ou feint de concéder, "Il faut imaginer Sisyphe heureux". Camus-Dagerman, quelle belle rencontre cela aurait pu être ! Dagerman a -t-il lu Camus ? Camus a-t-il lu Dagerman ? Dagerman a-t-il entendu parler de Camus ? Se sont-ils un jour croisés, sans le savoir ou en le sachant ? J'aimerais savoir.

En attendant, je relis:

"Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n'ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d'où je puisse attirer l'attention d'un dieu : on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l'athée. Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n'était pas, lui-aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible à rassasier."

Dagerman, l'homme-jour, qui écrit aussi, sept pages plus loin, "Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels j'aurai le temps de donner le jour avant de mourir. Mais qui me demande de compter ? Le temps n'est pas l'étalon qui convient à la vie."

 

Un jour, l'homme-jour a choisi la nuit. Stig Dagerman s'est donné la mort. Un jour de l'année 1954. De ce jour-là aussi, notre besoin de consolation est impossible à rassasier.

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