J'avoue que je n'ai pas compris pourquoi, il y a quatre ans, en 2019, le Maire de Contay, à l'époque Gérard Boivin, a mis un point d'honneur à me refuser une petite place de quelques mètres carrés dans le cimetière communal. "Plus personne ne te connaît", a lâché, pour toute explication, le Maire que j'ai eu un mal fou à joindre au téléphone. J'ai eu beau lui dire qu'enfant, qui plus est l'aîné des trois petits Crimon, c'est moi qui traversait tout le village pour aller acheter du beurre et des oeufs chez ses parents, à la ferme Boivin, que mes voisins, les Cauet, étaient les parents de sa femme Marie-Claire, que René Cauet m'avait offert un jour un superbe Atlas dont il était co-auteur, que j'y ai appris tant de choses que c'est sans doute ce qui m'a donné très tôt l'envie d'aller voir un jour au bout du Monde, en vrai, les villes dont les noms m'avaient fait rêver, à 8 ans, en feuilletant des heures durant l'Atlas de mon illustre voisin professeur de géographie : Copenhague, Oslo, Stockholm, Helsinki, Oulan-Bator, Pékin, Varsovie...
Le Maire a maintenu son intransigeance : "Le Conseil municipal, à l'unanimité, a décidé de ne pas vendre de places au cimetière à des étrangers".
- Mais, Gérard, je ne suis pas un étranger, j'ai vécu mes quatorze premières années à Contay, j'y ai passé le Certificat d'études primaires et j'ai un petit frère qui a été enterré, en 1950, dans le cimetière, en face la tombe des Dufour-Basserie, là où est enterrée Tante Laure. Un petit frère prénommé Jean-Noël, né le matin et mort le soir, m'a répété ma mère tout au long de sa vie.
- Possible, mais ce n'était pas une concession à perpétuité, on n'en a aucune trace.
J'ai tenté l'argument ultime : "Dans ma vie, tu sais, Gérard, j'ai écrit des romans, des livres où je parle de Contay, de la Butteresse, du Mont Faï, de l'Hallue, des Royales". Pour toute réponse, avant de raccrocher, le Maire a dû dire : "Tu sais, ici, on lit pas de livres... tes livres, on les a pas lus".
Moi qui pensais que Gougnou, devenu professeur de philosophie, puis journaliste, homme de radio, puis écrivain, aurait droit, à la fin de son parcours terrestre, à une petite place, à l'ombre du rideau de peupliers, dans ce beau cimetière paisible de Contay, j'avais tout faux. A tout jamais, j'étais le mal-aimé. Le mal-aimé de ce village que pourtant j'ai tant aimé.
© Jean-Louis Crimon