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29 juillet 2012 7 29 /07 /juillet /2012 18:23

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© Jean-Louis Crimon  

 

                                                                                                                  

 

La mise en boîte est parfois mise en scène. Formes, couleurs, formats. Il faut jouer sur tout ça. Livres, journaux, photos. Affiches. Il en faut, mais point trop. Mise en scène et mise en page. Le bouquiniste se livre. Donne de sa personne. Faut que ce soit agréable à regarder. Joli pour l'oeil. D'abord pour l'oeil. Alors, si vraiment l'oeil s'attarde, le passant s'arrête. Le passant, ou la passante. S'arrête. Feuillette. Parfois achète.

Rarement en ce moment. Trop de touristes sur le quai. Le touriste préfère la bimbeloterie TourEiffelesque. Le touriste craint le poids des livres. Un bibelot, une mini Tour Eiffel, ça ne prend pas de place. Ce n'est pas très lourd. Un livre ou deux, ou trois, et RyanAir fait payer très cher le surpoids. Parole de Suédois. Le bagage à main ? On verra demain. Parole d'Italien.    

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28 juillet 2012 6 28 /07 /juillet /2012 21:56

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© Jean-Louis Crimon    

 

                                                                                                                   


C'est bien sûr une histoire de chance. Faut être là au bon moment. Mais pas seulement. Faut être disponible. Être en éveil. En permanence. A l'écoute de ce qui se passe. Ou plutôt de ce qui va se passer. On n'a pas deux fois ce genre de cadeau. Les yeux ouverts. Le regard disponible. Mais pas seulement. Les sens en éveil. Il faut devancer. Anticiper. Imaginer l'image avant que l'image n'existe. Pressentir. Sentir et pressentir.

La Limousine blanche arrive par la gauche. Elle remonte le quai de la Tournelle. Forcément, c'est inattendu. Pas prévu. Quelque chose se passe. Mais ce n'est pas suffisant. Une jeune femme arrive par la droite. C'est le jeu entre les deux qui devient intéressant. L'une sans l'autre, c'est banal. La Limousine sans la jeune femme, la jeune femme sans la Limousine, ce n'est rien. Une anecdote. La juxtaposition des deux, c'est cela l'image. La rencontre des deux. Le rythme des pas de la jeune femme est essentiel aussi. La photo doit être en rythme. A contre pas serait à contretemps. Il faut savoir attendre. Le bon moment. L'instant parfait. Il faut devancer et attendre. Savoir devancer et savoir attendre. Le secret de LA photo est là. Dans cette anticipation fulgurante et dans cette patiente attente. Comme à chaque fois, ça se joue en un instant. En un dixième de seconde. Pas le droit à l'erreur. Il faut "prendre" au bon moment. Un peu de chance et un regard, un vrai regard, c'est cela une photo. 

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27 juillet 2012 5 27 /07 /juillet /2012 13:46

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© Jean-Louis Crimon      

 

 

 

 

Il fait froid. Vraiment froid. Cette fois, c'est l''hiver. L'hiver est là. Bien là. 10 janvier 2012. Fin de mes quatre mois chinois. Me reste une petite heure avant de partir pour l'aéroport. Le campus est désert. Les étudiants sont repartis chez eux pour les vacances de fin de premier semestre. Aussi pour préparer, en famille, les fêtes du nouvel an chinois. Personne ne m'a invité. Je pars. Mais, en fait, pour la fête, je serais bien resté. Pour vivre ça. Vivre ça de l'intérieur. Ce sera pour une autre fois.

Lieu de prises de vues négligé pendant quatre mois: le supermarché. Deux étages de petits commerces à proximité du bâtiment des Relations Internationales. Bâtiment où je résidais. Dans un appartement plutôt vétuste. Peuplé de cafards gros comme le pouce. De lézards bizarres qui faisaient leur sieste vespérale dans les doubles rideaux. De rongeurs insomniaques qui festoyaient chaque nuit dans la cuisine. Cohabitation surréaliste. Obligation de fermeture quotidienne de toutes les portes pour ne pas s'endormir dans le monde des cloportes.

Dans les boutiques du supermarket, Professeurs et étudiants se croisent à longueur de semaine. Dans une bonne humeur indifférente. On y trouve de tout. De l'alimentaire, du culinaire, de l'épicerie, du thé, du café, de la bière, du numérique. Des salons de coiffure. Des manucures. De la lingerie fine. Le style des photos des femmes occidentales sur les pubs tranche avec le côté très pudique et réservé des Chinoises.

Depuis que je suis là, depuis quatre mois, il y a des dizaines d'images que j'ai volontairement laissé filer. Que je n'ai pas pris le temps de prendre. Aujourd'hui, je prends conscience, cruellement, que c'est dommage. Bien dommage. Y-a-t-il quelque chose à gagner quand on a une heure à perdre ? Je me dis que oui. Je veux croire que oui.

Seule présence humaine dans ce campus désormais silencieux: celle du gardien. Un paysan sans terres et sans travail, embauché, à la ville, comme beaucoup de campagnards, dans la sécurité. Toujours en mouvement, d'un étage à l'autre, il fait son métier: il marche. Il va. Il vient. Pour qui ? Pour quoi ? Vers où ? Je l'ignore. Ou je fais semblant. J'ai tort.    

Le gardien, dans son manteau de militaire, arpente à grand pas les allées du supermarket. Je ne connais pas son itinéraire. Il improvise, je crois. Je décide de me poster juste en face de l'allée principale. La photo de cette belle femme dénuée, à droite, dans le cadre, puisqu'elle regarde sur la gauche.

Il a surgi brusquement. A débouché de je ne sais où ? S'est avancé à grands pas. Je savais que je n'avais pas le temps d'appuyer deux fois sur le déclencheur. Je ne pourrais prendre qu'une photo. Une seule. Sans me faire prendre. J'ai profité de ce coup d'oeil qu'il donne sur la gauche. J'ai cadré au jugé. Avantage du 35mm. J'ai appuyé. J'avais ma photo. Les bras dans les manches, à la manière d'un capucin en kaki: bras gauche dans la manche droite, bras droit dans la manche gauche, ont accentué l'insolite de l'image. 

Ce fut ma dernière photo sur le campus de l'Université Normale du Sichuan, à Chengdu. J'hésite toujours à lui donner un titre. Paradoxe. Contraste. Contradiction. Mimétisme. Mimétisme au pays du Communisme.

Comment dire en mots l'essence de la photo ? Je me dis que la photo suffit. Que ce qu'elle exprime, ou désigne, n'a pas besoin d'être nommé. Mais simplement montré.

C'est juste une photo.

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26 juillet 2012 4 26 /07 /juillet /2012 22:12

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© Jean-Louis Crimon                              Chengdu. Chenglong. Nouveau Campus. Dernier cours. 

 

 

 

 

C'est début janvier. Le jour du dernier cours. Chenglong, nouveau campus. Etudiants de troisième et quatrième année. Je ne voulais pas les quitter d'une façon banale. D'une manière trop classique. Style : Je vous salue. Je vous tire ma révérence. C'était mon dernier cours. Bonne chance dans vos études. Bonne route dans la vie ! Je voulais leur faire une surprise. Leur offrir un cadeau. Je voulais les surprendre. Les étonner vraiment. La règle était qu'en cours nous ne parlions que français. Pas de mandarin. Pas de sichuanais. Pas d'anglais.

Cette fois, je tenais à déroger à la règle. Pas de doute, je voulais parler chinois. Cette fois, -la seule sans doute-  Laosheu s'exprimerait en chinois. Je m'étais entraîné. Dans le plus grand secret. En décembre, à plusieurs reprises, prétextant quelques cours particuliers, Shuang, mon étudiante de 1ère année, m'avait fait travailler un poème. Mon poème. Un texte très court. Un poème de Li Baï. Li Baï, poète du huitième siècle. Je m'étais inventé une phonétique rudimentaire, mais assez efficace. Shuang ne trouvait pas ça très académique. Moi, je trouvais ça très bien. J'avais appris mon Li Baï par coeur. Le résultat était étonnant. Je l'avais même testé, un soir, dans un restaurant, en ville. Un soir où je dînais seul. Un vrai triomphe. En salle, comme en cuisine, on avait goûté le moment. C'était concluant.

A la prononciation, Shuang me l'assurait, ça rendait très bien. J'avais juste à bien rythmer le texte. A surtout prendre le temps de respirer les mots. Les vers. A penser à ce que je disais. Même si je ne comprenais pas vraiment le mot à mot de mon texte. Fallait juste bien ressentir l'âme de Li Baï. Bien exprimer l'esprit du poème. 

 

T'chuan t'siène ming yuhé gouan'

I sheu di shan' shuang,

D'ju' tao wan' ming yuhé,

Di tao sseu kou shiang.

 

C'était en janvier. En janvier de cette année. C'est juillet désormais. Janvier a disparu à tout jamais dans le fleuve du temps. Pourquoi je repense à Li Baï ? A mes étudiants Chinois de Chengdu ? A la veille du mois d'août ? Janvier, je sais, ça fait un bail. Peut-être parce que je n'ai pas de nouvelles d'eux. Je n'en ai pas donné non plus. Li Baï, le poète que tous les enfants découvrent dès l'école primaire. Au-delà des siècles, Li Baï, mon frère. De mémoire, je refais la traduction. Sans être bien sûr du mot à mot du rythme des vers:    

 

Lumière blafarde près de mon lit,

Le parquet a couleur de gelée blanche, 

Je lève la tête, contemple la lune,

Je baisse la tête, pense à mon village natal

 

C'était beau de les voir, mes étudiants, recevoir mes mots chinois. Ce n'était pas parfait. Mais leurs sourires, leurs rires, et leurs applaudissements, c'était beau à voir. Si beau à voir. Beau à vivre. Tellement beau à vivre. De cet instant-là, j'aurais aimé... faire un livre. Un roman. Un roman dont le titre pourrait être... Du côté de chez Shuang.

 

© Jean-Louis Crimon

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25 juillet 2012 3 25 /07 /juillet /2012 21:30

 

Mario n'est pas venu reprendre possession de son bien, comme promis, en début d'après-midi. L'ai attendu en vain. Après-midi plutôt calme. Neuf euros de recette. Deux livres vendus. Zéro pour mon voisin. Y'a des jours comme ça. Dans le milieu, ça se dit, fin juillet ou pas, mercredi est un mauvais jour. Souvent un jour creux.

Repris avec Julien, pour passer le temps, notre conversation de la semaine dernière. Ecrire ou pas. Ecrire ou ne pas écrire. Publier ou ne pas publier. Marrant de voir nos points communs et nos divergences redoutables. Mario s'est pointé vers 19 heures. Juste au moment de la fermeture des boîtes. Julien a dit : J'l'aurais parié. Va encore te laisser ses bagages en consigne. Mario est arrivé en trottinant par Montebello et le début de la Tournelle. Eclatant de rire bien avant d'être à notre hauteur. Faisant tournoyer sa béquille dans l'air comme s'il moulinait de son épée avant de transpercer l'ennemi. Vrai Sancho Pança d'un Don Quichotte qui battrait le bitume. Pour mettre en déroute les moulins à vents automobiles.

- Offre l'hospitalité à mes sacs encore une nuit. Demain, promis, à deux heures et demi, j'te débarasse ! 

- T'as intérêt, Mario, ou j'te fais banquer les arriérés de loyer ! Simple : si t'es pas là, confiscation de la marchandise !

- Tu f'rais pas ça, toi !

- Bien sûr que non, Mario ! Dans mes boîtes, y'aura toujours une petite place pour toi !

 

J'ai dit oui à Mario. Pour une nouvelle nuit. Sans doute pour une nouvelle journée aussi. 

En guise de remerciement, m'a balancé un joli paquet cadeau de mots bien ficelés. Des mots bien à lui. M'a dit, tout à trac : "Moi, j'suis un démuni de la vie, j'ai même pas la santé ! Des gars comme nous, c'est grâce à des humains comme toi, qu'on meurt pas !"

Touché plein coeur. 

L'est reparti, Mario, claudiquant de la béquille. Tout heureux du nouveau contrat. Comme si ce sursis d'une nuit le maintenait en vie. Au moins jusqu'à demain. Demain midi. Toujours ça de pris.

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24 juillet 2012 2 24 /07 /juillet /2012 18:09

 

Belle journée d'été. Beau ciel bleu. Trente degrés à Paris. Longtemps qu'on n'avait pas vu ça. On en avait assez de toutes ces semaines de pluie. Paris au soleil, c'est plus joli. Plus agréable aussi. Pour les coeurs et les corps. Cette fois, Paris plage mérite son sable et son budget impensable.

Julien, lui, est un peu chagrin. N'aime pas la chaleur, mon voisin. Ah, faut se mettre à l'ombre aujourd'hui et pas trop bouger ! Combien y z'ont dit30 degrés ! ça va chauffer !

Mario, un de ceux qui arpentent le quai, hiver comme été, d'énormes sacs de livres au bout de chaque bras, laisse tomber son fardeau à nos pieds. Allez-y, j'fais des prix ! Trop lourd pour aujourd'hui. Veux pas traîner ça avec moi jusqu'à ce soir.

Nul ne sait où Mario s'en va chiner ses bouquins. Personne ne sait d'ailleurs vraiment qui il est ? D'où il vient ? Deux ans qu'on se connaît. Sans se connaître vraiment. Me pose pas de questions, m'a-t-il prévenu, dès le début. L'a un côté Slave, Mario. Ukrainien. Ou Russe. Ou Grec. Une barbe de pâtre Grec. Mario vend ses Poches un euro. Le tout venant à deux euros. Une biographie d'Arafat, trois euros. L'Aiguille creuse, de Maurice Leblanc, Gallimard/1000 Soleils, quatre euros. Dans ses sacs, pour qui veut bien se donner la peine de fouiner un peu, on peut parfois trouver des titres ou des auteurs intéressants. Des livres peu courants, sinon des raretés. Eloge de la fuite, Henri Laborit. Les fiancés de Pénélope, de Mikis Théodorakis, chez Grasset. 1975. Préface de François Mitterrand. Un 10/18 recherché, selon lui, Morituri te salutant. César, ceux qui vont mourir te saluent. Mario a bien failli mourir en janvier dernier, tout seul sur un banc. AVC. Pas Ave César ! AVC. Accident Vasculaire Cérébral. Bras droit complétement paralysé. Incapable de retirer le bras, son bras, de la manche de son manteau. Pouvait plus se lever. Pouvait plus marcher. Hospitalisé aux urgences. Hôtel-Dieu. Puis Cochin.

Plusieurs semaines sans pouvoir travailler. Se déplace désormais avec une béquille. Elle est où ma béquille ? dit-il en riant. Mario s'en saisit et s'en va vers Saint-Michel.

 

- Tu vas chez Boulinier ?

- Non, moi, j'vends rien chez Boulinier ! 3 centimes le bouquin, t'es fou ! J'préfère les jeter dans la Seine !

- Julien, t'achètes rien à Mario ? y'a un bouquin sur un chanteur inconnu.

- Non, j'achète plus. Trop acheté ces temps-ci. Acheter, c'est bien, mais faut vendre aussi.

 

Dialogues du petit peuple du quai. Libraires de plein air et courtiers. Sous le chaud soleil de juillet. Colporteurs des petits bonheurs de lecture. A chacun son aventure. Ou sa mésaventure. Cette fois, Mario s'en va. Bras légers. Béquille alerte. M'a demandé d'héberger ses sacs pour la nuit. Pas pu lui refuser.

 

A la fin, Julien, toujours déroutant, finit par lâcher : J'aimerais que l'ombre revienne sur le banc.

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23 juillet 2012 1 23 /07 /juillet /2012 10:58

 

Plusieurs jours, plusieurs semaines peut-être, que je prends plaisir à retrouver, à la radio, chaque matin, l'auteur génial de Fenêtres. Peu avant dix heures, c'est un vrai délice que la voix de J.-B. Pontalis. Coauteur du célèbre Vocabulaire de la psychanalyse. Ce matin, l'homme racontait ses débuts à la radio. "N'en déplaise à l'heure matinale, Tango nocturne ! " Il était "speaker" et annonceur des programmes musicaux de la radio d'après-guerre. Mais l'impertinence du speaker matinal a fortement déplu. Ce fut, ce matin-là, la fin de la carrière radiophonique de Jean-Bertrand Pontalis. Celui qui ne savait pas encore qu'il écrirait un jour Fenêtres venait de décider de prendre la porte.

Du coup, passé le flash de dix heures, je me suis mis en quête de retrouver mon exemplaire de Fenêtres. Un petit Gallimard d'à peine 200 pages. Un modèle de textes courts. Classé je ne sais où dans cet appartement de 45 m2 transformé en véritable boîte de bouquiniste. Où même le lit semble un bateau en perdition au milieu d'un océan de livres. Par chance, j'ai parié pour le bon endroit. La bonne étagère. Le bon rayon. Entre L'Engrenage de Sartre (Nagel, 1948, Ex. N° 495/500) et Hygiène des Lettres d'Etiemble, j'ai trouvé Pontalis. Pontalis qui a été l'élève de Sartre. 

 

La fenêtre, page 15 et 16, est un amour de texte. Je le relis pour vous. Je le relis avec vous.

 

"Mon fauteuil d'analyste près de la fenêtre : feuillage de l'arbre, chant des oiseaux. La table où j'écris: toujours au bord d'une fenêtre; dans la maison de l'été, elle s'ouvre sur la lande, un petit bois et au loin de la mer. Il arrive qu'une hirondelle vive et affolée me fasse une visite et volette un moment dans la pièce.

 Contraste avec l'apppartement de mon enfance : la fenêtre, face à mon bureau d'écolier, donnait sur le mur d'un garage désaffecté.

 En avion, obtenir le siège près du hublot; dans le train, le coin fenêtre. Regret que dans les trains d'aujourd'hui, il ne soit plus possible de rabattre les grandes fenêtres du couloir longeant les compartiments, de se pencher malgré l'interdiction en trois langues, quitte à attraper des escarbilles.

Détestables, ces chambres d'hôtel climatisées avec leurs vitres inamovibles. Plaisir de rouler en voiture décapotée sur de petites routes de campagne. Là, pas d'enfermement dans l' "habitacle", mais l'air libre, le vent, quelques gouttes de pluie, je suis dehors et dedans, dans un champ et sur mon siège.

Les fenêtres des peintres : Vermeer, Friedrich, Bonnard - surtout Bonnard. Des femmes à la fenêtre, le regard tourné vers le jardin tout proche ou vers les lointains, le ciel, l'invisible, à moins que ce ne soit sur le vide. Des représentations d'hommes à la fenêtre, sans doute y en a-t-il, je ne m'en souviens pas, ou alors ils tiennent sur un balcon d'où ils peuvent surplomber la ville. Les hommes ignoreraient-ils le désir d'autre chose ?

Je pourrais retracer les étapes de ma vie comme une succession de fenêtres qui s'ouvrent : les sorties hors de notre quartier et loin de la famille avec les camarades, l'apprentissage des langues étrangères, la classe de philosophie, mes premiers voyages hors frontières, mes amours (pas toutes...), mes lectures et relectures, mon analyse sur le divan, mes analyses dans le fauteuil.

Paradoxe : j'insiste pour que les portes, elles, soient fermées : chaque pièce doit avoir son usage propre, bien délimité.

Ma "topique" subjective est à la fois celle des fenêtres ouvertes et de la chambre à soi."

 

Fenêtre. Feu naître. Là où le feu va naître. Fenêtre. Ou bien Feu... naître. Mort né. Mort pour naître. Naître pour mourir. Mourir pour naître. Naître à nouveau. Etre mort pour naître encore. Meurt le jour devant la nuit. Pour renaître jour dès le lendemain matin. Quand la nuit s'efface. Fenêtres. Beau titre. Beau livre. Belles ouvertures.

 

Fenêtres qui me donnent envie, soudain, de me remémorer toutes les fenêtres de ma vie. A commencer par la première dont je me souvienne vraiment. Ma première fenêtre : la fenêtre de la chambre de la maison de Contay. Celle qui prenait si bien le gel, l'hiver, et qui dessinait d'incroyables fougères sur la vitre glacée. Il n'y avait pas de chauffage dans la chambre où nous dormions, nous les enfants. Moi, je trouvais ça superbe. Je relevais le vieux pardessus allemand qui me servait de couette pour aller du bout de l'index redessiner, la nuit de pleine lune, les fleurs de glace. Fenêtre disjointe où le vent du nord sifflait d'incroyables nocturnes. Fenêtre bancale où le vieux hibou adorait faire escale. Fenêtre que ma mère détestait. Parce que les nuits de tempête, elle s'ouvrait souvent toute seule. Qu'il fallait se lever, en pleine nuit, pour la refermer. Une nuit de colère noire, ma mère s'était exclamée:"Maudite fenêtre, je vais te jeter par la fenêtre !"

J'avais 7 ans et j'avais trouvé ça superbe.

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 20:42

 

J'attends l'acheteur du soir, celui qui redonne espoir... Refrain du quai de la Tournelle. Ritournelle en forme de refrain. Bouquiniste qui ronge son frein. Parfois, ça marche. Parfois, ça freine. Souvent, ça ne donne rien. Cinq heures, cinq plombes, sous le soleil qui plombe. Pour rien. Tant pis, c'est rien. Zéro cet après-midi. Zéro ce soir. Journée blanche. Euro rime avec zéro. Juste pris l'air. Surtout du soleil. Du vent et de la poussière. Mais pas d'acheteurs.

Des passants, ça oui. Des acheteurs, non. Des passants, oui. Des dizaines et des cents. Des passantes au bras des passants. Des enfants. Des enfants qui tiennent la main des passantes. Des parents. Des enfants. Des passants. Des parents dépassés. Des familles. Des familles en pagaille. Des familles en chamaille. Des chamailles. Des disputes. Des engueulades. Des reproches entre proches.

Des livres, t'en a déjà. Tu les as même pas lus. Sert à rien d'en avoir plus. Lis d'abord ceux qu' t'as. Je t'en achèterai pas d'autres avant.

Oui, ça, madame, c'est de la parole de parents. Mais ça fait pas nos affaires ! Pas davantage de futurs lecteurs. Un livre, ça se termine pas comme une assiette.

 

- Encore un livre sur Paris ! Mais t'en a déjà trois ! 

- Maman, oui, mais c'est pas pareil dans celui-là !

- Non, c'est non ! Quand je dis non, c'est non !

- Pas juste, c'est de la triche !

 

La gamine pleurniche. Prétend que son frère, lui, à quatre livres sur Versailles. Que son père en a cinq sur Louis XVI. La mère lui retourne une torgnole. Tous à la bagnole. Les parents en ont plein le dos. La dispute familiale finira chez Mac Do. Le père, fan de Louis XVI, vient de trancher. Le couperet est tombé. Faut savoir vivre. Le père, plutôt du côté du rouge que des rouges. Style Un bon rouquin, c'est mieux qu'un bouquin.

L'après-midi traine en longueur. On chasse la blague du blagueur. Puis vient le moment où le Bonjour cède la place au Bonsoir. La mémère à chienchien donne de la voix. Le caniche s'en fiche. Il entortille sa laisse autour du platane. La mémère à la niche.

Pas d'acheteur du soir, ce soir. L'acheteur du soir, l'Arlèsienne du bouquiniste. Le mirage qui fait le plein d'ouvrages. Celui qui débarque à l'improviste et sauve une journée en faisant main basse sur des ouvrages à 20 euros. Qui paie cash. Sans marchander. 

 

Ma voisine commence à fermer ses boîtes. Mon voisin fait de même. Je vais en faire autant. Bientôt huit heures. Huit heures du soir. Ne viendra pas ce soir, l'acheteur du soir. J'attends l'acheteur du soir, plus d'espoir pour ce soir, viendra même pas s'asseoir, va, - sûr -, nous décevoir...

 

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21 juillet 2012 6 21 /07 /juillet /2012 22:21
Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai de la Tournelle. Février 2012. © Jean-Louis Crimon

 

Début d'après-midi paisible sur le quai. Julien, mon voisin, a soudain des accents de poète. "Tiens, le platane fait sa mue", s'exclame-t-il, en ramassant un joli morceau d'écorce brune. Un courtier, le caddie débordant de livres d'occase, s'arrête à notre hauteur. Discussion sur le banc avec le courtier à propos d'Utrillo et de la photographie.

Le courtier: j'adore Utrillo mais, c'est vrai, il peignait ses tableaux d'après cartes postales.

Mon voisin: La neige à Montmartre, bof... c'est facile !

Le courtier: La photo, c'est la lumière.

Mon voisin: ça dépend ce qu'on prend.

Le courtier: Non, la photo, c'est la lumière et c'est le sujet.

Moi: La photo, c'est le regard, l'oeil, le coup d'oeil de celui qui regarde !

Mon voisin: Doisneau organisait ses photos. Le Baiser de l'Hôtel de Ville, par exemple, c'est de la mise en scène ! On le sait depuis peu, mais on le sait.

Moi: Doisneau, ce n'est pas seulement Le Baiser de l'Hôtel de Ville...

Mon voisin: Oui, mais, ça montre sa manière de fabriquer ses images...

Le courtier: cherchez pas, la photo, tout est dans le sujet !

 

Une passante en voile bleu et blanc s'arrête à ma hauteur. Je me lève. Je quitte le banc des certitudes temporelles. Le banc des convaincus. Des convictions terrestres. Des banalités sur l'art. Ensemble, la dame en bleu et moi, on fait quelques pas en direction de mes boîtes. Ma petite librairie de plein air...

 

- Monsieur, est-ce que vous connaissez le goût du péché ?

- Pardon, ma soeur, mais on pourrait nous entendre...

- Oui, et alors, je vous demande si vous connaissez le goût du péché ?

- J'entends bien, ma soeur, mais... c'est une invite ?

- Une invitation à la lecture, monsieur, pas à la luxure !

- Notez, St-Nicolas n'est pas loin, nous pourrons très vite aller nous confesser...

- Monsieur, voyons, je vous parle du livre !

- Quel livre, ma soeur ?

- Le Goût du péché. Editions Julliard, 1954. 

- Je ne connais pas !

- Comment, vous ne connaissez pas Le Goût du péché ? Maurice Boissais. Prix Interallié.

- Non, ma soeur, je ne connais pas. Ni l'auteur, ni le titre.

- Enfin, comment un bouquiniste des quais peut-il ne pas connaître Le Goût du péché ?

- Ma soeur, cessez de me tourmenter ! Quand vous dîtes Le Goût du péché, le livre, je comprends "le goût du péché", la chose...

- Bon, vous ne le connaissez pas et vous ne l'avez pas ! Diable... un bouquiniste qui ne connaît pas Le Goût du péché...

- Mon Dieu, ma soeur, vous avez dit "Diable" ! 

- Mais, Monsieur le bouquiniste, vous avez le diable au corps !

- Ah oui, ma soeur, j'ai Le Diable au corps...

- Hors de mon chemin, monsieur...

- Ma soeur, voyons, Le Diable au corps, le livre. Le roman de Raymond Radiguet.

 

C'était une religieuse peu commune. Elle voulait Le Goût du péché, je ne l'avais pas. Je lui ai vendu Le Diable au corps. Elle ne connaissait pas. Dieu, que le métier de bouquiniste est un métier curieux.

 

© Jean-Louis Crimon

 

 

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20 juillet 2012 5 20 /07 /juillet /2012 21:18

 

Il y a des livres pour la pluie. Des livres de ciel gris. Des livres pour la mélancolie. Des livres pour le coeur en automne. Il y a de bons livres d'hiver. Il y a des livres de printemps. Mais je ne suis pas sûr qu'il y ait des livres pour l'été. L'été, ce n'est pas fait pour lire. Ou alors le temps d'une matinée grise. Ou bien pour adoucir un soir d'orage. L'été, lire à la plage, je n'ai jamais su. Je n'ai jamais pu. A la rigueur, lire à la montagne. Je me souviens avoir lu Ainsi parlait Zarathoustra à La Chapelle-en-Valgaudemar. Nietzsche à la montagne, ça se comprend, ça s'impose. Nietzsche à la plage, non, je ne pourrais pas. Je ne pourrais jamais. Pas dans une ville de bord de mer. Ou à l'ombre des platanes, quand la fraîcheur du soir invite à s'asseoir.

Je m'étais empêtré dans mes certitudes quand la lectrice du vendredi est arrivée. Elle partait à Cannes. Pour une dizaine de jours. Elle voulait trois livres. Elle exigeait que je lui choisisse trois livres. Pas en fonction de ses goûts, mais en fonction de mon humeur, ou de mon humour, du moment. Comme d'habitude, elle était pressée. Très pressée. Très vite, j'ai trouvé les trois livres souhaités. Clair de femme de Romain Gary, L'homme de minuit de Francis Carco et Meuse l'oubli de Philippe Claudel.

Pour rire, je lui lance: je vous souhaite un peu d'ombre. Elle sourit, en faisant non de la tête. Avant de me gratifier, d'une voix claire et forte, d'un superbe octosyllabe:

Lire au soleil, c'est pas pareil.

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