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25 février 2016 4 25 /02 /février /2016 00:01
Paris. Marie. Sept. 2009. © Jean-Louis Crimon

Paris. Marie. Sept. 2009. © Jean-Louis Crimon

Cher poète à deux rimes,

 

Quand tu déprimes et que tu penses que tu n'arriveras jamais à écrire le dixième de ce que tu voudrais dire, quand tu te rappelles que ta première idée de roman, c'était Le livre impossible, et qu'au fond, ton livre est plus impossible que jamais, quand tu te dis que les mots du silence feraient bien de cesser de faire abstinence, tu relis tes cahiers de poèmes jamais publiés, de paroles de chansons jamais mises en musique, et tu essaies de te redonner le moral comme ça, en fredonnnant...  

Mots glanés si près du Pont Mirabeau que tu crois dur comme fer qu' ils t'ont été soufflés par Apollinaire...

Alors ta Chanson pour Marie, tu en es presque fier et tu la trouves jolie...

 

 

Marie a les yeux clairs

Si clairs, si bleus,

Que l'on s'y perd

Un peu...

 

Marie a les yeux clairs

Si clairs, si bleus,

Que ça éclaire

Au fond des yeux...

 

Marie plisse des paupières,

Morbleu

Ce que le soleil lui fait faire

Trop mal aux yeux...

 

Dans les yeux de Marie

Pardon, Pardi,

On voit des lumières

Qui vont par deux...

 

Les yeux dans la bière,

Je bois le bleu

Des yeux clairs

De Marie...

 

Marie plutôt fière

Du bleu

De ses yeux clairs,

Si clairs, si bleus...

 

Marie qui aurait pu,

Mais oui, mais non, 

Porter pour prénom

Marie-Claire...

 

Sans en avoir l'air,

Le jour se fait soir,

Changement de lumière,

Le ciel s'en va s'asseoir...

 

Une dernière bière

Marie ne dit pas non

C'est sans manière

C'est sans façon...

 

Lorsque le bleu nuit

Soudain s'ennuie,

Le regard de Marie

Soudain s'éclaire...

 

Et l'on voit, parbleu,

Tout Paris et ses lumières,

Dans les yeux de Marie,

Et sa bière à l'envers...

 

Jolie frimousse,

Porcelaine de Sèvres,

Ses lèvres dans la mousse

D'un verre de bière...

 

Et moi, je bois,

De mes yeux verts, 

Le bleu des yeux

De Marie...

 

Je lui offre ces vers,

Qui sont aussi,

Vers

A... demi.

 

 

Jean-Louis Crimon. La chanson amère. 2006-2010.

 

 

 

 

 

 

 

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24 février 2016 3 24 /02 /février /2016 00:01
Paris. L'œil de l'arbre. 22 juin 2014. © Jean-Louis Crimon

Paris. L'œil de l'arbre. 22 juin 2014. © Jean-Louis Crimon

Cher plumitif qui te crois romancier,

 

- Trois ans que tu n'as rien écrit !

La remarque dépasse l'ordre du constat. Le ton surtout souligne une certaine déception. Avec, à l'intérieur, comme un soupçon de reproche. Tu as dû répondre : Trois ans que je n'ai rien... publié ! En décomposant bien les trois syllabes du dernier mot : pu...bli...ié.

Ton éditeur a souri. De ce sourire qu'il a quand il ne te croit pas. Tu as aligné les titres et les genres: Femme fatale, nouvelles, Journal du Bouquiniste, Chroniques, Voix en impasse, poèmes, et Crimages, livre de photographies. Cris + Images = Crimages. Tes photos sont des cris. Cris d'amour. Cris d'humour. Cris de joie. Cris de peur. Cris de détresse. Cris de tendresse...

 

- Tu me montres ça quand ?

- Dès demain, si tu veux !

 

Ton éditeur s'est fait silencieux. A fait tourner longuement sa cuillère dans la tasse. Rituel matinal du café en terrasse. 

Ensuite vous avez parlé "photo". Le fait que, ces dernières années, tu te sois remis à la photographie, l'intrigue. Ton éditeur pense que les photos ne sont pas compatibles avec les mots.

Il a peut-être raison, mais tu n'es pas d'accord avec lui. Du reste, vous êtes rarement d'accord. En fait, vous êtes d'accord sur l'essentiel, mais vous vous accrochez souvent sur des questions de détails. Enfin, détails, pour lui. Pour toi, ce sont des choses fondamentales. Des questions de sons, de musique. Toi, tu écris avec la voix. Flaubert avait bien son "gueuloir". Dans la phrase, dans "ta" phrase, c'est la voix qui crée le rythme, la petite musique de l'auteur. Ecrire, pour toi, dès le départ, c'est d'abord une mise en voix.

 

Dans ton troisième roman, Oublie pas 36, publié en 2006, ton éditeur avait pris la liberté de modifier une de tes phrases. Sans même t'en informer. Tu ne t'en es rendu compte qu'une fois le livre imprimé. Tu ne lui en as jamais parlé, mais ça t'a fortement déplu. La phrase était devenue: Au loin, la Suède dans une brume bleutée.

Ta phrase à toi, c'était: Au loin, la Suède, dans une belle brume bleue.

 

Tu n'aimes pas la sonorité en "tée" du mot "bleutée", ça ponctue bizzarement. Surtout, ça tue la mélodie de la chanson de ta douce et belle allitération "belle brume bleue". Casse aussi la rime avec la phrase qui suit : Je suis à la fois triste et heureux.

 

- Pour la photo, tu le sais, ton éditeur est très sceptique sur la valeur de tes images. Dommage. tu as reçu, il y a peu, de la part d'un grand photographe, le plus beau des compliments. Après avoir longuement regardé ton travail, il t'a dit : toi, tu écris avec les yeux.

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23 février 2016 2 23 /02 /février /2016 00:01
« Saison d'octobre » ou « La récolte de pommes de terre », 1879.  © Jules Bastien-Lepage

« Saison d'octobre » ou « La récolte de pommes de terre », 1879. © Jules Bastien-Lepage

Cher petit paysan,

 

Tu ne sais pas si c'est l'âge, le fait de vieillir, ou si c'est le fait de grandir en âge, - pour ceux qui, comme toi, n'aiment pas le verbe vieillir-, mais ces temps-ci te reviennent souvent des images, des idées, des mots, des paroles et des phrases, des bruits et des sons de ton enfance. Des odeurs aussi. L'odeur des pommes de terre grillées dans la vieille cocotte en fonte. Un mets de prince pour toi. Pommes de terre coupées en petits dés et cuites en douceur avec des petits lardons. Plat unique pour famille pauvre. Non, modeste, rectifie ta mère qui a toujours le sens de la nuance. 

 

Tu te souviens de ces douze poèmes écrits à la gloire du camarade tubercule ? celui sans qui ton assiette serait restée perpétuellement muette ! Indispensable éloge de la pomme de terre ! 

Tu as égaré ton cahier de brouillon mais tu les connais par coeur ces petits poèmes en prose ou en rimes. Tiens, - va savoir pourquoi ? - le premier qui te vient à l'esprit, c'est celui-là:    

 

 " Cuites sous la cendre, elles ont une saveur particulière, un goût indéfinissable, inégalable, elles sont un cadeau plus qu'un repas. Proust ne m'en voudra pas, cette pomme de terre toute chaude que mon père me glisse dans la main, avec sa croûte brune pareille à une croûte de pain qui aurait cuit dans le centre du ventre de la Terre, cette pomme de terre-là, avec son croquant, sa chair tendre, son goût sucré-cendré, c'est ma petite madeleine à moi, c'est un petit bonheur tout chaud à n'avoir pas peur de l'hiver et notre jardin, le paradis sur Terre. " 

 

12 poèmes inédits. Pourtant pas sans titre. Le titre est beau. Beau titre vraiment. Superbe titre. S'est imposé dès le début. Titre lumineux. Titre limpide. Un titre à faire des envieux.

Le titre, c'est: Poèmes de terre.

 

 

 

 

 

 

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22 février 2016 1 22 /02 /février /2016 00:01
Pékin. Dimanche 14 Octobre 2013. © Jean-Louis Crimon

Pékin. Dimanche 14 Octobre 2013. © Jean-Louis Crimon

Cher toi Pékinois,

L'humour, toujours l'humour. Même si l'humour, en photographie, tu t'en méfies. Humour ne doit pas être moquerie. Plutôt défi. Défi à l'ordre établi, aux bonnes manières, aux habitudes ou autres coutumes. Aux clichés trop courus.

Un balayeur chinois fait sa sieste planqué dans le placard à balais.

Va durer longtemps la sieste du balayeur en question ?

Simple, la réponse est dans la photo.

Parfaitement.

Heure de fin de sieste dans la position des pieds du balayeur. 10 heures 10 tout à l'heure, et désormais 15 heures 15. Ce n'est plus une sieste, c'est une nuit. Mais qui va lui en vouloir ?

Le métier est épuisant. Faut toujours être debout, en marche, en mouvement. Marcher à longueur de journée. Des dizaines de kimomètres à parcourir.

Juste en sourire. Le sourire n'est pas forcément un sous rire. La sieste, pour le balayeur ? sans doute le meilleur moyen de balayer sa fatigue.

Tout de même pas toi qui va te mettre à... chinoiser !

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21 février 2016 7 21 /02 /février /2016 00:03
Amiens. Février 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Février 2016. © Jean-Louis Crimon

Cher Européen désespéré,

Il y a des soirs où tu te dis qu'il est urgent de dire JE. Tu relis ton poème à Tsipras, écrit à haute voix, en juillet dernier. Dire JE et dire NOUS. Dire JE pour pouvoir dire NOUS. Pour ne pas vivre à GENOUX. Je, nous, plus forts et surtout plus dignes que genoux. Pour ne pas fléchir. Pour ne pas finir en genoux flexion. Génuflexion.

D'abord, le relire en grec, traduit par Loukia Tzannides.

 

 

Voici ma traduction en grec du remarquable texte de Jean-Louis Crimon Το « Πιστεύω » της Εσπέρας και της Ελπίδας Του Jean-Louis Crimon Μετάφραση από τα Γαλλικά : Loukia Tzannides Πιστεύω στην ΕΕ αλλά όχι τούτη εδώ, για το Θεό! Όχι σ’ αυτή των Τραπεζιτών και των Χρηματιστών Όχι σ’αυτών που σκάψαν το χρέος όπως σκάβεις ένα λάκκο, ένα τάφο για να ταφείς ζωντανός. Πιστεύω στην Ευρώπη των ποιητών και των φιλοσόφων Αυτήν του Σωκράτη, τη δημοκράτισσα, Αυτήν του Χέγκελ, τη θαρραλέα, Του Χέγκελ που φυτεύει ένα δέντρο Τη Γαλλική επανάσταση να χαιρετίσει Άνγκελα Μέρκελ, πανάθεμά σε, άνοιξε διάπλατα μάτια κι αυτιά! Δεν πιστεύω στο ΔΝΤ το παντοδύναμο Το νεκροθάφτη των λαών Και των ελεύθερων ανεξάρτητων κρατών. Δεν πιστεύω στην ΕΚΤ Σύλληψη τρελών που συγχέουν τράπεζα και λημέρι κλεφτών. Δεν πιστεύω στους Αρχηγούς κρατών και κυβερνήσεων που παίζουν τους Πόντιους Πιλάτους Δεν πιστεύω στους σοφιστές εκείνους που μας παραπλανούν Με τις λέξεις ελευθερία και δημοκρατία Για να μας καταδικάσουν μια ώρα αρχύτερα στην Κόλαση. Τσίπρα, αδελφέ μου, σου ετοίμασαν το κώνειο Όμως μην υποκύψεις στον πειρασμό Πέταξέ τους στα μούτρα το δηλητήριο που για σένα προορίζουν Το λαό σου δολοφονούν Κι ο λαός σου έχει δίκιο! Πιστεύω στον κυρίαρχο λαό Στην ελευθερία του πολίτη Στο αναφαίρετο δικαίωμα του Όχι Στον Άγιο και Καθοδικό Θυμό Στη μετάληψη των νέων ιδεών Στην απάληψη των χρεών όπου δεν έχουμε ευθύνη προσωπική Στη θέση της παντοδυναμίας του τεφτεριού Πιστεύω στην Ισότητα, την Αδελφοσύνη και την κοινωνική Δικαιοσύνη Για τα υπόλοιπα, πιστεύω σε Σας, Σύντροφοί μου, Βαστάτε γερά! Κανένας δεν έχει το δικαίωμα να σας καταδικάσει να ζείτε γονατιστοί. Είναι αδιανόητο να σας εγκαταλείψουμε Δεν έχουμε δικαίωμα να γίνουμε συνένοχοι της προδοσίας που ετοιμάζεται...
Δεν έχουμε δικαίωμα να σωπάσουμε.
Απόψε είμαι ΈΛΛΗΝΑΣ στο νου και την καρδιά Και στην Τρόικα απευθύνω το:
EXIT.
 
 
 
 
 

 

 

 

 

Credo du soir, Espoir

 

Je crois en l'UE, mais pas en la vôtre, nom de Dieu,

Pas celle des Banquiers et des Financiers,

Pas celle de ceux qui nous ont creusé la dette,

Comme on creuse une tombe

Pour qu'on y tombe,

Et qu'on y crève !

 

 

Je crois en l'Europe, celle des poètes et des philosophes,

Celle de Socrate démocrate,

Celle de Hegel pas bégueule,

Hegel qui plante un arbre de la liberté pour saluer la Révolution française,

Angela Merkel, bordel, ouvre grand les yeux et les oreilles !

Je ne crois pas au FMI tout-puissant,

Fossoyeur des peuples et des Etats libres et indépendants,

Je ne crois pas en la BCE,

Conçue par des cintrés d'Esprit,

Qui confondent la Banque et la planque !

 

 

Je ne crois pas en ces Chefs d'Etat et de gouvernement qui jouent les Ponce Pilate,

Je ne crois pas en ces sophistes qui nous bercent de mots liberté et démocratie

Pour mieux nous condamner aux enfers,

Tsipras, mon frère, ta cigüe est prête, mais, de grâce,

Ne succombe pas à la tentation,

Jette leur à la face

Le poison qu'il te destine,

C'est ton Pays qu'on assassine

Et c'est ton peuple qui a raison !

 

 

Je crois au peuple souverain,

A la liberté du citoyen,

Au droit inaliénable de dire NON,

A la sainte colère cathodique,

A la communion des idées neuves,

A la rémission des dettes dont nous ne sommes pas individuellement responsables,

Je ne crois pas au pèze tout-puissant,

Je crois à l'Egalité, à la Fraternité et à la Justice sociale ici-bas,

 

 

Pour le reste, je crois en vous, mes camarades,

Et je vous demande de tenir bon,

Personne n'a le droit de vous condamner à vivre à genoux,

Il n'est pas pensable qu'on vous abandonne,

Nous n'avons pas le droit d'être complices

Du mauvais coup qui se prépare...

Pas le droit de nous taire,

Ce soir, dans ma tête, dans mon cœur,

je suis Grec,

Et c'est à la Troïka que je dis :

EXIT !

 

Jean-Louis Crimon.

12 Juillet 2015. 22 h 49.

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20 février 2016 6 20 /02 /février /2016 00:01
Amiens. Rue Lenôtre. Février 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Rue Lenôtre. Février 2016. © Jean-Louis Crimon

Toi qui aime les signes,

 

Tu t'amuses à lever les yeux vers le ciel pour y lire des prières païennes. Tu aimes quand on te dit : Toi, tu vois des choses que les autres ne voient pas. Tu te souviens du temps où on disait cheval de trait sans mépriser l'époque qui voyage en avion de ligne

Tu adores le ciel quand il prend des allures de grand tableau bleu où des boeings fantaisistes s'affrontent à grands coups de perpendiculaires et de parallèles. Mais tu ne négliges pas la légende romaine.

In hoc signo vinces, l'Empereur Constantin, dit "le Grand", converti au Christianisme, aurait lu ces quatre mots dans le ciel à la veille d'une bataille contre Maxence. En 312, Constantin gouverne la Gaule et la Grande-Bretagne et décide d'attaquer Maxence qui règne sur l'Italie et l'Afrique. Les armées de Constantin fondent sur Rome et écrasent les troupes de Maxence, d'abord à Turin, et ensuite dans les faubourgs de Rome, au Pont Milvius, où Maxence trouve la mort, noyé dans le Tibre.

Faut dire qu'en 310, Maxence s'était  fait proclamer empereur à Rome et que l'Empire comptait en ce début de 4ème siècle pas moins de 7 empereurs. Facile, six de trop.

La légende veut donc qu'avant cette bataille décisive, Constantin ait bénéficié d'une vision nocturne du monogramme du Christ, flamboyant dans les nues, accompagné des mots In hoc signo vinces. Par ce signe, tu vaincras.

Toi qui n'es ni Empereur romain, ni converti récemment au Christianisme, tu te contentes de dire, à la façon de celui qui parlait de grand horloger:

Le grand architecte révise sa géométrie céleste.

 

 

constantin le grand - constantinus

F

 

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19 février 2016 5 19 /02 /février /2016 00:01
Stig Dagerman. Stockholm. Suède.. © droits réservés

Stig Dagerman. Stockholm. Suède.. © droits réservés

Toi qui, sans le savoir, est un peu, beaucoup, Suédois,

...

Au départ, tu le sais bien, il y a ce Dagerman que tu n'as pas connu mais que tu reconnais comme un frère. Frère de mots et frère d'écriture. Frère humain, trop humain.

" Mon plus grand plaisir est de sentir que tout ce que je valais résidait dans ce que je crois avoir perdu : la capacité à créer de la beauté à partir de mon désespoir... "

Dagerman, nom propre formé de deux noms communs. Deux mots suédois. "Dager", qui signifie "jour" et "man", qui veut dire "homme". Deux noms communs pour donner naissance à un homme hors du commun. Dagerman, textuellement sans doute, "journalier". Journalier, non pas dans le sens moderne de "quotidien", mais plutôt "journalier", homme qui vend, de ferme en ferme, au jour le jour, sa force de travail. Journalier à une époque où chemineau désigne celui qui s'en va par les chemins. Dagerman peut signifier aussi "homme de jour", sinon "homme du jour", et pourquoi pas, poétiquement, en tout cas pour moi, "homme-jour" ?

Homme-jour tourmenté par les papillons de nuit, ces idées sombres et noires qui tournent autour de vous, comme ces coléoptères nocturnes que la lumière attire. Homme-jour, homme-lumière, Dagerman a l'écriture lumineuse. Il faut tout lire de lui, L'Enfant brûlé, Le Serpent, L'Ile des condamnés, Dieu rend visite à Newton, Ennuis de noce, Les Wagons rouges, Le Froid de la Saint-Jean, Notre plage nocturne. Il faut lire surtout, traduit du suédois par Philippe Bouquet et publié chez Actes Sud, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Texte court, écrit par Dagerman en 1952, à peine dix pages, texte dense empli de fulgurances, texte essentiel autant que le pourrait être une version scandinave d'Une saison en Enfer. A ceci près que pour Dagerman, c'est toute la vie qui est absurdité. L'Enfer n'y dure pas qu'une saison.

L'attaque, le premier paragraphe, de ce texte-testament, rédigé en moins de cent-cinquante mots, s'imprime, dans ma déprime, comme en écho au Mythe de Sisyphe de Camus, même si Camus concède, ou feint de concéder: "Il faut imaginer Sisyphe heureux". Camus-Dagerman, quelle belle rencontre cela aurait pu être ! Dagerman a -t-il lu Camus ? Camus a-t-il lu Dagerman ? Dagerman a-t-il entendu parler de Camus ? Se sont-ils un jour croisés, sans le savoir ou en le sachant ? J'aimerais savoir.

En attendant, tu relis:

"Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n'ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d'où je puisse attirer l'attention d'un dieu : on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l'athée. Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n'était pas, lui-aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible à rassasier."

Dagerman, l'homme-jour, qui écrit aussi, sept pages plus loin, ces mots qui sont, pour toi, la plus belle des professions de foi de celui qui ne croit pas: "Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels j'aurai le temps de donner le jour avant de mourir. Mais qui me demande de compter ? Le temps n'est pas l'étalon qui convient à la vie."

Un jour, l'homme-jour a choisi la nuit. Stig Dagerman s'est donné la mort. Un jour de l'année 1954. De ce jour-là aussi, notre besoin de consolation est impossible à rassasier.

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18 février 2016 4 18 /02 /février /2016 00:01
Contay. Cimetière. Mars 2009. © droits réservés

Contay. Cimetière. Mars 2009. © droits réservés

Cher mortel qui se croyait éternel,

...

Tu l'aimes ce cimetière ! Ton cimetière. Le cimetière de Contay. Somme. Picardie. Au milieu des prés et des champs. Cimetière paisible et champêtre. Joyeux. Même si ça peut surprendre un tel qualificatif pour un tel lieu. Avec ses faux airs de cimetière scandinave. Cimetière catholique aux accents protestants. Parfois, tu te promènes entre les tombes. Tu t'attardes pour dire un mot ou deux à ceux que tu as bien connus, de leur vivant. Cette fois, tu t'allonges dans l'herbe, en position de gisant. Vrai gisant de Cathédrale. Ta Cathédrale à toi, fils de jardinier, c'est la nature. Plein ciel. Voûte céleste immense. Géantes ogives de nuages et contreforts de peupliers. Dalles de gazon. Tu te prépares à l'odeur de la terre qui va t'accueillir. Humer l'humus. Tu rêves de te dissoudre, de te fondre, dans cette terre nourricière qui t'a vu naître.

Tout en haut de la côte de Franvillers, le cimetière domine le village. Façon de dire aux vivants d'en bas: Pas trop de conneries, les p'tits gars, on vous a à l'œil. Aujourd'hui, tu te dis que tu as trouvé ta place. Près de la haie qui borde le chemin qui va vers la Butresse. La source du village. Un bon endroit, ma foi. En lisière, en bordure, le meilleur endroit, pour celui qui n'a pas... la foi.

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17 février 2016 3 17 /02 /février /2016 00:01
Paris. Quai Saint-Michel. 2012. © Jean-Louis Crimon

Paris. Quai Saint-Michel. 2012. © Jean-Louis Crimon

Cher rétro... viseur,

 

" Quai de la Tournelle

Tu pousses ta ritournelle

 

Quai des Grands-Augustins

C'est pas ton destin

 

Quai de la Mégisserie

T'aurais fait tapisserie

 

Quai Voltaire

T'aurais pas pu te taire

 

Pas d'quai Rousseau

Finiras pas le nez dans le ruisseau

 

Quai Saint-Michel

Aurait fallu te faire la courte échelle

 

Quai de Montebello

Juste pour "Ciao bello"

 

Quai d'la Tournelle

Tu pousses ta ritournelle..."

 

Marrant, vraiment, la chanson te vient souvent comme ça. Quand le vent est d'Est. Couplets en ribambelle. Foutue ritournelle. Part sans demander son reste. La mélodie aussi. Se taille avec la pluie. Ne te laisse que des paroles pas très rock'n'roll. Entre Gavroche et Verlaine. Rictus ou Coûté. Petits refrains à écouter. A chantonner. Si tu retrouves la musique en allée.

 

À part ça, tu n'as pas encore d'Ouvre-boîte. Traduisez: bouquiniste remplaçant, celui -ou celle- qui ouvrira tes boîtes en ton absence. Histoire de faire prendre l'air littéraire à tes ouvrages en cage. Un bon ouvre-boîte, c'est précieux, mais l'espèce est en voie de disparition. Souvent, - du moins à ce que les anciens t'en ont dit -, on entre comme ça dans la profession. D'abord "bouquiniste remplaçant" avant d'être "bouquiniste titulaire". Titulaire d'un emplacement. C'est la ville de Paris qui attribue les emplacements. Autrefois à l'ancienneté. Désormais sur lettre de motivation et entretien pour mesurer, évaluer, jauger et valider les connaissances réelles du postulant, ou de la postulante, à la fonction.

Autre faiblesse du bouquiniste débutant que tu es depuis bientôt un an: tu n'as pas de partenaire pour faire "l'essuie-glace". Pour la chose, il faut un très bon voisinage. Voisine de gauche ou voisin de droite. Dans mon cas, c'est réglé, pas de voisin à droite ! Et à gauche, la voisine est, disons cela élégamment, d'un commerce pas très agréable. Disons que le commerce des mots n'est pas le talent premier de celle qui fait carrière dans le commerce des livres. Pour preuve, les premiers mots, balancés, bille en tête, au premier jour de ton arrivée sur le quai:

 

- T'as pas le sentiment de prendre la place d'un jeune ?

- Ah bon, tu trouves que j'ai déjà ma gueule de vieux !

 

Mais tu t'égares. Laisse tomber les mesquineries de la mesquine. "Faire l'essuie-glace", c'est confier pour cinq ou dix minutes, la surveillance de tes boîtes, - et les ventes éventuelles -, à ce collègue ou confrère pas trop éloigné. A charge de revanche, bien sûr. Ainsi tu peux alller, en hiver, au bistrot d'en face, prendre un café bien brûlant, pour te réchauffer les amygdales et pour ne pas claquer du bec, ou  en été, déguster une bonne bière qui désaltère, quand l'air est trop chaud ou trop sec. Pourquoi cette expression "faire l'essuie-glace" est-elle en vogue sur le quai ? Simple, t'a expliqué Christian Nabet, un bon copain, lui, du quai de Montebello: "C'est parce que, quand y'en a un qui part, y'en a un qui r'vient ! Comme sur le pare-brise ! " Variante "libraire de plein air" de l'emploi de l'expression très usitée aussi sur les courts de tennis. Pour une autre raison.

Pour le reste, Olivier, le fils de Clara, t'a définitivement vacciné: tu sais, sur le quai, avec tes voisins, simple, si tu veux pas d'ennuis, c'est "bonjour-bonsoir". Rien de plus. Et surtout pas de commentaire sur tes recettes de la journée. C'est un truc à se fâcher. C'est un milieu d'individualistes forcenés.

Au moins, avec une mise en garde pareille, t'es vacciné. 

 

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16 février 2016 2 16 /02 /février /2016 00:01
Contay. Cimetière catholique. Mars 2009. © Jean-Louis Crimon

Contay. Cimetière catholique. Mars 2009. © Jean-Louis Crimon

 

Cher Contaysien,

 

Toi, tu parles aux oiseaux du bord de l'eau. Tu connais les accents de la rivière. Tu sais le sens du vent. La course des nuages. L'heure de la pluie. Tu marches tard dans le soir, sans jamais t'asseoir. Tu n'as pas peur du noir. La nuit, tu me l'as dit, est ton amie. Tu étudies les mots du silence pour en traduire le sens. Tu n'as peur, ni de la solitude, ni de l'absence. On n'est jamais seul quand on seul avec soi-même. La porte du cimetière donne sur les champs. Les paysans ont mis le feu à l'herbe sèche des talus. Tu sens l'odeur âcre de la fumée de mars. Les giboulées vont venir ponctuer l'écriture du printemps. Mettre un point final à l'hiver. Tu entends déjà la musique des feuilles des arbres, quand le vent joue de l'harmonica dans les branches qui grincent pour ne pas pleurer. Les larmes, ça attire la pluie. Tu ne ressens jamais aucune fatigue, aucune douleur. Tu n'as jamais mal aux pieds, mal au dos, mal aux dents, ou si tu as mal, tu ne te plains pas. Se plaindre, c'est mal, se plaindre ce n'est pas normal: on ne se plaint pas d'être vivant. Les morts n'ont plus mal aux dents.

Toi, tu rêves et tu dérives, et tes rêves à la dérive, tu t'en vas dire: j'arrive, quand on t'appelle de l'autre côté de la rive. Tu dis parfois: " il pleut dans ma tête" ou "j'écoute le silence de l'eau". Tu dis que tu as le même arbre généalogique que la pierre. Tu parles de ta soeur la pluie. Tu voudrais laisser des messages aux générations futures. Tu dis qu'un écrivain, c'est un pêcheur à la ligne. Il amorce, il lance ses gaules et il attend que ça morde. Tu prétends que les mots sont des poissons d'argent et pourtant tu dis: " le silence est d'or". Tu n'as pas ta langue dans ta poche. Tu dis: les idées, c'est comme les chaussures, celles qui ne sont pas à votre pointure risquent de vous empêcher de marcher. Une autre voix de toi-même te répond: un penseur est un va-nu-pieds. Tu t'inventes des titres impossibles pour des livres que tu n'écriras jamais. Voyage au bout de l'ennui et Rêveries du promeneur solidaire sont tes deux préférés. Tes dernières trouvailles. Pour l'instant.

Comme à la fin du TRE de Spinoza, tu pourrais écrire... Le reste manque.

 

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