Ce jour-là, c'était mon dernier jour en Mongolie, dernier jour à Oulan-Bator. J'avais été invité à lire des extraits de Du Côté de chez Shuang, mon petit roman chinois, à la Librairie Française. En fin d'après-midi, je m'autorisais une dernière déambulation. A l'instinct, j'ai marché vers les faubourgs. A une bonne demi-heure de Narantuul Hôtel où je séjournais, cette image s'est imposée. Sans savoir vraiment pourquoi, je l'ai acceptée. Sont rares chez moi les photos sans présence humaine.
© Jean-Louis Crimon
Ce jour-là, tu remontes du vieux quartier Saint-Leu en traversant le Parc de l'Evéché, désormais Parc de l'éméché, tant le buveur excessif des terrasses en contrebas a pris l'habitude d'y venir soigner son hoquet et parfois son foie.
Tu marches vers l'hiver et tu as la tête à l'envers. Tu rêves de printemps. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Une coccinelle, si. Ça t'amuse, ce ciel qui ruse avec la lumière du soir. Bête à Bon Dieu dans le jardin de l'Evêché. Faut-il y voir un signe ? Clin d'œil d'un pèlerin malicieux. Il y a cieux dans malicieux.
Tu connais la légende. Au Moyen Âge, un homme accusé d'un crime qu'il n'a pas commis doit être décapité. Mais lorsqu'il pose la tête sur le billot, une coccinelle se pose sur son cou. Le bourreau tente de l'éloigner mais la coccinelle revient obstinément se poser sur le cou qui doit être coupé. C'est alors que le roi, Robert II le Pieux, y voit une intervention divine et décide de gracier l'homme. Ce jour-là est née l'expression « beste de bon Dieu ».
La coccinelle consacrée "porte-bonheur". Qu'il ne faut surtout pas écraser. Le vrai meurtrier, lui, aurait été finalement retrouvé quelques jours plus tard.
© Jean-Louis Crimon
Trois ombres à l'entrée de la caverne. Trois hommes qui ne sont pas enchaînés comme dans l'allégorie platonicienne. Les chaînes sont désormais à l'intérieur des têtes. Caverne, cache souterraine, lieu de l'enfermement, de l'ignorance, des apparences. Les ombres ne sont que les images des hommes réels. Question : où sont les hommes réels dont les ombres ne sont que l'apparence ? Où est le monde de la liberté, du savoir, du réel ? Questionnement très actuel.
Le monde des apparences, nous y vivons en permanence, le monde des sophistes, ces dialecticiens qui excellent dans l'art des discours qui n'ont que l'apparence du vrai, mais qui sonnent faux, parce que débordant de mensonges et de fausses valeurs. Fausses certitudes. Allégorie platonicienne. SOS Socrate. A l'aide Platon. Save our souls. Sauvez nos âmes.
© Jean-Louis Crimon
Ce jour-là, je déambulais comme j'aimais le faire dans ces années soixante-dix, le boîtier à la main, sans but précis, sans idée vraiment arrêtée. De loin, une maison aux murs en torchis attira mon attention. Je n'ai pas lu tout de suite le nom de la rue sur le panneau. Habiter rue du Bout du Monde, c'est un monde.
© Jean-Louis Crimon
Ce jour-là, comme souvent, je descendais la Delpech à grands pas. Tout en bas de la rue, sur le côté droit, je m'arrête. J'admire. Fasciné par la façon dont le jeune maçon monte son mur de parement. Brique à brique. Patiemment. Méticuleusement. Monter un mur, sûr, c'est une forme d'écriture. Je prends trois photos et je m'efface.
© Jean-Louis Crimon