© Jean-Louis Crimon Paris. Quai de la Tournelle. 2012.
Il pleuvait des cordes cet après-midi là. L'homme est venu se mettre à l'abri sous mes auvents. Côte à côte, on a regardé la pluie tomber. La scène avait quelque chose d'insolite. On tournait le dos aux livres. Pour une fois, ça pleuvait dans le bon sens et le vent épargnait les boîtes. Les conversations des gens qui regardent tomber la pluie sont souvent banales. Pour ne pas dire affligeantes. Forcément, les premiers mots parlent du ciel tout en eau. Selon les individus, c'est souvent l'occasion de jeux de mots. De plaisanteries. Plus ou moins drôles. Pas cette fois. L'homme avait un beau regard. Une belle intensité dans le regard. Il s'est exclamé :
- Moi, monsieur, quand j'ai un coup de blues, je relis Zarathoustra. Le Zarathoustra de Nietzsche. Vous savez, le lion, l'enfant, le surhomme...
- Oui, Also sprach Zarathoustra. Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre comme un poème. Un poème philosophique. Un prologue et quatre parties. Une quatrième partie que Friedrich Nietzsche dût publier, je crois, en 1885, à compte d'auteur, devant le peu de succès des trois premières. Les quatre parties du Zarathoustra de Nietzsche furent publiées ensemble pour la première fois, en 1892.
- J'aime beaucoup Nietzsche, vous savez. Je ne sais plus vraiment à quelque âge je l'ai lu pour la première fois. Aujourd'hui, la cinquantaine bien entamée, je veux tout relire de lui. En ce moment, par exemple, j'ai recommencé Au-delà du Bien et du Mal.
- Ce n'est pas l'un des plus faciles...
- Enfant, déjà, je savais quelque chose de cet ordre-là. Je me suis dit très tôt : je ne peux pas faire autre chose que d'aller vers ma destinée. J'ai eu la chance de comprendre ça : je ne veux pas être ce que je ne dois pas être.
Brusquement, la pluie s'est arrêtée. Le ciel, lassé sans doute de nous avoir déversé un trop plein d'averses, virait à l'éclaircie. L'homme m'a salué. On s'est souri. Il est parti. Comme il était arrivé. M'a juste donné l'envie, à moi aussi, de me replonger dans Zarathoustra. Ainsi parlait Zarathoustra.
Nietzsche, lui-même, n'avait-il pas dit de son Zarathoustra : Ein Buch für alle und keine. Un livre pour tous et pour personne.