Le livre est là depuis bientôt deux ans. 288 pages de textes et de schémas. De chiffres et de croquis géométriques. C'est le mot "Arpentage" qui me plait vraiment. Le livre dort dans l'espace réservé aux livres scolaires assez anciens. Des livres d'avant-guerre, aiment à dire mes clients octogénaires. Toujours heureux, et assez fiers, de mettre, parfois, la main sur quelques uns des ouvrages avec lesquels ils ont grandi. Appris. Etudié. Rêvé.
"Arpentage" vient de "Arpent", ancienne mesure agraire divisée en 100 perches et qui varie selon les endroits. 35 à 50 ares selon les localités. Un are vaut 100 mètres carrés.
"Des arpents de neige". L'expression me revient maintenant en mémoire. Sans que je sache si elle est de Félix Leclerc ou de Gilles Vigneault. Sans que j'arrive à savoir précisément dans quel texte de quelle chanson, elle se trouve. Ce doit être dans "Mon Pays, ce n'est pas un Pays, c'est l'hiver..." de Vigneault. A moins que ce ne soit dans ce texte de Félix Leclerc où c'est le Pays tout entier qui est à vendre. A vendre à l'encan.
A l'encan, autre expression très ancienne pour dire "aux enchères". Des arpents de neige. Faudra que je demande à mon ami Marc Legras qui a publié, il n'y a pas si longtemps, un très beau Vigneault.
"Traité Pratique d'Arpentage, Nivellement, Levé des Plans", c'est le titre complet de l'ouvrage en question. Un ouvrage au format de Poche. Arpentage. Arpenteur. Chaîne d'arpenteur.
Un jour de juin 1963, je crois, à l'Ecole Primaire, notre Instituteur nous avait appris à nous servir de la chaîne d'arpenteur. On avait mesuré la grand place bordée de tilleuls centenaires. Arpenteur. C'était beau comme une profession d'aventurier. Arpenteur. Je me voyais trappeur des grands espaces. Chasseur d'animaux à fourrure dans le Grand Nord. Tout ça grâce à la chaîne d'arpenteur.
La chaîne d'arpenteur n'était pas de ces chaînes qui attachent et qui retiennent prisonniers. La chaîne d'arpenteur était de ces chaînes qui libèrent. Qui vous ouvrent le monde.
Le soir de ce jour-là, en m'endormant, je m'imaginais, ma chaîne d'arpenteur à l'épaule, m'en aller mesurer le tour de la Terre entière. Rêve absurde, aurait dit ma mère, si je lui en avais parlé. Elle qui me disait sans cesse "arrête d'arpenter" quand je tournais en rond dans la petite cour carrée de derrière la maison. Rêve au contraire très sérieux pour l'enfant que je n'étais déjà plus. Rêve tout à fait accessible. A une seule condition : accepter d'abord de mesurer le tour du jardin et le tour du village. Le reste viendrait après. Naturellement. Pour qui le voudrait vraiment.