C'est un Gallimard, Editions de la Nouvelle Revue Française, la NRF. L'adresse est celle du 43, rue de Beaune, dans le VIIe. A l'intérieur, entre la page 4 et la page 5, sur trois lignes, la petite carte imprimée au format carte de visite, dit l'essentiel :
En mémoire de Jules Vallès
De la part de Bernard Lecache
Novembre 1930
Dans le bas de la première de couverture, les deux lettres S.P. indiquent que cet exemplaire faisait partie du Service de Presse, un nombre d'exemplaires défini à l'avance par l'Auteur et l'Editeur, pour les besoins de la publicité, dans le sens d'information, à donner à l'ouvrage. L'Achevé d'imprimer est du 30 août 1930. Le texte de Vallès est daté de 1883 et la préface, titrée d'ailleurs "Avertissement", est signée Bernard Lecache. D'entrée, le préfacier dit tout des raisons de publier ce Vallès posthume. Il nous permet surtout de comprendre pourquoi l'auteur de l'Enfant, du Bachelier et de l'Insurgé a tenu à sous-titrer " Mémoires vrais " ces Souvenirs d'un Etudiant pauvre. Relire ensemble l'Avertissement de Bernard Lecache est précieux avant de se replonger dans la lecture de Vallès.
" Il est toujours délicat d'exhumer des oeuvres posthumes. Le génie d'un mort gagne souvent à rester dans l'ombre. Mais, lorsqu'il s'agit de Jules Vallès, que peut-on craindre ? L'auteur des Vingtras avait assez de talent pour affronter la postérité.
Séverine savait mieux que moi, pour l'avoir connu et servi, quelles étaient les intentions du " patron ". Ce manuscrit est longtemps resté sur sa table, à son chevet. Il aurait dû, plus tôt, voir le jour. La maladie, les soucis quotidiens nous en ont empêchés. Aujourd'hui, je suis seul. J'obéis au voeu de la morte. La dernière tombe s'étant fermée, je peux entr'ouvrir nos dossiers.
"J'eusse pu facilement consigner par écrit d'autres inédits de Jules Vallès. Ceux-ci ne manquent pas. Brochure ou correspondance, roman ou notices, rien qui n'aide à sa gloire, sinon qu'on le connaît mal et qu'on s'est forgé de lui une image arbitraire. On a pris l'auteur des Vingtras pour un sombre misanthrope, pour un docteur ès pessimisme, pour un doctrinaire amer et désenchanté, pour un professeur raté qui déverse sa bile sur la société marâtre. C'est contre cet état d'esprit que j'ai entendu m'insurger.
"Fors Séverine, qui comprit Jules Vallès comme il méritait d'être compris ? C'était, au regard de ses familiers, un tendre et joyeux compère. Les misères de son enfance et de son adolescence ne l'avaient pas gâté, ni aigri. Il tenait de son Auvergne natale un bon sens inaltérable, une robustesse d'esprit sans faille, un optimisme si fort et si puissant qu'il confinait à la candeur.
"En publiant ces Mémoires vrais, cette portion de vie de Vallès racontée par Vallès, j'ai cherché à restituer au farouche Communard sa fantaisie, sa charmante humeur, sa cordialité fraternelle et bourrue, ce don de la joie qu'on lui a toujours dénié.
"J'ai tâché de rendre justice à l'écrivain, et surtout à l'homme.
"Contre Jean Richepin ou Maxime du Camp, contre ses commentateurs de l'un ou de l'autre bord, contre ceux qui l'ont volontairement méconnu, contre ses partisans qui le jugèrent trop exclusivement en partisan, ce livre répond. Jules Vallès ne trempait pas sa plume dans le vitriol, pas plus qu'il ne faisait systématiquemnt usage d'un style agressif et âpre. Il se contentait d'être direct, véridique, impeccable dans la forme comme dans le fond. S'il fut un des premiers polémistes de France, il sut être aussi, selon le mot de Philarète Chasles, " un des maîtres de la Littérature ".
"Rien de sec, ni de tendu, en Jules Vallès. Rien de désespéré. Rien d'apprêté. Ces Mémoires vrais dénoncent en lui le badaud goguenard qu'il est resté jusque dans l'infortune, le gouailleur humain et sensible, l'ennemi des sectes, des clans et des partis pris.
"Lisez ce qu'il écrit des anciens amis passés de l'autre côté de la barricade ! Il retient, pour en parler, ses rudesses légitimes, ses offenses toutes prêtes. Il ne les malmène ni ne les insulte. Sa jeunesse vit dans leur souvenir. Il ne l'oublie pas. Est-ce là le fait du fanatisme ? Il est temps de corriger la légende. On prête à Vallès les rigueurs des autres. Quand Vermorel s'écrie, en pleine Commune : " La mort n'est pas une excuse ! ", on dit que c'est Vallès. Quand Paris flambe, on accuse l'auteur de l'Insurgé d'avoir joué les iconoclastes et voulu détruire le Louvre. S'il n'avait tenu qu'à lui, les otages n'auraient pas été tués...
"Jules Vallès a écrit ces Mémoires en 1883, après l'exil, après l'amnistie, alors que le Cri du Peuple reparaissait. Il était déjà malade, miné par les privations et l'ingratitude de la vie. Il aurait eu lieu de laisser déborder son amertume. tout au contraire, c'est avec sérénité qu'il aborde le passé. Il a le coup d'oeil du sage. Se résigne-t-il, abdique-t-il ses opinions, son intransigeance ? Il reste le vieux lion qui terrorisait Badinguet et M. thiers. Mais il émeut et nous émeut, simplement, en s'avouant.
" J'admets que certains traits aient perdu de leur valeur, que certains détails paraissent bien lointains pour nos contemporains. Mais la verve drue, gaillarde et saine de Jules Vallès dépasse l'actualité. s'il plaît au hasard, je souhaite que, mieux connu, l'auteurt de l'Enfant, du Bachelier et de l'Insurgé recouvre sa créance sur l'avenir. Son oeuvre défie le temps et ne craint pas l'oubli."
Bernard Lecache.
A ceux qui ne sauraient pas, l'auteur du blog précise que Badinguet était le surnom de Napoléon III. Depuis son évasion de la prison de Ham.( Somme, Picardie.)