Impression étrange que de se relire soi-même. Drôle de sensation. Se relire. Relire le roman que l'on a écrit. Comme s'il était le livre d'un autre. Un autre dont on se sent très proche. Le temps a fait son oeuvre. Le livre a déjà plus de dix ans. Les mots, les phrases, la musique des mots, la musique des phrases, à tout jamais, je sais qu'elles sont miennes. J'y retrouve le goût d'une certaine enfance. Certains passages me surprennent. M'étonnent. Littéralement. Je m'étonne d'avoir écrit ça. Ecrit ça comme ça. D'avoir été capable d'écrire ça. Comme ça.
Extrait, page 145 :
"- Tu vois, ton Albert Camus, tout ce qu'il sait, c'est au football qu'il le doit !
Plutôt surprise, ma mère. Elle ne comprend pas pourquoi mon père la lance soudain sur Camus. Mon père insiste comme s'il reprenait de volée le texte de l'encadré de la dernière page d'un France Football de l'an dernier. Numéro 613. Mardi 17 décembre 1957.
- Regarde moi ça, et lis la phrase, en gros caractères, en haut, à droite de la page.
Ma mère lit à haute voix en respirant bien entre chaque groupe de mots de la phrase : "Ce que je sais de plus sûr... sur la morale et les obligations des hommes... c'est au football que je le dois."
- Alors, reprend mon père, pas si mal, le football, pour faire des hommes ?
- Parfait, répond ma mère, on a chacun son Albert. Toi, Batteux, et moi, Camus. Un prix Nobel de littérature, ça vaut bien un entraîneur de football !"
Dans "Verlaine avant-centre", je n'ai pas employé une seule fois le verbe "tataner". Pourtant, quand on jouait au foot, sur la place du village, ou dans le verger familial, on en filait, et on recevait, des coup de pied. Des coups de tatane. Tatane, c'est le nom de l'Association de Vikash Dhorasso. Un malicieux qui a le football joyeux. Qui entend défendre cette idée d'un foot joyeux et désintéressé. L'Association, dès sa création, en 2005, s'est donnée, en guise d'identité, un superbe manifeste. Ecrit à coups de "Parce que" qui sont autant de réponses à tous les "Pourquoi" qu'on pourrait se poser à propos du foot. Parmi tous les "Parce que" du Manifeste de Tatane, moi, j'adore vraiment :
Parce que Garrincha pouvait reculer pour faire durer le plaisir avant de marquer
Parce qu'il est possible de jouer au foot sans penser à son prochain transfert
Parce que la peur de perdre empêche de jouer
Parce que les sports, comme les sociétés, se jugent à la manière dont on traite les perdants
Parce que former un joueur de foot, c'est aussi former un citoyen
Parce que le jeu sauvera peut-être le monde
Parce que rien n'est jamais foutu
Sept "Parce que" que, pour une fois, je fais miens sans éprouver le besoin de dire "pourquoi". Sept "parce que" auxquels j'ajoute, sans réserve, ces deux "tatanes", histoire de faire la paire :
Tatane, non, aimer le football n'est pas grossier
Tatane, oui, on peut penser avec ses pieds
Tiens, à quelques encâblures du jour de la première épreuve du Bac, cette dernère "tatane" me donne une idée. Pour lycéens et lycéennes en mal d'entrainement à la réflexion philosophique, ce sujet très improbable : "Un enfant de la balle peut-il naître avec un ballon dans le ventre ?"
Pas mal, non ? Vais l'envoyer à Laurent Blanc, pour faire plancher ses garnements, lundi prochain, de 8 à 12. Corrigerai personnellement la copie de Ribéry et de Nasri. Ce n'est qu'un début. En deuxième sujet, je leur donnerai la phrase de Camus.
"Ce que je sais de plus sûr, sur la morale et les obligations des hommes, c'est au football que je le dois."