"Moi, j'ai été pris en photo par Doisneau quand j'étais gamin, j'ai jamais vu la photo, j'aimerais vraiment la voir cette photo !" Il a dit ça comme ça. Naturellement. Spontanément. Sans fierté particulière. Sans éprouver aucunement le besoin d'appuyer sur le côté exceptionnel de la chose. Comme si c'était naturel d'être môme à Paris en ce temps-là et d'être pris en photo par Doisneau, parce que Doisneau passe par là. Vous le petit moineau de Paname, devenu, en un instant, photo de Doisneau. Il a dit "j'aimerais la voir" et pas "j'aimerais l'avoir". C'est tout le talent de l'homme. Tout en discrétion et en délicatesse.
Les bouquinistes sont gens modestes. Ils croisent la gloire mais ne s'en glorifient pas. Ils connaissent un paquet de gens célèbres mais célèbrent l'anonymat. Parfois, au détour d'une conversation, ou au coeur d'un repas, ils vont lâcher comme une confidence, un morceau de bravoure, mais sans bravade. Comme Jacky, l'ouvre-boîte de Pierre, qui raconte comment il a trouvé le thème de "Requiem pour un con" de Gainsbourg. Le grand Serge jouait dans le film Le Pacha de Georges Lautner. Jacky, à la demande de Gainsbourg, s'est mis à la batterie et très vite a sorti le truc. Gainsbourg a trouvé ça chouette. Mais la chanson "Requiem pour un con", signée Gainsbourg, n'a pas crédité Jacky, côté "musique". Dommage pour les droits d'auteur. Mais aujourd'hui comme hier, rien d'amer, dans les yeux bleus très clairs de Jacky.
Une pensée pour mon père, ce soir. Mon père, né le 16 mai 1922. Je voulais acheter, hier, dimanche, un petit espace de trois lignes dans le journal pour dire" Bon anniversaire mon jardinier de père, 89 années cette année, et déjà 10 sous la terre." Mais je n'ai pas osé, j'ai eu peur que personne ne comprenne et j'ai gardé pour moi tout seul ma peine.