© Jean-Louis Crimon Quai de la Tournelle. 2011.
- Vous, au moins, vous faites partie des courageux !
- Pourquoi donc, monsieur ?
- En début d'après-midi, vous n'étiez pas nombreux...
- Nombreux ?
- A être ouverts...
- Avec la pluie, vous savez, faut comprendre les confrères...
- Oui, mais sans vous, les quais, c'est désert ...
- Nous ne sommes pas des fonctionnaires ...
- On peut toucher ?
- Oui, bien sûr, et même, si ça vous dit... feuilleter...
- C'est gentil ..
- Et même lire un peu, c'est gratuit ...
- C'est agréable, avec vous... Vos voisins, ils plastifient tout, et on ne peut toucher à rien...
- Faut les comprendre, sous cellophane, le livre est beaucoup moins vulnérable...
- Moins vulnérable...
- Au vent, à la poussière, aux "mains sales", à la pluie, que sais-je ? A force, le livre s'use et s'abîme...
- Celui-ci aussi, je peux le toucher ,
- Oui, bien sûr, pourquoi pas ?
- Vous avez vu son titre !
- Oui, c'est un San-Antonio, Fleuve noir, première époque !
- Son titre, j'vous dis ! j'peux le prendre en main ?
- Touchez-le, parcourez-le, humez-le, goûtez-le, caressez-le ...
- Impossible, monsieur le bouquiniste !
- Pourquoi donc, monsieur le perfectionniste !
- Parce que c'est écrit, en grosses lettres, sur la couverture "BAS LES PATTES" !
- Très drôle, monsieur, c'est dix euros, mais je vous le laisse à huit, si ça fait un heureux.
L'homme, plutôt fier de lui, a payé le prix. Fier d'être l'auteur d'un bon mot. De saluer ainsi le père de San-Antonio.