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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 18:29

 

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© Jean-Louis Crimon                                                                                                     Paris. 2012 

 

 

Le style. Le style toujours. Tout est dans le style. A la Mairie de Paris, les employés du Bureau du Commerce et du Tourisme, en charge de la gestion des bouquinistes, cultivent le style lapidaire et autoritaire de l'Administration. Combien sont-ils, chaque année, mes camarades bouquinistes, rive gauche ou rive droite, à recevoir ce genre de missive ? Missive répressive maniant systématiquement le rappel au réglement et la menace. Le rappel aux devoirs, aux obligations, jamais aux droits. D'accord, il n'y a pas de droits sans devoirs. Mais d'abord, peut-il exister des devoirs sans droits ?

Cette fois, c'est mon tour. Lettre datée du 30 mai dernier. Letttre recommandée avec accusé de réception. Lettre signée de la Chargée de la sous-direction du développement économique et de l'innovation.

 

Premier paragraphe :

"Vous bénéficiez d'une autorisation personnelle d'exploitation d'un emplacement de bouquiniste, 41 quai de la Tournelle à Paris, 5ème arrondissement."

 

Deuxième paragraphe :

" A l'occasion de nombreuses visites sur les quais de la Seine, il a été observé par mes services que vous ne respectez pas la réglementation en vigueur. Plus précisément, il a été constaté que vous exploitez insuffisamment, vous-même, votre emplacement. "

 

Autrefois, la Mairie de Paris me reprochait de ne pas avoir, comme tout bouquiniste qui se respecte et qui respecte sa clientèle, un "Ouvre-boîte". L'Ouvre-boîte, nom charmant du bouquiniste remplaçant, chargé d'ouvrir les boîtes vertes, en l'absence du bouquiniste titulaire. J'ai un bon "ouvre-boîte". Qui fait que les boîtes sont régulièrement ouvertes. Mais l'Administration se veut pointilleuse et persécuteuse. Elle a trouvé l'article du réglement intérieur, l'article 8, qui dit que  "Le titulaire doit occuper en personne son emplacement." Mais aussi que "Le titulaire peut se faire remplacer à condition qu'il exploite personnellement au moins trois jours par semaine."

Or, les "contrôles" effectués au cours "de nombreuses visites" sur les quais semblent indiquer que je ne suis pas assez présent moi-même au goût de l'Administration. L'Administration aime à se comporter comme un patron tout-puissant qui sait vous brimer et vous faire souffrir. Comme si elle y prenait un malin plaisir. Comme si elle trouvait dans ce "faire souffir" sa véritable raison d'être.

Petit oubli dans la démarche de l'Administration : les bouquinistes ne sont pas des salariés. Ou alors ce sont les seuls salariés qui travaillent sans percevoir de salaire. Les seuls salariés qui doivent acheter leur outil de travail. En effet, le bouquiniste, s'il n'acquitte aucun loyer à la Marie de Paris, pour les 8 m 60 de parapet qui lui sont octroyés, doit acheter ses boîtes. D'occasion, s'il y en a, en pas trop mauvais état, sur le marché, ou neuves. Il doit alors les faire construire, sur mesures, dans le respect des cotes indiquées dans le réglement intérieur. 1.500 euros la boîte neuve. 6.000 euros d'investissement pour devenir propriétaire des quatres boîtes réglementaires.  Moralité: la première année, l'année de son installation, le bouquiniste n'a qu'une ambition très modeste : se rembourser au moins l'investissement de départ. Ce n'est pas toujours le cas si le bouquiniste, se refusant à sombrer dans la bimbeloterie TourEiffellesque, pour respecter le réglement intérieur, ne vend que des livres. Mais cela intéresse peu l'Administration qui, de paragraphe en paragraphe, poursuit sa missive sinistrement administrative et toujours sinistrement inhumaine.

 

Avant-dernier paragraphe :

"Si vous êtes dans l'incapacité d'exploiter régulièrement vos boîtes, je vous invite à adresser par retour du courrier une lettre de cessation d'activité."

Etrange requête dans une époque où, en contraire, ceux qui nous dirigent, veulent tout faire pour maintenir et développer l'activité. Tout faire pour empêcher les cessations d'activité.

 

En caractères gras, dernier paragraphe :

" La présente lettre a valeur d'avertissement. A défaut de mise en conformité dans un délai d'un mois à compter de réception, cette infraction aux dispositions du réglement pourra entraîner le retrait de votre aurorisation (article 12).

 

Paradoxe utime : la Mairie de Paris se comporte avec les Bouquinistes des quais de Seine comme un véritable Employeur. Avec les exigences qu'un Employeur peut avoir pour ses employés. Des employés qui fournissent un certain travail en échange d'un certain salaire. Des employés qui sont des salariés. Mais, ne l'oublions jamais, dans le cas des Bouquinistes de Paris, pas de salaire. Pas de salaire, mais des obligations de respecter des horaires d'ouverture, des jours d'ouverture, qui sont de vrais horaires de travail. Pas de salaire mais un réglement draconien et une application du réglement non moins draconienne.

 

Homme libre, toujours tu chériras la mer, chantait Baudelaire,

Aujourd'hui, je chante à ma manière :

 

Homme libre, toujours tu fuiras le quai,

De la Tournelle au Malaquais,

Pour ne plus rendre compte à je ne sais qui,

Des heures ou des instants mal acquis...

 

Ceux qui coulent des jours paisibles,

Dans des bureaux invisibles, 

Ont pouvoir de vie ou de mort

Sur celui qui travaille dehors...


Avec une application banale,

Ils jouent à la bataille navale,

Rêvent chaque jour de mettre à terre

L'un de ces petits bateaux verts...

 

Pour nous contraindre à nous taire,

Ils administrent leur ministère,

A la façon de grands capitaines,

Mais n'en ont pas la veine humaine... 

 

Dans une ville en permanence sous caméras de surveillance, les Bouquinistes ne sont plus pour longtemps les derniers hommes libres du paysage urbain. Les derniers représentants d'un métier de liberté dans un monde où, comme le beuglait déjà, dans l'autre siècle, le vieux Léo, les muselières ne sont plus faites pour les chiens...

Que l'Administration, pour nous amadouer un temps, rebaptise, dans l'air du temps, le bouquiniste  "libraire de plein air", ne change rien à l'affaire : notre liberté est morte. Peu importe, puisqu'on m'y incite de la sorte, au diable les idées ou l'enthousiasme que j'apporte, cette fois, je crois que je vais prendre... la porte.

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E
Un brin désabusée notre bouquiniste, mais le drame serait qu'il ne le soit pas.

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