Elles sont arrivées sans crier gare. Se sont scotchées devant mes vieux journaux. Mes vieux journaux étendus avec des pinces à linge sur un fil, dans le haut de mes boîtes, sous les auvents. Un fil à linge où sèche la presse du temps passé. Pélerin des années 30, Journal du Dimanche de l'année 1863, exemplaires du Voleur des années 80. 1880. Elles semblaient fascinées. Je les ai laissées de longues minutes savourer leur passion. Puis, n'y pouvant plus, j'ai risqué une question: pourquoi cet intérêt manifeste ? La première a dit: je suis étudiante à la Sorbonne. En Lettres Médias Com' . J'aimerais un jour être journaliste. Voir, en vrai, ces vieux journaux, dont on nous parle en cours, c'est fascinant.
La seconde a ajouté: moi, non, je n'envisage pas ce métier. Je veux être kiné, mais j'adore l'odeur et la texture du vieux papier. Elle fait mine de respirer l'odeur avec le nez. Touche un livre imaginaire avec le bout des doigts. Puis ajoute: Chez mes parents, quand j'ouvrais un livre ancien, c'était d'abord pour le sentir, le respirer, avant de le lire.
Filles merveilleuses, toutes deux originaires de Charleville. La ville de Jean-Arthur. Forcément, on a parlé de Rimbaud. De sa maison. Sa maison devenue Musée. De sa tombe, au cimetière. De ce célèbre On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans et de ce poème où Arthur raille les notaires ou les banquiers. C'était drôle. Les deux amies riaient à gorge déployée. Puis vint l'aveu. En forme d'incroyable regret. Nous, au Collège ou au Lycée, ce n'est pas Rimbaud que les profs nous faisaient étudier, c'est Baudelaire.
Les Fleurs du Mal, c'est vrai, ce n'est pas mal non plus, mais passer à côté de la maison de la famille Rimbe et d'une balade dans cette Charleville où ont dû déambuler, certains soirs de désespoir, Jean-Arthur et sa gloire future, c'est dommage. C'est à pied que parfois se redécouvre la littérature.
Mettre ses pas dans les pas de celui qui un jour a écrit La Lettre du Voyant, moi, je ne m'en priverai pas...